𝔖𝔢𝔭𝔱𝔦𝔢̀𝔪𝔢 𝔐𝔢𝔰𝔰𝔢 : Magie sanglante
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˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ PDV : Izuku Midoriya d'Ébène ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚
J'ai l'impression de ne plus toucher le sol. Chacun de mes pas me paraît plus léger que le précédent, comme si la gravité cessait peu à peu de faire effet sur mon corps. Je me sens aussi intangible que ces émotions qui me traversent depuis qu'il m'a rejoint.
Qu'il m'a retrouvé.
C'est un rêve, hein? Je vais sûrement en émerger dans quelques instants, tremblant dans mon lit aux draps froissés d'avoir trop espéré ne plus être si seul. Ce sera dur, plus qu'à l'accoutumée, mais il faudra bien que j'affronte ce moment tôt ou tard. Malgré toutes les histoires tendres que maman m'a contées, je ne suis plus assez naïf pour croire que ce sorcier aux sangs distincts se tient réellement à mon côté, doigts entremêlés aux miens...
Je suis stupide.
« Puisse notre Reine nous aimer et nous protéger. Puissions-nous mériter Sa confiance en poursuivant nos efforts, pour lui rendre hommage dans la dignité. »
En arrière-plan de mes pensées bousculées, Toshinori récite les prières rituelles, bras ouverts en un geste accueillant. Son visage est détendu, presque beau derrière les blessures infligées à sa peau par le temps et la peur. Les reliefs maladifs qui le creusent et font saillir ses os fragilisés, sont mis en valeur par les lumières surnaturelles des vitraux. Éclairé par leurs teintes chaudes et vives, il a plus que jamais l'allure du Grand Prêtre qu'il est et que j'admire tant.
Malgré le peu de magie qu'il lui reste, Lilith le chérit à un point tel qu'Elle empêche son mal de le dévorer. J'ai beau être perdu dans les couloirs de mon inconscient, j'éprouve en permanence une reconnaissance infinie envers Elle et Sa gentillesse.
« Chers Martyrs, pouvez-vous vous approcher? »
De la foule émergent trois personnes que je ne connais que trop bien : Himiko Toga, Tenko Shimura et Kai Chisaki. Le fait d'avoir manié l'athamé et recueilli leur sang lors des précédentes Oblations m'offre cet avantage non négligeable.
Mezo s'avance, prêt à me remplacer. Ma vision de ses ailes est si précise que je commence à douter de mon supposé sommeil... Mais pourquoi la Déesse m'enverrait-Elle un tel songe? Que suis-je censé en tirer, à part une profonde déception une fois ma réalité retrouvée?
« C'est quoi cette histoire de Martyrs? »
Le timbre de Shoto me fait sursauter. Il est là... Ses iris gris sont à la recherche des miens. Je n'arrive plus à démêler le vrai du faux, je suis complètement perdu. Je ne sais même pas quoi lui répondre...
« L-les Martyrs sont des ensorceleurs p-pratiquant la magie rouge... » bégayé-je. « Ils offrent leur sang à Lilith afin de L'aider à subsister sous terre. »
Il a l'air perturbé par cette révélation. Je me rappelle alors seulement qu'il est né dans le monde d'en haut – plus encore, qu'il a été élevé par le Clergé. Ses connaissances à propos des sorcelleries existantes doivent donc être terriblement limitées!
« J-je t'expliquerai. » soufflé-je en détournant le regard, incapable de me confronter à la lueur horrifiée qui danse dans le sien.
Comment pourrais-je lui en vouloir? On ne se débarrasse pas de ses préjugés en un claquement de doigts, d'autant plus lorsqu'ils nous ont été inculqués avec un tel acharnement.
« Himiko, Tenko et Kai... » proclame Toshinori, attirant à nouveau notre attention. « Nous vous remercions infiniment pour le don que vous faites à notre Reine. Grâce à vous, Elle sera en mesure de nous accompagner quelques jours de plus. »
Himiko rejoint Mezo. Ses cheveux blond doré réunis en un chignon parfait scintillent, assortis à l'ambre de ses yeux. Sa petite taille et sa minceur pourraient faire croire à n'importe qui qu'elle n'est pas apte à accomplir une telle démarche mais, de par sa lignée, nous savons tous qu'elle est l'une des mages de sang les plus puissantes ayant survécu.
