Chapitre 15

  Je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe. J'étais seule, entrain de me balader dans les souterrains quand j'ai observé un changement dans l'air. Il y avait de l'agitation. Beaucoup d'agitation. De la confusion aussi. Pourtant je ne voyais personne et n'entendais aucun bruit. Un flot d'émotions m'a envahie d'un coup, me faisant m'effondrer. Je me tenais la tête à deux mains, tentant de lutter contre la souffrance quand j'ai compris que ce n'était pas les miennes. Alors j'ai respiré. Beaucoup, de grandes inspirations comme Harry m'a appris.
  Ça ne sert à rien, j'ai toujours aussi mal, le flot continue, des pensées incohérentes me traversent... Je tente de me relever, sans succès. Je suis prise d'affreux vertiges. Je m'appuie dos au mur, la tête entre les genoux. Je sens soudain une présence près de moi et relève légèrement la tête, les larmes aux yeux.
  Je ne suis pas peu surprise de découvrir un petit garçon de 10 ans devant moi. C'est celui que j'ai vu mon premier jour ici, quand je cherchais le réfectoire. Je sens ses émotions à lui aussi. Il est très calme, serein. Ses émotions prennent vite le dessus et me soulagent un peu.
  À partir de là, je ne comprends plus rien. Il pose sa main sur mon front, et je me sens mieux. Une douce chaleur m'envahit, et je ressens une brusque fatigue. Je commence à somnoler, avant de me laisser sombrer.

