Il était temps...
Tic. Tac. Tic. Tac. C'est quoi le temps ? C'est toi ? C'est moi ? C'est elle ?
Elle rentre chez elle. C'est d'abord le métro qui berce, la main moite sur la barre pleine de microbes. C'est aussi le froid qui lui glace les mains, parce qu'elle a encore oublié ses gants ; c'est la chaleur qui sort de sa bouche quand elle respire, et qui forme des nuées; la nuit qui tombe. C'est les sons des doigts qui appuyent sur les touches du digicode, l'écho dans l'entrée de l'immeuble qui sent, le vieux, le papier de mauvaise qualité, le renfermé, la poussière. C'est la main qui prend la rampe de bois vernis, et les bruits de pas réguliers sur les 80 marches de ses quatre étages. Ce sont des décharges dans les cuisses qui la lance, et la pensée que, quand même c'est inadmissible à 24 ans, d'être essoufflée quand on monte les escaliers, et qu'il faudrait quand même penser un jour à se remettre au sport. Ce sont les 5 minutes à chercher ses clés, et le soupir d'exaspération, parce que oui, on aurait pu les chercher dans le métro. C'est le bruit de ces clés qui s'entrechoquent les unes contre les autres, pendant que le mécanisme moderne de la porte blindée se met en marche. C'est ce bruit à la fois indescriptible et si agréable de la porte qui s'ouvre. Ce sont les yeux qui se ferment de soulagement, puis de déception face au désordre que l'entrée arbore en ce vendredi soir. C'est le manteau, les chaussures qui sont aussi vite enlevées que les pates de la veille sont au micro-ondes avec « la » dose de fromage râpé dessus. C'est le pyjama tout doux et les pantoufles pas présentables et le film qu'on a passé la journée à choisir. C'est aussi le bruit du micro-ondes qui... Tut.Tut.Tut. C'est le macaroni qu'on mange entre la cuisine et le canapé et qui brûle la langue. C'est l'affaissement du canapé quand on se jette dedans et c'est le « ahhhhhh » du soulagement, de l'oubli de la monotonie, qu'on ressort aussi à la pause-café, quand on brave le froid, le café à la main, brûlant les phalanges, qu'on tire une clope et « ahhhhhh ». Oui, c'est ce ahhhhh-là. Normal. On est vendredi soir. Et le programme du vendredi soir, c'est l'oubli. L'oubli du fait qu'on a réussi dans la vie, qu'on a un bon job, à 24 ans, un appartement, déjà de l'argent de côté, que n'importe qui nous envie, sauf nous-même. L'oubli du fait que le temps a emporté l'innocence, qu'on le laisse faire, on le laisse passer, faire de notre vie une monotonie cauchemardesque.
C'est vicieux le temps, tu le vois toujours une fois qu'il est passé. On le voit dans l'ennui, la répétition, le déprime, l'insatisfaction, mais jamais dans les bons moments. A-t-on déjà vu le temps dans le premier amour, les vacances en famille, les fous rire entre amis ? Alors les vendredis, on oublie tout ça. On prend le temps à son propre jeu, et on l'éloigne de nos pensées noires, en l'empoignant d'une main de fer, le temps d'une soirée. Mais il n'est pas stupide, il sait que cette soirée, on ne la verra pas passer, la bouteille de vin non plus. Mais étrangement le lendemain, il passe aussi lentement qu'un millénaire. Le temps avait aussi prévu les regrets, le cachet d'aspirine qui te fait dire que le cocktail de fin de film était de trop, la culpabilité d'avoir bu, alors que les analyses de sang ont confirmé les nombreux tests, et l'arrivée d'un. Petit nouveau, comme les parents vont être ravis. Il planifie tout. Même le cœur lourd, et le sentiment qu'on ne pourrait jamais faire autre chose de sa vie que de le laisser passer. C'est fou, quand même, ce qu'on est plus galant avec le temps qu'avec toutes les femmes du monde.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top