"Prête à mourir pour vivre libre"

Texte pour un concours (concours 2019 Janvier)

                 Elle avait tellement rêvé de cet instant. Ses cheveux châtains aux reflets dorés restaient collés à son visage. La pluie l'entourait dans sa dernière danse. Elle souriait et tournait sur elle-même en sentant les gouttes l'apaiser peu à peu. C'était un signe de sa part, une preuve de l'amour qu'ils avaient partagé, un souffle de douceur et d'espoir. Elle se rappellerait toujours ce qu'il lui avait dit, avant d'expirer son dernier souffle : « sois heureuse... Promets-le moi ». Elle n'avait pas eu l'occasion de lui répondre, ses yeux s'étaient éteints, le son strident du moniteur cardiaque s'était emballé. On l'avait repoussée loin de lui, de ce corps qu'elle aimait tant chérir, de ses mains qu'elle adorait serrer dans les siennes quand ils se promenaient. Elle avait hurlé, pleuré, frappé puis s'était effondrer sur le sol aseptisé de l'hôpital. La solitude l'avait déjà happée et plus rien ne l'atteignait. Son cœur s'était éteint en même temps que les machines qui reliaient son unique amour à la vie.

« La liberté », voilà comment elle aurait qualifié leur union. Rien ne les arrêtait. Leur quête de l'inconnu et de l'extraordinaire n'était jamais assouvie. « Respirer » : le mot essentiel pour vivre et appréhender le monde. Elle savait qu'il avait un cancer et que plus aucun traitement ne pourrait le sauver. Son corps, de plus en plus faible, avait du mal à monter les marches d'un escalier, les balades sur la plage se faisaient de plus en plus rares et il préférait la regarder danser plutôt que la serrer dans ses bras, afin d'accompagner ses pas.

« Lucy et Lucas », ces deux prénoms inséparables, même lorsque le pasteur les avait prononcés à leur mariage, c'était comme si une mélodie sortait de ses lèvres. Il ne pouvait en être autrement. Le « L » de « Liberté », le L de « Lumière », le L de « lien », et il avait été aussi le « L » de « lutte ». Ensembles ils étaient libres, lumineux, liés et ils allaient lutter ensemble, pour le meilleur et pour le pire.

La première année avait été la plus belle. Deux amants qui s'étaient découverts un point commun dans la danse. Ils étaient gérants d'un petit club qui accueillaient tous ceux qui désiraient s'exprimer à travers la musique. L'un de leur moment préféré était la fermeture. Tout le monde était parti et il ne restait qu'eux, des enceintes et un parquet en bois qui les attendaient. Une fois que les premières notes inondaient la salle, Lucy virevoltait, elle semblait voler et Lucas l'accompagnait dans chacun de ses mouvements. La lueur qui brillait dans leurs yeux auraient pu éclairer le monde entier. Leurs pas étaient fluides, doux et tendres et ils se transportaient mutuellement dans un univers parallèle. Comment expliquer cela ? Il est impossible de décrire un tel amour.

Quand elle était petite, Lucy n'avait jamais été libre de ses mouvements ni de ses choix. Elle était issue d'une riche famille aristocratique. La danse classique avait été son exutoire. Les arabesques, les pas de biche et de chat, l'échappé ou encore le saut de l'ange, la menaient dans un autre monde. Elle ne sentait que le souffle de l'air qui l'entourait, celui qu'elle fendait de ses figures, rien n'aurait pu la déconcentrer. Et Lucas était arrivé. Un quadrille de l'Opéra de Paris, un danseur à l'allure sérieuse et intimidante. Sa famille était tout le contraire de la sienne, il résidait dans un petit appartement près de Montmartre, chez sa sœur, enseignante en école primaire. Les filles du ballet étaient tombées sous son charme à la minute où il avait été désigné comme professeur de leur petite troupe. Ses yeux couleur émeraude et sa chevelure de jais donnaient à son visage un côté mystique. Même si ses sourires étaient rares, lorsque l'un d'entre eux apparaissait, il illuminait la pièce. Sa démarche sûre et appliquée ainsi que son corps musclé, le rendait inatteignable. Lucy était intimidée, et voulait que ses pas soient les plus parfaits possibles. Elle s'entraînait dur et finalement sa motivation était devenue ce beau brun ténébreux qui ne cessait de la fixer lors des entraînements. Un soir, qu'elle s'entraînait, sa demi-pointe lâcha et un morceau de bois la blessa au niveau de l'orteil. Elle avait pleuré à chaudes larmes alors qu'elle croyait être seule sur cette scène. Le spectacle était dans moins d'une semaine et une blessure de la sorte rendrait ses pas imprécis, médiocres. Elle s'en voulait. Soudain, elle l'avait vu apparaître, tel un prince sur son cheval blanc.