  Je me réveille plus tard dans l'infirmerie. Je le sais avant même d'ouvrir les yeux, je reconnais l'odeur d'antiseptique. Je crois au début être seule, avant de ressentir de l'inquiétude et une autre émotion, de la tranquillité. Je reconnais cette tranquillité. J'ouvre doucement les yeux et tourne la tête sur la gauche, où le petit garçon dort. Les lumières au néon dans toute la pièce sont aveuglantes... Je distingue Julie, à l'autre bout de la pièce, qui a l'air de chercher quelque chose. Je sens qu'elle n'est vraiment pas bien, elle est très inquiète, et triste aussi. Je regarde un instant le plafond blanc avant de fermer les yeux. J'entends des pas s'approcher et ne bronche pas. Je sens une main se poser sur mon front, et là je rouvre les yeux. Je vois Julie, au dessus de moi entrain de fixer sa montre. Elle me regarde enfin. Je suis surprise de ne pas trouver sa serenitude habituelle, ni sa joie dans ses yeux. Au lieu de ça, je ne vois qu'une tempête d'émotions, les mêmes que j'ai ressenti à l'instant. Et je remarque qu'ils sont rouges. Comme si elle avait pleuré. Je m'apprête à lui demander si ça va quand elle prend la parole.
  - Toi, dis moi comment tu vas. Que s'est-il passé ? On t'a trouvée inconsciente dans un couloir éloigné avec Tommy, assis à côté de toi. Qu'est-ce que vous faisiez là ?
  - Tommy?
  Je regarde le petit garçon. C'est un prénom qui lui va bien, avec ses cheveux sombre et sa peau mate. Je regarde à nouveau Julie.
  - Je... Mon pouvoir d'empathie m'a envahi d'un coup. J'ai ressenti toutes les émotions... Je ne sais pas sur quel rayon. Mais il y en avait beaucoup, très fortes... C'était horrible. J'étais incapable de bouger.
  Julie prend une expression soucieuse.
  - Excuse-moi... Ne bouge pas.
  Puis elle sort de l'infirmerie sans demander son reste.
  Je ne comprends pas tout mais n'en fait aucun cas. J'observe la pièce que je connais pourtant, plongée dans mes pensées. Je réfléchis aux événements de la journée et tente d'en comprendre le sens. Qu'est-ce que ce garçon m'a fait? Pourquoi Julie est partie comme ça? Pourquoi j'ai ressenti beaucoup d'inquiétude, pas seulement d'elle? Je ne comprends absolument rien.
  J'entends des pas s'approcher, puis des voix. Je tente d'écouter ce qu'il se dit.
  - ... pas le temps. On a d'autres problèmes. Et puis qu'est-ce qu'il se passe, pourquoi tu ne veux rien me dire?
  C'est la voix d'Harry. Je la reconnais sans problèmes.
  - C'est à elle de t'expliquer, répond Julie.
  - Qui ça elle?
  Les pas se sont figés devant la porte. Je me redresse pour mieux entendre.
  - Chloé. On l'a retrouvée inconsciente avec Tommy dans le couloir menant au parking. Je n'ai aucune idée de ce qu'ils pouvaient bien faire là. Toutes les sorties sont fermées, mais ils n'avaient pas à être là. Elle était très loin de tout et tout le monde. Et pourtant son pouvoir s'est réveillé. D'un coup. Elle m'a dit que c'était horrible. Mais pas une seule fois elle n'a parlé de Tommy. Ni ne m'a dit ce qu'elle faisait là.
  Un silence. Puis la porte s'ouvre et Harry s'approche de mon lit à grandes enjambées. Il me sert doucement dans ses bras.
  - Comment vas-tu?
  Je lui sourit.
  - Ça va mieux.
  Je vois dans ses yeux qu'il réfléchit à toute vitesse.
  - Écoute Chloé... Julie m'a raconté. Qu'est-ce que tu faisait là? Et parle moi du réveil de ton pouvoir.
  - Je n'avais aucune idée de où j'étais, je me baladais juste, je découvrais les souterrains. Et puis d'un coup, j'ai sentis un changement dans l'air et j'ai été submergée d'émotions. Je n'ai rien compris.
  - Quel genre d'émotions?
  - Beaucoup d'agitation et d'inquiétude, et toutes sortes d'autres émotions du même style.
  Lui et Julie échangent un regard. Je commence à en avoir marre.
  - Vous comptez me dire ce qu'il se passe?
  Ils ne disent rien pendant un moment. Puis Harry reprends la parole.
  - Tu n'es pas sans savoir qu'on était sous confinement à cause des Traqueurs qui ont été aperçus. Mais ils avaient disparus des caméras pendant un moment, et Jonas a insisté pour aller faire une ronde pour vérifier. Sauf qu'il n'est toujours pas revenu, et il a disparu du radar.
  Je reste un instant silencieuse. L'agitation, l'inquiétude que j'ai ressenti prennent soudain sens. Et maintenant que j'y repense, il y avait autre chose quand j'ai recommencé à avoir de l'empathie... La première émotion à m'avoir envahie... C'était de la peur.
  - Il a disparu il y a longtemps?
  Cette fois c'est Julie qui me répond.
  - Il y a un peu plus de 6 heures.
  - Et je suis restée inconsciente combien de temps?
  - D'après mes calculs et le peu d'informations fournies par Tommy, entre 5 heures et 6 heures.
  Je réfléchis à toute allure. Remets les éléments dans l'ordre. Comprends peu à peu. Si j'avais su... Il ne faut plus que ça arrive. Si j'avais pu décrypter tout ça, si je ne m'étais pas laissée submerger, si j'avais appris à contrôler tout ça...
  Je me redresse maintenant complètement et bascule mes jambes en dehors du lit. Je m'apprête à me lever mais Harry me retiens.
  - Hé, ho qu'est-ce que tu fais là ?
  - Je me lève, je vais bien.
  - Tu dois te reposer encore, ça a été un moment intense.
  - Un moment intense qui est passé, je vais bien.
  Il s'apprête à protester à nouveau mais le regard que je lui lance l'en dissuade.
  - Bien. On va laisser Julie juger de si tu es en état de partir.
  Julie a l'air de se réveiller et s'approche de moi. Elle prend mes constantes, me pose quelques questions, fait quelques examens complémentaires. Le verdict tombe enfin.
  - Elle a l'air d'aller bien. Tension normale, elle a toujours de bons réflexes, ses pupilles réagissent normalement. Elle va très bien.
  J'ai un sourire satisfait en direction d'Harry. Il me lance un regard mauvais, où pointe quand même une touche d'amusement.
  Je me lève donc avec assurance et me dirige vers la sortie, suivie de Harry. Une fois dans le couloir, la porte de l'infirmerie refermée, je m'arrête et me tourne vers lui.
  - Je veux m'entraîner.
  - Mais tu t'entraine déj...
  Je le coupe.
  - Non. Je veux dire je veux m'entraîner maintenant.
  Il me regarde d'un air dubitatif.
  - Et pourquoi ça?
  Je lui dit ce que j'ai découvert.
  - Jonas. C'est lui l'élément déclencheur. La première émotion que j'ai ressenti c'est de la peur. Et il y avait aussi de l'agitation et de la confusion. J'ai aussi entendu des phrases confuses, que je n'ai pas compris sur le coup et auxquelles je n'ai pas fait attention. Mais maintenant je comprends. C'était un appel à l'aide. Et sa peur était tellement forte qu'elle a réveillé mon pouvoir. Mais je me suis laissée submerger. Et je ne veux plus que ça arrive. J'aurais pu l'aider.
  Harry est stupéfait. Il réfléchis un moment, puis me dis:
  - Chloé, ce n'est pas de ta faute. Même si tu avais compris, tu n'aurais pas pu sortir, toutes les portes vers l'extérieur son verrouillées. Et de plus, tu n'as pas à te lancer seule dans des opérations comme ça. C'est trop dangereux, et ils auraient pris deux de nos membres au lieu d'un seul. Mais je suis d'accord que ton don, s'il est contrôlé, peut se révéler très utile. Seulement il faudra que tu nous prévienne quand tu perçois des choses comme ça, pour qu'on puisse agir au plus vite. Il va falloir qu'on travaille vite là dessus, pour que tu ne perde pas connaissance à chaque fois, ce qui ne servirai rien et serait très mauvais pour toi. Tu devra savoir isoler les émotions et les décrypter.
  - Quoiqu'il en soit, maintenant que mon empathie est de retour, je veux me mettre au travail sans attendre.
  Harry s'impatiente.
  - On ne peut pas maintenant. J'ai d'autres problèmes, on est tous à la recherche de Jonas.
  Je ressens sa frustration. Il ne supporte pas d'être impuissant comme ça. Il veut à tout prix retrouver son ami.
  Je laisse donc tomber pour le moment. Je lui souris avant de l'embrasser tendrement. Il s'accroche à moi comme à une bouée de sauvetage. Je le sers dans mes bras.
  Je ne l'ai jamais senti aussi impuissant.

