Chapitre 3
En plus des deux heures pour y parvenir habituellement, auxquelles on ajoute une heure à cause du monde et de la neige présente sur les routes, j'arrive enfin à la maison du lac au bout d'un interminable voyage. J'ai fait en sorte d'arriver en début d'après-midi, pour ne pas être la première, juste après ma mère. Ni la dernière non plus, ce privilège revient à ma chère sœur, comme chaque année.
Sur la zone parking, à côté de la maison, il y a très peu de véhicules, juste deux.
Bien évidemment, celle de ma mère est aux premières loges. Elle a dû arriver aux aurores, pour chauffer la maison et tout installer avec l'aide de sa meilleure amie. Ann est son amie depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, j'étais même en classe avec son fils. Après son divorce, maman l'a obligée à se joindre à nous durant les fêtes de fin d'année, avec son fils qui vient une année sur deux.
L'autre voiture est un monospace. Même si c'est la première fois que je le vois, je sais parfaitement à qui il appartient. Il s'agit de mon oncle et ma tante avec leurs deux garnements. Je les imagine déjà crier et courir dans tous les sens. Rien que d'y penser j'ai déjà mal à la tête. Avec tout ce qu'ils transportent chaque année, le monospace n'est pas superflu, je dirais même que c'est une nécessité.
Je me gare à côté et coupe le moteur. Je prends quelques secondes pour profiter de ce silence avant de rentrer dans la maison, car je ne suis pas prête d'en profiter durant les heures à venir. Je récupère mes affaires dans le coffre, les cadeaux de Noël pour tout le monde et mes affaires pour mon séjour.
Quand je rentre dans la maison, je vais directement dans le salon. La chaleur de la cheminée présente dans la pièce me saisit, c'est un très gros contraste avec les températures négatives de l'extérieur. Ma mère a déjà posé le faux sapin dans un coin de la pièce avec les boîtes contenant les décorations. Signe qu'elle attend que tout le monde soit arrivé pour qu'on le décore tous ensemble.
Des bruits de pieds qui courent proviennent de l'étage supérieur. Ils doivent être en train de préparer les chambres pour chacun des convives.
Avec tout mon barda, je me jette dans l'arène et grimpe les escaliers, qui sont dans le salon, pour accéder au premier étage. Là où sont toutes les chambres.
Depuis le temps qu'on se retrouve ici chaque année, nous avons tous nos chambres attitrées. La mienne se trouve pile en face de ces escaliers, ce qui est parfait. La chaleur s'engouffre dans celle-ci avant de se répartir dans les autres pièces de l'étage. Je n'ai jamais froid, ici. Quand ma sœur a découvert ça, je ne vous explique pas le scandale qu'elle nous a fait, mais il était trop tard, les répartitions étaient faites. C'est l'une de mes rare victoire sur elle.
Après avoir déposé toutes mes affaires dans ma petite chambre, je pars à la recherche de ma famille. Les premiers que je trouve sont mes petits cousins, Andy et Jason. Je n'ai aucun mérite, ils courent allègrement dans le couloir. C'est sûrement ça le bruit que j'ai entendu en arrivant. Un vrai troupeau d'éléphants qui parcourt le couloir dans un sens puis dans l'autre.
J'ai droit à un rapide bisou sur la joue de chacun d'eux, puis ils reprennent leur course. Les démonstrations en public n'ont jamais été leur fort, mais avec l'âge cela ne s'améliore pas. Je dois m'estimer heureuse qu'ils ne soient pas passés à côté de moi en faisant comme si je n'existais pas.
Je poursuis ma recherche. Je ne mets pas bien longtemps à les dénicher. Ils sont trois chambres plus loin, en train justement de faire les lits des plus jeunes. Ce qui signifie qu'ils ont déjà fait tous les autres, car c'est la dernière chambre. Ce que me fait bien remarquer mon oncle.
— Une fois encore, tu arrives après la bataille.
Merci tonton ! Ça va, ce n'est pas comme si je ne faisais rien depuis deux jours. Alors que lui, après avoir fini de faire les lits, va se vautrer dans le canapé avec son smartphone à envoyer des messages à je ne sais pas qui jusqu'à ce que maman cri « à table! ».
— Bonjour à toi aussi, oncle Wyatt.
Je m'empresse d'embrasser toutes les personnes présentes dans la pièce, maman, Ann et Madison. Cette dernière a un verre à la main, déjà. Et vu l'odeur qui s'en dégage, il n'y a pas que du jus d'orange dedans. Ce qui promet d'être une soirée épique, si elle commence à boire durant l'après-midi.