Elle et ses congénères sont capables de réaliser des sorts d'une dangerosité rare au cours de cérémonies longues et épuisantes, dans le seul but de nuire à leurs ennemis. Issus des pires expériences de Lilith, ils sont diablement craints par les d'Albâtre, qui n'ont eu de cesse de les chasser au fil des siècles. Le fait qu'ils soient fidèles aux valeurs bienfaisantes de la majorité des d'Ébène nous a très souvent permis de nous extirper de situations tendues – au détriment des soldats adverses.
Tenko et Kai suivent leur compagne et se placent à ses côtés, rappelant malgré eux le lien étroit et redoutable qui les unit. Leurs différences sont innombrables, mais leur complémentarité est tellement parfaite qu'elles en deviennent indécelables. En dépit de mon attachement sincère envers Kacchan, je suis certain que les autres ne nous perçoivent pas d'une façon si... intense. C'est difficilement descriptible.
« Attends, Lilith a besoin de sang pour survivre? » m'interroge à nouveau Shoto en serrant ma main un peu plus fort. « Elle n'est pas immortelle comme Ève? »
« Ton étonnement est compréhensible, mon jeune ami. » l'interpelle alors Toshinori de son timbre bienveillant. « Et je suppose que ta camarade le ressent également. »
Un hoquet hébété lui fait écho, lâché par une fille aux longs cheveux noirs et au regard fuyant. Camouflée dans la masse, elle semble prête à courir vers la sortie au moindre signe suspect.
« N'ayez pas peur, je vous en prie. » reprend mon mentor sans se départir de son sourire. « Laissez-moi plutôt vous conter le voyage de celle qui est devenue au fil des siècles la Reine des Profondeurs. »
Le silence s'installe. C'est un moment que nous attendons tous lors des Messes Noires : l'Oblation.
Celui où le Prêtre invoque notre divinité en versant le sang des Martyrs.
Déjà, Mezo déballe méticuleusement l'athamé forgé par les plus anciens d'Ébène. Il ouvre avec soin la pochette de velours qui le protège, puis prend quelques instants pour prier.
« Momo, Shoto. Saviez-vous qu'il existe une frontière censée être infranchissable entre le ciel et la terre? » commence Toshinori.
Himiko offre son avant-bras la première, sûre d'elle. La douleur ne lui a jamais fait peur, aussi se contente-t-elle d'observer la paume ferme de mon camarade se poser sur sa peau pâle. La lame sacrée brille sous les flammes agitées, reflétant ainsi quelques-uns de leurs mouvements.
« Les humains que nous sommes ne peuvent accéder aux cieux qu'à leur mort, abandonnant leur enveloppe charnelle épuisée derrière eux. Ce n'est pas sans raison. »
Je sens Shoto se crisper quand l'acier creuse l'épiderme de la sorcière, qui se laisse faire sans ciller. Une goutte carmin jaillit aussitôt de la coupure, suivie d'un flot plus nourri. Le liquide s'écoule vite, sans doute trop à ses yeux, mais je m'efforce de le rassurer en caressant son épaule de ma main libre.
« Le ciel accueille les immortels. La terre retient les mortels. »
Un grand calice argenté placé plus tôt empêche l'hémoglobine de tacher les vieux tapis noirs délavés qui délimitent le petit espace autour de l'autel. Peu de personnes y ont accès en temps normal mais, ce soir, mon alter ego sang-mêlé en fait exceptionnellement partie.
« En tombant ici-bas, Lilith a traversé la frontière... »
Le sort opère et la plaie de la blonde se referme dès le couteau retiré. Elle adresse un hochement de tête respectueux à mon collègue, puis s'efface derrière Tenko. Les cheveux d'un blanc éclatant de celui-ci m'ont toujours fasciné – ils s'accordent à la pâleur si caractéristique de son teint et renforce le vermillon de son regard. Les aspérités visibles un peu partout sur son visage rappellent à son entourage à quel point il a souffert de la traque acharnée des d'Albâtre.
« Et a été arrachée à Sa sœur en même temps qu'au ciel. »
La lame affilée ouvre une nouvelle blessure. Le procédé se répète : le sang coule, l'épiderme se referme et guérit. Pas un mot n'est échangé, mais l'intention est présente.