  Harry est repartit vers la salle de contrôle, il surveille tous les écrans et rembobine chaque film pour tenter de trouver une trace de Jonas, quelque chose qui pourrait les aider. Il m'a dit que grâce aux informations que je lui ai fournies, ils savaient à peu près où il avait dû se faire attaquer. Ce qui l'inquiète aussi, c'est que c'était assez près de l'entrée du parking. Mais visiblement, ils n'ont rien vu.
  Je ne voulais pas voir Harry tourner en rond, à visionner encore et encore les mêmes images, alors je suis allée dans une des salles communes. Et j'ai compris ce que je devais faire.
  - Brandon! Je peux te parler s'il te plait?

  C'est comme ça que, une heure plus tard, je suis encore dans la salle de gym, à m'entraîner comme une folle. Brandon me dit qu'on ne peut pas travailler sur mes pouvoirs sans travailler le physique. Il m'apprend donc l'art du combat. Cette fois pas de boxe ou rien de ce genre. Juste de l'autodéfense, comment prendre le dessus dans un combat. Ici il n'y a plus de règle. Mon but, gagner. Je dois ne penser qu'à ça. Tous les coups sont permis.
  - Quand tu sera dehors, quand tu sera face à un ennemi, il ne respectera aucune règle. Tout ce qu'il voudra c'est t'anéantir par tous les moyens possibles. Et toi, ton but sera de survivre. Si tu perds le combat, il ne s'arrête pas pour autant. Une fois le combat terminé, que tu perde ou que tu gagne, il y a encore du boulot.
  Il m'explique tout ça en tournant autour de moi, vérifiant ma position, cherchant par quel angle m'attaquer.
  - Si tu gagne, il faut le cacher, le ramener au repère sans qu'il voit où il est. Il faut l'enfermer. L'interroger. Si tu perds...
  Il fond sur moi. Je l'esquive et reprends la position, prête à me défendre et à l'attaquer.
  - Si tu perds, tu vas devoir récolter le plus d'informations possible sur où il t'emmène, tu vas devoir tenter de te libérer, si il ne t'a pas tuée. Peut-être que tu vas être amenée à prendre le cachet que l'on t'aura donné.
  Je baisse inconsciemment ma garde.
  - Quel cachet?
  Il en profite pour revenir à la charge, et cette fois le combat commence réellement. Je contre, j'attaque, il attaque, il contre.
  - Tu en saura plus une autre fois! Concentre toi!
  Je comprends ce qu'il voulait dire quand il me disais qu'il n'y aurait pas de règles, que tous les coups étaient permis. Il est sans pitié. On se bat encore un moment comme ça, et il devient évident qu'il a le dessus. Il finit par me mettre à terre. Il se met à califourchon sur moi pour me bloquer, presse ma gorge de sa main gauche et brandi son poing au dessus de mon visage.
  Il me lâche brusquement et se laisse tomber à côté de moi, essoufflé. Il s'assoie et s'appuie sur ses mains.
  Je me rends compte. Ses mains. Elles pourraient tuer. Si elles avaient voulu, elles m'auraient tuée.
  - J'espère que tu as compris. On recommencera comme ça chaque jour. Jusqu'à ce que tu sois capable de te défendre sans problèmes. Jusqu'à ce que tu puisse me battre.
  Il va me falloir des jours, des semaines avant d'y arriver. S'il avait voulu, il m'aurait mise à terre bien plus tôt, il m'aurait tuée. Mais il ne l'a pas fait.
  J'ai compris la leçon. Je suis épuisée.
  Et pourtant, l'entrainement ne fait que commencer.

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