"Fabriqué en Indonésie"
Une idée germe soudain dans l'esprit de la petite fille. Une politesse évidente vient d'apparaître devant ses yeux : les gens qui ont fabriqué son Doudou vivent en Indonésie, mais elle ne les a jamais remerciés !
Alors, elle se dresse de son lit, toujours son petit requin à la main, et elle se jette dans la cuisine. Elle y trouve maman Tamoga qui prépare à manger et maman Angèle qui lave les vitres. Comme elle sait que maman Angèle est la moins occupée, c'est vers elle qu'elle se dirige en sautillant. Elle a vraiment quelque chose à lui demander. Alors maman Angèle cesse une seconde de nettoyer les carreaux de la grande fenêtre pour écouter sa fille.
"Maman, maman ! C'est vrai que Doudou a été fabriqué en Indonésie ?"
"Ah bon ? Tu as lu ça sur son étiquette ?"
"Oui !"
"Et bien, ça doit être que c'est vrai, alors."
La petite se tait un instant, et réfléchit. Sa mère blonde ne se retourne pas tout de suite vers la fenêtre, car elle croit voir que sa dernière fille a encore quelque chose à lui dire. Alors, elle attend. Au bout de quelques secondes d'hésitation, Motoko relève la tête. Les yeux brillants, remplis d'espoir et de clémence ; de trompeuse insouciance et d'adorable innocence, elle demande :
"Mais, alors... est-ce qu'on pourrait aller en Indonésie ?"
"Quoi ? Et bien, on pourra y aller un jour, pendant les vacances, si tu veux !"
"Oh... mais moi je voulais y aller aujourd'hui..."
Maman Tamoga, qui s'est arrêtée de remuer les légumes dans la casserole, sourit en même temps que maman Angèle. Celle-ci continue d'ailleurs, en riant :
"Mais enfin, Motoko... on ne peut pas aller en Indonésie dès aujourd'hui ! C'est très long de réserver un voyage, tu sais ! C'est loin, l'Indonésie, regarde !"
La mère blonde conduit sa fille vers le frigo, toujours sous le regard doux de la mère brune. Angèle montre à Motoko, sur la grande carte du monde qui est accrochée en bas du frigo, un amas de grandes îles, situées au sud de l'Asie, juste au dessus de l'Australie, entre l'océan Indien et l'océan Pacifique.
"Tu vois Motoko, c'est là, l'Indonésie. Et la France, c'est là. indique-t-elle ensuite en dirigeant son doigt plus haut sur la carte, près du centre. C'est très loin ! On ne peut pas y aller aujourd'hui. Pourquoi est-ce que tu voudrais y aller, d'ailleurs ?"
"Bah, parce que... comme les gens qui ont fabriqué Doudou vivent en Indonésie... je voudrais aller les remercier..."
Cette fois-ci, maman Tamoga, derrière la cuisinière, est complètement attendrie. Angèle aussi, bien sûr, mais comme elle est plus terre à terre, elle décide d'asseoir Motoko sur une chaise et de se placer en face d'elle, pour lui expliquer des choses.
Alors, la mère blonde commence à raconter à sa fille :
"Tu sais, Motoko... Tu es très gentille de vouloir aller remercier les gens qui ont fabriqué ton Doudou, mais l'Indonésie, c'est un pays comme la France, c'est très grand, il y a beaucoup de gens très différents là-bas, et ça serait très difficile de les retrouver. En plus, ce sont des gens qui sont souvent très fatigués. Parce que tu sais, ton Doudou est loin d'être le seul qu'ils ont fabriqué... Ils ont fabriqués beaucoup d'autres doudous, certains qui ressemblaient au tien, d'autres qui ne lui ressemblaient pas du tout... d'ailleurs, ils ne fabriquent pas que des doudous. On leur fait aussi fabriquer des objets en tout genre, beaucoup d'objets, tous les jours, ils en fabriquent plein. Un peu comme les chinois, tu vois."
Maman Tamoga a interrompu sa femme deux fois durant pour lui demander de ne pas parler de choses comme ça à une enfant de quatre ans, mais maman Angèle ne s'est pas arrêtée pour autant. Au début triste d'apprendre qu'elle ne pourrait pas retrouver les gens qui ont fabriqué son requin en peluche, elle est maintenant extasiée, remplie d'admiration. Elle dit :
"Alors... les chinois et les gens qui vivent en Indonésie peuvent fabriquer plein d'objets en un seul jour ? Ils sont trop forts ! Ils ont des super-pouvoirs ?"
