Chapitre 18 - Souvenirs

Je peine à me relever, le souffle me manque même si je suis sortie du tube et mes jambes glissent sur le sol humide. La fureur m'envahit comme les nuages envahissent le ciel. Ma longue arme en métal dans la main, je me retourne mollement vers cette conasse, étant à bout de forces, mais je ne faiblis pas et dans un cri de hargne, je déverse toute ma rage en lui assenant un coup maladroit. Puis un autre, et encore un autre. Tout ce que je veux c'est l'envoyer valser pour m'avoir enfermé dans ce foutu bocal et avoir essayé de me noyer. Elle se défend bien et pas une seule fois elle n'est touchée par ma colère. Elle ne tente pas non plus de m'atteindre, et cela me convient bien comme ça car je pense que je n'aurais pas réussi à me protéger tant je me sens faible, comme si mon corps est dénué d'assez d'énergie pour me battre et me défendre en même temps. Alors que je vais pour la frapper une nouvelle fois au niveau du cou, elle se baisse tandis que j'avance de quelques pas, lui permettant de se retrouver derrière moi. Elle me fait perdre l'équilibre en me donnant un coup de pied derrière le genou, ce qui me fait m'effondrer un peu plus loin, totalement épuisée. J'éclate en sanglots.

Je n'arrive pas à croire que le SHIELD m'aurait laissé me noyer. Je suis tellement déçue, tellement peinée par leur manque de considération humaine. Je pensais que je leur étais indispensable, mais il faut croire que mes pouvoirs ne leur sont pas aussi nécessaires que je le pensais. Pourtant je ne les ai pas dénoncés, je n'ai donné aucun renseignement sur le SHIELD. Mon test est réussi, oui, mais ils attendaient beaucoup trop de ma part, que je me sorte moi-même de ce pétrin, que je me sauve moi-même de la mort. Mais ce qu'ils n'ont pas compris, c'est que mes pouvoirs ne sont pas illimités. Et le pire, c'est que Clint m'a encouragé, alors qu'il savait pertinemment ce qui m'attendait. Je me sens haineuse envers le SHIELD, ma réussite ne me paraît pas aussi glorieuse qu'elle devrait l'être.

Des mains attrapent mes épaules et Antoine m'aide à me relever avec douceur. Je regarde le prisme dans lequel il était, il y a de cela quelques minutes, et je vois qu'une porte dérobée est ouverte. Il a eu bien de la chance de pouvoir sortir sans avoir la pression parce qu'il était immergé.

-Félicitation agent Triplett, vous aussi vous avez réussi le test, ajoute l'agent du SHIELD en croisant ses mains sur sa poitrine.

Le concerné me supporte de tout mon poids car je n'ai absolument pas la force de tenir debout. Son regard plonge dans le mien tandis qu'il caresse mes cheveux.

-C'est fini Hailee. C'est fini.

Les larmes coulent sans que je puisse les arrêter, mais elles sont invisibles puisque mon visage est encore trempé de l'eau dans laquelle j'étais prisonnière. Je tremble sans pouvoir m'en empêcher. Je me doutais que les critères pour entrer au SHIELD étaient extrêmement sélectifs, mais je ne le pensais pas au point de laisser mourir quelqu'un.

-Vous étiez prête à me laisser me noyer, merde ! Éclaté-je en reprenant un peu de vigueur.

-Nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir des agents prêts à balancer toutes les infos qu'ils connaissent sur le SHIELD, explique-t-elle comme si c'était anodin. Vous pouvez comprendre cela mieux que personne, agent Barton. C'est parce que Clint est avec nous que vous n'avez rien dit, ne dites pas le contraire.

-Vous n'avez donc aucune conscience ?!

Antoine nous écoute attentivement et prudemment. Il attend pour choisir son camp.

-Et vous croyez que Stefanski en a une, lui ? Ce déséquilibré n'hésite pas à tuer des centaines d'innocents pour une vieille vengeance, et c'est nous qui passons pour des sans cœur uniquement parce que nous ne pouvons pas laisser repartir comme si de rien était, quelqu'un qui a vu l'ampleur du SHIELD et qui n'a pas les capacités pour y entrer.

-Parce qu'il y en a qui sont morts ? S'exclame mon acolyte. En faisant cela, vous ne valez pas mieux que lui.

Je crois qu'Antoine a fini par se faire une opinion des choses, et qu'il a les mêmes que moi.