Quand nous avons terminé à l'étage, on redescend pour s'occuper du dîner, car il y a encore beaucoup à faire, surtout pour dix personnes. Ah non, onze, mon cerveau a tendance à occulter la présence de l'intrus invité par ma tante Meryl.
Mais maintenant que son existence m'est revenue en mémoire, je ne peux plus l'effacer. Franchement, je ne comprends pas comment tout le monde peut accepter cette situation sans broncher, sans rien dire. C'est comme si tante Meryl était chez elle, et qu'on devait faire comme elle le souhaite. Sauf que non, on est chez nous. On est déjà bien gentil de l'accueillir, faut pas qu'elle exagère, non plus.
Et lui, comment peut-il accepter de passer deux jours, surtout les deux jours de Noël avec des personnes qu'il ne connait pas, qu'il n'a jamais rencontrées. Je sais que ma tante peut se montrer très persuasive, mais y a des limites tout de même.
Je n'arrive pas à déterminer ce qui m'énerve le plus. Que ma tante se soit permis d'inviter des gens chez nous, ou qu'un inconnu s'incruste durant nos fêtes de famille, alors qu'il devrait se trouver avec la sienne.
Ma mère me sort de mes sombres pensées.
— Ma chérie, tu veux bien éplucher les pommes de terre pour faire la purée.
— Bien sûr.
Je m'empare du sac de patates qu'elle me tend et m'attelle à ma tâche.
Heureusement que la cuisine est grande. Car à mes côtes se trouvent ma mère et Ann qui s'occupent de farcir la dinde. Et ma tante Madison s'est assise sur l'un des tabourets haut pour boire tranquillement son verre tout en discutant avec nous.
Je ne sais pas comment ça fonctionne dans votre famille, mais dans la mienne j'ai de plus en plus l'impression qu'il y a une certaine injustice et que ce sont toujours les mêmes qui font tout. Je devrais peut-être me mettre en grève, comme Wyatt dans le canapé, et attendre que ça se passe.
Sauf que ça donnerait encore plus de travail à ma mère et à Ann, et ça, je ne le veux pas. Elles n'y sont pour rien si les autres membres de cette fichue famille sont des parasites notoires qui profitent des autres sans que cela leur pose le moindre problème.
Je ne sais pas pourquoi cette année, cela me frappe à ce point. Peut-être parce que l'invitation de mon autre tante a été la goutte d'eau qui a fait déborder mon vase. Je ne vais pas me gêner de lui faire remarquer quand elle sera là.
D'ailleurs, elle est où celle-là ? Elle pourrait aider elle aussi.
— Elle arrive quand Meryl ?
Je ne demande à personne de précis, juste à celui qui connaît la réponse. Même si je me doute que c'est ma mère qui va répondre.
— Elle vient avec son voisin. Mais il devait travailler un peu aujourd'hui.
Et en plus c'est un bourreau de travail, génial. Il va passer son séjour sur son téléphone, comme Wyatt, mais pas pour les mêmes raisons. Je l'aime de plus en plus ce squatteur. Car en plus de s'incruster chez nous, il faut qu'il arrive juste pour mettre les pieds sous la table. Il est culotté, celui-là.
Je n'ai pas le temps de pousser mes réflexions plus loin et fulminer un peu plus contre lui, ma sœur fait son entrée dans la maison.
— La fête peut commencer, je suis là ! crie-t-elle à l'intention de tout le monde.
Comme si, on l'attendait pour commencer quoique ce soit. Bon on commencerait pas sans elle, ma mère ne nous laisserait pas faire, mais de là à le crier haut et fort, y a des limites.
Elle rentre dans la cuisine toute pimpante, petite robe colorée, superbement coiffé et maquillée. Au top de sa forme.
— Ma chérie, comment vas-tu ? demande ma mère. Tu t'es remise ?
Au vu de sa mine plus que réjouie, elle s'est remise pas besoin de lui poser la question. Pour moi, elle a juste sorti cette excuse bidon pour échapper à l'élaboration du gâteau. Mais je le garde pour moi, pour ne pas froisser ma mère et créer une dispute avec ma sœur.
Je dois juste la supporter durant deux jours, comme l'autre intrus, je peux le faire. Surtout que la journée est déjà bien entamée. Je vais même peut être les laisser ensemble, comme ça je n'aurais pas besoin d'interagir avec eux.
Histoire, de ne pas trop décevoir ma mère, Kayla continue cette comédie à deux balles. Faudrait que je vérifie si durant son cursus universitaire, elle n'a pas pris une option en comédie dramatique, car pour arriver à ce niveau-là de jeux de scène, ça ne peut être que ça.
— Maman, j'essaye de faire comme si ça n'était pas arrivé, dit-elle avec une mine triste, à la limite de pleurer. Donc si tu pouvais éviter de me le rappeler tout le temps ça serait sympa.
