Le titre de cette nouvelle est emprunté au roman éponyme de Neil Gaiman dont je vous recommande la lecture.

Chapitre 1: Les bas-fonds

Londres, le métro passe et repasse, transportant son lot de passagers épuisés, parfois hagards.

1H du matin, le trafic s'arrête. Les roulements mécaniques et les bruits de grincement des freins se sont tus.

Dans les souterrains, l'eau immonde dégouline. Les rats font la fête. Les acteurs de la nuit se mettent en mouvement. Ici, un corps remue sous une couverture sale et mitée. Là, un individu squelettique allume sa clope, peut-être la dernière. Les pauvres hères commencent à se rassembler. Un brouhaha discret naît lentement. Des bruits de timbales et de casseroles font écho dans ce tunnel désaffecté où grouillent la misère humaine, les exclus de la société de la surface. Ici, c'est la communauté, l'entraide. Un enfant pleure. Sa mère a disparu en quête de nourriture. Si l'on descend plus bas, ce ne sont plus que des fantômes errant sans but précis qui attendent la fin. Un lieu repoussant par ses odeurs et ses détritus. Le crime a rendez-vous bien plus souvent qu'on ne le croit ici. Cela se fait sans témoin, en toute impunité, c'est la loi de la jungle.

Chapitre 2: Neverman

Neverman regarde sa montre. Il est bientôt temps de faire le tour de ces êtres perdus et abandonnés qui ont perdu leur identité. Dans son bunker qu'il a aménagé avec un relatif confort, il choisit avec soin sa tenue. Ce soir, il va sortir le grand jeu, une cape drapée et une coiffe seigneuriale. N'est-il pas après tout le maître qui règne sur ce monde? Sa tunique lui enserre le thorax et cache son secret. Son cœur flotte dans l'aquarium entouré par des poissons-ventouse qui aspirent les mucosités. Le miroir lui renvoie une image qui satisfait son orgueil. Ses pupilles étrécies comme des pointes d'aiguille étincellent d'obscurité. Il s'apprête à descendre faire régner sa loi dans ce domaine qui autrefois appartenait à un autre. Le congélateur de son repaire renferme un cadavre dépecé dont il consomme chaque jour un morceau. L'âme du mort a été domptée et capturée. Elle vit à travers ses propres yeux.

Neverman initie son défilé, palpe et pique du bout de son glaive ceux qui ne se lèvent pas pour le saluer ou lui rendre hommage. Il laisse derrière lui un mince filet rougeâtre en une traînée sur le sol bétonné. La rigole rougeoie, ses pupilles se dilatent. L'animal a faim et soif. Quelle sera sa prochaine proie?

Au loin, on entend toujours les pleurs de l'enfant, un cri déchirant dans la nuit de tous les cauchemars.

Chapitre 3: Thor

Thor devant son chaudron a sorti ses grimoires. Une fumée épaisse s'envole en volutes par la petite fenêtre ouverte de sa cabane.

Autour, s'étendent à perte de vue des troncs d'arbres noircis par le charbon présent dans l'atmosphère. Les fleurs autrefois colorées sont recouvertes d'un amas de poussière grisâtre et se tordent voluptueusement telles les têtes de l'Hydre de Lerne. Dans ce lieu, aucun insecte n'est épargné. L'herbe ressemble à une vaste toile émeri.

Thor lit dans les vapeurs qui s'élèvent au-dessus du chaudron bouillonnant. Il ressent une présence inconnue et noire, plus noire que lui. Le nom de Neverman s'infiltre dans ses pensées comme des ramifications obsédantes. Il sait qu'il doit rencontrer cet individu et le combattre. Il n'y a pas de place pour deux maîtres.

Il consulte son grimoire. Un point s'illumine. Il a localisé l'être immonde. Il se sent prêt. Sa potion est achevée. Croiser Neverman et lui injecter le poison au niveau de la cavité thoracique, là où une excavation ne contient plus le cœur, voilà sa mission. Son périple aura lieu cette nuit, c'est la nuit noire sans lune.

Chapitre 4: la Tour infernale

A la surface des ténèbres se dresse une Tour qu'aucun humain n'a jamais osé approcher. On y raconte que c'est la demeure du Diable et qu'un seul regard de sa part vous dérobe votre âme et vous entraîne aux Enfers. La Tour est bordée d'eau, le fleuve Styx, rapportent les humains. Certains disent avoir entendu des voix à la tonalité qui donne la chair de poule.

Neverman a déjà vu le Diable lors d'une expédition secrète dans le monde d'en haut. Il a admiré les jambes et les sabots de bouc, la queue fourchue. Le Diable est beau dans toute son horreur. Il traîne avec lui un bagage, une sorte de panier dans lequel il amasse le fruit de ses récoltes humaines.

Neverman sait comment provoquer le Diable. Il connaît ses manies et habitudes. Il est prêt à lui offrir son cœur en échange de faveurs. L'immortalité n'est pas ce qu'il recherche en premier, il a soif de pouvoirs. Il sait que son cœur condamnera à mort celui qui le consommera.

Neverman grimpe lentement l'escalier en colimaçon. De son corps s'échappent des tentacules qui serpentent sur le sol en reniflant les odeurs âcres qui émanent de la demeure diabolique. Une porte s'ouvre.

Neverman se précipite à l'intérieur de la pièce et en quelques secondes étrangle le Diable.