-Vous ne pouviez pas le menacer ? Vous devez bien avoir des dossiers sur nous vous permettant de faire pression si nécessaire, alors pourquoi ne pas utiliser cela ?

-Vous êtes vivants, vous avez tous les deux réussi le test et c'est tout ce qui importe. Affirme-t-elle sans répondre à la question.

-Et qui êtes-vous pour juger ce qui importe ou non ? Qui pour dire qu'il faut laisser à la mort ceux qui n'ont pas le tact nécessaire pour entrer au SHIELD ? Je l'interroge en lui parlant comme si je lui envoyais du venin.

-Je suis l'agent Hill, bras droit du colonel Fury.

Je serre les dents. Cela explique cela, ainsi que pourquoi elle se croit si supérieure et si privilégiée à choisir qui vit et qui meure.

-Cela n'excuse absolument rien, agent Hill. Vous n'êtes pas Dieu, et Fury non plus.

La manière que j'ai de lui répondre, comme si j'étais encore dans la capsule, me donne l'impression que si je n'avais pas mes capacités, elle m'aurait tué sur-le-champ. Comme un enfant qui fait l'insolent en classe et qui se prend une heure de colle, mais nous ne sommes plus des enfants. Je me dégage de l'emprise de Triplett qui tente quand même de me retenir au cas où je m'effondrerais encore, et m'avance vers elle.

-Je croyais que le SHIELD avait de la considération pour les humains. Après tout, c'est la qualité que vous avez mise en avant pour me persuader de l'intégrer. Mais bon, tous ceux qui ont un tant soit peu de pouvoir sur les ignorants ont tendance à en abuser, et les valeurs qu'ils défendaient ne sont défendus que si cela leur rapporte de l'estime, et de la tune. Quelle déception.

La main robuste de mon nouvel ami m'attrape le poignet, signe qu'il faut que je m'arrête.

-Viens Hailee, allons-nous changer. Tu vas attraper froid.

Il m'est impossible de ne pas lancer un regard noir à l'agent Hill quand je me dirige vers les portes de secours.

***

L'eau chaude glisse sur ma peau tandis que mes yeux sont fermés, essayant d'oublier l'eau froide qui a failli me noyer. Une fois sortie de la douche, je me sèche et m'habille avec une lenteur que je ne pensais pas possible, mais quand on est aussi blasé que moi actuellement, on ne peut pas faire autrement. Les cheveux trempés, je m'étale sur le lit de la ridicule chambre de l'entrepôt, qui s'avère être au final une base secondaire du SHIELD. Je me positionne sur le côté et ferme les yeux, essayant de me reposer malgré l'image de l'eau qui me submerge continuellement. Je suis réellement éreintée, et pourtant, ce n'était pas aussi sportif que cela. La porte de la pièce s'ouvre, et même si je ne vois pas qui entre, je ne fais rien pour le savoir. En réalité, je m'en fiche un peu, je veux juste ne plus penser à ce qui s'est passé.

-C'était une bonne performance, Hailee. Déclare mon frère. Tu as relativement bien géré ton stress durant la dernière partie du test et tu as été plus que correct durant tout le reste. Tu...

-Arrêtes Clint. S'il te plaît.

Il se tait, et j'entends ses mains se frotter entre elles.

-Je vois bien que tu es en colère, mais Hailee... Crois-moi, si j'avais douté une seule seconde de toi, une seule, je ne t'aurais jamais demandé d'entrer au SHIELD, jamais.

-Je ne t'en veux pas, je suis juste déçue.

-Je comprends, Hailee, je comprends. Mais l'agent Hill a raison. On ne peut pas laisser des personnes partir alors qu'ils ont vu tout ce que le SHIELD domine.

Je me tourne dans sa direction sur le lit grinçant en serrant les dents. Lui aussi est fatigué, les cernes sous ses yeux sont significatifs, et je peux le comprendre. Fury doit sans cesse lui demander de me convaincre de quelque chose, et comme je peux être une vraie tête de mule, cela doit être accablant pour lui.

-Mais si le SHIELD a autant d'influence dans le monde, s'il est aussi puissant, pourquoi ce qui ne réussissent pas le test irait vous dénoncer ? Ils devraient avoir plus peur de vous qu'autre chose. Mais non, vous les tuez. Et vous dites que vous vous battez pour la préservation de la vie ? Le mensonge souligne et aggrave le tort que vous espériez cacher.

