Chapitre 3 - Remise en question
- Eh ! Qu'est-ce que tu fais cet été ?
Marinette crayonnait dans son carnet à croquis, travaillant pour son projet de fin d'année. Elle termina de donner du volume à un modèle avant de lever les yeux vers Marcia, une étudiante de sa promo dans son école de stylisme. La jeune femme penchée vers elle, en appui sur sa table de travail lui souriait avec chaleur en attendant une réponse.
- On est en octobre, Marcia. Cela fait à peine deux mois que nous sommes rentrés que tu penses déjà à tes vacances ? lui demanda-t-elle perplexe.
- Je me fixe des objectifs à long terme, cela me permet de me motiver chaque matin, argumenta sa camarade avec enthousiasme.
Dans une école de stylisme, il n'y a pas d'uniforme. Il faut se créer son propre uniforme, son propre style. Ce qui permet d'avoir une identité et d'affirmer sa personnalité dans le paysage saturé de passionnés de mode. Marcia se définissait elle-même comme étant une hippie chic. Prenez le style chatoyant des baba cool des années soixante et croisez-le avec le bling bling des années 2000. Oui, ça pique la rétine. Marinette se contentait de son style parisien classique mais décontracté et confortable. Aujourd'hui, par exemple, elle portait une belle robe rouge avec une veste en jean et des chaussures compensées.
La jeune femme soupira et retourna à ses croquis.
- Cet été, je vais très certainement le passer à faire la plonge ou du service dans un resto pour mettre de l'argent de côté, dit-elle sans enthousiasme.
Marcia la regarda avec des yeux ronds.
- Tu ne pars pas ?
- Tout le monde n'a pas ce luxe.
Sa camarade se lança dans un babillage fourni autour de tous les pays qu'elle avait visité et tous ceux qu'elle avait encore à voir. Marinette sentit la frustration et l'envie maladive monter en elle, au point qu'elle sentit sa gorge se serrer. Prétextant d'aller aux toilettes, elle alla se poser dans le patio pour prendre l'air dont elle semblait tant manquer. C'était une belle et chaude journée d'automne. A la radio, les météorologues s'accordaient à dire qu'on aurait un bel été indien cette année.
Ce dont Marinette ne put se réjouir tant elle avait le cœur gros. Ses parents n'étaient pas aussi pauvres qu'elle l'avait laissé sous-entendre. Non, ce sont ses devoirs d'héroïne qui la retenaient dans la capitale. L'été qui a suivi son entrée en possession de son miraculous fut une cuisante déception en même temps qu'une canicule. Alya l'avait invité à passer quelques jours sur la côte d'azur, invitation qu'elle avait dû refuser à regret. Les étés suivants, ce fut pareil. Voilà cinq ans qu'elle n'avait pas quitté Paris. Bien qu'elle fût très attachée à sa ville, elle commençait à ressembler de plus en plus à une prison.
Est-ce que Chat Noir vivait la même chose ? Après utilisation de leurs pouvoirs, ils n'avaient guère le temps de s'attarder pour discuter d'autre chose que des banalités de surface. Cela dit, leur dernier échange n'avait pas été... banal. Doux euphémisme. Elle rougit au souvenir mortifiant de cette journée qu'elle souhaitait oublier.
Elle avait déboulé dans le restaurant en haleine. Hassan était assis à une table et semblait terminer un plat qu'il avait commandé. Face à lui, des couverts dressés attendaient désespérément qu'on veuille les utiliser. Marinette mit un vent au serveur qui venait à sa rencontre et alla s'asseoir précipitamment face à son rendez-vous.
- Je suis désolée ! J'ai eu un imprévu ! lança-t-elle en s'effondrant presque sur sa chaise.
Imperturbable, Hassan termina son assiette, reposa ses couverts et s'essuya la bouche avec sa serviette. Ce rituel terminé, il regarda sa montre puis leva enfin les yeux vers elle. Ses yeux presque noirs exprimaient une résignation fataliste.
- Une heure de retard. Record battu, fit-il en soupirant. Marinette, est-ce que tu veux vraiment t'investir dans cette relation ? demanda-t-il de but en blanc.
- Mais bien sûr ! dit-elle précipitamment, tout sachant au fond d'elle-même qu'elle mentait effrontément.
Hassan, un coude sur la table, porta un index à sa tempe, dubitatif.
- Permets-moi d'en douter. Cela fait trois semaines que nous sortons ensemble, à ton initiative. Mais dès que je fais un pas vers toi, tu en fais dix en arrière. Soit j'ai fait quelque chose de mal, soit tu ne souhaites pas être avec moi, lança-t-il d'un ton sec où pointait la colère.
Honteuse, Marinette ne sut quoi répondre. Ce qui l'irrita un peu plus. Elle déglutit.
- Ce n'est pas ça, je... je pense encore à quelqu'un d'autre, finit-elle par avouer en détournant son regard bleu.
Le jeune homme donna l'impression de s'être pris une gifle.
- Je vois.
D'un mouvement sec et vif, il se leva pour régler sa note. Paniquée, Marinette le suivit en tentant de dire quelque chose, n'importe quoi mais rien n'arrivait à franchir la barrière de l'intelligibilité. Hassan sortit d'un pas raide.
- Attends ! Je te promets de faire des efforts ! J'ai juste besoin de temps ! le supplia-t-elle.
Hassan se retourna vers elle avec une étincelle de colère dans le regard.
