Chapitre 2 - Amour vache
/!\ Attention ! Propos vulgaires et gros mots en perspective /!\
Même si c'était son père qui l'avait inscrit sans le consulter à des cours d'escrime, Adrien devait reconnaître y avoir pris goût avec le temps. Pour rien au monde, il n'aurait avoué que c'était parce qu'il s'identifiait aux héros de films de cape et d'épée. Les Trois Mousquetaires, Fanfan la Tulipe, Le Capitaine Fracasse etc. L'idéal d'un héros jovial au langage fleuri, talentueux avec une rapière et chevalier servant de ces dames, bravant les dangers et ses adversaires pour en ressortir plus fort et victorieux !
Mais aujourd'hui, il avait clairement la tête ailleurs. Comme le lui fit remarquer son sparring partner qui le toucha à la poitrine en plein cœur. Il grommela devant l'ironie de la situation et se remit en garde. Son adversaire, cependant, ne l'entendit pas de cette oreille et retira son casque de protection, dévoilant le visage d'une jeune femme rousse aux yeux gris et portant un chignon bas. Elle avait l'air passablement contrariée.
- Qu'est-ce qu'il t'arrive, Adrien ?
Celui-ci garda la pose en niant d'un grognement qu'il y avait le moindre problème.
- Pas de « rien » avec moi ! Depuis le début, je marque tous les points. Et sur le dernier, j'ai fermé les yeux. Tu me fais perdre mon temps à être aussi médiocre, alors tu vas parler. Maintenant ! ajouta-t-elle d'un ton impérieux en tournant les talons, sous-entendant qu'il devait la suivre.
Lâchant un soupir de lassitude, Adrien retira également son casque et se décrocha avant de la rejoindre vers le coin buvette du club d'escrime. La jeune femme l'attendait d'un air sévère et buvait un verre de thé glacé qu'elle lui proposa également. Il la remercia et prit un verre mais n'exprima pas l'intention de le boire. Au lieu de cela, il fixa le liquide ambré comme pour y lire la bonne aventure. Il se sentit idiot lorsqu'il se rappela que cela se lisait dans les feuilles de thé.
- Alors ?! le relança-t-elle sèchement.
Plongé dans ses pensées, Adrien en sursauta violemment au point de renverser du thé sur sa tenue d'entraînement. Merveilleux... L'humiliation allait crescendo. Sa partenaire émit un sifflement impatient avant de lui tendre une serviette éponge.
- Tu as été contact avec elle, c'est ça ? demanda-t-elle les sourcils froncés en une expression soucieuse.
Il hocha lentement de la tête en se séchant.
- Et ça s'est si mal passé que ça ?
- Je ne sais pas, Will. En tout cas, cela ne s'est pas bien passé.
La dénommée « Will » eut une expression atterrée et roula des yeux. Une main dans le pli d'un bras et le bras libre pinçant l'arête de son nez, elle grommela quelque chose que les chastes oreilles d'Adrien ne voulaient pas entendre. Elle prit une longue respiration et se tourna vers lui.
- Raconte.
Adrien s'assit sur une chaise, ou plutôt se laissa tomber dessus. Comme un sac de patate, se dit piteusement Will. Il prit une très, très longue inspiration suivi d'une très, très longue expiration. D'un naturel peu patient, Will sentit une veine pulser sur sa tempe gauche, signe d'irritation chez elle. Mais la jeune femme prit sur elle, parce que c'était lui. Tout autre se serait fait engueuler copieusement.
- Elle était très triste, voire carrément déprimée.
- Quelqu'un est mort dans sa famille ? demanda aussitôt Will.
Adrien leva ses yeux verts vers elle, lui demandant implicitement de le laisser raconter. Elle lui fit un signe d'excuse et l'encouragea à poursuivre.
- Parce qu'elle avait un rendez-vous galant mais avec un autre que celui dont elle est amoureuse.
Will se mit à compter sur ses doigts.
- Ça veut dire que tu es doublement friendzoné ? demanda-t-elle le plus sérieusement du monde.
Le jeune homme la fusilla du regard. Elle leva les mains paumes vers le ciel.
- Il n'y a que la vérité qui blesse, trésor.
Il soupira. Elle avait raison, comme toujours. Will était une jeune femme au physique plus qu'avantageux et qui en était consciente. Mais elle n'en usait jamais de manière ostentatoire. Contrairement à son franc-parler, assez brut de décoffrage et limite blessant qui en faisait fuir plus d'un. Elle se faisait une fierté d'avoir autant d'amis que de doigts d'une seule main. Son bagout et son caractère faisant office de filtre à... disons idiots. Bien que Will ait usé d'un terme plus fleuri. Carrément vulgaire même.
C'est ce qu'il aimait chez elle, elle ne s'embarrassait pas de manières, ni de politesse. Elle disait ce qu'elle pensait être vrai, quitte à y aller avec la délicatesse d'une harde d'éléphants dans une cristallerie. Parfois, il se demandait ce qui avait fait qu'elle l'avait adopté comme membre de son cercle restreint d'amis proches. Un jour qu'il lui avait posé la question, elle prit bien cinq minutes -en silence- avant de lui répondre qu'il générait chez elle l'envie de le protéger.
« C'est peut-être ça l'instinct maternel ? » avait-elle suggéré dans la foulée.
Il se mit à rire à ce souvenir avant de reprendre une expression sérieuse sous son regard inquisiteur. Il se racla la gorge.
- Bref, elle culpabilisait de m'en parler parce que voilà...