-Hailee... Il faut que tu comprennes que les hommes en général ne sont pas aussi dévoués que toi. Tout ce qui les intéresse, c'est la gloire, l'argent, la luxure. Et si leur vie est menacée, alors qu'ils ne travaillent même pas pour le SHIELD, et qu'on leur demande des infos sur nous, certains préfèrent leur vie à celle des autres, car les hommes d'aujourd'hui sont façonnés aux doctrines de l'égoïsme et de la cupidité.

-Tu cites Louis Veuillot.

-Et toi tu cites Eugène Marbeau. Si tu veux que l'on débâte à coups de proverbes, ça peut se faire. Comprends seulement qu'ils pourraient indiquer nos bases à nos ennemis.

Je me redresse et m'assieds.

-Mais moi, je ne vous ai pas trahi, dis-je calmement, trop fatiguée pour hausser le ton. Je l'ai envoyée balader mais l'eau m'a quand même submergé. Je n'ai rien dit et pourtant, j'ai failli mourir.

Il entrouvre sa bouche pour répondre, puis quand il comprend que l'erreur vient bien du SHIELD, il la referme, ne comprenant pas non plus les raisons qui ont fait que j'ai fini sous l'eau.

-Je ne sais pas pourquoi ils n'ont pas fait baisser l'eau lorsqu'ils ont su que tu avais réussi. Ils voulaient peut-être voir si tu arriverais à t'en sortir toi-même.

-Clint je ne suis pas invincible bon Dieu ! Alors je t'en prie, arrête de protéger le SHIELD, tu n'es qu'un pion qu'il déplace en fonction de tes aptitudes et des missions. Tu es, certes, un de leurs meilleurs agents, mais tu es un pion. S'il y a bien une personne qui doit défendre ce qu'il a construit, c'est Fury. Alors s'il te plaît, arrête.

Il murmure un simple « d'accord » avant de se lever et de venir m'enlacer. Au début, je le laisse faire sans faire de geste vers lui, mais quand je réalise qu'il se souci vraiment de ce qui a pu m'arriver, j'enroule mes bras autour de ses épaules. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi il est si fidèle au SHIELD, Fury l'a quand même forcé à garder de la distance avec moi quand il m'a retrouvé, quelques années après la mort de nos parents. Au final, je me rends compte que je ne sais rien. Si je suis au courant pour Stefanski, c'est uniquement parce que je suis une des cibles parmi Stark et Clint. Et encore, si je pense à la manière du SHIELD, je devrais m'estimer heureuse d'être au courant, pour une victime.

-J'ai une question. Continué-je.

-Tout ce que tu veux.

-À quoi ça sert, le matériel électronique qu'il y avait dans les Jeeps du test ?

Il desserre son étreinte, pose ses mains sur mes épaules et me demande :

-Pourquoi, ça t'inquiète ?

-Est-ce que cela devrait ?

Il lâche un petit rire.

-Pas le moins du monde. C'est pour construire un satellite. Le SHIELD en a marre de devoir pirater ceux des autres, et puis on a failli être pris la main dans le sac, donc le mieux est d'en avoir un à nous.

Très légèrement rassurée, je m'étale à nouveau sur le lit. Il n'a pas menti pour une fois, je l'ai vu. C'est un menteur hors pair, mais je commence à me faire aux tiques des gens, et savoir quand les gens mentent est bien plus pratique que je ne le pensais.

-Ne t'installe pas trop, je te ramène à New York.

***

-Lâches ton arme ! Ordonné-je alors que mon pistolet est braqué sur l'homme qui retient Aaron.

La sienne est pointée sur mon fiancé dont les yeux apeurés me fixent dans l'espoir que je le sauve.

-Lâches ton arme ! Répété-je en haussant le ton.

Il recule de plusieurs pas, éloignant l'homme de ma vie, mais la colère et le besoin irrépressible de le récupérer me pousse à avancer à mon tour. Mon arme toujours braquée vers l'ennemie, je crie une dernière fois :

-Lâches ta putain d'arme !

Mon ton a beau être maîtrisé, à l'intérieur de moi c'est l'apocalypse. Mon cœur va sortir de ma poitrine s'il le tue, et croyez-moi que je vais en faire de même s'il ne fait que l'égratigner. Ma rage est incontrôlable. Mon doigt, lui, est sur la gâchette. Je n'en peux plus de ce petit jeu, de ne pas savoir s'il va tirer ou si cela sera moi, alors je n'attends plus qu'il se décide à jouer le premier : c'est moi qui tire. Sans viser, sans rien faire, juste dans le vide. Le temps semble s'être ralenti, leurs gestes sont plus lents, la balle aussi. Je ferme alors les yeux et prends le contrôle du projectile en métal. Je dirige celle-ci vers la tête de l'agresseur. Il tombe alors, raide mort, en relâchant ma raison de vivre, lui aussi touché par la balle, avant un trou béant au milieu du front.

