𝔇𝔢𝔲𝔵𝔦𝔢̀𝔪𝔢 𝔐𝔢𝔰𝔰𝔢 : Magie dédoublée

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˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ PDV : Shoto Todoroki d'Albâtre ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚


Ce parking me flanque la chair de poule.

Les quelques lampadaires qui fonctionnent encore clignotent de façon irrégulière, comme s'ils s'apprêtaient à rendre l'âme. Leurs grésillements me font tellement grincer des dents depuis notre arrivée que je suis à deux doigts de demander à Momo d'abréger leurs souffrances. Je m'en chargerais bien moi-même, mais je ne dispose d'aucune arme offensive et ma magie d'Albâtre est affaiblie. La potion de métamorphose ingurgitée plus tôt a réveillé une part trop importante de mes gènes d'Ébène – cadenassés pour le moment.

« Bon, t'as fini de t'agiter? » craqué-je soudain en me tournant vers mon amie.

La pauvre est dans tous ses états. Vu comme elle gesticule frénétiquement, le discours prononcé par mon paternel avant qu'on nous dépose ici l'a chamboulée. Ses longs cheveux noirs nattés se balancent dans son dos, tandis que son regard d'une teinte similaire reste perdu dans le vide.

« D-désolée. » réagit-elle en se rongeant les ongles. « C'est juste que... J'ai du mal à réaliser, tu vois? »

Je lâche un soupir. Nous sommes là depuis moins de trente minutes, et c'est déjà la cinquième fois que je tente de la rassurer. Visiblement, elle ne parvient pas à faire la part des choses et s'entête à ressasser les paroles pompeuses du chef de brigade.

« C'est l'ultime mission, oui. » acquiesçé-je. « Et alors? Comportons-nous comme d'habitude, et ça se passera bien. »

« C'est facile à dire, pour toi! » m'attaque-t-elle aussitôt. « Tu as eu le droit de changer ton visage, au moins! Moi, je démarre à poil! »

« Arrête tes conneries, tu veux? C'est normal qu'on me l'ait demandé, le rouge de mon père est trop reconnaissable. On a besoin que tu restes telle que tu es. »

« Pourquoi c'est à moi d'assumer cette responsabilité, d'abord? »

« Parce que tu es une Yaoyorozu... Tes parents sont des membres appréciés du gouvernement, donc le fait que tu les quittes en reniant tes origines ne pouvait que déclencher un scandale idéal. T'es toute désignée pour ce rôle. En plus, peu de personnes savent que tu fais partie de la Légion. »

Elle ne répond pas, plongée dans ses pensées. C'est étrange... Je suis habitué à la Momo ingénieuse et calculatrice, d'une intelligence et d'un aplomb redoutables.

Si elle a été sélectionnée, c'est surtout pour ses compétences, pas seulement son statut social. Considérée à tort comme une gamine pourrie gâtée par l'opinion publique, elle nous offre certes un scénario et un prétexte parfaits pour intégrer le groupuscule... Mais, plus encore, nous comptons sur elle et son sens de l'organisation irréprochable. Même si je peux comprendre sa peur, ça me fait mal qu'elle se remette ainsi en question.

« Je peux répéter une dernière fois, s'il te plaît? » m'implore-t-elle alors.

Je me contente de hocher la tête, l'invitant à poursuivre.

« Je me suis enfuie de chez moi après une grosse querelle familiale. » récite-t-elle en me fixant. « Comme d'autres jeunes avant moi, j'ai décidé de me rebeller contre l'ordre établi, et ai réclamé d'intégrer la religion interdite de Lilith. Je suis accompagnée de Shoto Himura, mon meilleur ami, qui me suit tel un gentil toutou. »

« La dernière partie n'est pas obligatoire, tu sais. »

« Trop tard. Elle est gravée dans mon cerveau, maintenant. »

Je l'écoute ricaner en souriant discrètement, content de la voir plus sereine.

Lorsqu'elle a rejoint la brigade de mon père, nous étions tous deux âgés de dix-sept ans. Elle priait depuis des mois ses parents de la laisser participer à la sainte cause d'Ève, ce qu'ils ont fini par accepter – à la seule condition qu'elle intègre d'emblée l'équipe d'Enji Todoroki. Ils ont ensuite fait en sorte de cacher cette adhésion peu commune, soucieux de l'image délicate renvoyée par leur fille.

Profondément pieuse, Momo est portée par ses croyances. Elle se contrefout des racontars qui circulent au sein de la Légion, ayant d'avance offert son corps et son âme à la Déesse. Son implication est réelle, sincère et inébranlable.

