𝔔𝔲𝔞𝔱𝔯𝔦𝔢̀𝔪𝔢 𝔐𝔢𝔰𝔰𝔢 : Magie mêlée
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« Deku, pour l'amour de Lilith! Quand est-ce que tu vas te décider à réfléchir avec autre chose que ton putain de cœur ramolli? »
« Tu peux arrêter de brailler, s'il te plaît? J'ai pas une réserve de tympans dans mes tiroirs, tu sais. »
« C'est ça, change de sujet. »
« Pourquoi tu t'excites autant, Kacchan? Qu'est-ce qu'ils ont fait, bon sang? »
Les yeux carmin de mon meilleur ami, installé face à moi à l'une des nombreuses tables bancales de la salle des repas, se voilent d'incertitude. C'est un événement assez rare pour que mon inquiétude s'éveille, balayant en un instant l'irritation due à sa petite crise de nerfs.
« Rien. Ils ont encore rien fait. » admet-il. « Mais je les sens pas. Y'a un truc pas net avec ce mec-là... Shoto Himura. »
Je garde le silence, soucieux de lui laisser le temps nécessaire pour remettre ses pensées en ordre. Malgré son caractère explosif et ses mauvaises manières, Kacchan est capable de s'exprimer à tête reposée.
Autour de nous, nos compagnons s'activent en profitant du petit-déjeuner, faisant calmement la queue pour goûter les rations délicieuses concoctées par Rikido Sato, notre cuisinier. Jeune chef émérite d'Albâtre, il nous a rejoints il y a quelques mois à peine afin de couper les ponts avec sa famille religieuse extrémiste. Comme beaucoup d'autres, il a fini par ne plus supporter la pression monstre imposée – surtout que, en tant que maître des fourneaux, il se devait de préparer régulièrement des banquets gargantuesques, aidé d'un personnel réduit.
Pour ceux d'en haut, les offrandes matérielles faites à Ève comptent plus que la santé physique et mentale des fidèles.
« Deku, je sais même pas comment te le décrire. » reprend enfin mon camarade, visiblement perdu. « Il a un regard trop bizarre. C'est comme si... comme s'il était double, tu vois? »
Je me tends d'un coup, comprenant sans effort ce qu'il veut dire. Aussi, étant directement concerné par le phénomène, il m'est nécessaire de lui accorder toute mon attention.
« Double? T'es sérieux? » chuchoté-je, pendu à ses lèvres.
« Je peux pas te l'affirmer avec certitude. » me calme-t-il.
Il se met à touiller furieusement son café. Sa cuillère émet un bruit désagréable contre les bords de la tasse, mais je m'efforce de l'ignorer. C'est assez étonnant de le voir galérer autant avec les mots, lui qui est si tranchant d'habitude.
« Je peux juste te prévenir. » poursuit-il. « Il est à part, l'air égaré en permanence... Si j'étais pas si rationnel, je croirais presque à une dualité magique. »
« Qu'est-ce qui t'en empêche? » rebondis-je, pressé qu'il développe sa pensée.
« C'est absurde. J'aurais entendu le métissage des sangs. »
« Tu as dit à l'instant que tu n'avais aucune certitude! »
Coincé, il abandonne son ustensile et passe une main sur son visage épuisé. Tandis que les flammes des torches l'éclairent avec enthousiasme, je m'attarde sur les cernes qui le creusent : ils me prouvent qu'il n'a pas beaucoup dormi la nuit dernière, sûrement trop préoccupé par nos deux nouvelles recrues. Les rires qui résonnent autour paraissent décalés en comparaison.
« S'il est l'un des miens... » le relancé-je doucement. « Toshinori le découvrira tôt ou tard. Dans tous les cas, nous ne pourrons pas le laisser seul. Il n'a peut-être même pas conscience de sa double ascendance... »
« Il a notre âge. Il doit forcément avoir remarqué que quelque chose cloche en lui, nan? »
Je ne peux retenir un soupir.
« Je l'aurais entendu dans son sang. » répète-t-il, têtu.
« Je ne remets pas en cause tes capacités, Kacchan... Mais tout le monde peut se tromper. »
« N'importe quoi! Bordel, comment tu peux... »
« Kacchan. » l'interrompis-je. « Tes parents étaient des soldats d'exception de la Légion. Ils ont suivi un entraînement rigoureux pendant des années! Ce n'est pas un talent inné. »
« Tu m'emmerdes. »
« Mais tu sais que j'ai raison. »
Mitsuki et Masaru, tous deux Protecteurs et anciens combattants ennemis, ont inculqué leur savoir magique à leur fils dès son plus jeune âge. C'est une démarche que nous comprenons et soutenons : la formation de nos gardiens est essentielle et se doit d'être à la hauteur de celle de nos rivaux.