Les deux mères de Motoko esquissent un sourire adouci, mais malgré les regards de sa femme, Angèle décide quand-même de ne pas en rester là, et de continuer :
"Non, Motoko, ils n'ont pas de super-pouvoirs. Ce sont d'autres gens qui leur demandent de fabriquer des objets. Ce sont les gens qui ont mis Doudou dans la boutique de l'aquarium pour qu'il soit acheté. Tu te rappelles que je t'ai acheté Doudou quand tu étais toute petite, quand on était allés à l'aquarium en famille ? Et bien, l'argent avec lequel j'ai payé Doudou est donné à ces gens-là plutôt qu'à ceux qui l'ont vraiment fabriqué. Pour les autres objets, c'est pareil. En fait, l'argent est donné aux entreprises qui ont mis les objets dans les magasins. Les entreprises, ce sont ces choses qui nous vendent tout ce dont nous avons besoin : les voitures, les téléphones, les livres, les jouets, la nourriture... Ce sont elles qui récupèrent l'immense majorité de notre argent quand nous achetons des objets, même si ce ne sont pas elles qui les ont fabriqués."
Motoko, d'abord étonnée, reste silencieuse un instant, et demande :
"Pourquoi ? On ne peut pas partager l'argent des objets pour le donner à ceux qui les ont fabriqués ?"
"Si, on peut, continue Angèle, mais ce n'est pas ce que les entreprises font. Enfin, elles en donnent bien un petit peu, mais il ne faut pas se faire d'illusion, c'est très loin d'être le salaire de maman Angèle. Ce n'est pas suffisant pour vivre bien. Les gens qui ont fabriqué ton doudou et plein d'autres n'ont pas beaucoup d'argent. Ils sont pauvres. Des fois, ce sont même leurs enfants qui travaillent, ils sont à peine plus grands que toi, et ils n'ont pas de quoi s'acheter leur propre Doudou. Ils n'ont même pas de quoi s'acheter de la bonne nourriture."
C'en est trop pour Tamoga, qui voit que les yeux de Motoko sont devenus humides. Elle s'exclame à sa femme, remplie de colère, avec sa voix grave qu'elle n'utilise plus très souvent :
"Angèle ! Elle n'a que quatre ans ! Ne lui dis pas des choses comme ça !"
"Mais il faut bien qu'elle le sache un jour, non ?"
Maman Angèle prend sa fille en pleurs dans ses bras, et la serre aussi fort que la petite serre son Doudou. Elle lui chuchote :
"Tu sais, Motoko, les gens sont cupides et égoïstes. C'est pour ça qu'ils veulent garder tout l'argent pour eux."
"Ils sont méchants ! hurle la petite fille, complètement choquée, avec une voix et des yeux pleins de larmes."
Maman Tamoga a soudain une idée. Elle s'approche de la chaise où Angèle et Motoko sont toutes les deux installées, et se penche sur sa dernière fille pour lui murmurer :
"Motoko ? Si tu ne peux pas les voir, pourquoi tu ne leur écrirais pas une lettre ? Tu pourrais leur dire plein de choses dedans."
"Je veux ça ! bredouille l'enfant d'un ton cependant déterminé, en sortant son visage de la poitrine d'Angèle."
"Et bien... vas-y ! Je pourrai t'aider si tu en as besoin, et je corrigerai tes fautes."
"D'accord ! Je vais les remercier d'avoir fabriqué Doudou dans ma lettre, et je vais leur dire que les gens qui leur demandent de fabriquer des objets sont méchants avec eux !"
La toute petite brune saute des genoux de sa mère blonde, en tenant toujours son Doudou par la nageoire dorsale dans sa main droite. Elle se précipite dans sa chambre, comme la boule d'énergie qu'elle ne cessera jamais d'être. Au même moment, Batou sort des toilettes et, en venant embrasser encore ses deux parents, demande :
"Pourquoi est-ce qu'elle a crié, Motoko ?"
"Elle est très triste parce que je lui ai dit que les gens qui avaient fabriqué son Doudou n'avaient pas d'argent. Alors, elle va leur écrire une lettre."
"Ah bon ? Mais pourquoi ils n'ont pas d'argent ? Alors que c'est eux qui l'ont fabriqué ?"
Cette fois-ci, Tamoga s'obstine bien plus pour qu'Angèle ne répète pas la même chose à son fils qu'à sa fille. Ça suffit, il leur reste encore à profiter de toute leur innocence !
Pendant ce temps-là, Motoko est déjà assise derrière sa petite table de bureau toute bleue. Elle a pris un gros feutre gris avec lequel elle aime beaucoup écrire, elle qui a appris à maîtriser les mots si tôt, et elle est en face d'une feuille blanche. Alors, après avoir réfléchi un instant, elle écrit sa première phrase, avec ses grosses lettres un peu maladroites, mais déjà très engagées.
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