- Arrête, même toi, tu n'y crois pas ! Je ne mérite pas d'être ta relation kleenex et surtout, je mérite quelqu'un qui m'appréciera pour moi-même. Et toi aussi. J'aurais pu être cette personne si tu m'avais fait de la place. Tu n'es pas prête, je ne veux pas attendre. C'est fini. Point final.
Tandis que des larmes coulaient sur les joues de la jeune femme, il regretta un peu la dureté de ses paroles. Lui attrapant doucement le coude, il déposa un chaste baiser sur son front avant de lui recommander de prendre soin d'elle. Puis il s'éloigna et s'enfonça dans une bouche de métro.
Marinette rentra chez elle dans un état proche de la catatonie. Elle se faisait l'effet d'avoir la tête prisonnière d'un brouillard permanent. Ses parents ne firent aucun commentaire en voyant l'état dans lequel elle rentrait. Quand ils lui demandèrent si elle voulait manger quelque chose, elle secoua la tête n'ayant pas la force d'articuler la moindre parole.
Elle alla s'effondrer sur sa banquette, tira un plaid sur elle et se roula en boule, souhaitant rester ainsi pour toujours. Tikki tenta de la consoler ce dont Marinette lui fut reconnaissante. Grâce à l'affection de son kwami, la jeune femme retrouva un semblant de calme après avoir semble-t-il pleuré toutes les larmes de son corps. Elle fit le terrible constat qu'elle ne pleurait pas parce qu'elle venait de se faire larguer, mais parce qu'elle avait mal agi envers Hassan. Il avait raison, ils avaient tous les deux raison. Lui et Chat Noir. Ce n'était pas juste envers qui que ce soit de l'utiliser pour tenter d'oublier son premier amour. Elle avait voulu précipiter les choses et cela avait été un désastre. A ce stade-là, ce n'était même plus de la maladresse, mais du sabotage.
Le lendemain matin, elle se réveilla avec l'impression d'être une feuille de papier froissé mais avec l'esprit plus clair qu'elle ne l'avait eu depuis des mois. Elle envoya un sms à Hassan où elle s'excusait platement, le remerciant de sa patience et lui souhaita de trouver le bonheur. Puis elle fila sous la douche, bien décidée à envoyer par le siphon les derniers reliquats de sa mésaventure de la veille.
- Tikki ? appela-t-elle de sa minuscule salle de bain envahie de vapeur.
- Oui, Marinette ?
- Qu'est devenue la précédente Ladybug ?
Le kwami ne répondit pas tout de suite.
- Elle est morte, déclara-t-elle finalement d'une toute petite voix.
L'eau chaude martelait le cuir chevelu de la jeune femme. Marinette ferma les yeux sous le choc de la nouvelle et se passa plusieurs fois les mains sur le visage, comme pour se réveiller d'un cauchemar.
- Elle prenait son rôle très à cœur, mais un jour, on lui a détecté un cancer. Quand elle a compris qu'elle ne pouvait plus assumer son rôle, ça l'a dévasté. J'aurais aimé rester auprès d'elle pour la soutenir, mais elle a rendu mon miraculous pour « qu'une autre coccinelle reprenne vite le flambeau et protège sa chère Paris ». Maître Fu lui rendait souvent visite ainsi que le Chat Noir de l'époque. Et puis un jour...
Le kwami rouge à pois noirs ne termina pas sa phrase, une minuscule larme roula sur sa joue. La jeune femme se séchait les cheveux en l'écoutant. Tikki releva la tête vers l'héroïne.
- Pourquoi me demandes-tu ça tout d'un coup ?
Marinette choisit sa tenue et s'habilla avant de se saisir d'une brosse à cheveux.
- Par curiosité. Comment faisait-elle pour concilier ses deux vies ? D'ailleurs, quand était-ce ?
- Après la seconde guerre mondiale, à la fin des années quarante. Ce n'était pas très difficile pour elle, c'était une religieuse, expliqua Tikki. Elle considérait son rôle comme une extension de sa vocation. Elle ne menait pas de double-vie, selon ses dires, elle vivait une seule vie pleine et entière.
Marinette écarquilla les yeux. Elle éprouva une admiration sans borne pour celle qui l'avait précédé. L'après-guerre avait été une période difficile, elle avait dû avoir fort à faire.
- Son costume devait être original, réfléchit-elle à voix haute, son instinct de styliste en herbe lancé à plein régime.
- Toujours rouge à pois noirs, elle portait une robe de bure fendue sur les côtés pour mieux se déplacer, confirma le kwami.
En entendant la description dudit costume, Marinette sortit son carnet de croquis pour le noircir d'idées. Elle n'avait pas posé cette question par simple curiosité mais cela avait eu des répercussions heureuses. L'inspiration lui était venue, allier le vêtement religieux et le costume de héros. La figure mystérieuse et la figure publique. Elle y voyait un écho à sa propre existence. Peut-être qu'elle pourrait en faire quelque chose de positif pour une fois.
La styliste en herbe sursauta lorsqu'une goutte de pluie percuta son nez. Elle leva les yeux vers le ciel qui s'était subitement assombri. Un ballon météorologique traversa le ciel à toute allure. Elle crut distinguer une silhouette le chevauchant.
Elle souffla et ouvrit son sac dans lequel Tikki se cachait en journée. Le kwami avisa lui aussi l'akumatisé.
-Et c'est reparti, souffla l'héroïne en allant chercher un endroit où se transformer.
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'Cause ain't no rest for the wicked ! Pas de repos pour les braves ! dit la chanson.
La mise en situation se fait doucement mais sûrement. Je sens que je suis partie pour quelque chose de trop long ? C'est bien, non ? Bon, ben j'y retourne.
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