Papa

      Je t'aime, tu sais. Bien sûr que tu le sais. Je t'aime, mais je n'y arrive plus. Je ne peux plus continuer à avancer ainsi, à me cacher derrière un masque, à jouer un personnage à longueur de temps pour paraître « normal ». Je n'avance même pas, je recule. Tous les efforts que j'émets pour me sortir de cette torpeur se voient aspiré par des démons de l'horreur à chaque fois, c'est aberrant !

      Mais, moi, je ne veux pas être normal, je veux simplement être celui que je souhaite et vivre ma vie, tout comme les gens dits « normaux » le font ! Mais, finalement, qu'est-ce que la normalité ? Peut-être que je suis normal, ne le penses-tu pas ?

      Ne considères-tu pas que je mérite le bonheur, moi aussi ? D'être heureux à ma manière ?

      Je n'ai jamais osé te l'avouer, papa. Et Dieu sait combien je l'aurais voulu. Mais j'ai conscience que tu aurais mal réagi à l'entente de cette nouvelle ; alors... il valait mieux que je me taise, pour le bien de tous. Ou plutôt pour le vôtre...

      J'aurais souhaité être un fils modèle pour toi, un fils dont tu aurais été fier. J'aurais souhaité voir des étoiles scintiller dans tes prunelles lorsque tu prononces mon nom. J'aurais souhaité être un homme parfait à tes yeux, être médecin et fonder une grande famille, tout comme tu le rêvais. J'aurais souhaité faire toutes les choses dont tu aurais aimé que je fasse.

      J'aurais souhaité tout cela, papa. Bordel, je l'aurais souhaité ! Mais la vie a tracé un tout autre chemin pour moi. Elle a choisi ma destinée, mon avenir, mon destin. C'est elle qui est responsable de l'acte que je vais commettre dans peu de temps, c'est à elle qu'il faut jeter la pierre. Ne m'en veux pas à moi, mais à la vie. Cette emmerdeuse a tout foiré !

      Je me souviens, papa, lorsque j'étais petit et que nous jouions tous les deux. Je te considérais comme mon héros, car tu venais me sauver lorsque j'avais peur la nuit. Tu me protégeais contre chaque menace que la vie pouvait bien nous envoyer.

      Je me rappelle encore de ces nuits où je sanglotais parce que je craignais les monstres cachés sous mon lit, ou encore dans mon armoire. Tu entrais dans ma chambre, les yeux mi-clos dus au sommeil imposant si fermement sa présence, et approchais dans le but de me consoler. Tu étais là, à me prendre dans tes bras, à me caresser le dos ou encore à me combler de tendresse. Tu me disais de compter jusqu'à trois, et qu'ensuite, tous ces petits monstres disparaîtraient pour laisser place à des anges divins. Et grâce à cela, grâce à toi, mes nuits emplies de pleurs et de crainte ont laissé place à des nuits reposantes et apaisantes.

      Tu sais, papa, il m'arrive parfois de le faire une nouvelle fois. Pas que j'appréhende ces soi-disant monstres, non, mais ça me rappelle le temps où j'étais un parfait petit garçon pour toi, celui que tu idolâtrais. Un garçon dont tu étais fier, comme la septième merveille du monde. Un garçon dont tu étais satisfait de présenter à tes collègues ou amis. Un garçon dont tu étais émerveillé à l'idée de passer du temps avec.

      Te souviens-tu de nos sorties à la mer avec maman, loin de tout ? De notre week-end à DisneyLand ? De nos après-midis pluvieux que l'on passait à regarder des films ?

      Te souviens-tu de combien tu m'aimais, de combien tu me considérais comme la meilleure chose qu'il te soit arrivée ?

      Alors si je t'avoue ce que je t'ai caché pendant tant d'années, m'aimeras-tu toujours autant ? N'auras-tu pas envie de me foutre à la porte ? N'auras-tu pas honte de ton fils, celui qui te représente plus que tout ? Mais, finalement, n'as-tu pas déjà mis la main sur mon secret si bien gardé ? Ce qui signifierait que tu fais semblant, que tu joues l'aveugle... Mais pourquoi ?

      Je rêverais d'une vie plus simple où tout le monde s'aime et où nous vivons en paix. Et je suis sûr qu'au fond, tu en rêves également. Peut-être même plus que moi. Mais, tu sais quoi ? C'est mal barré vu comment les gens dans ton genre rejettent les personnes comme moi ! C'est de votre faute, de la tienne ! Il est grand temps que tu t'en rendes compte, avant que cela ne te porte préjudice.

      Papa, si tu savais comme j'ai mal. Je suis obligé de me cacher pour éviter les insultes et moqueries, te rends-tu compte ? J'ai tant besoin de toi... Pourquoi ne vas-tu pas les engueuler, comme tu le faisais quand quelqu'un m'embêtait étant petit ? Pourquoi ne tiens-tu plus ton rôle de père protecteur, de bouclier sur pattes ?