Kai prend la place de son ami et observe Mezo en serrant le poing, ses pupilles difficilement perceptibles au centre de ses iris ambrés. Dégoûté par la majeure partie des fluides corporels, il ne s'expose jamais sans son masque mauve et ses gants, le rapprochant sans le vouloir de la pudeur maladive du grand sorcier ailé. Bizarrement, les deux s'entendent bien, et ce malgré leurs désaccords fréquents.
« Puis, en rejoignant le monde des humains... »
L'athamé entame sa dernière envolée et coupe le brun sans hésiter. À force de pratiquer, ses gestes sont stables et sa technique irréprochable – celle-ci ayant été pensée pour éviter aux donneurs de trop souffrir au cours de la cérémonie.
« Lilith a perdu Son immortalité, sans pour autant devenir mortelle. » achève Toshinori au même instant.
L'ultime goutte rouge rejoint ses consœurs dans le vase en émettant un clapotis à peine audible.
« Q-quoi? » chuchote Shoto.
Je sens sa poigne se resserrer davantage. Il tremble.
« D-depuis combien de temps est-elle là-dessous? »
Je parcours délicatement le dos de sa main, parfaitement conscient de l'impact qu'aura la réponse sur lui. J'ai peur qu'elle n'ait raison de son envie de rester...
« Selon les textes religieux originels... au moins deux millénaires. »
J'entends le souffle de l'assemblée se suspendre, tandis que ceux de Shoto et Momo s'accélèrent. J'ai l'impression de voir leurs pensées se bousculer, rebondir sur les parois de leurs boîtes crâniennes. Je me doute du combat sans merci qui se déroule en eux, et suis sincèrement désolé de ne pouvoir interférer.
J'aimerais tellement que les choses soient plus simples pour tout le monde!
« Malheureusement, étant issue du ciel, Elle ne peut se nourrir comme nous. » reprend le Prêtre. « Nos repas ne pouvant subvenir à Ses besoins, nos ancêtres ont ainsi essayé de nombreuses fois d'en créer qui seraient capables de La sustenter. Mais, finalement... »
« Seul le liquide vital de celles et ceux qui croient en Elle a pu la sauver. » termine le d'Albâtre.
Il s'est avancé d'un pas vers l'énorme vase sacré. Je ne discerne que son profil, mais j'imagine le vide envahir ses yeux clairs. Je voudrais lui glisser un mot gentil, lui assurer que nous ne sommes pas pour autant les monstres décrits par les siens.
Mais c'est à lui de le comprendre.
« Le sang qui parcourt nos veines est imprégné des magies offertes malgré Elles par les Déesses. » confirme Toshinori.
Il rejoint le calice et s'en empare, veillant à se relever doucement pour préserver son dos. Il le lève vers la masse des fidèles, bras vacillants...
« L'Oblation est notre manière de remercier Lilith pour ce cadeau. Nous espérons qu'Elle pourra revenir auprès de Sa sœur grâce au peu de temps supplémentaire que nous lui prodiguons par ce geste. »
Puis il renverse le récipient, et le sang se déverse à même le sol en un flot macabre.
« Nous te rendons hommage, Reine. Puisse le don de Himiko, Tenko et Kai combler Tes besoins. »
Appelées par l'odeur métallique, les phrases rituelles sortent seules de ma bouche, et se mêlent aux voix des autres d'Ébène présents :
« Nous gardons la foi et T'offrons notre amour. Nous attendons impatiemment le jour de Ton retour. »
Et, comme à chaque fois, les flammes crépitent, le sol gronde et le liquide frémit... avant d'être bu par une force invisible. C'est ce moment, si précieux et concret, qui donne son sens à notre ferveur religieuse.
Enfin, une bouffée d'affection profonde et sincère balaie la chapelle, soulève les vêtements amples et fait rire les plus sensibles. Lilith est là, juste sous nos pieds, et nous remercie de l'aider à Sa manière. Pleurnichard que je suis, je sens les larmes monter...
Mais de lourds sanglots les empêchent alors de se manifester : Momo! Elle se cache la bouche, froisse son haut d'un poing agité et s'efforce visiblement de ne pas hurler. Je comprends qu'elle est bien plus ouverte aux émotions que le reste d'entre nous, et qu'elle vient de se noyer dans celles de la Déesse...
« C'est ça, la vérité? » souffle Shoto en m'observant sans me voir.
J'acquiesce et, dans un sourire, lui réponds : « Oui. Ce n'est pas un rêve. »
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