- Lucy, j'ai vu que tu étais tombée ? Que se passe-t-il tu t'es blessée, tu as mal ?

- Non ! Non ! Tout va bien je vous assure. Tout sera prêt pour samedi, je m'entraînait juste encore un peu. Il n'y a que le soir que je peux avoir la salle pour moi toute seule et je...

- Lucy...

- Oui ?

- Ton pied est en sang...

Lucy avait honte, elle ne pouvait pas rater ce spectacle, elle devait faire plusieurs danses solitaires. Elle ne pouvait se permettre d'échouer...

- Lève-toi.

Le ton du jeune homme était ferme mais empreint de douceur. Lucy lui prit la main et c'est alors qu'il la porta pour aller l'installer sur l'un des sièges, qui faisaient face à la scène. Il alla chercher une trousse de secours qui se trouvait dans le dépôt du théâtre, et entreprit de bander la blessure de Lucy. Ses mains chaudes étaient attentionnées et assurées. Une fois, le pansement fait, il l'invita à se relever.

- J'ai une idée Lucy mais il va falloir que tu me fasses confiance.

- Tout ce que vous voudrez.

- Je vais danser avec toi...

La jeune femme resta sans voix et regarda l'homme qui lui faisait face. Il était vrai que c'était lui le créateur de toutes les chorégraphies du spectacle, mais comment transformer une danse qui devait s'effectuer seule, en un duo ? Visiblement, il savait ce qu'il faisait puisqu'il alla au fond de la scène pour rallumer la musique.

Lorsque le magnifique ballet de Tchaïkovski se fit entendre, il la prit sans ses bras et l'amena sur la scène déserte. C'est d'un pas assuré qu'il commença à tournoyer avec elle, tout en portant le corps frêle de la jeune danseuse pour éviter qu'elle n'appuie sur sa blessure. Lucy avait l'impression qu'elle avait des ailes. Quand la musique se fit plus intense et les pas plus compliqués, elle eut de l'appréhension mais c'est avec stupéfaction qu'elle sentit Lucas l'entourer de toute sa force pour lui permettre d'effectuer ses pas favoris. Ils brillaient par leur talent et leurs mouvements s'alliaient en une magnifique harmonie. Elle se sentait vivante, libre et surtout heureuse.

C'est ce fameux soir de décembre que Lucy et Lucas unirent leurs âmes pour la vie...

Lorsque Lucas avait décidé de ne pas continuer les soins et de sentir à nouveau ses cheveux pousser, le vent lui caresser le visage et l'eau envelopper son corps, Lucy l'avait soutenue. Ils avaient fait leurs valises, s'étaient promis d'être libres pour les années qu'ils leur restaient. Ils avaient fait le tour du monde, rencontré de belles personnes, et s'étaient profondément aimés. Ce que préférait Lucas c'était la pluie. Il adorait sentir son corps caressé par les multiples gouttes d'eaux qui ruisselaient sur ses vêtements. Il disait qu'elles libéraient l'âme, nettoyaient la tristesse et le désespoir. C'est ce jour-là qu'il lui avait dit que si un jour il venait à disparaître, il voudrait qu'à chaque averse, Lucy sorte dehors. Il descendrait à ses côtés pour la toucher, l'aimer, elle sentirait sa présence dans cette nature et saurait qu'elle pourrait toujours compter sur lui.

