Danse au bord du vide, pour @Fuyez_y_a_une_folle2
Danse au bord du vide
Je pose mon pied nu sur les douces fleurs du printemps qui nappent la falaise de magnifique couleurs, et j'inspire un grand coup. J'attrape l'ourlet supérieur de ma robe, je m'incline face à l'horizon, avec pour seul public la mer et le soleil couchant. Puis je commence à danser.
Je ne sais pas s'il me voit. Je l'espère.
Papa, regarde moi.
Je le sais, il adorait me voir danser. Sa fille, qui dansait si bien. C'était sa plus belle fierté.
Alors pourquoi tu es parti, si je te rendais fier ?
Je me mets à tournoyer. Je n'ai pas de musique, mais ce n'est pas grave. Je suis capable de danser sans, et les vagues qui frappent sans cesse la falaise en bas meublent le silence.
J'ai l'impression que plus je danse, plus les vagues montent. Comme si elles voulaient se rapprocher pour mieux voir. Est-ce mon père qui les motive ? Il a toujours aimé l'océan, est-il maintenant l'une de ses gouttes, unis avec tant d'autres, qui forment l'océan ?
On dit toujours que les morts se réincarnent dans les étoiles. C'est une idée que je respecte, mais je n'y crois pas. Les morts veillent sur nous, n'est-ce pas ? Mais ce n'est pas ce que font les étoiles. Elles, elles se contentent de nous regarder vivre nos bonheurs comme nos malheurs. Mais les gouttes d'eau ? Les gouttes d'eau, elles nous gardent en vie grâce à ce précieux liquide qu'elles contiennent. Et puis, si les morts sont bien ces étoiles de l'océan, alors ça explique pourquoi Papa a sauté. Il est allé rejoindre Maman.
Et maintenant, ils me regardent tous les deux.
Papa, Maman, vous me manquez tellement.
Alors, accompagnée par les vagues, qui montent toujours plus haut, je tournoie, ma robe couleur couchant s'éveille comme une rose en floraison. Les infinies étendues d'eau se rapprochent de ma danse dans le vide.
Il y a au moins cinquante mètres qui me sépare de mes parents. C'est tellement et c'est si peu.
Pourtant, je ne compte pas les rejoindre. Bien que je n'arrive pas à empêcher les larmes, les morts de mon cœur, d'inonder mes joues, j'ai encore une vie. Cette danse, aujourd'hui, c'est mon dernier cadeau. Ensuite, je les abandonnerai comme ils m'ont abandonné.
Mais aujourd'hui, je profite de ce dernier moment avec eux qui m'ait accordé. Et mes jambes, en rythme avec le reste de mon corps, accélèrent, accélèrent, accélèrent. À ce moment là, malgré toute ma détresse, je me sens en harmonie avec le monde.
Et je sais que, contrairement à mon père, je ne suite pas prête d'abandonner ce monde. Il y a encore trop choses qui méritent d'être vécu.
Je m'arrête un instant, le torse cambré, le bras flottant gracieusement au dessus de moi, et je laisse un instant au monde pour regarder ma pose. Je jette un coup d'œil à l'horizon, et au soleil couchant, qui continue à m'observer, son cercle splendide désormais réduit à une demi-sphère. Il laisse de magnifique couleur sur le ciel, et je reprends, grisée par la beauté du monde qui m'entoure.
Et là. Je le sens. Papa et Maman, ils me regardent. Je le sais. Je le sens. Tout est trop beau pour que je sois seule face au ciel et à la mer.
Et, encouragée par les vagues, j'arrête de pleurer, je saute, je saute, je pirouette. Je ris. Si ça doit être la dernière fois que me famille me voit, je dois en profiter. Il faut qu'ils voient ce sourire sur mon visage, cette joie dans mes yeux hypnotisés par les vagues. Je le sais, c'est la danse qui me rend heureuse. Quand je vais m'arrêter, la réalité me rattrapera. Mais en attendant, j'ai le droit d'être heureuse. J'ai le droit de profiter de ce moment, là, sur la falaise, éblouie par les couleurs oranges, roses du soleil couchant, comblée par le bruit des vagues.
Là, à cet instant, je ne regrette rien. Je ne sens plus la douleur de ne pas avoir vu la peine qui habitait mon père. Je ne sens plus l'horreur qui s'est abattue sur moi depuis l'accident de ma mère. Là, je me sens bien, comblé. Heureuse. C'est fou comme cette danse au bord du vide me faisait du bien. Sans doute parce que je les sentais, là. Je sentais leur présence bienveillante dans les fleurs sous mes pieds qui battaient sur le sol, dans les papillons qui tournoyaient autour de moi, m'accompagnant dans cette valse libératrice, dans les derniers rayons du soleil qui éclairaient la mer, dans chacune de ses gouttes d'eau, qui suivaient inlassablement le ressac de la mer. Ils étaient partout, comme les autres défunts. Pourquoi devraient-ils se limiter aux étoiles, après tout ? Ils pouvaient être ce qu'ils voulaient.
Comme moi à cet instant, avec un immense sourire aux lèvres. Je pouvais être ce que je voulais. J'étais libre. Toujours en mouvement, je me remettais, je pardonnai, je me relevai, je réparai mon cœur en miettes. Je sauvai ma vie, je m'empêchais de sombrer moi aussi, de rejoindre mes parents là bas, dans l'eau.
C'était ce que m'offrait cette danse.
Et puis, enfin, après un ultime saut, je me stoppai, saluai à nouveau l'horizon, et sourit à la mer, arrêtant ainsi cette incroyable danse au bord du vide.
Première place du concours !
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