Mon erreur

Mais qu'est-ce qu'elle veut, à la fin ? J'en peux plus d'attendre !! Je suis toute impatiente de découvrir sa fameuse « surprise », avec tout le suspens qu'elle y met !

Elle s'appelle Alice, c'est ma meilleure amie. Et ce jour là, elle me promenait dans toute la gare avec un bandeau sur les yeux, pour m'amener voir ma « surprise ». J'avais peur de ce qu'elle a prévu.

Elle me guidait à travers la foule, mais je ne cessais de me prendre des gens. Je n'y voyais vraiment rien, et il y avait tellement de monde que c'est presque impossible que je ne me prenne pas quelqu'un toutes les secondes.

Mais bon. Alice me connaissait bien. Je lui faisais confiance pour ce qui allait suivre.

Elle me dit soudain :

-On est presque arrivées !

Elle était tout excitée, et son ton guilleret me fit sourire.

Sourire que je perdis bien vite en entendant une autre voix lancer durement :

-Alice, qu'est-ce qu'elle fait là ?

Je me figeais. Cette voix. Froide, sèche. Si familière. Je la reconnaîtrais entre mille.

C'était lui.

Mon cœur s'arrêta. Je n'avais plus qu'une envie. Disparaître de ce monde.

Non, non, non. Non, pas lui. N'importe quoi mais pas lui.

Je revoyais, même avec le bandeau d'Alice sur les yeux, son visage. Je n'avais aucun mal à imaginer son expression.

Que pensait-il de moi, maintenant ? Me détestait-il ?

J'aurais tout donné pour pouvoir revenir en arrière, réparer ce que j'avais fait.

J'avais tout gâché, putain !

La sensation de vide qui m'avait envahie ce jour là se creusait maintenant que je le savais devant moi.

J'entendis Alice déclarer en rigolant :

-Bah quoi, t'es pas content ? Will, je t'es ramené ta copine !

Mon cœur se serra à un point tel que je crus qu'il allait disparaître. Si j'avais avant un petit espoir que ce ne soit pas lui, Alice l'avait tué et enterrer en prononçant ces mots. Will. Copine.

Non, non, non, seigneur, Alice ne savait rien de ce que j'avais fait, elle ne pouvait pas savoir la situation dans laquelle elle me mettait.

Je sentis des mains derrière ma tête, et Alice libéra mes yeux de leur bandeau.

Je me retrouvais face à face avec lui. Will.

Alice fit alors quelque chose d'encore pire. Elle nous dit d'une voix malicieuse :

-Bon, je vais chercher à manger au snack ! Je vous laisse entre amoureux...

Et elle partit. Je fermai les yeux un instant, priant pour que ce ne soit qu'un rêve, ou plutôt un cauchemar. Mais quand je rouvris les yeux, il était encore là, devant moi.

Lui non plus ne savait pas quoi dire, visiblement.

Nous nous tenions face à face en silence, et j'eus le temps de l'observer. Il n'avait pas changé depuis la dernière fois. Blond, yeux bleus, grand, c'était le mec parfait. En plus de ça, il était gentil, attentionné, intelligent. J'avais été tellement heureuse avec lui. Et j'avais tout gâché.

Je m'étais trompée. Ce n'était pas de sa faute. Bien évidemment. Mais la colère et la peine que je ressentais à ce moment là avait suffit. Tout s'était fini pendant la pire période de ma vie.

Je déglutis. Je ne savais pas quoi faire. J'étais carrément perdue. Le revoir après tout ce temps...

Alice, pourquoi ?

J'avais envie de pleurer. De pleurer tout ce que j'avais perdu, tout ce que j'avais raté. Mais ce serait égoïste que de pleurer devant lui. Tout était de ma faute.

C'était à cause de moi qu'on avait rompu. Putain, je l'aimais tellement ! Je l'aime tellement...

Ça va aller. Ça va aller, me répétai-je. Ça irait. Ce n'était qu'un rêve, comme tant d'autre, il n'était pas là devant moi, je n'allais pas devoir lui parler. Ça va aller. Ça va aller.

Mais le voir... Le voir me rappeler ce jour où j'avais tout perdu. Pas seulement mon copain.

Ça va aller.

Non. Je la sentais arriver, la crise. J'en faisais moins qu'avant, d'habitude, mais voir ainsi mon passé s'imposer à moi... Putain !

Ma lèvre inférieure se mit à trembler. Ils me manquaient tellement... Pas que Will.

En face de moi, comme dans une autre réalité, je vis Will comprendre que j'allais fondre en larmes.

Évidemment qu'il comprenait. Évidemment. Il était là ce jour là ! J'avais même cru que c'était sa faute.

Je vis Will prendre une décision. Il s'approcha de moi, il posa une main sur mon dos. Je me raidis à son contact. Ça faisait tellement longtemps qu'il ne m'avait pas touché. Il me manquait.

Il me poussa doucement vers un coin plus reculé de la gare. Je me laissai faire, luttant contre les larmes. Lorsque j'arrivais au mur, je me retournais et m'y adossai, sans oser le regarder. Putain, j'avais l'impression de jouer la victime, alors que c'était moi qui avait causé notre rupture !

Il attrapa alors mon menton et me força à lever la tête. Je me retrouvais yeux dans les yeux avec les siens. Il me regardait d'un air infiniment triste. Comme si... Comme si ce que j'avais dit était vrai. Comme si tout était sa faute.

