Partie 2 - Chapitre 6
Sur le chemin du retour, nous avons fait un détour par une épicerie et nous y avons volé des barres chocolatées. Elles étaient périmées depuis tellement de temps que la date n'était plus visible sur le sachet. J'en ai ouvert une, elle n'avait pas l'air mauvais alors je l'ai mangée et effectivement elle était très bonne. Avant d'entrer au laboratoire, je n'avais jamais goûté de barres chocolatées. C'était un met destiné aux très riches, le cacao ayant presque totalement disparu de la surface de la terre, de même que certains fruits et légumes. Certaines plantes et animaux avaient aussi été éradiqués. Ainsi, à l'époque, nous n'avions plus de pachydermes ni d'énormes animaux marins appelés baleines il me semble, ni de fauves tels que les lions, tigres et panthères. Je me souviens très bien que les scientifiques faisaient tout leur possible pour conserver les abeilles mais qu'elles venaient à mourir.
Sol donnait des ordres, debout sur les gradins du gymnase baigné par l'abondante lumière du jour.
— Dans cette malle, la nourriture, dans celle-ci, les couvertures, dans celle-là, les draps et dans cette caisse, les fournitures c'est à dire, casseroles et bols. Vous gardez vos habits, sacs de couchage et gourdes dans vos sacs à dos respectifs.
Je rentrais dans la salle au parquet vernis étrangement bien conservé et rejoignais Sol qui dirigeait tel un chef d'orchestre.
— Que fais-tu ? lui demandais-je. Je trouvais cela étrange qu'il y ait plusieurs caisses, je me suis alors approché de l'une d'elle et cela a confirmé ce que j'avais supposé.
— Vous avez pris des nouvelles caisses ? Où les avez-vous trouvées ?
— Oui, me dit Sol en donnant des petits coups du plat de la main sur l'un des coffre. Dans les vestiaires du gymnase.
— Pourquoi ? lui demandais-je dubitatif.
— Pour alléger nos sacs à dos, me répondit-il du tac au tac en pliant une couverture.
— Mais c'est complètement idiot, les malles seront toutes aussi lourdes, lui ai-je dit en fronçant les sourcils.
— Sauf que nous n'aurons pas à les porter. Nous avons réparé une remorque que Roger-Zorba tirera.
— Roger-Zorba? lui demandais-je intrigué.
— Oui, ce n'est pas terrible mais c'est Kaya qui l'a trouvé alors je l'ai autorisée à lui donner le prénom de son choix. Devant mon air d'incompréhension, Sol ricana. Le cheval, me dit-il tout naturellement. Kaya ! appela-t-il.
Elle nous a rejoint, le front perlant de sueur, à bout de souffle et son sac de couchage à moitié plié. Elle le jeta dans les bras de Sol qui la regarda confus.
— J'emmène Adam voir Roger-Zorba, pendant ce temps, plie ce foutu sac ! dit-elle visiblement agacée en boitillant jusqu'à ses béquilles de fortune.
Elle saisit ma main et me traîna presque jusque dehors. A l'arrière de la salle de sport, il y avait un terrain de base-ball comme j'en avais vu à la télévision. Nous ne pratiquions plus de sport en plein air depuis la fin de la guerre de 50. Il restait quelques stades, transformés en musées vivants où l'on pouvait assister à la projection holographique d'anciens matchs de football ou tout autre sport. J'avais eu la chance d'assister à la finale de tennis de Roland Garros 2017, Rafael Nadal remportant sa dixième victoire de ce tournoi face à Stanislas Wawrinka. Un souvenir inoubliable... J'avais trouvé des places dans une poubelle du centre ville. Je connaissais déjà l'issue de la rencontre, le match s'étant disputé plus de quarante ans plus tôt mais ce fut plaisant et impressionnant.
Au milieu du terrain recouvert de verdure, un superbe cheval à la robe parfaitement caramel. Kaya ouvrit la porte grillagée du stadium et me fit signe de la suivre. La bête n'avait pas l'air agressive, au contraire elle s'approcha calmement au sifflement de Kaya qui tendait la main bien devant elle.
— Où l'as-tu trouvé ? lui demandais-je alors qu'elle caressait l'encolure du cheval qui était d'un calme troublant.
— Je suis sortie cette nuit, j'avais besoin de prendre l'air, ma tête me faisait horriblement souffrir et j'avais du mal à respirer, j'ai du faire un espèce de crise d'angoisse ou je ne sais quoi, enfin, quoi qu'il en soit, j'avais besoin d'air frais. J'ai marché jusqu'en dehors de la ville et en plein milieu de la plaine qui mène jusqu'aux montagnes, je l'ai aperçu. J'ai cru rêver mais il s'est approché sans crainte. Je l'ai amené ici, nourri et lavé.
