7- Débâcle
Résumé des chapitres précédents :
La première matinée de Merlin est un désastre, le seul bon point c'est qu'il s'entend bien avec son voisin de classe Stan. Une première demi-journée qui lui a permis de comprendre qu'ils détestent tous Stan.
Merlin se fait frapper par un des garçons de sa classe.
Lancelot, celui qu'il aime bien, a arrêté la brute qui le frappait, mais Merlin a mal vu et cru que c'était lui qui l'envoyait.
De son côté Lancelot réalise que le nouveau, certes lui plait, mais lui rappelle un passé douloureux. Il pleure la perte de deux amis qui ont disparu une année plus tôt.
Lancelot a un père homophobe, un homme politique puissant aux idées traditionnalistes, alors qu'il sait qu'il est gay.
Personnages principaux :
Merlin Dambreville,
Lancelot Joubert
Stan Bervange
Personnages secondaires :
Gaspard et Nine Dambreville ses pères vétérinaires
Son grand père Anatole, son oncle Charles, Mariam l'aide-soignante
Stave, le prof de kitesurf
Les profs du lycée : Raberton, le proviseur.
Les élèves du lycée : Romain, Annabelle
Deux garçons (qui ne sont plus là) sont évoqués :
Malo et Lucas
****
Merlin
J'ai mal ! la vache, il a cogné fort.
C'est une première pour moi de me prendre un coup ! Personne ne m'avait jamais frappé, ni les copains et encore moins mes pères, et je n'étais pas prêt à cette douleur.
Je savais que cet endroit était pourri. J'ai mal et je me sens ridicule. Ils se foutent tous de moi, alors que j'enrage, horriblement vexé car c'est le gars que j'aime bien qui a envoyé cette brute me frapper.
Autant pour mon coup de foudre ! Je dirais d'ailleurs que mon cœur brisé est presque plus douloureux que ma pommette et mes larmes ont failli couler.
Stanislas voulait que j'aille à l'infirmerie, il n'en est pas question ! Je ne leur ferai pas le plaisir de faire ma chochotte.
Les midis, je suis censé manger à la cantine, car la maison est trop loin du lycée. Il n'est pas question de trainer avec les autres, alors je suis sorti, même si je n'ai pas d'argent pour m'acheter un truc. Ce n'est pas grave, la colère est un puissant coupe-faim.
Stanislas est parti en moto, sans un regard pour moi. J'ai eu l'impression d'être rejeté encore une fois. Je ne me suis jamais senti aussi mal et ça ne fait que quelques heures que je suis au lycée.
Pour me vider la tête, j'ai trainé dans les rues de la ville, essayant d'oublier le désastre de cette matinée. Je passe devant les bateaux, admirant les différents modèles, bateaux à moteurs, voiliers, rêvant de savoir naviguer.
Le surfeur qui m'a plu s'appelle Lancelot Joubert, étrange que nos prénoms viennent de la même légende qui raconte la légende du roi Arthur.
Je le DETESTE ! Je regrette d'avoir flashé sur lui.
Ma colère balaie cette passade qui restera mon secret. Personne ne doit jamais savoir !
Avec désespoir, je réalise qu'il va être l'heure d'y retourner. Je franchi les portes du lycée, pile quand la sonnerie retentit, sous l'œil sévère d'un pion.
─ Tu as quoi sur la joue ? demande t'il.
J'invente un baratin et m'éclipse sans finir ma phrase.
Et merde ! Je vais marquer.
L'après-midi s'est passé aussi mal que la matinée. Les profs sont hostiles, quant à mes camarades de classes, ils voient en moi un cinglé prétentieux et un pétochard. Stan dessine sans s'occuper de moi, il est le seul qui semble indifférent.
Je crois que comme il me l'a soufflé à la première minute de notre rencontre : il m'évite et tente de me laisser une chance avec les autres.
Je serre les poings, rejouant la scène de la bagarre dans ma tête, regrettant de ne pas avoir esquivé ou réagit plus vite. Je note les cours, sans vraiment écouter.
Les pauses me confirment ce que j'ai compris ce matin : ils s'entendent bien entre eux et ils détestent Stanislas qui est systématiquement à l'écart. Il n'a pas l'air d'en souffrir et les ignore de son côté. Il est parti aux toilettes pendant la pause et ils l'injurient alors qu'il s'éloigne en leur faisant des doigts d'honneur.
Si moi je suis l'oiseau des iles, lui, ils l'appellent la pourriture.
La prof de physique l'a interrogé et il a répondu n'avoir rien fait.
─ La pourriture ne fait jamais rien ! Pas la peine de l'interroger a clamé une fille.
C'est une sacrée ambiance dans cette classe. Je mets mes mains dans mes bras m'exhortant à ne plus être amoureux, surtout d'un garçon et en plus un traitre. Le problème, c'est que le mal est déjà fait.
