Chapitre 2
Comme chaque année, depuis que je suis enfant, quelques jours avant Noël, nous réalisons des sablés aux épices pour toute la famille. Cette année ne déroge pas à la règle.
Je me rends chez ma mère, dans son appartement au nord de Minneapolis pour les faire. Ma sœur doit nous rejoindre pour ce moment convivial en famille. Enfin, ça c'est si ma sœur met du siens aussi, car franchement elle peut être horrible quand elle s'y met.
Attention ne vous m'éprenez pas, je l'aime, c'est ma petite sœur, je ferai tout pour elle. Mais il y a des moments, j'ai juste envie de lui foutre une grande claque dans sa gueule tellement elle peut être ... je ne trouve pas de mot plus adéquat que « casse-couilles ». Désolée pour mon vocabulaire, mais c'est derniers temps, je trouve qu'elle est de plus en plus.
Ma mère a emménagé dans un appartement à Minneapolis suite au décès de mon père. Elle n'arrivait plus à vivre dans la maison qu'elle avait partagé avec son époux, trop de souvenirs. Et cela, lui a permis de se rapprocher de ma sœur et moi.
Je grimpe les trois étages à pied jusqu'à son logement. Cela me fait faire un peu d'exercice avant d'attaquer les repas gras des fêtes. Même si on a déjà commencé avec celui de mon travail la semaine dernière. Toute forme de sport est bonne à prendre.
Dès que je pénètre chez maman, je suis assaillie par les effluves d'épices, d'orange et de sapin. Toute les odeurs que l'on ne sent qu'à cette période de l'année, et que j'adore.
— C'est moi, maman !
Même si la porte est toujours ouverte pour moi, je préfère m'annoncer pour ne pas lui faire peur. Je ne voudrais pas qu'il lui arrive quelque chose parce qu'elle ne s'attendait pas à me voir.
— Je suis dans la cuisine, ma chérie.
Information superflue, entre l'odeur et les bruits qu'il y a dans l'appartement, elle ne pouvait pas être ailleurs.
Je la soupçonne même d'avoir fait une fournée ou deux de pain d'épices avant mon arrivée, incapable d'attendre de l'aide.
Après avoir abandonné ma veste et mon sac à main sur le canapé du salon, je m'empresse de retrouver ma mère.
Ce n'est qu'après un gros câlin, que je constate l'étendue des dégâts. Ma mère a ravagé sa cuisine, ce qui n'est pas inhabituel en cette période de l'année. Ce qui l'est plus, c'est qu'elle ne cherche même pas à dissimuler les preuves.
Il y a de la farine partout, même sur le sol. Des bouteilles vides de lait perdues sur le plan de travail et le carrelage. Et le pire étant les coquilles d'œufs qui jonchent le parterre. Ça va être un enfer à tout nettoyer.
— Mais qu'est ce qui t'a pris, maman ? Y en a partout.
Je ne sais même pas où poser les pieds de peur de marcher sur quelques choses qu'il ne faudrait pas. Ni où regarder tellement il y en a partout.
— J'ai pris un peu d'avance. Vu qu'on aura un peu moins de main d'œuvre, je ne veux pas te retarder plus.
Enfin de là, à transformer sa cuisine en champs de bataille... Mais c'est autre chose qui accapare mon attention, qui me fait stopper net ce que je suis en train de ramasser pour le mettre à la poubelle.
— Attend, qu'est-ce-que tu veux dire par moins de mains d'œuvre ?
Avant même qu'elle ne me donne sa réponse, je sens que celle-ci ne va pas me plaire, mais alors pas du tout.
— Ta sœur ne viendra pas. Du coup avec tout ce qu'on à faire...
Voilà, c'est typiquement l'un de ces moments où je lui foutrais bien une claque ou un coup de pied au cul, au choix, pour lui remettre les idées en place une bonne fois pour toutes.
— Et en quel honneur ?
Pour Noël, on doit tous y mettre du sien, faire un petit quelque chose. Il est hors de question qu'elle y échappe sous prétexte que c'est le bébé de la famille. Si on ne fait rien pour changer cela, elle le restera toute sa vie.
— Elle s'est fait larguer par son copain. Elle était au fond du gouffre quand elle m'a appelé. A ce qu'elle m'a dit, elle lui aurait proposé de fêter Noël avec nous et cette proposition se serait terminée par une dispute et une rupture.