Nous avons, comme prévu, décidé de rejoindre Los Angeles. Cela n'a pas fait la joie de tous mais la majorité l'a emporté. Nous avons empilé nos quatre coffres dans la charrette que nous avons attachée à notre nouveau compagnon. La jambe de Kaya était trop fragile et même avec les béquilles de fortune que nous lui avions fabriquées, elle n'aurait jamais pu nous suivre, elle n'aurait fait que nous ralentir, c'est pour cette raison qu'eIle prit place à cru, sur le cheval. Il nous fallait longer la route et quelle route... Elle avait presque entièrement disparu et la suivre relevait du jeu de piste. Notre petit Roger-Zorba était un estomac sur pattes. Nous nous arrêtions tous les deux cents mètres, afin que notre petit cheval engloutisse des tonnes d'herbes fraîches.
La route sur la carte n'avait pour indication que le numéro 395. Elle était longue, infinie et nous menait jusqu'à notre destination. C'était une route droite entourée de broussailles et de montagnes se faisant face parallèlement. Ces chaînes montagneuses ressemblaient à deux vagues formant auparavant un océan qui aurait été coupé en deux.
C'est dans une petite bourgade perdue au milieu d'une interminable plaine que nous nous arrêtâmes pour manger quand midi arriva. Nous avons décidé d'entamer un paquet de chips au vinaigre et un bouillon avec des herbes ramassées sur le chemin. De la menthe, du basilic, des oignons sauvages, des orties et des pâquerettes. Ce n'était pas bon, mais alors pas du tout, cependant, cela nous nourrissait suffisamment et nous donnait l'énergie nécessaire pour avancer.
A chaque arrêt, c'était la même chose. Des maisons partiellement en ruines et recouvertes de verdure. Dame nature avait repris son droit. Pas un seul humain. Nous croisions des chevaux, des boeufs, des vaches et des chèvres, ceux-ci nous étaient bénéfiques pour leur viande et leur lait. Le premier soir, à la tombée de la nuit, nous nous sommes arrêtés dans une grange. A proximité, des pâturages, immenses et dont les clôtures qui délimitaient les enclos étaient tombées en miettes. S'y trouvaient des vaches, des centaines de vaches.
— Nous allons bien manger ce soir, assura Ares en louchant sur l'une d'elle. Ambroise se frotta les mains, de même que Kaya.
— Quelle horreur ! siffla Hélios en nous lançant un regard réprobateur.
Effectivement, je me souvenais qu'Hélios était un amateur de graines en tous genres mais que la viande l'horrifiait. Il remplaçait volontiers l'apport de protéines que procurait un bon steak par une assiette de soja.
A l'époque où nous vivions dans le bidonville, nous n'en avions ni l'un, ni l'autre. La viande était un produit de luxe de même que le poisson, quasiment introuvable dans les océans et les graines était certes moins coûteuses mais toujours trop chères pour nous. Avec ma soeur et Luis, mon ami d'enfance, il nous est arrivé de quitter la cité, de passer sous les clôtures électriques qui l'entouraient et nous pêchions à mains nues dans une petite rivière pas loin. Heureusement, notre petite source d'eau était protégée par une large forêt, ainsi, les patrouilles en hélicoptère ou les drones avaient plus de mal à nous attraper. Nous sortions une à deux fois par mois, la journée le plus souvent. Oui, il faisait jour et nous étions plus visibles mais d'un autre côté, la nuit, les patrouilles étaient trop nombreuses et les animaux sauvages, en particulier les prédateurs tels que les loups, les chiens et les ours étaient de sortie. En journée, les policiers baissaient légèrement la garde et nous n'étions pas souvent ennuyés par les animaux.
Nous avons eu la chance de ne jamais nous faire prendre. Toute personne étant prise en train de pêcher, de chasser ou de cueillir était considérée comme un voleur et était condamnée à mort.
Je ne m'étais jamais essayé à la chasse. Nous n'étions pas équipés pour. Tuer un poisson était simple, abattre un cochon sauvage ou un dindon l'était beaucoup moins, surtout sans arc, ni fusil.
Ares haussa les sourcils et nous regarda un à un. Il pointa Sol du doigt.
— Viens avec moi, lui ordonna-t-il. Sol ricana et se leva nonchalamment. Il sortit de sa ceinture une machette trouvée plus tôt dans la journée et pointa le torse d'Ares.
— Ne me donne pas d'ordre... Et je ne tuerai pas. Il en est hors de question. Demande à Adam, dit-il un rictus au coin de la bouche.
Je secouai la tête de droite à gauche. Je ne planterai pas mon couteau dans cette bête même si elle me donnait terriblement envie.
— Ambroise ? demanda Ares visiblement agacé par notre manque de courage. Ambroise acquiesça et se leva volontiers. Il demanda à Sol sa machette qui la lui céda à contre coeur.