Le mec, qui me trouble tant, rigole avec ses copains, il s'amuse, lui, sans faire attention à moi.
Ă la pause de l'après-midi, je tente de faire un nouvel effort. Après avoir remballé ma honte, j'ai été voir la fille sexy du premier rang pour lui demander à être ajouté dans la discussion de classe. Elle m'évoque la reine des abeilles, c'est la déléguée et elle s'appelle Annabelle.
Ă Sens dans mon ancien lycée, les rares nouveaux que nous avons eu étaient rajouté d'office, sans avoir à demander. Je sens qu'ici les choses ne seront pas si simple.
─ Nous n'en avons pas, dommage ! a répliqué la péronnelle.
Deux secondes avant, une fille a hurlé qu'elle mettrait des infos dessus, pour un concert.
J'acquiesce et m'éloigne pour retourner à ma place, horriblement gêné. J'ai l'impression de m'être pris un second uppercut dans le bide.
Pourquoi j'ai été demandé ?
Je me flagelle, je le savais qu'ils n'étaient pas cools. Je suis furieux contre eux et contre moi-même.
─ Je ne suis pas sur la discussion de groupe non plus, chuchote Stanislas. Sinon je t'aurais ajouté.
Je reste silencieux quelques minutes, choqué de l'affront qu'ils m'ont fait. Je marmonne contre leurs conneries, quand Stan me balance un papier avec son numéro.
Je souris et sur un coup de tête créé une discussion de classe bis. Il éclate de rire en découvrant le nom du groupe.
─ Il t'est arrivé quoi avec eux ? je demande alors que nous sortons enfin.
Je n'oublie pas que demain il faudra revenir.
─ Je n'ai pas envie d'en parler !
Encore une veste !
Je ne comprends pas ce qu'il a pu faire pour mériter une telle hostilité, en même temps quand on voit comment ils m'ont accueilli. Je crois qu'ils me reprochent mes fringues colorées, lui je ne vois pas, mon imagination me lâche. Il y a une drôle d'ambiance dans ce lycée ou c'est moi qui vois tout en noir.
Quand je rentre chez moi, je suis déprimé, anéanti, vidé. Je n'ai pas mangé ce midi et je crève de faim. Il n'est pas question d'affronter mes pères.
J'ai même songé à repartir à Sens, pour trouver refuge chez mes copains et puis je me suis calmé. Ce n'est pas grave si je n'ai pas la côte dans ce lycée, je m'en remettrais.
Sans surprise, cela se passe aussi mal que je l'avais craint. J'ai la primeur de connaitre mon premier chagrin d'amour, et il se trouve que c'est un amour gay. Lancelot a une petite amie et j'ai parfaitement vu que c'est lui qui a lâché le cinglé sur moi.
Je gémis tout seul à voix haute.
Il n'est même pas gay !
Et moi je ne pensais pas l'être !
Ce n'est pas un minuscule fantasme, une fois, qui peut dire ce que je suis vraiment ?
Je vais directement trouver mes animaux après avoir balancé mon sac dans l'entrée. Les ânes me serrent tous les trois, protecteurs et les chiens essaient de me faire tomber pour me lécher. Je reste avec eux un long moment, regrettant de ne pas pouvoir les emmener avec moi au lycée. J'attrape Caroline ma tortue, les chats, les poulets et la biche se bousculent pour m'approcher, me câliner.
J'entends du bruit sur les toits. Mes pères en ont parlé ce matin, ils l'inspectent pour décider de ce qu'ils vont faire réparer. Comme mon père n'a pas trouvé de remplacement de vétérinaire, ils vont essayer d'en faire une partie eux même. Les avantages de ne pas avoir retrouvé de travail, ils ont du temps pour bricoler. Comme j'ai la voie libre, je me dépêche d'aller à la cuisine me faire un sandwich.
Dans le salon les perruches chantent et je vais les caresser, vérifier qu'elles ont bien des graines et de l'eau. Je mets la main dans la cage et elles viennent se poser sur mes doigts et me câliner. Elles sont si mignonnes toutes les deux.
Les ronflements de mon grand-père me parviennent depuis sa chambre dont la porte est grande ouverte.
Je me morigène, un petit problème de popularité ce n'est rien du tout par rapport à la maladie et à la mort.
En ouvrant le frigidaire, seul, je m'accorde enfin le droit d'avoir les larmes aux yeux : c'est officiellement une des pires journées de ma vie.
Je bois du lait au goulot, ce que déteste Gaspard, mais ce soir j'ai vraiment la flemme de prendre un verre. J'en suis à mon deuxième sandwich quand j'entends du bruit dans les escaliers, ils bavardent avec un entrepreneur qui prends des notes sur un calepin. Ils parlent de rendez-vous à la commission des monuments historiques pour demander une aide. Les trois hommes me saluent d'un mouvement de tête, ils sont venus se laver les mains dans la cuisine. Ils font mine de rien, mais je sens leurs regards sur moi.