Je ne sais pas où elle va chercher tout ça, mais elle est vraiment très forte. Et le pire dans tout ça, je vous le demande, c'est que ma mère va rentrer dans son jeu.
— Oui, bien sûr, ma chérie. Excuse-moi, je n'ai pas réfléchi.
Qu'est-ce que je disais ? Franchement, si je n'étais pas entourée de toute ma famille, je me taperais bien le front avec ma main en signe d'abattement. Ça fait des années qu'elle mène ma mère par le bout du nez, ça devient lassant à la longue.
Mais si j'interviens, je sais qu'elles me tomberont toutes les deux dessus. Je ne veux pas me disputer avec elles a seulement quelques heures de Noël. Je n'ai qu'à prendre sur moi, et pour cela, je fais la même chose qu'à chaque fois que j'assiste à ce type de scène, je me plonge dans la tâche que je suis en train de réaliser sans faire attention à elles. Mais avant de reprendre une nouvelle patate, je vois bien le petit coup d'œil et le sourire en coin d'Ann dans ma direction, qui me confirme qu'elle pense comme moi.
Kayla salue toutes les personnes présentes dans la pièce. Ma mère, les mains pleines de farce de viande dont elle remplit la dinde. Ann qui tient la dinde. Tante Madison, toujours assise sur son tabouret, qui a rerempli son verre. Et moi qui pèle les pommes de terre. Puis elle s'enfuit de la cuisine sans demander son reste, et encore moins si elle peut aider.
— Je vais poser mes affaires en haut, dit-elle en prenant ses jambes à son cou.
— Quand tout le monde sera là, on fera le sapin, dit ma mère dans une tentative désespérée pour la retenir avec nous.
Grave erreur, ma sœur n'en fait qu'à sa tête et ce depuis... Bah toujours. Faudrait peut-être se poser des questions sur la manière dont mes parents lui ont passé tous ses caprices depuis sa petite enfance.
Il fait nuit noire dehors, on ne voit même plus la neige tomber. La dinde cuit tranquillement dans le four. La purée attend d'être mixée. Toutes les personnes présentes dans la maison patientent sagement que les derniers convives se joignent enfin à eux.
Mes petits cousins piétinent d'impatience au tour du sapin, car bien évidemment ma mère nous interdit de le décorer tant que tout le monde n'est pas arrivé.
Ma sœur et mon oncle Wyatt sont sur leurs smartphones, vu que le téléphone de mon oncle émet des bips caractéristiques de réception de message. Il discute avec une personne. Et ma sœur est sur les réseaux sociaux. Je l'ai surprise en train de photographier le feu dans la cheminée avant de la poster. La légende sera sûrement « Noël en famille ».
Ma mère et Ann papotent joyeusement ensemble. Et Madison boit, un nouveau verre, en jetant un regard à son époux à chaque fois que son téléphone bipe. Sa soirée risque d'être longue et la nôtre aussi.
Pour ma part, j'ai tendance à fulminer de l'intérieur, je dirais même que je bouillonne. Je n'en peux plus d'attendre les deux dernières personnes, surtout qu'il ne s'agit pas de personnes que je préfère. Je dirais même que c'est tout l'inverse actuellement. Et le fait de les attendre ne les aide pas à les faire grimper dans mon estime.
Puis la clarté des phares venue de l'extérieur s'infiltre dans l'intérieur du salon. Ce qui signifie qu'une voiture arrive, ça ne peut être que les dernières personnes manquantes, vu que la maison se trouve dans un cul de sac.
— Enfin, ce n'est pas trop tôt.
Au vu du regard noir que me jette ma mère, je n'ai pas fait que penser la dernière phrase. Je soulève les épaules en guise d'excuse. Je sais très bien que je n'ai fait que verbaliser ce que tout le monde pense.
— Amen ! répond Wyatt à ma déclaration sans quitter du regard son portable.
J'ai au moins la confirmation que je ne suis pas la seule à le penser. Si ma mère n'était pas ma mère, je me permettrais de soulever un sourcil, mais vu que j'ai trop peur des répercussions que pourrait avoir mon geste, je m'en abstiens.
Ma mère est immédiatement sur le pied de guerre, prête à les recevoir comme il se doit. Ce qui n'est pas le cas des autres membres de ma famille.
Pour fêter ça, Madison termine son verre, cul sec. Mon oncle n'a toujours pas levé un œil de son téléphone, tout comme ma sœur. Il n'y a qu'Ann qui a suivi ma mère jusqu'à l'entrée, ou alors elle est allée vérifier où en était la cuisson du volatile.
