Partie 3 - Chapitre 9


 Nous avions passé la plupart de notre temps assis, silencieux, dans le petit salon adjacent à la chambre. Nous dormions à tour de rôle ne sachant que faire. Aïna et Zoë étaient avec nous. Aïna faisait les cents pas autour de la table basse, près de la cheminée en pierres polies. Zoë observait tristement par la fenêtre, le yeux dénués de toute expression. Seules ses joues humides trahissaient ses sentiments.

Noah était avec Ares, debout face à une fenêtre arquée. Ils discutaient tranquillement, leurs mains jointes dans le dos.

Adonis ouvrit lentement la porte, il se laissa tomber dans le canapé, près de Charly qui lisait. Il avait veillé sur Kaya, soucieux de l'état de santé de notre amie.

Athéna, Sol et moi sommes entrés dans sa chambre pour nous assurer qu'elle allait bien. Kaya était dans son lit, bordée. Elle dormait, elle semblait si calme et paisible. Si elle n'avait pas eu le visage abimé et des veines aussi importantes, elle aurait semblé normale, en bonne santé. Son souffle était régulier. Athéna s'approcha et posa une main sur le front de la jeune fille.

Elle nous fit signe de sortir.

— Son front est beaucoup moins chaud. La dose de vaccin a sûrement fait effet, nous assura Athéna en refermant doucement la porte.

— Personne ne doit savoir qu'elle est malade à ce point, nous informa Aïna. Ils la tueront sinon. C'est le sort réservé à tout contaminé, proche de la mort. Même moi ne pourrais pas les en empêcher. C'est la règle première avant celle de protéger le leader. Un principe fondamental.

« C'est le premier des trois piliers de cette cité, le deuxième étant comme dit précédemment, de protéger le chef, et le troisième, celui de la parole au peuple. Ainsi sont organisés les votes et référendums tous les dimanches » commenta Aïna qui faisait le tour de la pièce en frottant son front.

— Qui d'autre est infecté ? demanda Zoë.

— Moi, dis-je en haussant les épaules, mais ça va pour le moment, j'ai l'impression que mon état est stable. Evidemment, ma gorge me brûle, mon coeur me joue des tours et les veines de mes poignets sont bleues mais je m'en sors, assurai-je à tous.

— Tu es contaminé ? s'enquit Aïna en fronçant les sourcils. Je pensais que tu ne le pouvais pas...

La porte de la chambre s'ouvrit. Kaya était debout, elle tenait un long bâton en métal gris, un pique-feu pour remuer le bois de la cheminée, entre les mains.

Adonis se leva d'un bond et s'approcha.

— Kaya ? Qu'est ce que tu fais ? lui demanda-t-il tendrement.

Elle semblait totalement perdue. Adonis tendit le bras pour attraper le pique mais Kaya l'en empêcha et lui donna un coup sec contre les côtes. Pas de façon à le transpercer mais assez fort pour lui arracher un cri de douleur. Il tomba sur les tomettes rouges à genoux.

Noah et Ares évitèrent de justesse le bâton qui fendit l'air dans leur direction. Désarmée, Sol et moi nous avançâmes avec précaution vers Kaya.

Elle attrapa un pistolet coincé dans la ceinture d'Adonis et le braqua sur sa propre tempe avant de fondre en sanglots.

— Je n'en peux plus, gémit-elle.

Des larmes coulaient silencieusement le long du visage d'Athéna qui traversait la pièce pour rejoindre son amie.

Elle lui enleva facilement l'arme de la main et la prit dans ses bras. Athéna nous tendit doucement l'arme que je récupérais et elle nous fit signe discrètement d'aider Adonis. Elles restèrent ainsi quelques minutes. Athéna s'écarta et voulut aider Kaya à se remettre au lit quand celle-ci lui saisit le bras, le retourna et jeta avec une force incroyable, Athéna, qui tomba à la renverse.

Ares agrippa un bras de la jeune fille, Noah le second et ils la soulevèrent du sol. Ses jambes battaient le vide.

— Prenez les cordes qui retiennent les rideaux ! ordonna presque Noah. Sol et moi nous précipitâmes dans la chambre et arrachâmes les cordons dorés qui entouraient les rideaux de velours. Ceux-ci se refermèrent et vinrent obscurcir la pièce. Ares et Noah firent s'assoir à même le carrelage Kaya qui hurlait comme une dégénérée.

Nous ligotâmes à contre coeur ses mains à un pied du lit et ses pieds entre eux.

* * * * * *

Kaya était enfermée depuis quelques heures, mais ce n'était que depuis une dizaine de minutes qu'elle avait cessé de lutter. Nous n'entendions plus ses cris ni ses pieds tambourinant contre le carrelage ou la porte de sa chambre.

Adonis avait été mené à l'infirmerie du palais, une petite pièce au troisième étage qui servait de salle de repos aux guerriers qui se relayaient à la porte de la salle du trône.

