Fake Love

Plic. Plac. Ploc.

Les gouttes de pluie, tranchantes et rapides, s'abattant sur le sol dans une sorte de charivarie, demeuraient infinissables, imputrescibles.

Elles grésillaient, sur ce corps tarabustant ; le sang en sortait d'une couleur incarnat.

Splash.

Le corps frêle a bougé. On l'a porté. Il aurait pu se noyer dans la flaque de liquides s'il n'y avait pas eu autant de lumières rouges et bleues autour.

Les yeux de ce corps, deux billes d'émeraude, s'ouvrent enfin. Il a reçu des ondes électriques. La conscience de ce corps s'éveille aussi. Il se rend compte qu'il est dans une ambulance. Et qu'une infirmière l'examine à côté.

C'était raté.

Le corps frêle se rends compte qu'il peut parler. Il tâte d'ouvrir ses cordes vocales. Il a mal. Un son inquiétant en ressort.

— Mademoiselle restez calme. Tout est sous contrôle. Ne faîtes aucun effort.

— Pourquoi... pourquoi m'avez vous emmené ?

— Un passant vous a retrouvé dans une ruelle sombre, inerte. Vous étiez en sang alors il nous a contactés. Mais ne vous inquiétez pas, tout est sous —

Le corps féminin se mit à huer, en petits, ne pouvant plus aligner un mot.

L'ambulancière resta là, ahurie. Elle ne connaissais pas la petite histoire.

L'incroyable histoire de Cho Park, qui ne saurait l'être si l'on ne mentionnait son amour suicidaire.

***

Elle aligne les deux derniers pas vers la sortie.

La redécouverte du soleil lui fit faire une grimace. Elle plisse les yeux.

— Putain.

Elle ne l'aimait pas ce monsieur soleil. Mais elle est contente. Après un mois à l'hôpital de Séoul elle est enfin sortie.

Elle regarde l'extérieur. Ou plutôt, elle regarde l'écran publicitaire. Ils en reparlaient encore. De la mort de son idol préféré, Phébus.

Ce rockeur, qu'au début l'univers entier de la musique rejetait, qu'au début il n'était qu'un outsider, qu'au début les amateurs de roch'n Roll critiquaient, avait créé un imbroglio aussi grand que celui de son apparition. Comme son nom d'artiste l'indique, Phébus, il était devenu un véritable dieu de la musique.

‹‹ Rock is the music of broken hearts, if the world is then I'm the king of the world ››

La vidéo de l'écran publicitaire s'arrêta sur sa phrase fétiche.

Pim, pim, pim.

Plusieurs voitures klaxonnèrent. Cho s'était retrouvée sur la chaussée sans s'en rendre compte, et avait coupé la circulation. Elle avait fait des pas insoucieux vers l'écran publicitaire. Hypnotisée, captivée, attirée. En voyant la photo de Phébus, ou plutôt Sun-ho Kim, elle a voulu l'attraper, le retrouver. Elle a voulu rejoindre le royaume des morts.

Si l'espoir fait vivre, ceux qui vivent d'espoir sont morts de faim. Vivre sans espoir c'est cesser de vivre.

Sun-ho Kim était son espoir. Le trépas de celui-ci l'a fait dégriser. À présent, que faire de sa vie ?

— Hé ho ! Cho par ici ! vociféra une voix qu'elle reconnaissait mais qui ne provoqua cependant aucune exaltation positive en elle pour quelqu'un qui avait passé un séjour mensuel, enfermé.

La raison est telle qu'elle n'éprouvait aucune sympathie pour sa nouvelle belle mère.

— Cho qu'est-ce que tu fais ? Entre dans la voiture.

La vitre du siège du conducteur de la vieille Advensis glissa. La tête carrée d'un homme cinquantenaire à l'allure taciturne se fit voir.

— N'entends-tu pas ta mère t'appeler ? On est en public, elle se ridiculise, intima-t-il de sa bouche entourée d'une barbe négligée.

Elle hésita de parler. Mais elle avait besoin de mettre un point.

— Ma mère hein, causez toujours pour faire partir de ma famille bandes d'enculés, murmura-t-elle audiblement.

Elle tourna les talons, incongrue. S'en foutant royalement d'avoir un regard de tueur dans le dos.
Car en fait, son père, Eunjin Park était un ancien détenu.

Pendant douze ans, il a fait de la prison. Elle est restée seule avec sa mère puis elle s'est toujours débrouillée après. Cette absence parentale ne l'a pas endeuillée, bien au contraire. Elle s'était endurcie. Il y'a un an, il est revenue, sorti de nulle part, en prétendant qu'il prendrait soin d'elle. Mais elle sait qu'au fond, c'est juste pour embellir son image.

Autre chose, M. Park renouvelait les conquêtes toutes les semaines. Les femmes allaient et venaient tout le temps. Après, on en revoyait pas l'ombre d'un cheveu.