Je me réveille en sursaut, la sueur coulant le long de mon front et de mon dos. Je me sens trembler de partout tandis que je respire aussi bruyamment que le moteur du tracteur de mon frère. Clint accourt en un instant et vient me rassurer en montant sur le lit. Sa main trouve la mienne, son autre main s'enroule dans mon dos et ses lèvres se déposent sur mon front humide.

-Tout va bien. On est chez toi.

Ma respiration s'apaise tandis que je ferme les yeux à nouveau, mais dans la réalité cette fois.

-Tu veux en parler ? M'interroge-t-il en caressant mes cheveux.

Je secoue la tête négativement. Ce n'était qu'un cauchemar, le reflet même de ce que je crains le plus, mais je ne veux pas en parler, je veux oublier ce cauchemar. Dans ce mauvais rêve, mon but premier est de tuer celui qui menace l'homme que j'aime, et cela incarne une chose que je ne veux pas faire, mais que j'aurais probablement besoin de faire en tant qu'agent du SHIELD : enlever des vies. Mais c'est en voulant protéger Aaron que je me sens obliger de tuer, pour au final abattre celui que je veux protéger. Ce cauchemar est un cercle vicieux qui cherche peut-être à me faire voir la réalité en face, mais je suis incapable de l'envisager. Clint caresse mes joues lentement tandis que je lui demande :

-Quelle heure il est ?

-Quatorze heures.

Je grimace.

-Tu aurais dû me réveiller. Aaron est rentré ?

-Pas encore. Il est encore en train de construire le dispositif pour repérer Stefanski. La dernière fois que je l'ai eu au téléphone, il me disait qu'il n'en aurait plus pour longtemps. Il te félicite pour ton test aussi.

Je grimace à nouveau.

-Il ne s'est pas énervé ? Que le SHIELD n'ait pas jugé bon de me laisser sortir avant de me noyer ?

Mon frère pince ses lèvres en regardant ailleurs.

-J'ai peut-être omis de lui parler de certains détails. M'explique-t-il en sortant de la pièce, puis il me montre la table basse dans le salon, devant la télévision, garnie d'assiettes. Tu as faim ?

Quand il change de sujet, c'est qu'il est trop gêné par le sujet précédent, ce qui m'amuse immédiatement. Je me lève en essuyant mon visage humide et part en direction de la cuisine. Je dépose un baiser sur la joue de mon frère avant de partir m'affaler sur le canapé.

-Merci de ne pas lui avoir dit. Je pense qu'il aurait arrêté de construire son bidule, et ça aurait donné plus de temps à Stefanski pour continuer son plan.

Il hoche la tête en souriant, toutes traces de gêne ayant disparu. J'attrape l'assiette remplie d'une omelette bien bombée et attrape une fourchette que je plante immédiatement dans les œufs. Je la porte à mes lèvres, et l'instant d'après je n'ai qu'une envie, c'est de tout recracher. Je me fige quand le goût hyper salé me brûle la langue, mais au regard en attente de mon frère, je me force à l'avaler, non sans déglutir bruyamment.

-C'est si mauvais que ça ? Me questionne mon frère en grimaçant.

-Non, non ! Tenté-je de le rassurer, sans pouvoir m'empêcher de grimacer encore. C'est très bon.

-Oh arrête de mentir ! Je suis vraiment une brêle en cuisine, c'est toujours Laura et Thomas qui font de bons petits plats.

Je repose l'assiette en souriant. Je ne les connais pas beaucoup, et j'espère qu'un jour je serais plus que la sœur retrouvée de Clint. J'ai besoin d'en savoir plus.

-Parles-moi de ta famille. Le prié-je en m'asseyant en tailleur sur le canapé.

Ses lèvres s'étirent jusqu'à faire apparaître ses dents et il déclare :

-Tu veux dire notre famille ?

Je soupire en souriant une nouvelle fois.

-J'ai l'impression que, en plus d'être un cordon bleu, Thomas ressemble beaucoup à Stark, au niveau de son intelligence, de son ingéniosité. Il aime fabriquer des maquettes, faire des plans. Il aime la mécanique.

-Heureusement que c'est ta descendance alors !