─ Tu avais faim ? Tu as pris ton gouter, demande Gaspard.
J'agite mon sandwich devant lui. Il est bizarre.
─ Tu as quoi à la joue ? s'inquiète Nine, qui s'approche.
Je me dépêche de filer dans ma chambre, prétextant des devoirs. Aucune envie d'en parler. Je m'inquiète tout à coup et si je vivais la même chose à l'école véto ? Si je n'arrivais plus jamais à me faire des amis ?
Quant à mon désir pour Lancelot, quelle claque je me suis pris. Je porte la main à ma joue douloureuse.
Je n'étais même pas sûr d'être gay et me voilà déjà jeté. Je ne veux plus être amoureux et je veux repenser aux filles, comme avant de l'avoir croisé sur la plage. J'étais si tranquille, quand je ne pensais à personne de précis. Je donnerais cher pour revenir à cette absence de sentiment.
Je m'écroule sur mon lit, la tête dans mon oreiller. Ayyeeuuhh !
Je fais mes devoirs allongés dans mon lit, mais la douleur augmente, devient pénible et j'ai l'impression d'avoir de la fièvre.
Plus tard, je traine un long moment sous la douche. En me regardant dans le miroir, j'étouffe un juron devant la marque rouge vif qui vire déjà au violet sur toute la pommette et l'arcade sourcilière. J'ai une peau claire et je marque vite fait chier ! Mes pères n'ont pas pu le rater.
J'enfile un survêtement, je vais devoir aller dans leur pharmacie chercher un médicament, j'ai de plus en plus mal.
Quand je redescends, les chats me collent et j'ai ma tortue dans les bras.
─ Tu vas où ? demande mon père me faisant sursauter.
Merde, grillé.
─ J'ai mal à la tête, je vais chercher un doliprane.
Je détourne la conversation, peu désireux d'évoquer mon Waterloo.
─ Alors vous êtes montés sur le toit ? Ce n'est pas trop impressionnant ? Je serais bien monté moi aussi.
Sans répondre, papa est parti dans sa pharmacie me chercher un cachet.
─ Tu as fait tes devoirs ? Tu as quoi sur la joue ?
─ Tranquille j'ai déjà tout fait.
─ Réponds, tu as quoi à la joue ?
─ Je suis tombé dans l'escalier.
C'est la phrase habituelle des femmes battues à l'hôpital. Il soupire, il a compris.
─ Tu veux qu'on aille voir le proviseur ou faire quelque chose ? C'est à cause de nous ? rouspète Gaspard.
─ Et non ! C'est à cause de moi tout seul ! il n'y a pas que vous dans la vie !
Nine nous a rejoint silencieux.
─ Tu as mangé ce midi, s'inquiète Nine. Tu as dégommé tout le pain pour ce soir.
Finalement, ça tombe bien qu'il évoque le sujet.
─ Je ne mangerais pas à la cantine, il n'en est pas question ! Je veux m'apporter des sandwichs ou vous me donnez de l'argent pour acheter un truc en ville.
Gaspard soupire.
─ Nous allons remonter sur les toits, tu veux venir voir ? Pose Caroline avant et mets les chats dehors, je n'en veux pas là-haut !
Je devrais leur dire que j'ai trop mal, mais je ne veux pas qu'ils s'inquiètent. J'apprécie qu'ils ne me pressent pas de questions. Qu'ils respectent mon chagrin. Ils ont compris que je me suis fait claquer, mais ont décidé de laisser couler.
Mon grand-père se réveille et appelle. Je vais le rejoindre dans sa chambre. La pièce est sombre avec des murs couleurs prunes et des meubles de bois, des tableaux d'ancêtres ou qui représentent des scènes de bataille navale sur les murs. Sur la commode, il y a une multitude de photos de moi encadrés, bébé et petit garçon à toutes les étapes de ma vie. Je caresse du doigt les cadres en argent.
─ Fiston, ramène-moi une bière et allume ma télévision, mets-moi la chaine de mes jeux.
Des fois, il se réveille parfaitement conscient et d'autre fois complétement à l'ouest. On dirait que c'est un bon jour.
Je lui allume la télévision, et vais lui chercher sa boisson. Il n'a pas le droit à l'alcool, alors on ruse en lui mettant du panaché dans des bouteilles de bières. Il n'y voit que du feu. Je vais ouvrir aux chiens pour qu'ils rentrent dans la maison lui tenir compagnie. Ils filent droit dans sa chambre. Ils ont compris que c'était là ou dehors. Je lui laisse Caroline et les chats aussi, en lui recommandant de faire attention.
Il est temps de rejoindre mes pères sur le toit.
─ Attache-toi ! rouspète Gaspard.
Je les vois dévisager ma joue. On dirait que je me suis maquillé d'un seul côté.
Ils ont fait vœu de silence ces hommes pas chastes ou alors il y a un autre problème. Pitié, pas autre chose ! je n'en peux plus.
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