Quelque part, je l'admire pour ça. Moi, je veux sauver ma mère : c'est tout ce qui m'importe.

Ensemble, nous avons dirigé des dizaines de missions sans jamais nous faire prendre. En tant que techniciens et infiltrés, nous sommes parvenus à déceler des cachettes de fidèles d'Ébène dans des coins parfois inattendus. Notre complicité et notre connaissance de l'autre nous mènent toujours au-delà des limites, là où nos collègues sont incapables de se rendre sans se protéger de mille sortilèges.

De l'avis général, nous sommes les jeunes soldats des forces tranquilles les plus efficaces de l'armée – et, pourtant, nous n'avons que vingt ans. Est-ce grâce à l'entraînement rigide imposé par mon paternel ou à ma détermination à lui faire payer ses actes?

Peut-être un peu des deux, au final.

« Il est en retard, non? » s'inquiète Momo.

Malgré son manteau bordé de fausse fourrure, je vois qu'elle grelotte. L'hiver n'est plus très loin, et il ne sera pas tendre.

« Possible. Après, ça m'étonne qu'à moitié. Il avait une voix de connard prétentieux au téléphone. » lui expliqué-je.

C'est moi qui ai eu l'insigne honneur d'entrer en contact avec ce gars qui vadrouille à la recherche d'éventuelles recrues. Au fil de nos conversations, j'ai fini par comprendre trois choses sur lui :

1. C'est un connard prétentieux qui coupe sans arrêt la parole.
2. C'est un connard prétentieux incroyablement loyal envers les siens.
3. C'est un connard prétentieux.

Je ne connais presque rien de lui, si ce n'est son âge : la vingtaine, comme nous. Nous avons échangé plusieurs fois et, lors de chaque appel, j'ai répondu le plus naturellement possible à ses questions intrusives. Je n'ai jamais hésité ni oublié mon texte – l'expérience, sûrement.

Ça me scie qu'il soit si attaché à une religion sur le point de s'éteindre. J'ai entendu distinctement l'affection qu'il voue à ses proches dans son ton agressif, l'inquiétude cachée derrière ses demandes. Du coup, même si je sens que la cohabitation risque d'être extrêmement compliquée, je sais d'avance que je ne pourrai pas le détester.

Ce qui ne m'empêchera pas de l'insulter de connard prétentieux, cela dit.

« Le voilà! » annonce soudain ma coéquipière.

En effet, une voiture ancienne vient d'arriver. Ses pneus usés crissent sur le bitume tandis qu'elle se gare face à nous, nous aveuglant de ses pleins phares. Je peine à la discerner, mais je suis quasiment certain qu'elle est d'un orange explosif peu discret.

« Salut. » déclare le conducteur après avoir coupé le contact et ouvert la fenêtre.

« Bonsoir! » s'approche Momo sans hésiter.

À son ton, je devine qu'elle a enfilé son rôle cliché de pimbêche en quête d'adrénaline. Si je suis là, en tant que toutou, c'est justement pour contrebalancer le sérieux discutable de son personnage.

« Vous êtes Momo et Shoto, c'est ça? » nous interroge le nouvel arrivant en nous détaillant.

« C'est ça! Merci d'être venu nous chercher! »

« Pas trop le choix, duchesse. »

Notre interlocuteur est un bel individu aux épaules carrées et à l'expression assurée. Ses iris carmin contrastent curieusement avec la teinte cendrée de ses cheveux hérissés...

« Bon, vous montez ou faut que je vous déroule le tapis rouge? »

Sans plus attendre, nous nous exécutons et le rejoignons à l'arrière de son véhicule. Nous avons à peine le temps d'attacher nos ceintures qu'il redémarre déjà et déserte le parking à toute vitesse. Je ressens intensément sa méfiance, et me promets de gérer ça au mieux dans les prochains jours.

Je n'ai jamais raté un seul coup, et celui-ci ne sera certainement pas le premier.


˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ PDVIzuku Midoriya d'Ébène ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚


« De nouveaux arrivants? »

« Il paraît. Kacchan m'en a parlé. »

« Ils sont nombreux, en ce moment... »

« Une prise de conscience collective, peut-être? Beaucoup ne soutiennent plus les crimes de la Légion. »

« Nous sommes trop peu de fidèles de Lilith encore en vie, Izuku. Ça n'a pas de sens. »

« Justement, ils n'en sont que plus déterminés! »

Mezo ne sait apparemment pas quoi répliquer. Comme à l'accoutumée, il ne comprend pas d'où me vient mon optimisme.