Nous rions tous les deux, et quand j'imagine l'affaire, je me dis que c'est vraiment une chance que Stark n'ait pas d'enfant. Imaginez le débat sur lequel des deux est le plus intelligent. Rien que d'y penser, je ris de plus belle.

-Laura est une femme extraordinaire. Malgré mon boulot et les responsabilités qui vont avec, elle a quand même accepté ma demande en mariage et m'a fait deux magnifiques enfants. Elle est si compréhensive, c'est vraiment la femme parfaite. Ma femme parfaite.

Je fixe le sol, à la fois gênée et admirative qu'il parle d'elle ainsi. Est-ce qu'Aaron parle de moi comme cela quand je ne suis pas dans les parages ? Est-ce qu'il me complimente de la même manière, en disant que je suis parfaite pour lui ? Je n'en ai aucune idée, mais ce qui est sûr c'est que de mon côté, c'est ce que je fais. Parce qu'il est toute ma vie, littéralement.

-Quant à Emily, c'est une artiste. Elle s'essaye au patinage artistique. Elle a encore du mal à faire une ligne droite sans tomber, mais elle essaye. Elle aime aussi les tresses, elle veut sans arrêt que je lui en fasse deux, qui partent du haut de la tête, chacune d'un côté et qui descendent le long du crâne, m'explique-t-il en me montrant sur lui.

Je lâche un petit rire.

-Tu te souviens quand je t'en faisais ? Avant de t'emmener à l'école ? Je n'y arrivais pas très bien, maman m'aidait à les faire. Mais maintenant, j'ai acquis l'expérience des doubles tresses africaines ! Dit-il fièrement comme s'il avait grimper l'Everest.

-Non je ne me souviens pas.

Et cette fois, je ne mens pas. Mes souvenirs sont flous et cela remonte à il y a tellement longtemps, j'étais une enfant. Il m'attrape les épaules, me positionne dos à lui, puis il s'approche de moi et commence à tripoter mes cheveux. Des frissons me parcourent la surface du crâne.

-En souvenir de la mince enfance que tu as eue avec moi, m'explique-t-il gentiment.

Je le laisse faire, ses doigts s'entremêlant dans mes mèches avec agilité. Je souris intérieurement. J'aimerais me rappeler de ce genre de souvenirs, mais le seul qui revient continuellement est celui de leurs morts. Parce que c'est le plus marquant, le plus effroyable. Et après on s'étonne que ce soit le pire que ressort dans nos vies, mais en même temps si ce genre d'événements se produit aussi.

-Parles-moi de papa et maman. Le prié-je.

Il inspire longuement. Il n'a pas envie d'en parler, mais moi j'en ai besoin. Je veux avoir la même vision que lui avait de nos parents, de papa surtout. Après tout, pour moi présentement ce n'est qu'un fabricant d'armes qui est mort assassiné, probablement par des clients insatisfaits.

-Papa n'était pas souvent là, mais dès qu'il rentrait, c'était un vrai plaisir. Quand il était avec nous, il était très affectueux. Ce n'était pas le genre de père qui gâtait ses enfants pour se faire pardonner de son absence. Il savait que ça ne servait à rien avec nous. En revanche, il nous ramenait des friandises des différents pays où il voyageait. On était très content.

Je lui passe deux élastiques que je garde toujours à mon poignet et il attache mes nouvelles tresses. Je me lève un instant et pars admirer son chef-d'œuvre. La coiffure est vraiment jolie, et je suis impressionnée de la minutie de son travail, lui qui est un bourrin d'agent secret et fermier à ses heures perdues.

-Et maman ?

-Tu lui ressembles beaucoup. Ses yeux bleus, sa générosité, son altruisme. Tout concorde, sauf ses cheveux. Franchement, je ne sais pas d'où elle tenait cette tignasse rousse. Dit-il en riant d'une manière nostalgique. Elle était médecin, elle aussi.

-Je ne suis pas comme elle. J'imagine qu'elle savait ce qu'elle voulait, ce n'est pas mon cas.

-Comment ça ?

J'admire une dernière fois ma coiffure avant de retourner m'asseoir à côté de lui. Comment lui dire que le SHIELD est purement et simplement des enfoirés sans l'insulter lui aussi ?

-Je n'en sais rien. J'ai du mal à faire confiance au SHIELD, et je n'arrive à m'y sentir à l'aise, surtout avec les manières de diriger de Fury. Mais d'un côté, j'aime me sentir puissante, avoir l'impression que je peux tout savoir, enfin presque. Que je peux tout voir...

