Les guirlandes au-dessus de nous sont passées du jaune au bleu au fil de cette heure où nous n'avons pas arrêté de parler à cœur ouvert. H et moi avons discuté de la solitude, comment chacun on réagissait envers elle, ce qu'on ressentait à l'intérieur. Un sentiment de perpétuellement se noyer mais tout en tentant de rejoindre le rivage en agitant les bras.

Nous avons aussi parlé de choses plus personnelles, de souvenirs, de cette façon qu'on avait d'être plus des suiveurs que des acteurs alors qu'avec nos masques, nous étions sûrs de nos choix et avancions seuls.

Nous ne savons pas réellement qui nous sommes l'un l'autre et pourtant, je me sens proche d'elle. Je sens une connexion entre nous et j'aimerais vraiment que l'alcool ne soit pas le seul élément déclencheur de ce lien.

- Tu es fatigué H ? lui demandé-je en la voyant bailler alors que nous allions voir le prochain groupe.

- Ça va... Je n'ai pas l'habitude de sortir aussi tard en réalité. Je ne suis pas du genre à aller en boite non plus.

- Plutôt du genre à jouer aux jeux vidéo toute la nuit ?

- Comment t-

- Tout à l'heure, je ne sais plus quand mais tu as fait une référence à un jeu de stratégie quand j'étais en train de pisser. C'était pointu et tu m'as assez surpris d'ailleurs ! Avec ta personnalité, enfin celle que tu me montrais, tu n'étais pas du tout le genre à jouer à un jeu comme celui-là.

- C'est un peu cliché non ? Il n'y a pas de « genre de personne » destiné à un certain type de jeu.

- Ouais je sais, j'ai dit ça juste pour te faire réagir et te réveiller.

- Gamin.

- Gamine.

Un coup d'épaule chacun et nous entrons dans la salle de moins en moins pleine au fil des heures mais dont l'ambiance est toujours électrique. Nous nous laissons entraîner une fois de plus mais cette fois-ci, légèrement à l'écart des autres.

Nous alternons entre la danse et le repos appuyés contre un mur, conscient que notre état de fatigue mais surtout l'heure défilant annonçait bientôt la fin de cette nuit blanche ensemble.

La fin de notre partenariat. Un moment éphémère mais tellement important pour nous.

Je me sens vraiment à l'aise avec elle. Je n'ai d'ailleurs presque pas pris de décision en pensant à la mort ce soir. C'est comme-ci elle me captivait assez pour me faire tout oublier...

H se décolle du mur pour la chanson suivante mais je ne la suis pas, encore plongé dans mes réflexions et dans le constat que tout allait bientôt se terminer.

Et pourtant, je ne peux m'empêcher de la regarder se déhancher. Elle me donne envie...

H se rapproche de moi tout en dansant et en me faisant des petits signes pour que je la rejoigne. Je refuse d'un geste de la main mais cette dernière s'approche encore plus près et n'est qu'à quelques centimètres de mon corps. Elle ferme les yeux et me sourit tout en suivant le rythme de la musique.

Elle est craquante... Pourquoi est-ce que je n'ai pas le droit de la toucher ? Pourquoi est-ce que je ne peux pas la goûter ? Pourquoi est-ce que...

Si je ne le fais pas maintenant, je le regretterai toute ma vie.

Soudainement, j'attrape H par les hanches et la colle à mon torse avant de goûter ses lèvres pulpeuses. Elle a un goût d'alcool, pas le goût que je préfère mais un goût dont j'espère me souvenir.

Ses lèvres sont douces... Pourquoi est-ce que tu ne me rejettes pas encore, H ?

Quelques secondes que j'aimerais éterniser mais que les applaudissements de la foule interrompent en nous ramenant à la réalité. H me fait son regard de tueuse et s'éloigne de moi comme si elle s'était brûlée. Ce qui est parfaitement compréhensible.

Je viens de briser quelque chose en volant ce baiser.

Si tu la laisses partir comme ça, tu ne la reverras jamais.

Je me mets à courir en direction du patio mais j'ai beau le fouiller des yeux, je ne la vois pas. Je me dirige alors vers la sortie et la repère en train de faire les cent pas, l'air énervé.

Lorsqu'elle me voit, elle se jette presque sur moi en me frappant le torse. Pas assez fort pour que ce ne soit douloureux.

- Mais bordel V c'est quoi ton problème ?! s'écrie-t-elle. Pourquoi quand tout se passe bien entre nous t-

- Pourquoi ? l'interromps-je. Pourquoi tu ne m'as pas directement rejeté ? Pourquoi j'ai eu l'impression que tu acceptais ce baiser ?

- ...T'es bourré. C'est tout. Je n'ai pas accepté je suis en couple.

- Et toi tu te mens à toi-même. Tu ne veux pas que la fille sérieuse que tu es ait l'image de quelqu'un qui trompe son mec mais pourtant, tu veux être impulsive et je l'ai bien senti quand j'étais contre tes lèvres : tu l'as accepté, même une demi-seconde, tu l'as accepté et si tu voulais tenter l'aventure, tu l'aurais accentué.

- Laisse-moi tranqu-

- Si tu aimes encore ton copain, qu'est-ce que tu fous avec moi, ici ? Pourquoi est-ce que tu t'es rapproché de moi ? Pourquoi est-ce que tu m'as touché ? Ça te plait de me torturer ?

- Je n'ai pas agi comme une aguicheuse !

- Ben pourtant tous tes gestes m'ont aguiché. Tu m'attires H. Putain que tu m'attires et ce n'est pas que l'alcool qui parle ! Alors comment veux-tu que je reste tranquille quand tu agis comme ça avec moi ?

Nous sommes interrompus par un groupe bruyant passant à côté de nous. H se met à fixer le sol pendant de longues secondes jusqu'à ce que je la fasse sursauter :

- Qu'est-ce que tu as ressenti ? Dis-le-moi... Si je te dégoûte pour de bon, dis-le-moi. Rejette-moi définitivement et je partirai d'ici.

- Je...

« Tout va bien ? » lui demande une fille avec le badge de l'association sur son débardeur. Surement une de ces amies. H hoche la tête et lui chuchote quelque chose à l'oreille, ce qui semble un peu surprendre la fille.

« Suivez-moi » se contente-t-elle de dire en nous faisant signe. Je demande du regard à ma partenaire ce que cela veut dire mais rien, elle évite mes yeux.