Ce qui est bien quand ma mère raconte une histoire, c'est que l'on a tous les détails, un peu trop peut-être.
Une fois de plus, plusieurs choses m'interpellent. Parce que Kayla avait un copain ? Première nouvelle. Ça devait être tout récent car je n'ai rien vu passer sur les réseaux sociaux. Pourtant elle est du genre à poster ce qu'elle a mangé le midi, et celà même si c'est loin de sortir de l'ordinaire. Pour dire. Du coup, un nouveau mec, ça ne serait pas passé à la trappe. Elle se serait empressée d'afficher son nouveau bonheur partout, à grand renfort de selfies avec lui.
Après faut se mettre à la place de ce pauvre type, s'il vient de rencontrer ma sœur et qu'elle lui propose déjà de fêter Noël en famille, normal qu'il prenne peur. Et qu'il s'en aille en courant.
— Justement, je rajoute, venir faire des gâteaux avec nous lui aurait changé les idées.
Je sais ce qu'elle veut, ma sœur, arriver demain et mettre les pieds sous la table, que tout soit fait par les autres sans qu'elle est besoin de lever le petit doigt. C'est une grande spécialiste : moins j'en fais mieux je me porte.
Sauf que trop, c'est trop, elle n'a plus 5 ans, il est grand temps qu'elle participe à des activités comme celle-ci.
— Oui, je sais. Mais quand elle m'a appelé elle n'était vraiment pas bien. Je l'ai senti à sa voix. J'étais à deux doigts de la rejoindre pour m'occuper d'elle.
Super, et qui c'est qui se serait tapé tous les sablés de la famille à faire ? Hein ? Ba c'est bibi !
Une vraie mère poule quand elle s'y met ma mère, toujours présente pour la materner.
— ... Mais elle m'a convaincu du contraire, qu'elle était adulte et qu'elle se devait d'affronter cette épreuve seule, sans l'aide de sa maman.
Et l'Oscar de la meilleure actrice revient à ? Kayla ! Félicitations !
Franchement je ne sais pas où elle va chercher tout ça. Et ma mère qui ne marche pas dans ses bobards, elle court. Pathétique.
Je préfère laisser tomber, de toute manière c'est une guerre perdue d'avance. Autant garder mes efforts pour de vrais batailles, celles qui en vallent vraiment la peine.
— D'accord. Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider maman ?
Au passage, j'en profite pour ramasser les bouteilles en plastique qui jonchent le sol, pour les mettre dans la poubelle.
— Tu pourrais me faire les sablés ?
— Oui, elle est où la recette ?
— Tu l'as dans le tiroir là-bas, dit-elle en m'indiquant un tiroir sous le four.
Après une longue recherche, je mets la main dessus. Faut dire que ma mère est une grande collectionneuse de recettes de magazines, qu'elle jette dans ce tiroir en se promettant de les faire sans jamais y parvenir.
Je m'attelle à ma tâche après avoir préparé mon matériel et mes ingrédients. Je fais cette recette depuis que je suis toute petite, je connais la marche à suivre sur le bout des doigts. J'ai juste besoin de la recette pour la quantité des ingrédients, car j'ai souvent un doute sur l'un d'eux.
En même temps que nous nous affairons sur notre préparation chacune de notre côté, nous discutons joyeusement. On prend des nouvelles des personnes qu'on n'a pas vu depuis longtemps, de la famille qui vit loin, des amis qu'on a un peu perdu de vue. Et surtout des cancans du quartier, qui couche avec qui ? Qui trompe qui ? Bref tout ce que les femmes aiment bien savoir. Et j'en apprends des belles grâce à eux.
Car ma mère a un truc, je ne serai dire ce que c'est. Mais au final, tout le monde vient se confier à elle sans qu'elle ait à demander quoi que ce soit. Et moi, personnellement j'adore ça. Savoir que la greluche, avec les seins siliconés du rez-de-chaussée, qui ne se prend pas pour de la merde et parle à tout le monde de haut, est cocue. Ça n'a pas de prix.
Ou encore que le petit commerçant aigri du bas de la rue, celui qui est incapable de faire un geste commercial aux personnes âgées qui viennent régulièrement dans sa boutique, a été braqué et qu'on lui a volé la recette de sa meilleure journée. Je me dis que finalement, il y a une certaine justice sur terre, que parfois le karma peut être redoutable.