-Le SHIELD, ce n'est pas facile au début, mais on prend le truc après, et c'est parfois amusant.

Je fronce les sourcils, pas vraiment certaine que le SHIELD puisse être « amusant ». Je viens me coller à lui. Son bras entoure mes épaules et ma tête se pose sur son épaule. Le sentir contre moi fait alors ressortir les souvenirs où il n'était pas là. Jamais je n'aurais cru le revoir, il y a un peu moins d'un an de cela. Je m'étais faite à l'idée de vivre sans lui, et maintenant qu'il est de retour dans ma vie, je suis encore plus heureuse. En réalité, j'ai besoin de mon frère, de mon grand frère. C'est mon modèle même si je ne suis pas toujours d'accord avec ce qu'il croit être juste. Il a toujours été un exemple pour moi, je le sais.

-Il va falloir te préparer.

-Pour quoi ?

-La cérémonie de remise des plaques. Tu vas bientôt être un agent du SHIELD, niveau quatre. M'annonce mon frère avec un sourire chaleureux.

***

La tenue d'agent de terrain est terriblement collante, et je regrette un peu de ne pas avoir saisi l'occasion de la personnaliser, parce que le cuir n'est pas très idéal à mon avis. J'aurais probablement choisi quelque chose qui tient moins chaud, ou bien qui est capable de s'adapter à l'environnement, je suis sûr que ça existe ce genre de tenue. Et puis j'aurais aussi choisi un matériau plus souple et moins adhérent à ma peau car s'en est presque désagréable. Je passe le bracelet d'Aaron autour de mon avant-bras droit. Je le regarde tendrement, vraiment ravie qu'Aaron m'ait fait un cadeau pareil. Même s'il prend beaucoup de place sur mon poignet, cela reste joli et passe partout mais à la fois redoutable. J'entends la porte du vestiaire s'ouvrir et la voix de Ward me parvient :

-Tu n'es pas dénudée ? Demande-t-il, gêné.

J'éclate de rire en l'invitant à venir.

-Je ne voudrais pas m'attirer les foudres d'Aaron. Ricane-t-il avant de m'observer.

Je me fixe dans le miroir, ma nouvelle tenue de travail sur le dos, tandis que Grant se positionne derrière moi pour aussi regarder dans le miroir. Mais étrangement, j'appréhende de faire une erreur. En est-ce une ? Est-ce que cela va me causer du tort ? Ou à Aaron ?

-Tu mérites cette tenue, me complimente Grant en posant ses mains sur mes épaules.

-Tu crois ? Demande-je en le regardant par l'intermédiaire du miroir. Et si je me trompais ? Si je n'avais rien à faire au SHIELD ?

Je vois ses lèvres se pincer alors qu'il me force à me retourner, gardant ses deux mains sur mes épaules.

-Si tu n'avais rien à faire au SHIELD, tu n'aurais pas réussi le test.

-Ce n'est pas dans ce sens, Grant. Et si... cela me faisait du mal ? Ou à Aaron ?

-Hailee, quand tu as accepté de faire le stage pour devenir un agent, tu savais ce qui t'attendais. Et si tu n'en avais vraiment pas envie, premièrement, tu n'aurais pas fait le stage, et deuxièmement tu aurais abandonné. Tu es quelqu'un de fort, de déterminé et de polyvalent. Tu sais travailler pour le SHIELD et protéger Aaron. Peu de gens peuvent en dire autant, alors tu es à ta place, ici. C'est une évidence.

Je repense immédiatement à mon saut, à Malibu. J'avais abandonné, je l'avais fait. Si Tony n'avait pas été là, j'aurais définitivement abandonné. Mais comme Grant me le fait bien comprendre, j'aurais encore lâché prise si je n'avais pas la force nécessaire. Et est-ce que je protège Aaron comme je le devrais ? Je n'en ai aucune idée, mais je fais tout mon possible pour qu'il ne soit pas plus impliqué, parce que je sais que ce sera sur lui que les représailles tomberont si nous échouons. Si j'échoue. Mais je n'échouerais pas, je veux y arriver. Je dois y arriver et je peux y arriver.

-Merci Grant.