      Et, bordel, c'est dur de se dire que son propre père, celui qui a contribué à sa création, fait partie des gens de cette catégorie, qui dénigrent les gens dans mon genre pour leurs différences. Mais, merde, réfléchis deux minutes !

      Je suis désolé de t'avoir menti. J'ai essayé de te le dire, papa. Ô que j'ai essayé ! Mais, chaque fois que je tentais d'aborder le sujet, tu ne m'écoutais pas. Tu ne m'écoutais jamais ! Tu préférais te concentrer sur la télévision, sur ces conneries crachées toutes les secondes par des journalistes assoiffés de buzz et d'argent. C'est absurde !

      À aucun moment tu n'as tenté de comprendre mon opinion et mes raisons qui me poussent à faire cela. À présent, essaie de comprendre. Essaie de te mettre à ma place, d'avoir un minimum d'empathie pour une fois, et de percevoir les choses de la même manière que moi, je les perçois. Ose me dire après cela que je suis un monstre à préférer être différent de vous. Car, tu sais, le monstre, c'est plutôt toi ! Mais, ne t'en fais pas. Dorénavant, c'est terminé. Tu n'as plus à t'en soucier. Tout ça n'appartient qu'au passé.

      Tu ne le sais pas, que la différence fait la force d'une personne. Bah non, tu l'ignores. L'humain a peur de ce qu'il ne connaît pas, de l'inconnu, de ce qu'il n'est pas en mesure de maîtriser. Il a peur d'être piétiné, de se faire dépasser par cet inconnu. Alors, il rejette les différences, ces choses si curieuses dont il ignore la provenance et le fonctionnement. Mais il devrait apprendre à connaître ce dont il ne fréquente pas, il devrait s'ouvrir au monde extérieur et acquérir de nouveaux savoirs dans de nouveaux domaines. Il devrait sortir de sa zone de confort et oser communiquer avec cette différence. De ce fait, cet inconnu ne sera plus un inconnu, mais une connaissance. Quelque chose que l'humain côtoie, dont il a conscience de ce qu'il est et de ce qu'il fait.

      J'ai tant souffert, papa, qu'aujourd'hui, je ne ressens plus rien. Comme si... j'étais détruit. En fait, je suis mort. Je suis bien là physiquement, mais intérieurement, il n'y a plus personne. Que du vide. Mon âme a déserté mon piteux corps, tout comme la majorité de mes amis ont déserté ma vie.

      J'ai tant besoin d'un père, d'une épaule masculine sur laquelle exposer mon chagrin profond. C'est le rôle que tu aurais dû tenir, mais que tu rejettes. Tu dénigres ton propre fils, c'est cela que je n'arrive pas à... comprendre, digérer, accepter. C'est dingue.

T'es-tu déjà intéressé une seule seconde à ce que je ressentais ? Devoir supporter tes injures à longueur de journée envers les personnes qui sont du même avis que moi est... plus que déplorable. Vraiment, tu vaux mieux que cela, papa. Tu n'en as jamais eu rien à faire de ce que je pouvais vivre, la seule chose qui comptait à tes pauvres yeux était ton petit bonheur trop parfait pour être piétiné ! Je souffrais, tu sais. Oui, tu le sais, et pourtant, cela ne t'empêche pas de continuer tes actes barbares. Comme si... tu voulais faire du mal à ton propre fils.

      Tu me dégoûtes. Tu es si... Oh, et puis merde. J'abandonne. Tu ne changeras décidément jamais. Ja-mais.

      Au fond, je ne peux t'en vouloir d'être ainsi. C'est avec cette façon de penser que tu as grandi, et rien ne pourra changer cela. Pas même ta propre création. Mais, merde, je ne sais plus quoi penser de toi ! Je suis contradictoire ; un coup je te hais, un coup je t'admire. Que je suis con. Un putain de con.

      Je suis désolé, papa, désolé de devoir te quitter présentement et de cette manière, mais on se reverra un jour, sois-en sûr.

      J'ai tellement lutté, lutté à m'en briser les os, si tu savais ! Mais ces ordures ont eu raison de moi.

      Souviens-toi de qui j'étais, de ce qui me définissait. N'oublie pas à quel point je t'aime, papa, et ce peu importe où je me trouve au moment où tu découvres ces mots. Tu as beau avoir contribué à ma disparition, tu as tout de même aidé maman à me mettre au monde. Et rien que pour ça, merci. Tu m'as fait naître, mais tu m'as également fait mourir. Mais au fond, il faut bien mourir de quelque chose, non ?

      Ne culpabilise pas, ce n'est pas de ta faute. Je ne t'en veux pas, je ne t'en veux plus. Plus maintenant.

      Je t'aime, papa, et je t'aimerai toujours. Quelle que soit la distance entre nous, cela ne changera jamais. Je te le promets.

      Je pars le coeur lourd, mais l'esprit vide.

      Ne m'oublie pas, papa, car moi, je pense à toi.

Anxieux mais heureux, Leny

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