Mais tout ce babillage sympathique prend fin lorsque maman dit:
— Tata Meryl vient avec quelqu'un à Noël.
Dans un premier temps, je crois à une chose impensable, comme une utopie. Quelque chose que même dans mes rêves les plus fous, je n'aurai pu imaginer. Et qui en même temps remet en question le cadeau de Noël que je lui ai fait. Qu'enfin il s'est passé une chose exceptionnelle dans sa vie. J'en stoppe même ma fabrication de petits gâteaux.
— Elle a rencontré quelqu'un ? je m'extasie devant la nouvelle en me tournant vers ma mère.
J'ai même le plus grand mal à y croire après avoir prononcé ces quelques mots. Un mec est assez fou pour vouloir d'elle, la vieille fille endurcie qu'elle est.
Soyons clairs, depuis que je suis née, je n'ai jamais vu ou entendu qu'elle est vécu une relation avec un homme, une femme ou même un animal. Rien. Niet. Nada. D'où ma surprise ! Car pour le coup, c'en est une grosse de surprise.
Je ne l'ai pas vu venir et je n'étais pas préparée psychologiquement. Pour moi j'enterrais ma tante en vieille femme aigrie avec plein de chats chez elle, dont on aurait dû se partager la garde.
— Kelly, arrête d'être comme ça avec ta tante.
Pour ma défense, elle ne m'aime pas beaucoup, non plus. Mais elle, comparée à moi, ne se gêne pas pour le faire savoir à tout le monde. Moi au moins, je ne le fais que dans ma tête et un peu avec ma famille proche, très proche. A savoir ma mère et ma sœur, dont cette dernière n'en pense pas moins. Mais qui, une fois encore, joue mieux la comédie que moi.
— Ça va, je m'insurge, elle ne se gêne pas pour me critiquer chaque année et devant toute la famille.
— Oui, c'est vrai, me confirme ma mère. Et non, il ne s'agit pas d'un petit ami qu'elle voudrait nous présenter.
Petit ami, dit comme ça, on dirait que ma tante a une vingtaine d'années et non presque le triple. J'adore quand ma mère essaye d'utiliser des expressions de jeunes pour se rajeunir un peu. A chaque fois, elle est à côté de la plaque.
Avec son explication, elle fait s'envoler mes maigres espoirs de voir ma tante amoureuse, un jour. Ça pourrait être drôle.
— Même s'il s'agit d'un homme. Ce n'est que son nouveau voisin qui vient de s'installer en ville. Elle a eu pitié de lui, car il était seul pour Noël.
Deux grosses informations dans cette phrase. La première, plutôt positive, ma tante peut avoir un cœur, ce qui est une bonne chose car bien souvent je me demande si elle en a un. Tellement elle peut se montrer cruelle envers les autres et envers moi en particulier.
La seconde, celle qui me fait le plus tiquer, c'est qu'elle invite des gens chez nous, enfin chez mes parents comme ça, sans nous demander notre avis. Où est-ce qu'elle se croit ?
On est déjà bien sympas de l'accueillir, elle, chez nous. Elle n'est pas obligée de rameuter toutes ses connaissances.
— Elle est chiée, quand même. Ce n'est pas une auberge de jeunesse la maison du lac.
Toute cette histoire commence à bien m'énerver. Ce type, on ne le connait pas et on va l'accueillir chez nous à bras ouverts. S'il faut il s'agit d'un tueur en cavale, qui essaye d'échapper à la police. Et nous on va l'aider, sans en être conscients. Ce monsieur, pour nous remercier de notre généreuse hospitalité, va tous nous trucider durant la nuit du 24 au 25 décembre. Super comme cadeau de Noël, merci tata !
— Si, c'est une auberge, ma chérie.
Oui, techniquement c'est une auberge. Mes parents ont acquis pour une bouché de pain, un petit hôtel qui partait en ruine. Ils l'ont restauré petit à petit, chambre par chambre, il y en a dix en tout. Ce qui permet maintenant de passer des moments en famille, comme pour Noël et les vacances d'été. En plus, il se trouve au bord du lac de la commune de Vineland à deux heures de route de Minneapolis, ce qui me permet d'y aller dès que l'envie de calme me prends.
— Certes, mais ce n'est pas une raison pour y laisser rentrer n'importe qui. On ne connait rien de cette personne.