D'un sourire, il m'invite à me présenter pour recevoir ma plaque. Nous sortons du vestiaire et rejoignons la grande salle d'entrainement où j'ai passé six longs mois à suer comme un baudet pour en arriver à ce jour-ci. Il n'y a pas énormément de personne, juste assez pour que le petit buffet soit englouti par la foule. Antoine est là aussi, dans le même genre de tenue que moi, mais adapter à sa taille. Il vient me saluer avec un grand sourire avant que Fury ne fasse un rapide discours. Je me demande si Fury assiste à chaque remise de plaque, chose qui m'étonnerait fortement étant donné qu'il se sent obligé de tuer ceux qui n'ont pas réussi le test. Il n'aime pas l'Humanité, mais comme je suis leur « atout », il s'est dit que peut-être il allait faire bonne figure pour me dissuader de penser que c'est un menteur.

Nos plaques nous sont remises, une sorte de portefeuille qui -quand on l'ouvre- ne présente que la plaque sphérique sur lequel le pictogramme de l'organisation est gravé sur le métal. Tout le monde retourne au buffet quand nos plaques sont entre nos mains. Je félicite rapidement mon partenaire de test avant de rechercher Fury du regard. Il faut absolument que je lui parle, que je lui impose certaines conditions quant à ma place dans cette organisation, parce que je ne veux pas être comme Clint, un simple pion. Je me suis engagée pour pouvoir sauver des vies, pas pour répondre au coup de sifflet de Fury quand il s'agit du contraire même de mes convictions.

Quand je l'aperçois enfin, je me faufile au milieu du petit comité pour le rejoindre, mais une rousse pulpeuse se place en travers de mon chemin avant un léger sourire.

-Félicitation Hailee. J'ai été ravie d'apprendre que tu avais réussi le test avec succès.

Je souris en fronçant les sourcils. Sa soudaine gentillesse me semble un peu artificielle, mais son sourire paraît affirmer le contraire. Depuis que j'ai commencé mon entrainement à l'académie, elle a toujours été un peu froide avec moi, et même désagréable. Alors qu'à notre première et deuxième rencontre, elle a été plutôt avenante. Cette femme est trop alternative que ça en devient étrange.

-Je ne suis pas sûr que nous ayons la même définition de succès, mais bon merci c'est gentil.

-J'espère simplement que le SHIELD ne le regrettera pas. Dit-elle simplement de manière désinvolte, voire même narquoise, alors que pour ma part c'est l'effet d'une bombe nucléaire.

Je me disais aussi, que c'était trop beau pour être vrai. Peut-être me fait-elle passer son propre test afin de savoir si je suis de confiance et de taille, mais ce petit jeu commence à me taper sur les nerfs.

-J'espère surtout que c'est moi qui ne vais pas le regretter.

Dégoutée par cette phrase plus qu'abaissante qu'elle m'a lancée, je la frôle en passant à côté d'elle pour rejoindre Fury qui discute avec mon frère. Cette simple phrase que ma dite Natasha remet en cause ma place ici, comme je le pensais il n'y a pas si longtemps que ça. Mais je crois surtout que la belle rousse a juste besoin de se rassurer en me rabaissant de la sorte, juste pour être sûr que soit je vais abandonner et lui donner raison, soit je vais lui prouver le contraire, et elle aura la certitude que je suis faite pour ce métier.

Je pose une main sur l'épaule de mon frère pour attirer leur attention.

-Clint, tu nous laisses, s'il te plaît ? J'ai deux trois petites choses à dire au Colonel. Lui demandé-je en essayant de paraître le moins décontenancée par l'unique œil de Fury qui me fixe.

Il hoche la tête avant de se diriger vers Triplett qui discute avec Grant. Alors que le Colonel attend que je parle, je lui indique qu'il faudrait mieux parler dans un endroit privé. Alors il m'entraîne dans les couloirs jusqu'à un bureau de secours qu'il y a probablement dans chacune des bases du SHIELD. Il s'assoit sur la chaise derrière le bureau en métal et ouvre la bouche, mais je ne le laisse pas commencer. C'est moi qui vais parler cette fois.

-Je n'approuve absolument pas vos méthodes de sélection, le SHIELD m'inspire de moins en moins confiance.

-Mais je n'en attendais pas moins de vous, enchaine-t-il. Les débuts sont un peu rudes, mais vous apprenez vite, pas vrai ? C'est pour ça que vous êtes de niveau quatre en seulement six mois au lieu de trois ans.