-Elly... je suis vraiment désolé. Je... tout est allé tellement vite, j'ai pas eu le temps de réfléchir, je... je sais que j'aurais dû t'appeler, te prévenir, mais j'ai paniqué, j'ai tenté de faire quelque chose... J'ai pas réussi et j'en suis désolé. Je comprends que tu m'en veuille. J'ai pas osé t'appeler ou t'envoyer un message pour m'excuser, mais ça me travaillait depuis tout ce temps, alors... Alors je suis venu te le dire en face. Je suis vraiment désolé.

Il dit ça avec les larmes aux yeux.

La rage, le dégoût, le mépris pour moi même se défoulèrent alors. Ça l'avait « travaillé ». Il avait ressenti le besoin de s'excuser. Alors qu'il n'avait rien fait. Parce que je l'avais accusé.

Je fondis en larmes. J'avais été horrible. Je l'avais blessé.

-Non... Non, non, Will... Je... c'est moi qui suis désolée. Je t'ai engueuler alors que t'avais rien fait.

Un sanglot franchi la barrière de mes lèvres. Je fermai les paupières de toutes mes forces, tentant de m'échapper de cette réalité terrible, tout en cherchant mes mots.

-Je... J'étais tellement en colère, tellement perdue, ce jour là... J'avais besoin de m'en prendre à quelqu'un... et ça a été toi. Et pourtant... pourtant je t'aimais. Je t'aime toujours, Will, et je... je suis absolument désolée pour ce que j'ai pu te dire, et surtout pour ce que tu as pu croire.

Je me tus, cherchant de l'air. Comment avait-il pu croire qu'il y était pour quelque chose ? C'était évident que ce n'était pas le cas.

Un flash-back s'imposa. Ce fameux jour.

C'était un samedi. C'était l'été, il faisait bon. Ça avait tout pour être une journée parfaite. Mais au final ça a été le pire jour de ma vie, et il n'eut pas de concurrence.

Will m'avait appelé ce matin. Il m'avait proposé de sortir, dans notre petit village. J'avais accepté sur le champ. Je voyais déjà la promenade entre amoureux, main dans la main, les personnes plus âgées qui nous regarderaient avec mélancolie, les plus jeunes, qui se moquerait de nous... Oui, ce serait parfait. J'avais quinze ans, mes parents acceptaient que je sorte tant que j'étais prudente, que je les prévenais et que je en partais pas trop loin. J'avais donc annoncé à mes parents que je sortais, puis j'étais partie en faisant un bisou sur le crâne de mon petit frère. J'étais sorti sur le perron. Will m'attendait en face, de l'autre côté de la route. J'avais souri. Il était là, il était beau, il m'attendait. Il n'y avait pas mieux que lui pour me rendre heureuse. À ce moment là, la vie me semblait parfaite.

J'avais traversé la route, je l'avais rejoint avec un énorme sourire. Lui aussi me souriait. Il était si beau... Je tombais un peu plus amoureuse de lui chaque secondes. Il s'était approché de moi, il m'avait attrapé les hanches et il m'avait embrassé. C'était un baiser doux, tendre, le genre qui me faisait fondre.

Puis un cri nous avait séparé. C'est la que ma vie a pris un tournant radical.

J'avais tourné la tête. Mon petit frère, Léo, m'appelait depuis l'autre côté de la route.

-Elly, attends !! J'ai oublié de te dire quelque chose !!!

Et il avait traversé la route en courant, sans attendre.

Enfin, traverser. Il avait entamé la traversée de la route. Mais un camion était arrivé à vive allure en même temps.

Tout s'est passé si vite...

Tout ce dont je me souviens, c'est de la terreur et l'effroi contenus dans le cri que j'avais poussé. Et des mains de Will qui me retenait d'aller me jeter sur la route pour sauver mon frère.

Après... c'était le néant dans ma tête.

Jusqu'à cette chambre. À l'hôpital. Moi et Will, à l'intérieur. Je tenais la main de Léo en sanglotant. Will, désemparé, faisait les cents pas dans la chambre, le visage déformé par une grimace inquiète.

Dehors, mes parents discutaient avec les médecins. Je savais que Léo était entre la vie et la mort, et ça me suffisait pour souffrir. J'avais l'impression que j'allais mourir de peur. Il ne pouvait pas mourir. Impossible. Pas lui, pas Léo. Pas mon petit frère.

Au bout d'un moment, Will s'était approché et m'avait dit d'une voix très douce :

-Elly... tu devrais aller prendre l'air. Je reste avec lui, je te le promets.

Au début, j'avais refusé catégoriquement. Puis, me sentant trop mal dans cette chambre, je lui avais fait promettre de ne pas le quitter des yeux, puis j'étais sortie, aveuglée par mes larmes.

J'étais allée au distributeur, où j'avais acheté à manger pour Will et moi.

Puis j'avais entendu un cri. Un cri de douleur, de peine, de rage. J'avais lâché mes achats, et j'avais couru jusqu'à la chambre de Léo.

Quand j'arrivais. J'avais perdu mon frère.

Et c'est là que j'ai fait la plus grosse erreur de ma vie. Passé les premiers pleurs est arrivée la colère. Et j'avais hurlé sur Will. Parce que Léo était mort quand il n'y avait que lui. Je le tenais pour responsable. Alors après l'avoir insulté, lui avoir crié dessus, et l'avoir accusé, j'avais rompu, et je ne l'avais plus revu pendant cinq mois.

Jusqu'à aujourd'hui.

Quand je relevai les yeux vers lui, je crois qu'il vit tout le regret que je ressentais dans mes yeux. Les larmes lui sont montés, et il m'a dit d'une voix qui trahissait toute la souffrance qu'il ressentait :

-Moi aussi, je t'aime toujours, Elly.

Alors, ignorant mes larmes, ignorant mon cœur brisé, j'ai réparé mon erreur.

Je l'ai embrassé.

Deuxième place du concours !