Maître ?
Les volets étaient fermés, mais les fenêtres ouvertes laissaient entrer le froid. Je songeai à sortir de ma chambre, quand soudain, un vent arrivé de nulle part se subdivisa en milliers de petits souffles frais et sournois, afin d'entrer par les minuscules trous qui composaient mes volets. Il se fraya un passage parmi l'inconsidérable bordel que constituait la pièce et ferma brusquement la porte.
"Quelle autorité !", pensai-je en frissonnant, ne remarquant l'aspect étrange ni de cette situation ni de mes pensées. Alors, il s'approcha de moi et mes poils se dressèrent. Je pensai que ce n'était pas la première fois que je sentais cela, que je ressentais... cela. Et pourtant, rien dans mes souvenirs ne s'en approchait. Ma mémoire refusait de s'ouvrir à moi. Il effleura ma peau avec délicatesse, d'abord, il souffla sur chaque centimètre carré de mon corps nu et je restai figée -comme emprisonnée, attachée. L'air froid qui agressait ma peau devint brûlant et je ne bougeais toujours pas. Rien ne me retenait sur ce lit, rien de physique, du moins. Rien de matériel, plutôt, parce que physique, ça l'était... Confiant de mon immobilité, de ma docilité, il se mit à me gifler, me griffer, me mordre avec envie.
"Comme si le vent pouvait avoir envie.", me dis-je, me moquant de moi-même. "Comme si le vent était capable d'une telle chose. Capable de m'exciter autant. Comme si le vent était...". Je fronçai les sourcils, je me souvenais de quelque chose... Tout était flou, dans ma tête, et j'eus mal, soudain. Alors je me rendis compte qu'il n'y avait plus de vent. D'ailleurs, la fenêtre était fermée. Il n'y avait jamais eu de vent. Je me sentais un peu conne : mes seins pointant, regardant le ciel avec désespoir, cherchant peut-être quelque secours, probablement quelqu'amour, sûrement quelque... Je l'avais sur le bout de la langue... De la sueur perlait entre mes seins et une goutte descendait le long de mon ventre, très doucement. Ma respiration haletante résonnait dans cette chambre aussi encombrée qu'elle était vide.
Il n'y avait jamais eu de vent ? Non... C'était impossible... Qu'était-ce, alors ? Je cherchais dans mes souvenirs une explication à tout cela, et la douleur s'intensifia. Je me mis à gémir, recroquevillée, dans mon lit. "Je DOIS me souvenir", criai-je à moi-même, à celle qui ne voulait pas. Pourquoi le voulais-je ? Pourquoi ne le voulait-elle pas ? Je n'en savais rien. Ce que je savais et dont j'étais persuadée, c'est que je devais me souvenir de quelque chose. Alors, je songeai a chaque détail de ce qui venait de se passer et me les remémorai l'un après l'autre, me concentrant à chercher la source. Malgré la douleur quasiment insoutenable, j'approchais du but : il y avait, dans mes souvenirs, un visage flou, une voix incertaine et une odeur. Une odeur douce et chaude, oui brûlante, mais fraiche, pleine de toute l'assurance que son détenteur semblait posséder. Je mis le doigt sur un nom. Non, un titre. "Maître" ?
Tout cela semblait inconçevable, mais je continuai mes recherches et finis par tout me rappeler : la maison abandonnée, le lit qui grinçait, la ceinture, mais aussi les menottes, les fouets, tous différents, qui avaient chacun leur importance, tous ces petits accessoires avec lesquels nous jouions. Comment avais-je pu oublier ? Je me rappelai son visage, très distinctement, son beau visage, à la fois tendre et dur, triste, parfois, souvent peint d'une joie malsaine, d'un désir non dissimulé de me briser. Et j'adorais ça, qu'il me brise. Je me rappelai sa voix douce quand on faisait l'amour et rauque quand on baisait. Sa voix qui, selon son envie, pouvait me transporter en de tendres rêves, dès lors qu'il me chuchotait amoureusement à l'oreille, ou m'exciter a tel point que j'en mouillais la nuit, en y repensant, en rêvant de lui.
"Comment ai-je pu l'oublier ?" Cette interrogation planait autour de mes souvenirs et commençait à me déranger. À m'énerver, même. Je ne comprenais pas, il avait simplement disparu de ma mémoire. Je ne savais pas depuis combien de temps je ne l'avais vu, je ne connaissais ni son prénom, ni son adresse, ni... rien qui puisse m'aider à le trouver. Ma colère s'évapora et un vent de mélancolie s'abattit sur moi. Une larme coula, une lèvre fut mordue, une tête frappa l'oreiller, se releva, frappa le mur. Encore, et encore. La douleur remplaçait la douleur. Après un temps, l'arrière de mon crâne était anesthésié et je ne sentais plus rien. Ma tête tournait, la pièce tournait, le monde tournait... MON monde tournait sans lui... Malgré tout, j'étais apaisée et, tout en ayant légèrement envie de vomir, je m'effondrai sur le lit. "Maître..." Ce fut ma dernière pensée avant de sombrer.
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