-Ecoutez-moi bien, Fury. Vous m'avez fait intégrer votre organisation de renseignements parce que vous affirmez avoir besoin de moi. Très bien, j'accepte de vous aider, j'ai passé six longs mois soit dans une salle d'entrainement soit dans un putain de laboratoire, mon mariage a failli être menacé pour que je vous aide, mais je fais impasse là-dessus. Il faut simplement que vous compreniez que je ne serais pas un de vos nombreux pions que vous déplacez quand cela vous chante. Je veux avoir plus d'informations quand je pars en mission, parce que ce test était vraiment horrible. Je ne veux pas que l'on me mette de côté lorsque je suis concernée de près ou de loin par le problème, parce que je pense que je vais consacrer assez d'années de ma vie pour vous et le SHIELD, alors j'exige le droit à tout cela. Et aussi, je veux la garantie qu'Aaron aura la plus complète des protections, aussi importante que celle du Président s'il le faut.

J'ai déblatéré ses paroles à une vitesse folle, et je crains presque de devoir recommencer s'il n'a pas tout compris. Mais à son air sérieux, qui me fait froid dans le dos par la même occasion, il semble avoir compris chacune de mes phrases.

-Ou je quitte le SHIELD. Sans regret. C'est nous deux, ou rien du tout.

Ses lèvres s'agrandissent en un sourire amusé. Sauf que de mon côté, je ne rigole pas du tout, c'est même bien le contraire.

-Vous serez quand même traqué par Stefanski. Il ne vous lâchera pas de sitôt.

Mon visage vire au rouge quand je sens mes joues me brûler. Il est vrai que je n'avais pas vraiment pensé à lui, mais j'essaie de rester calme et de ne pas paraître trop affectée.

-Je ne suis pas son unique cible, il y a encore Clint et Tony. Et puis je sais me défendre, je sais me soigner, je sais aussi me sortir d'une situation de merde comme celle du test. Ward m'a relativement bien entrainé, c'est pour ça que j'ai réussi le test.

Il est totalement impassible malgré ce foutu sourire peint sur ses lèvres. Mais peu importe ce que se passe dans son esprit, je vais tirer profit de tout ce qu'il a pu faire.

-En plus, vous avez empêché Clint de me récupérer, il y a quelques années, au profit de l'organisation évidemment. Techniquement, vous êtes plus détesté qu'apprécier pour moi, donc je n'ai plus rien qui me retienne ici. J'ai des relations grâce au SHIELD qui pourront m'aider à disparaître, et même à traquer Stefanski si nécessaire, parce que vous savez que je ne peux pas laisser d'autres innocents mourir, pas vrai ?

Son sourire disparaît progressivement au fur et à mesure que je donne les raisons qui pourraient me pousser à partir. Ça y est, j'ai toute son attention.

-Je n'ai plus rien à apprendre de vous, Fury, ou du SHIELD. Je pourrais partir que cela ne changerait rien pour moi, mais pour vous cela serait différent, pas vrai ?

Il inspire profondément avant de sourire, moins ouvertement cette fois.

-Vous êtes très intelligente, vous avez réfléchi à tout à ce que je vois.

Je lui souris faussement.

-En fait, j'ai improvisé. Mais bon, l'improvisation, c'est votre truc aussi, c'est que vous commencez à déteindre sur moi, dites-moi.

-Vous savez qu'on a besoin de vous, alors vous me faites du chantage. Tous mes agents devraient être comme vous.

-Alors vous le protégerez ? Même s'il faut le séquestrer pour qu'il reste en vie ? Au moins jusqu'à ce qu'on attrape Stefanski.

-Ah, l'amour. Il nous fait faire des choses assez dingues, dit-il sur un ton qui ne se veut pas menaçant, mais plutôt plein de sous-entendus. Nous ferons tout notre possible pour le protéger. En réalité, il nous est tout aussi précieux que vous.

-Alors pourquoi vous m'avez laissé faire un speech aussi barbant que les discours politiques ?

-Pour connaître vos motivations, jusqu'où vous êtes prête à aller pour obtenir ce que vous voulez.

Je souris ironiquement. Quelle perte de temps. Mais le pire dans tout ça, c'est qu'il m'a donné la confirmation que nous ne sommes que des pions sur le grand échiquier qu'est la Terre. Et il n'a même pas cherché à le cacher.

Alors que je m'apprête à lui dire quel enfoiré il est, une alarme retentit avec violence dans le bureau, et probablement partout dans l'établissement. Le bruit est extrêmement fort et je suis obligée mettre mes mains sur mes oreilles pour tenter d'empêcher cette sonnerie de me faire perdre l'ouïe.

-On est attaqué ? Hurlé-je, sur le qui-vive.

-L'appareil d'Aaron marche. Il a trouvé Stefanski.


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