La seule différence étant que nous n'imposons jamais rien à celles et ceux qui ne souhaitent pas suivre cette voie. Le libre arbitre et le bien-être de chacun nous tiennent trop à cœur – à nous et à notre Déesse.
Kacchan s'est donc d'emblée décrété futur Protecteur, incitant ainsi ses parents à lui transmettre leurs compétences. La plus importante et dangereuse d'entre elles a causé par le passé la perte de bon nombre de nos proches : celle d'entendre les sangs.
La magie qui coule dans nos veines chante d'une façon spécifique en fonction de nos origines, et seuls celles et ceux ayant été formés à l'écouter peuvent la déceler. Heureusement, ils sont assez rares pour que les plus courageux et obstinés de notre famille puissent continuer à vivre à la surface s'ils le souhaitent – la malchance faisant partie intégrante de leur choix.
Même si ça ne m'enchante pas, je refuse de donner mon avis sans qu'il ne me soit demandé. Ce n'est pas à moi de décider pour les autres.
« Et s'il se planquait? » m'interroge alors mon cendré. « S'il avait découvert un moyen de camoufler cette part de lui-même? »
« Tu penses que ce serait faisable? » m'étonné-je.
« Ochaco a trouvé des fioles dans ses affaires. Elle m'a assuré qu'il s'agissait d'une potion banale à base d'herbes médicinales, mais... Je me pose trop de questions. »
« Elle est l'une de nos meilleures potionneuses... »
« Ouais, et tu sais que je crois en elle plus que quiconque. Mais mon instinct me trompe rarement, Deku. »
Je n'ai plus les mots pour contre-attaquer. Les doutes me gagnent petit à petit.
Et ils sont teintés d'espoir, je dois bien le reconnaître.
« Ce serait si grave? » soufflé-je en m'emparant de ma propre tasse.
« De? »
« Qu'il soit comme moi. »
J'avale une gorgée de thé histoire de me donner une contenance.
« Bien sûr que non, abruti. » répond-il sans hésiter. « J'ai juste peur qu'ils mentent. Leur récit tient la route, mais s'il s'avère que... »
« Je veux les voir. » le coupé-je à nouveau.
Sans lui laisser le temps de protester, je fais glisser ma chaise et me lève. Je me penche vers lui et pose une main sur son épaule, déterminé à le rassurer.
« Tu me fais confiance? »
Ses appréhensions me font presque trembler. Issu de l'union de deux d'Albâtre, il est souvent perturbé par l'angoisse – un fardeau dû à Ève, connue comme étant la spécialiste des tracas. Constamment apeurée à l'idée de perdre Sa petite sœur à cause d'une de Ses expériences farfelues, les gènes qu'Elle a transmis à Ses humains lors de la fragmentation s'en sont trouvés teintés. Je suis sûr que, si Elle avait eu le choix, Elle en aurait décidé autrement.
Nous soutenons Lilith et, dans cette optique, ne rejetons pas la faute sur Son aînée. Pour la plupart, nous croyons en effet que les crimes commis par Ses adeptes ne sont pas de Sa responsabilité – retenue dans les cieux, quel intérêt aurait-Elle à massacrer les légataires de Sa cadette? De là où Elle est, Elle a forcément compris ce qu'il en est.
Elle doit souffrir de cette séparation, Elle aussi.
« Ouais. J'te fais confiance. » marmonne Kacchan. « Je serai pas loin, de toute façon. Gueule si t'as besoin, je rappliquerai fissa. OK? »
Je souris, heureux qu'il m'accorde cet honneur.
« OK. »
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Je m'appelle Izuku Midoriya. Je suis le bras droit du Grand Prêtre et je suis là pour vous expliquer le déroulement de la Messe Noire de ce soir. Je suis désolé pour la nuit inconfortable que vous venez de passer.
Comme chaque fois que je suis chargé de l'accueil et des préparatifs, je récite mon texte tout en avançant résolument vers les chambres de quarantaine.
J'ose souhaiter qu'ils ne nous tiennent pas trop rigueur de ce traitement peu glorieux. Je ne sais pas comment je réagirais à leur place si l'on m'enfermait dans une pièce si oppressante sans aucune de mes affaires... Cependant, j'espère qu'ils comprendront ces précautions, hélas obligatoires suite aux précédentes tentatives d'infiltration.