« Ça me paraît compliqué d'y croire... » répond-il finalement. « Dans tous les cas, nous les garderons à l'œil et les Protecteurs les fileront jusqu'à ce que nous n'ayons plus aucun doute. »

Je ne peux qu'approuver. Ma mère me l'a répété à maintes reprises : l'optimisme ne doit surtout pas aller de pair avec la naïveté.

Nous poursuivons notre chemin, guidés par les cierges allumés le long du couloir menant à la chapelle. Il est minuit, mais nous avons besoin de nous recueillir auprès de notre Déesse. En ces mois agités, il est plus que nécessaire de nous lier à Elle et de nous rappeler nos engagements.

Seuls nos pas et le frottement de nos soutanes troublent le silence nocturne. Nos Frères et Sœurs sont plongés dans un sommeil réparateur, apaisés par la présence constante et féroce des Protecteurs. Ces derniers, pour la plupart d'anciens membres du culte d'Ève formés aux arts du combat, sont des camarades précieux qui ont maintes fois prouvé leur sincérité. Sans eux, nous ne pourrions certainement pas nous reposer si paisiblement.

Katsuki, mon meilleur ami d'enfance, a quitté les souterrains il y a plus de deux heures. Comme à son habitude, je sais qu'il est en train de prendre mille détours inutiles avec son irremplaçable voiture orange bonne pour la casse, histoire d'étourdir les futures recrues. Ses parents, Mitsuki et Masaru, tous deux Protecteurs et sorciers d'Albâtre, lui ont appris des techniques efficaces pour parer aux tentatives d'infiltration. Nombreux ont été ceux à essayer...

Mais aucun n'a survécu.

Les d'Albâtre connaissent cet emplacement et cherchent à nous en extirper depuis des lustres. Néanmoins, ils savent également qu'ils ne peuvent le détruire sans risquer de perdre l'élément unique qui maintient notre monde en place et lie les deux sœurs divines. Tant qu'il est dans notre camp, ils ne peuvent que tenter de nous corrompre de l'intérieur – et échouer.

Les portes s'ouvrent et nous pénétrons dans notre lieu sacré. Mezo s'avance vers l'autel central et cède son corps pourvu d'ailes insolites aux lueurs des vitraux engendrées par les sorciers sculpteurs de lumière – sa fratrie. Chacun et chacune d'entre nous a laissé une part de ses pouvoirs dans cet endroit afin de le rendre plus beau, plus digne. Nous le chérissons et y ajoutons constamment de nouvelles ornementations qui, nous l'espérons, plaisent à la Reine des Profondeurs.

Celle-ci n'est pas l'abomination décrite dans les livres de nos rivaux : Elle ne sacrifie personne, n'exige rien et donne ce qu'Elle possède sans compter. Leur légende est aussi fausse qu'insultante, puisqu'elle La fait passer pour une cadette méprisable, coupable de tentative de meurtre. Rien ne s'est déroulé ainsi.

Lilith vouait un amour et une admiration immenses à Son aînée. Intelligente et dotée d'une grande patience, Elle Se passionnait pour Ses inventions fabuleuses qu'Elle offrait ensuite aux humains. Malheureusement, un jour, Ève fut emportée par mégarde dans l'un de Ses essais. Dès lors, la magie divine que les sœurs partageaient s'est brisée en trois fragments, les séparant irrévocablement : le premier entraîna Lilith sous terre et le second emprisonna Ève dans les cieux, créant de ce fait la contradiction la plus destructrice ayant existé ici-bas.

La magie s'est dédoublée.

Et notre haine nous rend incapables d'y remédier.

Les couleurs ardentes des vitraux que nous parcourons chaque jour du regard nous racontent cette histoire, la vraie. Elles nous empêchent de succomber aux idées fausses propagées par l'ennemi... Nous raccrochent à la vérité.

Tout comme le troisième et dernier fragment qui repose dans les quartiers de notre Grand Prêtre – la clé de la paix... qui ne viendra sans doute jamais.

Frémissant, je m'installe sur l'une des chaises de prière et inspire en abaissant les paupières. En tant qu'Assistant de Toshinori, j'ai tendance à me laisser envahir un peu trop facilement par l'aspect tragique de cette histoire.

Je commence à peine à me tranquilliser quand l'un des battants de l'entrée claque brutalement contre le mur.

« Deku. Ils sont là. »


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