Adonis revînt le torse entouré de bandage. Il nous expliqua qu'il n'avait que des côtes fêlées, que ce n'était rien de grave. Il refusait de reconnaître que l'état de Kaya ne faisait qu'empirer.

Nous n'entendions plus du tout Kaya, une certaine angoisse me submergea. Etait-elle morte ? Sinon, est-ce que j'allais devoir bientôt exaucer son souhait ? Je ne le voulais pas. Tant qu'elle ne me le demanderait pas explicitement, je ne le ferais pas. J'en étais incapable.

— Je vais la voir, nous informa Adonis en se levant avec difficulté. Je l'aidais à se redresser et le supportais jusqu'à la chambre désormais éclairée de seulement quelque bougies.

Les yeux de Kaya ont papillonné. Elle a regardé autour d'elle et a constaté être attachée. Elle a observé les bandages autour de la cage thoracique d'Adonis.

— Que t'est-il arrivé ? demanda-t-elle en dévisageant Adonis. Elle ne lui laissa pas le temps de répondre : Pourquoi suis-je attachée ? s'étonna-t-elle calmement en nous regardant avec interrogation, on pouvait lire une grande incompréhension dans ses yeux rougis.

— Tu... tu ne te souviens pas ? commença Adonis en lui caressant le visage d'une main tremblante.

Elle secoua la tête de droite à gauche en signe de désapprobation.

— Le vaccin ne fait plus effet, lui appris Adonis. Tu es...

— C'était un accident, coupa Kaya qui semblait avoir soudain retrouvé toute sa mémoire.

— Tu aurais pu le tuer, lui dit Sol en entrant dans la chambre.

— Les amis, vous me connaissez, je ne suis pas violente. Pourquoi suis-je attachée ? Ce n'est pas moi qui ai fait..., elle observa les bandages et se tut.

— Kaya, la maladie..., reprit Adonis.

— C'était un accident. Je vous le jure. Croyez-moi, plus jamais je ne recommencerai. Je n'ai pas fait exprès. Maintenant détachez-moi, s'il vous plait..., gémit-elle.

Je me suis accroupi près de Kaya. Elle m'a fixé jusqu'à me rendre mal à l'aise.

— Nous ne pouvons pas, ou ils te tueront...

— Adam, tu me connais. Détache-moi s'il-te-plaît, a-t-elle dit toujours avec calme et sympathie. Voyant que je ne changerais pas d'avis, elle a tourné la tête et a fixé droit devant elle. J'ai suivi son regard. Athéna était debout adossée à l'encadrement de la porte ouverte.

— Ath ! Je t'en prie, aide-moi, a dit Kaya, un peu plus crispée, en tirant sur ses liens. Athéna a étouffé un sanglot et s'est laissée glisser le long de la porte pour s'assoir sur le carrelage.

— Kaya..., a repris Adonis.

— Ath, coupa Kaya, moi, je ne te ferais jamais une chose pareille ! cracha la jeune fille en tapant du pied. Elle semblait avoir compris qu'Athéna pouvait lâcher.

— Je ne peux pas, sanglota Athéna. Je suis désolée...

— Détachez-moi ! ordonna Kaya un peu plus fort. Je me suis levé et j'ai aidé Adonis à faire de même.

— Détachez-moi ! Détachez-moi ! a hurlé Kaya en gigotant dans tous les sens. Elle tirait sur ses liens si fort qu'elle en faisait trembler le lit tout entier. Ses poignets devinrent rouges et sanglants là où les cordons frottaient.

Kaya était devenue incontrôlable.

— Tu n'es qu'un lâche ! m'a-t-elle hurlé alors que je sortais de la pièce. Je ne me retournais pas. Pas une seconde. Je ne voulais pas et je ne le pouvais pas. C'était au-dessus de mes forces.

Nous n'entendîmes, une fois de plus, que des hurlements étouffés par la porte.

Puis, aussi soudainement que ses convulsions étaient apparues, elle cessa de s'agiter. Adonis se précipita à la porte et entra dans la chambre tout tremblant. Il en ressortit les larmes aux yeux.

— Elle te demande, dit-il sèchement à mon intention.

Je pénétrai silencieusement dans la pièce en refermant la porte derrière moi. Kaya avait le visage violacé et de nombreux hématomes sur ses bras et jambes nus.

— Adam, je t'en supplie. Fais-le.

Je ravalais ma salive de travers et secouais la tête pour me convaincre de ne pas l'écouter.

— Tu m'as promis, Adam, dit-elle entre deux sanglots.

— Je ne peux pas le faire, Kaya, je ne sais pas...

— Je ne peux pas le faire seule, je n'en ai pas la force, il faut que tu m'aides.

— Ils me détesteront, dis-je en pensant au reste du groupe. Ils ne me le pardonneront pas.

— Non ils ne te détesteront pas, parce qu'ils sauront pourquoi tu l'as fait.

Je n'osais pas la regarder dans les yeux. Je n'osais pas la regarder tout court.

— Je ne peux pas avoir cela sur la conscience, lui dis-je en frottant mes tempes.