Que ce soit M. Park ou le reste, ils étaient tous des hypocrites. Et l'hypocrisie, elle, Cho l'emmerde.

Elle s'arrêta devant un bâtiment maintenant en face d'elle. La salle d'arcade ‹‹ Broozer ›› était ouverte en temps de deuil. Car ses membres étaient tellement fans de Phébus qu'ils auraient pu le fermer pendant au moins deux mois.

— Bonjour Mlle Park ! Comment va notre groupie préférée ?

— La groupie te demande d'aller te faire foutre chialeur.

— Toujours fidèle à elle même hein !

— ...

— Vous avez des cartes de jeu ? questionna le videur.

— Tu sais là où je te les mets tes cartes de jeu ?

— Vous êtes absente plusieurs semaines quand vous revenez vous êtes, désagréable ?

— Fouts moi la paix.

— La mort de Sun-ho Kim vous touche autant ? Enfin bref, pourquoi vous vous étiez retrouvé à l'hôpital ? continua-t-il d'interroger.

Elle se tâta de répondre, le trouvant trop lourd.

— Je me suis battue avec des mecs, souffla-t-elle.

— Vous avez tenté de vous suicider n'est ce pas ?

Elle se figea. Surprise par sa perspicacité ou plutôt, effarée du fait qu'on découvre qu'elle est faible.

C'était vrai, elle s'était volontairement tiré une balle dans le ventre avec l'arme de son beau père, un soir après avoir ouï dire de la nouvelle sur Phébus.

‹‹ Rock is the music of broken hearts, if the world is then I'm the king of the world ››

Le roi était mort. À présent que le roi, son dieu était mort, elle avait pensé qu'elle, sa création, devait disparaître.

Elle se reprit, elle mettait trop de temps à répondre.

— Non mais c'est le boxon dans votre tête ?! s'exclama-t-elle. J'ai vraiment l'air d'un de ces merdiers d'assassins pour me buter moi-même ? Oui, j'aime le rock et les salles d'arcades et alors. Oui, j'aime aussi Phébus ET ALORS ? C'est pas votre blème ! C'est MA life vous entendez ? J'ai le putain de droit d'en faire ce que je veux. Je me suis castagné avec des mecs c'est tout ! Alors de vos remarques je m'en bas les ovaires ! vitupèra Cho presque essoufflée.

Elle se rendit compte trop tard qu'elle avait commis une erreur. Elle aurait dû passer outre à cela et lancer un regard vil à celui qu'on surnommait Jaehen. À présent, elle devait supporter ses yeux altiers.

Il resta silencieux un instant. Un silence qui la laissa palotte. Elle se sentis ridicule d'en avoir fait pour si peu. Alors elle se retourna. Autant s'en aller.

— Et si vous trouvez le moyen de revoir votre idol ?

Elle s'arrêta.

— Pardon ?

— Je ne me répèterai pas.

— Vous êtes en train de me demander... de me tuer ?

— Mais non voyons ! ricana-t-il. Enfin, heureux de voir que vous me vouvoyez enfin.

— Ne tournez pas autour du pot.

— Et si je disais que Sun-ho Kim était vivant ?

Son corps tout entier frissonna. Comme si elle avait été frappée par un éclair.

Que de belles paroles. Des paroles bien amusantes puisqu'elle s'esclaffa. Il l'avait assez effarouché comme ça.

— Et donc ?

— Ce n'est pas un jeu Mlle Park, dit-il impatient.

— Je ne joue pas.

— Sun-ho Kim est vivant. Si vous voulez une preuve, rendez-vous dans la ruelle où vous avez été ‹‹ agressée ››.

— Tu me prends pour qui ? rugit-elle.

— Venez à vingt-deux heures.

Il sourit. Elle fut dans les vapes. Elle s'en alla sans rien dire de plus.

Ça pue l'arnaque, se disait-elle. Mais de toutes façons, les êtres humains vivent tous dans des mensonges. On s'en invente pour essayer d'amenuiser l'amertume de la vie.

Et ce mensonge, Sun-ho Kim en vie, coûtait plus que n'importe quel autre.

Après ces quelques minutes de réflexion, elle arriva devant sa maison.

— Euew...

Elle se sentit dégoûtée d'avoir pensé une telle chose. Ce n'était pas sa maison, et ça ne le serait jamais. La seule chose qui lui est familière sont ses chats, qu'elle récupérait pour les raser quand elle voulait.
Elle ouvrit la porte et ne fut d'aucune surprise en voyant la bicoque dans un désordre sexuel.

Les ‹‹ jouets ››, les vêtements, les poils de chat éparpillés sur le sol; les volets translucides ouverts donnaient au salon sans ampoules un contraste mastie. Le vieux poste de télévision allumé transcendait la pièce de ses sons vitreux.