Aucune n'a eu lieu au cours des derniers mois, mais nous nous devons de rester prudents.
Nous nous sommes permis de vérifier vos manteaux et vos sacs. C'est une simple mesure de sécurité et, à moins que vous ne nous donniez une raison de recommencer, votre vie privée ne sera plus jamais fouillée de la sorte.
Et si ce Shoto était l'un des miens? Les mots de Kacchan m'empêchent de me concentrer.
Ce soir, vous rencontrerez Toshinori, notre Grand Prêtre. Ce sera déterminant, pour lui comme pour vous. Vous sentirez d'emblée si une liaison spirituelle avec Lilith est envisageable, ou s'il vous faudra d'abord faire vos preuves auprès d'Elle.
Et s'il était vraiment un sang-mêlé?
Sachez qu'Elle ne rejette personne. Jamais. Elle souhaite simplement nous protéger et vous acceptera entièrement si vous Lui montrez votre implication. Elle ne vous assimilera pas aux atrocités d'Albâtre. Elle ne cherchera pas non plus à vous couper d'Ève.
Ma mère est d'Albâtre, mon père d'Ébène. Je suis le seul sang-mêlé notoire à avoir eu une chance de survivre aux conflits, et donc à ne rien connaître d'autre que ces souterrains... ce qui me rend d'autant plus proche de Toshinori. Mon paternel ayant été exécuté par la Légion Blanche, il m'a littéralement élevé, soutenant ainsi ma mère fugitive de sa patience et son savoir. Il l'a accueillie sans hésiter, sans accorder la moindre importance à la nature de son enfant.
C'est un honneur d'être auprès de lui et de le seconder aujourd'hui. La fierté qu'il me porte est mon bien le plus précieux : elle incite les autres membres de la communauté à ne pas me juger en se basant sur ma double ascendance. Certes, mes pouvoirs sont scindés et surpassent ceux d'un sorcier pur d'Albâtre ou d'Ébène – mais je suis des leurs avant tout. Ensemble, nous protégeons le troisième fragment, cultivons nos différences, et faisons de notre mieux pour éviter de blesser nos ennemis lors des affrontements.
Nous aimons Lilith et n'aspirons qu'à Son retour auprès de Sa sœur. Malheureusement, pour ça, il faudrait encore que l'alliance des magies, noire et blanche, soit possible... Mon existence n'a aucune valeur face au potentiel destructeur du camp adverse. Notre nombre, qui ne cesse de diminuer, en est la preuve.
Je vous souhaite la bienvenue parmi nous. Puisse la Reine des Profondeurs vous aider dans votre quête personnelle.
Enfin, j'atteins le mur illusoire qui m'intéresse. Je profite de cet arrêt pour clarifier mon esprit de ses sentiments parasites, désirant éviter les cafouillages devant nos futurs camarades. Pour l'instant, je ne dois pas penser à ces histoires et, surtout, ne pas attendre de cet homme qu'il soit comme moi. Je refuse de subir une telle déception. Kacchan s'est peut-être égaré à cause de l'heure tardive...
J'avance de quelques pas vers l'argile, la sentant s'écarter au fil de ma progression. Je suis toujours fasciné par ce sortilège complexe, qui a nécessité des heures de travail de la part de nos anciens. Je ferme les yeux un court instant, m'apprêtant à affronter ceux de mes disciples provisoires – seront-ils indulgents ou vengeurs?
« Bonjour! » lancé-je en émergeant, sincèrement enjoué à l'idée de les rencontrer.
Mes paupières se rouvrent. La lumière faiblarde ne me décourage pas : je suis là pour inspirer confiance, peu importe l'environnement.
« Je m'appelle Izuku Midoriya. Je suis... »
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase.
Dès que je croise les iris gris du beau sorcier aux cheveux blancs assis sur l'un des lits, l'hémoglobine double qui coule en moi se met à bouillir.
Je commence à trembler, mes poumons me brûlent, ma respiration devient irrégulière, mon palpitant s'emballe...
Ce n'est pas une malédiction, impossible : ils ne peuvent pas utiliser normalement leurs pouvoirs à moins que le Grand Prêtre ne les y autorise!
Mais alors, pourquoi je me sens mourir de l'intérieur?
« Arrête ça! » hurlé-je.
À l'instant où il ouvre la bouche pour me répondre, nos âmes sont comme... rattachées.
J'en perds le peu d'oxygène qu'il me restait et m'effondre dans le noir.
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