Mes petits cousins ont cru que le départ de ma mère ou l'arrivée des absents était l'équivalent du feu vert pour commencer à décorer le sapin. Ils commencent à ouvrir les boîtes sans que leurs parents protestent. Je me permets d'intervenir avant que ma mère constate les dégâts. Et ces deux-là sont capables du pire.
— Ce n'est pas parce qu'ils se sont garés qu'on peut entamer la décoration du sapin. Vous attendez que Joyce vous donne le droit avant de commencer !
Ainsi contrariés, ils ne se gênent pas pour me jetter le pire regard haineux qu'ils aient à leur disposition. Ils ont de la chance de ne pas être mes enfants car ça se serait terminé avec une bonne fessée. Mais leurs parents ne font et ne disent rien, c'est ça qui est triste. Ne pouvant plus faire le sapin et laissant tout en plan, ils partent rejoindre ma mère et les nouveaux venus.
La bienséance voudrait que j'en fasse autant, mais le calme qui règne dans la pièce après le départ des enfants, me fait rester et en profiter un peu. Il n'y a que le bruit du bois dans la cheminée qui vient briser la quiétude de l'instant.
— Bonsoir tout le monde !
Et la voix nasillarde de ma tante Meryl remplit la maison du lac. Ma réaction est immédiate et épidermique. Les petits poils de mon cou se hérissent, mon corps se tend et une folle envie de fuir me submerge. Mais au lieu de suivre mon instinct, je fais tout l'inverse, ce que ma mère et la convenance veulent.
Je me lève pour aller saluer les nouveaux arrivants. Au passage, je me permets de donner un petit coup sur la jambe de ma sœur pour lui signifier de faire comme moi.
— Oui, c'est bon ! J'arrive, rouspète ma sœur en comprenant parfaitement mon message.
Ayant fait mon devoir de grande sœur, je rejoins l'entrée de la maison, ce qui était avant que mes parents le transforme l'accueil de l'auberge.
La première chose que je vois, c'est les vêtements et le chapeau haut en couleur de ma tante. Elle ne s'habille qu'avec des couleurs, mais de toutes les couleurs. Ça pique les yeux tellement, il y en a. Je me demande même comment elle fait pour les trouver, ça ne doit pas être simple. Si c'est sa méthode pour essayer d'attirer le regard des hommes, ce n'est pas très concluant, vu qu'elle est toujours célibataire.
Ma mère et Ann l'aident à rentrer ses affaires. Comme chaque année on a l'impression qu'elle va rester un mois tellement elle apporte de sacs. Elle a dû remplir la voiture de notre squatteur. Il a dû s'affoler en voyant tout ça. J'ai limite pitié de lui. J'ai dit limite, il ne faut pas trop m'en demander non plus. Mais vu qu'il vient s'incruster chez nous, c'est bien fait pour lui. Il avait qu'à dire non.
Je m'empresse de pousser les bagages qu'elles déposent en plein milieu, avant que quelqu'un ne se casse la figure.
J'en suis à débarrasser le cinquième, quand ma mère interroge l'homme qui va séjourner avec nous en se rapprochant de la porte d'entrée.
— Vous avez besoin d'aide, lui demande-t-elle toujours aussi prévenante.
— Non, c'est bon je n'ai qu'un sac, lui répond cette personne depuis l'extérieur.
Cette voix grave n'a pas du tout le même effet sur moi que celle de Meryl, je dirais même que c'est tout l'inverse. Un frisson me parcourt l'échine et recouvre ma peau de chair de poule. Et ce n'est pas dû au froid qui rentre par la porte d'entrée grande ouverte.
Étant dos à celle-ci, je peux me permettre de me ressaisir durant quelques secondes, pour me préparer à la confrontation.
— Rentrez au chaud, l'invite ma mère.
Ce n'est que lorsque j'entends la porte se refermer et le froid cesser de rentrer dans la maison, que je me tourne pour rencontrer notre squatteur.
La première chose que je vois, c'est son manteau long marron de bonne qualité.
— Merci encore de m'accueillir parmi vous, dit-il à l'assistance.
Au moins, on lui a inculqué les bonnes manières. Il parle en tournant sur lui-même pour s'adresser à toutes les personnes présentes dans la pièce.
J'ai l'impression de vivre cette scène en ralenti, comme si mon cerveau peinait à comprendre ce qui est en train de se dérouler devant lui.
Les quelques secondes que j'ai prises pour me permettre d'afficher une certaine assurance sur mon visage n'ont servi à rien. Faut dire que rien n'aurait pu me préparer à ce qui se trouve en face de moi. Même dans mes rêves les plus fous, je n'aurais jamais songé ou imaginé ce scénario.
— Brian ?
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