(Dés)abusée

J'avais bu, j'étais seule et mes yeux, aveugles messagers de mon cœur, ne voyaient que lui. Son sourire, nos débuts, mon rire et nos ébats résonnaient, virevoltant, dans ma tête. J'avais mal, d'ailleurs, j'avais une horrible migraine. J'avais trop bu. Je décidai alors de faire la chose la plus raisonnée qui était en mon pouvoir à cet instant : j'allai le voir. Peut-être soignerait-il mes maux, me disais-je, trottinant jusqu'à son appartement. Arrivée devant l'immeuble, je me mis à hésiter, à attendre. Attendre quoi ? Que la voix dans ma tête -celle qui me répétait inlassablement que c'était une mauvaise idée-, que cette voix se taise. Enfin, elle se dissipa. Je sonnai et m'annonçai, le cœur battant à tout rompre. Quelques instants plus tard, j'étais chez lui et il me jaugeait. Oui, j'étais encore saoule, oui, oui, et alors ? Il commençait à me courrir sur le haricot avec son petit air suffisant. Oui, je la vis plus mal que toi, cette rupture, on a bien compris ! Pas besoin de le rabâcher ! Tout occupée avec mon orgueil, je n'avais pas remarqué que le regard qu'il posait sur moi n'était en rien méprisant. J'avais dû venir au mauvais moment. On devait l'avoir repoussé plusieurs fois, il devait être agacé, frustré, énervé. Il devait même avoir un peu abusé de la boisson. Quand il me prit le bras et me chuchota, le souffle court, qu'il avait envie de moi, ce fut la goutte d'eau. Je me mis dans une colère noire, et après l'avoir affublé de tous les noms d'oiseaux que je connaissais tout en l'assaillant de reproches, je voulus partir. Pourquoi rester, quand tout ce qu'il voulait de moi était mon cul ? Pourquoi rester, quand tout ce que je ressentais pour lui ne résonnait pas dans son cœur ? Pourquoi rester, quand, finalement, je n'étais pas attendue pour ce que je valais ? Je n'étais pas attendue, d'ailleurs... J'arrivais au mauvais moment, simplement. Au bon, pour lui. À quoi bon rester, dans ces conditions ? J'essayai donc d'ouvrir la porte, en vain. Le connard... Il avait fermé la porte et retiré la clé ! J'étais coincée ! J'eus à peine le temps de me retourner, qu'il me faisait face. Son visage à quelques centimètres du mien, plus haut, son regard mauvais, pervers, posé sur moi et son odeur... C'était un mélange de sueur, de vin et de déodorant pour homme. Cette odeur insupportablement enivrante... Tout ça me réduisit au silence, m'immobilisa, me fit monter les larmes aux yeux. J'étais coincée et je le savais. Coincée avec l'homme de ma vie. Celui qui me l'avait rendue impossible. Celui qui ne m'aimait pas et me le montrait bien. Celui qui, de tous ceux que j'avais connus, me faisait le plus peur. Il m'attrapa par le bras et se dirigea vers sa chambre. Sa poigne était forte et j'avais mal, alors je me débattis en criant qu'il me lâche. Il m'asséna une gifle et se résolut à me lâcher. Je fus un instant soulagée, avant de voir le sourire qui s'était dessiné sur son visage. Il était prêt à me baiser ici et maintenant. Puisque la chambre ne semblait pas à mon goût, le sol le serait. Dans son regard, une rage étincelait, si effrayante que je me mis à trembler. Il m'attrapa par le cou et se mit à serrer fort. Je m'essoufflai rapidement en essayant de me dégager, et bientôt, je vis trouble. Il déserra son étreinte mortelle, et se mit à me rouer de coup. Moi qui étais à terre, qui gisais, l'œil vitreux, à ses pieds, sans trop m'apercevoir de ce qui se passait, il me battait sans scrupules. Après quelques secondes, il sembla satisfait de la condition dans laquelle il m'avait mise. Entre deux mondes, je me rendis compte que ses yeux puaient l'alcool, qu'il semblait s'être renversé la bouteille de déo sur le torse et qu'il avait dû faire un marathon pour avoir une odeur corporelle aussi nauséabonde. Je compris qu'il était laid, d'une laideur infâme. Ses doigts qui parcouraient mon corps comme ils l'avaient souvent fait m'écœuraient. Et son odeur, son odeur... Je ne voulais plus, je ne voulais pas. Je n'avais jamais voulu, de toute façon ! Moi, je voulais juste parler... Je voulais juste lui dire ce que je ressentais. Je voulais juste qu'il m'aime. Je fermai les yeux et ne pensai plus à rien. Rien. Le ciel était noir et je dormais, tout allait bien. J'étais seule et je dormais, tout allait très bien. Les choses ne pouvaient aller mieux. Quand j'ouvris les yeux, je me levai mécaniquement, ignorant la petite flaque sur le sol, et partis. Il referma la porte et le bruit de la clé dans la serrure fut mon signal. J'éclatai en sanglots muets. Je venais de me faire violer par l'homme que j'aimais.

#Sa

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