— Adam. Je..., je..., je vais y passer de toute manière. Je veux en finir maintenant. Je ne veux plus qu'il souffre, elle parlait d'Adonis, il faut que vous gardiez une image positive de moi, pas..., pas de ce que je suis devenue.

Je me mordais les lèvres, incapable de prononcer le moindre mot. Je lui détachais les mains et elle entoura ses bras autour de mes épaules. Elle se blottit au creux de mon cou. Elle saisit faiblement la crosse du pistolet à ma ceinture et me le mit entre les mains.

Je sentais ses larmes couler le long de ma nuque et de mon dos. Nous nous décollâmes l'un de l'autre. Elle plaça l'arme entre mes mains et les entoura des siennes pour me guider à son coeur. Elle pointa l'arme sur sa poitrine en tremblant.

— J'ai peur, réussit-elle à articuler. Je pleurais aussi désormais. Je n'avais pas réussi à retenir mes larmes.

— Je ne sais pas si j'en suis capable, lui dis-je la voix cassée.

— Tu me l'as promis, une promesse est une promesse. C'est une demande d'amie, ma dernière volonté... Je souffre beaucoup trop, je préfère que tout s'arrête maintenant.

Je la pris dans mes bras en laissant le pistolet contre sa poitrine. Elle gardait ses deux mains autour de mon poignet droit. Ma main gauche était derrière sa nuque.

Et je ne sais pas comment mais je tirais. Une détonation perça mes tympans et un choc me compressa le torse. Kaya poussa un gémissement étranglé. L'étreinte de ses mains se défit et son dernier souffle fit frissonner ma nuque et se dresser mes cheveux.

La porte de la chambre s'ouvrit à la volée. Athéna entra la première et resta figée, debout, elle ne prononça pas un mot.

Sol entra juste après et fit une glissade jusque Kaya que je tenais toujours contre moi. Il me regarda hébété et comprit que ce n'était pas moi qui était mort, que je n'avais pas subi la colère soudaine de Kaya. Il s'accroupit près de nous et passa ses bras dans le creux des genoux et de la nuque de notre amie. Il la porta jusqu'à son lit. Je me levai en silence laissant tomber l'arme sur le carrelage couvert de sang. Mes mains en étaient couvertes aussi, mes habits baignaient et dégoulinaient de ce liquide dont l'odeur m'était soudainement insupportable, la puanteur était insoutenable. Je sortis de la pièce sans dire un mot. Tout le groupe me regarda les yeux exorbités quand j'apparus à la vue de tous hors de la chambre. Adonis, malgré sa fraîche blessure, se précipita dans la chambre.

Je trouvai mon sac à dos et en sortis la petite fiole de vaccin vide où Kaya avait glissé un mot. Je la tendis à Adonis qui était venu me trouver, les yeux remplis de haine et de rage. Il était prêt à me donner un coup de poing quand il remarqua la petite fiole. Il s'en saisit et l'ouvrit. Je quittai la pièce alors qu'il lisait le mot.

Je voulais disparaître. Je ne voulais pas vivre avec cela sur la conscience. C'était fait et je me sentais atrocement mal.

Je suis sorti du palais et j'ai rejoint la terrasse supérieure, le jardin public. J'en ai rapidement fait le tour. J'ai soigneusement évité de passer devant le seul bâtiment à la ronde, l'hôpital. Il m'aurait mis dans une angoisse et dans un état encore plus sombre que je ne l'étais déjà. Rien qu'à la vue de ses portes, mon coeur se serra.

Il faisait nuit. Je ne sais comment mais je finis par rejoindre ma chambre. J'y retrouvais un certain calme et un feu de bois allumé qui réchauffa mes mains gelées. En les approchant du feu, je me rendis compte qu'elles étaient toujours couvertes de sang, de même que mes vêtements et mes chaussures. Je manquai de vomir et me précipitai dans la petite salle de bain attenante à la chambre. C'était une pièce aux murs, plafond et sol recouverts de planches en bois vernis. Au bout, une vasque en marbre, plus petite qu'une baignoire mais déjà plus grande que celle que nous avions dans notre taudis du bidonville. Un miroir rond était suspendu au mur au-dessus d'un petit lavabo. J'observai mon reflet. Sur mon visage, sous mon oeil droit, un filet de sang, cela me rendait malade de savoir que ce n'était pas le mien.

Je me déshabillai en vitesse et jetai mes habits dans un coin de la pièce. Je sautai dans la bassine et fit couler l'eau en abondance. Elle se teinta de rouge en s'écoulant. Le sang glissait le long de mes jambes et je me retins de nombreuses fois de rendre mon dernier repas, je ne savais même plus à quand il remontait ! Je frottais de toutes mes forces la moindre parcelle de ma peau jusqu'à ce qu'elle rougisse, elle me brûlait. Et ce, aussi fort que mon coeur et ma tête. Je ne me le pardonnerai jamais.


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Alors qu'en pensez-vous ? Comment vont-ils évoluer désormais ? Suite dans 5 jours ! 

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