Je commence à être passablement énervée. Ne souhaitant pas passer mes nerfs sur ma mère, je m'en prends à ma pâte à sablés. Et elle en prend pour son grade, je peux vous le dire.
— Ce n'est pas comme si on manquait de place.
Et voilà, super maman est de retour, celle qui aide la veuve et l'orphelin, qui veut porter secours à tous les animaux. Tout le monde connaît ce trait de caractère chez ma mère, ma tante n'aillant aucun scrupule, a dû en jouer pour obtenir ce qu'elle souhaitait.
Je ne peux plus rien faire, à part la braquer, je n'obtiendrai jamais le résultat escompté. Résignée, je déclare forfait. Mais il est hors de question que je l'accueille à bras ouverts, comme un vieil ami que j'aurai perdu de vue depuis des années. Il a peut-être réussi à se mettre tout le monde dans la poche, mais pas moi. Et en bonne têtue que je suis ce n'est pas gagné pour lui.
C'est dans un certain silence que nous poursuivons notre tâche. J'en ai besoin pour retrouver mon calme et digérer cette nouvelle. Et voilà, même quand elle n'est pas là, ma tante réussit à semer la zizanie entre nous. Elle est trop forte, ça doit être son super pouvoir.
Surtout qu'après ce que j'ai vécu hier avec le jeune homme qui m'a percuté, je parle du baiser, j'étais particulièrement de bonne humeur. Plus que ravie d'avoir vécu ce moment, même si son départ sans avoir une chance de le revoir, m'a un peu déçu, j'en garde un bon souvenir.
Et là, tout cette joie que je ressentais a volé en éclats. Elle est remplacée par un fort ressentiment contre ma chère tante, qui a encore prit ma mère et ma famille pour des cons. Je vous promets, cette année, je ne vais pas la louper. Y en a plus que marre de toutes ses conneries.
Mon humeur se déride quelque peu une fois que je me suis fait cette promesse. Car après tout ma mère n'y est pour rien, ça ne sert à rien que je m'en prenne à elle.
Je ne reprends la parole qu'après avoir enfourné la troisième plaque de sablés.
— Mais, il va falloir lui trouver un cadeau à lui glisser sous le sapin.
Ce constat a le don de refaire grandir mon animosité contre ma tante et cet individu qui n'a pas honte de s'incruster chez les gens pour Noël. Franchement, qui peut accepter de passer Noël chez des personnes qu'il ne connaît pas, un détraqué.
Personnellement, je préfèrerais le passer seule qu'avec des individus que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam.
— Ah, oui. Tu as raison faudrait qu'on trouve un petit quelque chose.
Elle me jette son regard implorant. Celui qui me demande de faire ce que je ne veux pas faire, mais vu qu'une fois de plus j'ai parlé trop vite sans réfléchir, je vais devoir me le coltiner.
— Non, non. Tu as qu'à appeler Meryl et lui dire de se débrouiller avec son invité de dernière minute.
— Elle va sûrement le prévoir.
Laissez-moi en douter, vu qu'elle est fichue d'oublier de prendre les cadeaux de ma sœur et de moi-même. Mais je garde cette réflexion pour moi, je ne veux pas rajouter des tensions supplémentaires entre ma mère et moi.
— Et puis, ma mère poursuit son argumentaire, ça ne nous dispense pas de lui mettre un petit quelque chose, nous aussi.
— Mais on ne le connaît pas, je m'énerve pour de bon maintenant.
Tout mon bon sens a disparu.
— Ma fille, je pense t'avoir un peu mieux élevée que ça. Nous nous devons de bien recevoir cette personne. Tu ne sais pas pourquoi elle est seule pour les fêtes de Noël. Il y a peut-être une histoire triste derrière tout ça. J'aimerais que tu y penses quand tu l'accueilleras demain à la maison du lac. En attendant, j'aimerais que tu lui trouves un petit truc à ouvrir. Ce n'est pas trop te demander, non ?
Peu importe notre âge, se faire remonter les bretelles par ses parents, ce n'est pas quelque chose que l'on apprécie. Je crois même que c'est pire quand nous sommes adultes.
— Oui, Maman.
Je ne vois rien d'autre à répondre. Elle m'a cloué le bec. Je n'ai plus qu'à aller faire les boutiques en sortant d'ici. Mais je promets qu'il ne va pas être déçu de son cadeau, car je suis sûre que je vais pouvoir trouver un truc bien, corsé, dont il comprendra le message sous-jacent.
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