2.17. Servir des sourires




Et peut-être que tu  serviras des cafés et mesurera  l'utilité de ta journée en nombre de  sourires que tu auras réussi à  faire apparaître sur les lèvres des  gens. Et je t'assure que ton  existence aura tout autant de valeur alors.

  Peut-être qu'un jour tu auras dit à  un ami quelque chose qui l'aura  encouragé et que sans le savoir il te  devra tout son succès. Peut-être  qu'un jour tu auras souri à un étranger  sur le point de se suicider et  qu'il aura interprété ton geste comme  un signe que la vie vaut la  peine d'être vécue. Peut-être qu'un jour  quelqu'un t'aura vu et que tu  lui auras inspiré le roman du siècle. Qui  sait ? On ne sait jamais.

On  ne sait jamais le rôle que l'on a eu dans  la vie des autres, pas plus  que l'on ne sait vraiment qui a eu un rôle  dans la notre. Je  dois tellement à tout le monde que j'ai  croisé, ainsi qu'à toutes les  fleurs tous les oiseaux et même toutes les  mauvaises herbes et tous les  insectes. Chacun participe à cet ensemble,  participe à construire  l'univers, et chacun y apporte du bonheur et de  la vie.

J'étais utile en  servant  des cafés et des sourires, rapportant de l'argent à ma famille. Et  je m'endormais satisfait à la fin de mes journées. Mais il vient  forcément  un moment dans la vie où l'on veut plus que simplement vivre pour le  présent. On veut pouvoir aspirer à un futur qui soit toujours  plus. Parce que  l'existence est pleine de possibilités et que ce serait  vraiment bête de ne  pas les saisir.

Parce que quand chaque jour se  ressemble, la vie perd de  sa saveur et ça devient difficile de trouver des choses à remarquer, ou de s'en contenter. Tu trouves toujours de  la beauté, mais tu finis  par te sentir exclu de cette beauté. Tu  voudrais y participer plus que  par ton sourire. Il y a un moment où  admirer ne suffit plus et où tu  ressens le besoin de donner. Et j'ai  fini par vouloir donner plus à  l'univers que juste des sourires.

Mais quitter  ce travail que j'avais m'aurait semblé trop  déraisonnable. Alors j'ai fait ce que  mon petit frère m'avait appris  à faire quand on faisait la cuisine :  trouver un choix différent compatible avec les contraintes présentes.

Je me suis demandé qu'est ce  qui rendrait ce café plus utile à  l'univers, et très vite j'ai  trouvé. Il y avait quelque chose que  je pouvais apporter : je  connaissais la langue des signes. J'en ai  parlé avec mon patron, qui a  été enthousiasmé et commencé à faire de la  publicité. Et tous ceux qui  comme mon petit frère étaient affectés de  surdité et ne pouvaient pas  parler, pouvaient maintenant venir prendre  un café facilement.

Comme on était  près de l'école de mon  frère, qui avait des classes spéciales  pour les sourds-muets, ça a  eu du succès. Mon patron était content, les  gens étaient contents.  Certains de mes collègues ont voulu apprendre à  signer alors je leur  donnais des cours après la fermeture. Et mon  travail est devenu encore  plus utile : je donnais encore plus de  bonheur et de sourires, et j'en  obtenais plus en retour.

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