Lucy avait cru qu'elle serait forte pour survivre. Oui... « Survivre », c'était un mot complètement différent de « Vivre ». Elle avait vécu avec Lucas, elle survivait sans lui. Les jours lui paraissaient être une éternité, elle était enchaînée à cette terre. Elle ne pouvait plus supporter d'entendre son cœur battre au fond de sa poitrine alors que, celui de l'être qu'elle avait tant aimé, ne pourrait plus jamais émettre le moindre son. Ses parents s'inquiétaient de son état léthargique. Elle ne voyait plus personne depuis la mort de son mari. Son enterrement avait été une douleur atroce. Même la plus vile des tortures ne l'aurait pas autant fait souffrir que de voir le cercueil, descendre dans un trou béant, happé par la terre et l'oubli. Elle ne dansait plus, ne mangeait pratiquement rien et sa seule occupation était de dormir. Ce n'était que dans ces rares moments qu'elle arrivait à voir son visage, à sentir sa chaleur, et à se remémorer les merveilleux moments de leur union.

Quand elle se réveillait, c'était toujours la même chose, elle se sentait à nouveau triste et seule et plus rien n'avait d'importance. Elle était enfermée dans la prison du désespoir.

Le jour de leur anniversaire de mariage, elle comprit... Si elle désirait à ce point dormir pour le retrouver, pourquoi ne pas sombrer dans le sommeil éternel ? Quel était le risque de voir à nouveau son âme devenir libre de toutes entraves. À l'instant même où elle avait eu cette pensée, il avait commencé à pleuvoir. Pour la première fois depuis la mort de Lucas, Lucy se mit à rire, un mélange de joie et de peine. Elle était encore en chemise de nuit et pourtant elle tint sa promesse. Elle prit une robe de chambre et sortit en pantoufles sous cette puissante averse. Lorsque les premières gouttes atteignirent ses joues, les vannes de sa tristesse s'ouvrirent et elle pleura toutes les larmes de son corps. Secouée de sanglots, elle se sentait pourtant à nouveau libre. Lucy voulait que tout cela dure éternellement, que jamais ne cesse ce sentiment d'exister, de respirer, de vivre. Elle dansa à nouveau, ignorant les passants qui la regardaient de manière étrange. Elle s'en fichait, Lucas était là, auprès d'elle et la serrait de ses bras mouillés. Soudain, elle courut aussi vite qu'elle le pouvait, elle riait et en même temps hurlait son désespoir. Les gens regardaient cette fille comme si elle était folle. Effectivement, Lucy était folle d'amour, quelque chose de rare, de profond, d'indéfinissable. Elle dévala les différentes rues de Paris, la pluie se faisait de plus en plus forte à mesure qu'elle s'approchait de sa destination finale.

Enfin elle vit le pont. Son destin. Ses pas ralentirent, elle était trempée jusqu'aux os mais elle ne ressentait pas le froid. Lucy avança lentement jusqu'au milieu du monument et observa la Seine en contrebas. Elle monta sur la rambarde et serra le petit flocon autour de son coup, l'ultime présent de Lucas.

Soudain, elle se rendit compte que quelqu'un l'appelait. Elle se retourna vers celui qui était affolé de la voir ainsi dans cette position.

- Non Madame ! Je vous en prie ne faite pas ça ! Je vais appeler les pompiers ne vous inquiétez pas... Vous êtes jeune ! Vous avez toute la vie devant vous.

Lucy lui sourit.

- Monsieur... êtes-vous marié ?

- Euh... oui depuis vingt ans.

- L'aimez-vous ?

- Oui.

- Je vous souhaite de vivre encore cette liberté pendant longtemps.

- Je vous remercie madame mais attendez, vous aussi vous rencontrerez le bon et vous serez heureuse.

Lucy se retourna vers la Seine, ferma les yeux et dit ces simples mots :

- Je ne veux plus être enchaînée à cette vie sans amour.

L'averse s'était transformée en un puissant orage et finalement, ce fût si simple. Comme si les bras de Lucas étaient tendus devant elle, l'accueillant d'un amour inconditionnel.

« Je veux à nouveau être libre. J'arrive Lucas, merci de m'avoir attendue... »

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