Nous n'avons entendu qu'un meuglement étouffé. Nous avons décidé de préparer la grange pour dormir alors qu'Ambroise et Ares dépeçaient l'animal. C'est avec joie que nous avons découvert une pompe à eau manuelle derrière la vieille bâtisse en pierres et taules. Nous avons récupéré plusieurs seaux que nous avons remplis d'une eau incroyablement claire. Certains seaux nous serviraient à la douche et d'autres à Ambroise et Ares qui se lavaient régulièrement les mains et les avants-bras. Nous avons aussi servi de l'herbe fraîche et sèche ainsi que de l'eau à Roger-Zorba que nous avons attaché dans un petit box à l'extérieur de la grange.
C'était bon de prendre une douche, l'eau était tiède, nous l'avions faite chauffer au-dessus d'un feu de fortune, nous n'avions pas de savon mais cela restait agréable de se débarrasser de la crasse accumulée.
Nous avons allumé un feu et Ambroise nous a apporté les premier morceaux de viande fraîche.
Je m'éloignai pendant que la viande mijotait dans une marmite avec des herbes aromatiques. Je m'assis sur l'une des rares poutrelle sen bois qui entourait l'un des pâturages. Je réfléchissais comme depuis le début de la journée, à ce qu'il s'était passé avant notre mise en capsule. Pourquoi je ne m'en souvenais pas ! Et cette liste dans mon rêve, que voulait-elle dire ? Et pourquoi Sol s'en souvenait ? Comment Athéna pouvait-elle encore me mentir ?
Sol s'assit à mes côtés. Le ciel était parsemé d'étoiles superbement brillantes.
— Sol, pour la liste, de quoi te souviens-tu ? demandais-je impatient de pouvoir enfin avoir cette discussion avec lui.
— Peu de chose... Je me souviens que tu nous l'avais montrée dans la chambre et que tu parlais de complot mais que rien n'était certain. C'est malheureusement tout ce que je sais...
— Cette liste, je l'avais dans la chambre et aussi dans la capsule lorsqu'ils nous ont plongés dans le sommeil, j'en suis persuadé. Le rêve avait l'air si réel !
— Alors ma théorie se vérifie, nous avons déjà été réveillés !
— Ou ils ont peut-être repris la feuille, je ne sais pas... je... Tout se brouillait. Plus rien n'avait de sens. Plus rien du tout. Le silence s'installa.
— J'espère que nous ne sommes pas seuls, dis-je à Sol en balayant la plaine des yeux.
— Tu m'étonnes ! Imagine vivre et repeupler la planète avec cette bande d'imbéciles, railla-t-il. Non, plus sérieusement, je l'espère aussi, avoua-t-il.
Le silence était lourd mais impossible de trouver quelque chose à dire. Ambroise s'assit près de nous. Sol qui ne l'avait pas vu manqua de tomber à la renverse quand la poutre trembla sous le poids du nouvel arrivant.
— Où as-tu appris à couper de la viande aussi proprement ? a demandé Sol à Ambroise.
— Mes parents tenaient la boucherie dans le centre ville. Je les aidais en fin de semaine quand les commandes affluaient, nous apprit-il. Zoë... ma... ma soeur, elle, elle détestait venir dans la boucherie, nous dit-il la voix tremblante d'émotion. Elle me manque vous savez, cette expérience, je l'ai faite car elle voulais la tenter, pour un avenir meilleur. Elle ne pouvait prétendre à aucun travail de qualité étant exclue de toutes les écoles de la cité, il esquissa un petit sourire et repris, elle avait un sacré caractère...
— Elle a toujours un sacré caractère... Elle est quelque part ici, en vie, lui dis-je.
Nous le félicitâmes avec Sol car l'animal avait été magnifiquement bien découpé et nous ne savions comment le consoler. Le torse d'Ambroise se gonfla de fierté mais il resta humble. C'était un brave type. Il tripota un médaillon à son cou. Sol le dévisagea.
— Comment as-tu pu garder cela, demanda-t-il à Ambroise.
— Ma soeur et moi en avons eu une à la naissance, une gourmette religieuse. Nos parents se sont saignés pour les acheter. Quand la loi sur la religion est passée, nous les avons remplacées par des fausses et les avons cachées. Nous avons décidé de les emporter avec nous, pour nous protéger. Nous nous sommes dits que les avoir sur nous, permettrait d'aller au paradis.
J'appris qu'ils avaient bravé la loi, comme Athéna, pour leurs convictions.
La viande fut un régal. Nous en avons gardé même pour le lendemain tant elle était abondante.
Cette nuit-là, aucun cauchemar ou rêve étrange ne me dérangea. Je passai une agréable nuit, le sommeil fut réparateur.
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