Merci d'avoir fabriqué Doudou
Aujourd'hui, c'est de nouveau samedi.
La semaine d'avant s'est écoulée très vite. Motoko a parlé de l'Indonésie en classe, et sa maîtresse l'a d'ailleurs remerciée, et a profité de l'occasion pour ouvrir un petit cours de géographie pour ses très jeunes élèves. Motoko a souvent joué avec Doudou plutôt qu'avec des poupées, cette semaine. Toute seule au fond de la classe, elle s'est accordée dix minutes de tranquillité : elle s'est raconté tout bas le rêve qu'elle avait fait pour la troisième fois cette nuit, où Doudou nageait dans l'océan Indien, avec de gros sacs remplis d'argent, et où il arrivait ensuite en Indonésie et retrouvait ses fabricants pour leur donner les sacs d'argent ; avant de retourner jouer avec ses camarades.
Aujourd'hui, d'ailleurs, Angèle et Tamoga brûlent d'impatience : le rédacteur a réussi à faire retenir l'idée de la lettre de Motoko dans le prochain magazine. Le texte de la petite fille est inscrit dans le sommaire, à la page 11, juste après les autres courriers de lecteurs et lectrices. Aujourd'hui, Angèle, Tamoga, Paz, Kristoffer, Sylsia, Georges, Elmah, Batou et bien évidemment Motoko et Doudou Jobars se sont installés dans le canapé, autour du magazine.
Motoko est très heureuse de voir que ses mots exacts ont été retranscrits sur du papier de journal, en petites lettres, certes capitales, mais pas fordistes pour un sou ; elle chuchote à son Doudou d'écouter maman Tamoga, qui commence à lire la lettre de sa dernière fille :
"Chers fabricants d'objets qui vivent en Indonésie,
Je m'appelle Motoko Jobars, j'ai quatre ans, et aujourd'hui, je veux vous écrire une lettre. J'ai plein de choses à dire ! J'ai un Doudou super mignon dont je ne me sépare jamais, c'est un requin gris tout doux avec des gros yeux bleus, je ne sais pas si vous le reconnaîtriez. Et sur son étiquette, c'est écrit qu'il est fabriqué en Indonésie.
J'ai demandé à ma maman Angèle si on pouvait partir en Indonésie pour que je puisse vous remercier d'avoir fait ce Doudou que j'adore, mais elle m'a dit que c'était très loin et très long d'y aller, et que j'allais avoir beaucoup de mal à vous retrouver. J'espère que vous allez voir cette lettre.
Ma maman Angèle m'a raconté des trucs horribles, elle m'a dit que c'était des gens méchants qui vous demandaient de fabriquer des doudous et plein d'autres objets, mais qu'ils ne vous donnaient même pas d'argent en échange. Elle m'a dit que ce sont les entreprises qui vous demandent de fabriquer des objets, mais qu'après, elles gardent tout l'argent pour elles. Je trouve que ce n'est pas juste. Ce n'est pas juste, et c'est très méchant de ne pas donner d'argent à ceux qui font les choses, qui les assemblent.
Elle m'a dit que comme vous n'aviez pas d'argent, vous ne pouviez pas manger de la bonne nourriture, et que vous viviez mal. Moi, je vis dans une grande famille très heureuse qui a beaucoup d'argent, et je n'arrive pas à croire que dans d'autres endroits du monde, il y ait des gens qui puissent être aussi pauvres et malheureux. Aussi, elle m'a dit que des fois, c'était vos enfants de mon âge qui travaillaient pour fabriquer des objets, qu'ils mangeaient aussi mal que le reste de leur famille, et qu'ils ne pouvaient même pas avoir leur propre Doudou comme le mien. Moi, je trouve que ce n'est pas juste de faire travailler des enfants. Moi, je sais déjà lire et écrire, et en plus, je vais à l'école maternelle, et j'apprends plein de choses super intéressantes. Mes amis qui ne savent pas encore lire, écrire et compter sont en train d'apprendre. Nous avons une maîtresse très gentille et attentionnée. Même si toutes les maîtresses ne sont pas comme elle, elles nous apprennent plein de choses géniales.
Nous apprenons les couleurs. Nous apprenons les nombres. Nous apprenons les mots. Nous apprenons les pays. Nous chantons pendant la chorale. Nous lisons des histoires. Nous faisons la sieste après le repas. Nous mangeons tous les jours plein de choses bonnes pour la santé. Et même si moi, je n'aime pas toujours ce que je mange à la cantine, grâce à cette lettre je sais que j'ai de la chance de pouvoir manger à ma faim, et que vous, vous ne pouvez pas toujours. Peut-être même que vos enfants ne savent pas lire et compter. Peut-être qu'ils savent juste faire des gestes pour fabriquer des choses.
Je voudrais venir dans votre pays et dans les autres pays où il y a des gens géniaux comme vous. Je voudrais vous donner de l'argent et de la bonne nourriture. Qu'on aille manger tous ensemble et qu'on se dise plein de choses, même si on ne parle pas la même langue. À l'école, nous apprenons aussi à partager, à jouer ensemble, à écouter ce que disent nos amis. Partager, c'est quelque chose de très bien, qu'on n'apprend pas qu'à l'école, mais c'est là que ça commence, c'est là qu'on fait nos débuts pour mieux partager après, quand on est grands. Je crois que les entreprises ne sont jamais allées à l'école. Pourtant, l'école, c'est quelque chose de génial et de très utile, et moi, je pense que tous les enfants du monde, les filles et les garçons, devraient pouvoir aller à l'école.
Je me suis rendue compte de beaucoup de choses aujourd'hui. J'ai trouvé un livre, je l'ai lu. Je n'ai pas tout compris, mais j'ai retrouvé dedans des choses que ma maman Angèle m'avait déjà expliquées. Vous avez plus besoin d'argent que les entreprises, et pourtant, personne ne vous en donne. Vous êtes fatigués de travailler, vous vivez dans des endroits sales, très près les uns des autres, et d'ailleurs même si vous êtes épuisés, vous ne dormez pas assez. Vous devez toujours retourner travailler, et fabriquer des objets, sans jamais que l'on vous donne l'argent que vous méritez.
Ma maman Tamoga va m'aider à corriger et à améliorer cette lettre, j'espère qu'un jour, vous la verrez. Je voudrais dire aux entreprises qu'elles sont méchantes de vous faire ça, que ce n'est pas juste. Je voudrais vous donner l'argent dont vous avez besoin, mais comme je ne peux pas le faire, je vous donne de l'espérance et de la gentillesse, à la place. Je vous les donne grâce à ma lettre que j'ai pris plaisir à écrire. Je voudrais partager avec vous cet argent essentiel pour vivre, partager avec vous un bon repas, emmener vos enfants à l'école pour qu'ils puissent apprendre avec moi ; et enfin, je voudrais vous dire merci. Merci pour cette peluche grâce à laquelle j'ai tout compris.
Merci d'avoir fabriqué Doudou.
Motoko, une petite fille qui vous aime et qui veut que votre vie soit meilleure, un jour."
Les plus jeunes de la famille sont épris d'admiration, les plus grands sont impressionnés, et les deux parentes - même Angèle qui pourtant déteste montrer ses émotions - n'ont pu s'empêcher de verser une larme. Motoko vient de confirmer un dicton : la vérité sort toujours de la bouche des enfants.
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