Le problème avec ma mère (3 et fin)
Mon père avait emmené ma mère avec lui. Le soir, il est revenu seul et il m'a expliqué qu'elle était chez elle enfin, là où il l'avait conduite.
Le lendemain nous sommes allés la voir. C'était une résidence de soins en pleine campagne avec un magnifique parc arboré et fleuri. Ma mère était en train de tailler un massif de rosiers. Son visage était détendu. Cela faisait bien longtemps que je ne lui avais pas vu un air aussi paisible. Je me suis approché d'elle. Elle m'a souri. Je lui ai demandé quand elle allait rentrer à la maison. Elle m'a répondu très étonnée : << Mais je suis à la maison, ici, mon chéri >>. Je me suis senti bouleversé. J'ai compris que ma mère avait franchi la limite et n'était plus capable de faire marche arrière.
Mon père m'a emmené avec lui. Nous sommes allés à l'appartement chercher mes affaires. J'ai pris Balthazar et une petite valise avec le strict nécessaire. Mon père m'a dit que nous reviendrions chercher le reste plus tard et que désormais j'allais vivre avec lui. Le soir, Balthazar m'a expliqué que c'était mieux comme ça pour ma mère, que la rupture devait bien se produire un jour. Je me suis senti orphelin de mère. J'ai laissé mes larmes couler. Dix ans de larmes, je crois, j'ai versé ce soir-là. Qu'est-ce que ça m'a apaisé d'être enfin un enfant de dix ans !
Les années ont passé. Je me suis habitué et accommodé à cet homme qui était mon père et que je connaissais très peu. Nous avons cohabité du mieux possible. Je dois avouer que je n'ai pas été malheureux avec lui. La vie était différente, moins compliquée. Régulièrement il m'emmenait voir ma mère. Ces visites me faisaient souffrir, car au fil du temps, je la sentais s'éloigner de moi. J'avais l'impression que sa mémoire m'avait effacé de sa vie. Elle s'adressait aux oiseaux, elle parlait aux fleurs, mais à moi, elle ne disait jamais rien. Je ne sais pas si lorsqu'elle portait son regard sur moi, elle me voyait vraiment. Elle n'avait plus à supporter le monde des adultes et ses contraintes et à faire semblant d'être ce qu'elle n'était pas. Elle semblait heureuse et épanouie et dans son élément.
Aujourd'hui est un jour très spécial : j'ai dix-huit ans. J'ai pris le train seul et je vais rendre visite à ma mère. Je la trouve dans le parc occupée à tailler les rosiers, ses fleurs préférées. Je me munis d'un petit sécateur et je l'accompagne en chantant. Elle lève la tête, elle semble perplexe puis soudain elle me sourit. Ses yeux pétillent. Elle a l'air d'une petite fille. << Quentin ? >> me demande-t-elle comme si elle me voyait pour la première fois. << Bien sûr, maman ! >> je réplique en riant. Nous coupons les buissons épineux tout en chantant.
Le soleil se cache et le ciel se couvre de lourds nuages noirs. Une pluie diluvienne s'abat sur le parc. Nous rions sous l'eau qui se déverse en abondance du ciel. Nous nous prenons par la main et nous improvisons une danse. Ma mère est radieuse. Elle a perdu toute sa raison et elle est heureuse. Je partage sa béatitude. Nous sommes trempés jusqu'aux os, mais nous continuons à danser et chanter sous l'orage. Plus rien ne nous effraie.
Ma mère a cinq ans. Ma mère est une jolie petite fille émerveillée et innocente.
Moi, c'est Quentin. J'ai dix-huit ans et j'aimerai maman jusqu'au bout de mes rêves, toujours et sans limite.
Cette nouvelle est très librement inspirée du film de Noémie Lvovsky demain et tous les autres jours dont je n'ai lu que le synopsis.
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