C'était le journal de treize heures.

‹‹ Plusieurs adolescentes sont portées disparues depuis la mort de l'artiste coréen Sun-ho Kim. À ce stade d'une véritable raffale de rapts causée par des terroristes en sacerdoce pour le rockeur, la situation est inquiétante. Certains parleraient même d'une secte qui se serait formée pour le ramener à la vie... ››

Elle arrêta d'essayer de comprendre les ‹‹ vacheries ›› que le journaliste racontait. Ils seront toujours prêts à mentir pour lorgner l'attention des autres. Ce language là, elle ne le comprenait pas. De toutes façons c'était leur travail, même après la mort de quelqu'un.

Et si je vous disais que Sun-ho Kim était vivant ?

Une goutte d'eau du robinet à la cuisine tomba et s'écrasa dans un bruit mat.

Un de ses chats miaula vers elle. Elle s'assit sur le canapé vétuste et prit une cigarette dans sa poche. Elle l'alluma avec le briquet qui trainait sur la table devant elle puis en tira une longue bouffée quelques secondes avant de la laisser s'échapper entre ses narines. Ça la calmait.

Elle n'avait vraiment pas eu de chance dans sa vie.

Son père, est parti quand elle avait cinq ans. Elle n'est jamais allée au lycée. Elle voulait, mais ne pouvait pas. Sa mère s'est toujours occupée d'elle toute seule même si elle pleuvait sous les dettes à cause d'Eunjin.

Cependant, elle est morte à ses quinze ans. Alors Cho a changé de méthode. Pas le choix si on veut survivre. Elle s'est mise à faire des petits boulots, malhonnêtes. C'était d'abord les petites arnaqueries dans la rue, puis c'était les gangs de pilleurs, et après chef de gang de pilleurs, avant de voir tout disparaître, trahie. Mais elle est tombée dans la dépression à seize ans. Ensuite...

Phébus est arrivé. Il a fondé un groupe fondateur en un temps record malgré les moqueries. Sa musique était lisse, pas comme les ghost track d'aujourd'hui. Pour elle il était vraiment...

Crac.

La tondeuse avec laquelle elle avait commencé à raser le chat sur ses genoux, arrêta de fonctionner. Même chose pour la télévision. On a dû couper l'électricité, à cause des factures impayées.

Elle releva la tête en fixant le plafond, pas sûre du choix qu'elle allait prendre. Puis soupira dans un dernier coup de cigarette.

— Quelle heure est-il ?

***

22h02 minutes.

Elle était là. Dans la ruelle sombre clichée des plus grands films old-school, dont une personne normale n'irait pas.

Elle resta assise à patienter sur le sol, en position du Lotus, avant d'apercevoir trois hommes à capuche. Les deux sur les côtés étaient en noir. Seul celui du milieu portait du rouge, un rouge vif, visible au travers de la nuit.

Cho se releva vivement et par réflexe, fonça enlacer l'individu le prenant pour Phébus.

Son esprit fut d'autant plus surpris lorsque cette couleur chaude se rependit sur elle même. Lorsque cette couleur chaude commença à paraître humide sur sa chemise blanche.

Cho ne remarqua que trop tard que celui qu'elle venait d'étreindre, l'avait poignardé.

Elle recula de deux pas, avant tomber brutalement au sol. L'effluve de sang ne tarda pas à arriver. À nouveau, elle ressentait cette chaleur maladive dans son abdomen. À nouveau, elle trempait dans ce bain chaud que formait son sang. À nouveau, Cho tomba dans le traquenard du destin et vit la ligne de décarnation de la mort à quelques pas.

Allait-elle mourrir comme ça ? Dans l'ignorance ? À son âge ?

Non, elle ne voulait pas. Alors avec le peu d'adrénaline qui lui restait, elle retira l'arme, plantée dans son ventre. Elle gémit de douleur, mais convertie sa détresse en force. Elle se jeta sur l'homme en rouge, et retira sa capuche. C'était Jaehen. Mais sur le moment, son envie de meurtre surpassa la découverte de cette information.

Elle l'amorça un coup dans le cou. Il tomba vers l'avant.

Elle sentit, deux drôles de pressions la pénétrer après un bruit fort. Les hommes en noir, lui ont tiré deux balles dans le dos.

Ça s'est fini, au début. Cho Park est morte, le jour de sa sortie d'hôpital et a été la dernière victime de la secte satanique ‹‹ Black Coffin ›› avec pour chef, Minhyu Jong, plus connu dans le milieu sous le nom de ‹‹ Jaehen ››.

Elle a su accomplir une chose, que beaucoup échouent à faire : espérer jusqu'à la fin.

Car après tout, tout a une fin n'est ce pas ?

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2134 mots.

Un oc de Une_Banane_Perdue

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