- Parce qu'elle t'a foutu une veste il y a des années de ça et que le souvenir est toujours cuisant. On sait. Et toi, bonne poire, tu lui as offert une épaule compatissante ?
Elle avait donc une définition toute personnelle de « protéger ».
Adrien grimaça sous la touche et sentit son égo se ratatiner comme une baudruche. C'était des larmes qui lui piquaient les yeux ? Il comprenait de mieux en mieux pourquoi elle avait choisi l'escrime plutôt qu'une autre discipline. Elle arrivait à trouver la faille de son adversaire et frappait où cela faisait mal. Vive comme un serpent. Le jeune homme frissonna en imaginant le traitement que Will réservait à ceux qu'elle n'appréciait pas.
Elle secoua la tête et l'invita à continuer.
- Et elle culpabilisait pour son rendez-vous parce qu'elle voulait se prouver à elle-même qu'elle pouvait vivre sans son grand amour, mais que ce n'était pas juste pour lui.
Will pinça les lèvres, signe qu'elle se retenait très très fort de sortir une vacherie. Adrien comprit avec le temps que c'était un signe de son affection. Elle prenait des gants avec les gens qu'elle aimait.
- Encore heureux qu'elle culpabilise, sinon elle se comporterait comme une sale pute.
Elle prenait des gants parfois. Oui, Will était vulgaire quand elle prenait les choses à cœur. Et cela incluait la vie amoureuse de son meilleur ami. Ce dernier écarquilla les yeux en entendant le qualificatif.
- Eh, j'ai dit qu'elle se comporterait comme telle, pas qu'elle en était une, lui fit-elle remarquer. Et que lui as-tu répondu ?
- Que bien plus qu'à son rendez-vous, c'était à elle-même qu'elle mentait. Sous-entendu, qu'elle était malheureuse par sa propre faute. Pas en ces termes mais je te fais la version courte.
Will siffla d'admiration et l'applaudit.
- Waouh, elle ne t'a pas encore totalement castré finalement. Je suis fière de toi.
Adrien lui lança un regard mi-figue, mi-raisin avant de continuer.
- Oui, enfin... Elle s'est retenue de m'envoyer sur les roses, j'ai retiré ce que j'ai dit et je suis parti.
Il laissa retomber sa tête et se la prit entre les mains, les coudes sur les genoux. En le disant à voix haute, même lui se trouvait ridicule.
- Ah ouais, mais là non. Ça fait juste gros péteux qui s'écrase, trésor, râla-t-elle en levant les bras. Et c'est tout ?
Il hocha de la tête sans se relever.
Will expira vivement et s'assit à côté de lui. Les coudes également sur les genoux pour se mettre à son niveau, elle prit le temps de reprendre les éléments et de sortir sa réserve annuelle de délicatesse.
- Elle m'a l'air vachement solitaire comme fille, non ?
- Comment ça ? demanda son meilleur ami en relevant la tête, interloqué.
- Est-elle bien entourée par ses amis et sa famille ?
- Je t'avouerai qu'elle n'en parle que peu, mais tout le laisse entendre.
- Alors pourquoi elle vient parler de ses problèmes de cœur à toi en particulier ? Les meilleures amies sont faites pour ça, ainsi que les potes gays.
Will le regarda soudainement comme si elle le voyait pour la première. Adrien fit une moue pas du tout amusée. Ce n'était pas la première fois qu'elle lui faisait le coup.
- Je te charrie. Plus sérieusement, je ne vois pas beaucoup de raisons pour lesquelles elle se tourne vers toi plutôt qu'un ou une autre. Soit elle est dans la spirale « mon meilleur ami amoureux que je veux pas torturer mais qui me comprend tellement mieux que tout le monde », ou, effectivement, elle se ment à elle-même avec conviction.
- Je ne te suis pas, Will.
Cette dernière soupira et posa une main sur son avant-bras.
- Si son instinct premier pour chercher du réconfort, c'est d'aller auprès de toi, c'est que tu n'es pas n'importe qui pour elle. Tu es plus qu'un simple ami, ça c'est certain. Après dans le détail... je ne sais pas. Après, cela dépend aussi de toi.
- Ah bon ?
- C'est toi qui t'es mis dans cette situation, trésor, le sermonna-t-elle. Il fallait l'oublier ou lui faire réaliser qu'elle ne peut pas vivre sans toi. Pas te mettre à sa disposition comme un toutou qu'on sifflerait dès qu'on a besoin d'un peu d'affection. Tu ne te respectes pas. Et tu ne la respectes pas elle non plus.
Adrien bondit sur ses jambes sous le coup d'une colère qu'il ne s'imaginait pas pouvoir ressentir contre Will. Mais dès qu'on touchait à elle, il sortait les crocs. Son amie, nullement impressionnée, se releva et s'adossa dans sa chaise qui grinça.
- Comment peux-tu dire ça ?!
Elle releva posément les bras pour croiser les mains sur sa nuque et une jambe sur l'autre. Elle avait fait mouche une fois de plus.
- Je le dis et je l'affirme. Quand on tient -vraiment- à quelqu'un, on ne le laisse pas s'enfoncer dans sa connerie. On le prend par le col et on le secoue comme un prunier pour qu'il réagisse avant qu'il ne commette une erreur source de regrets ou qu'il arrête avant d'en avoir trop, dit-elle en le regardant dans les yeux. Si tu attends passivement que cette personne finisse par s'en rendre compte toute seule... eh bien, cela signifie que tu aimes souffrir et que tu es un piètre ami.
Sa colère aussi fulgurante fut-elle, cessa comme on souffle la flamme d'une bougie. Il réalisa que Will parlait autant de leur relation que la sienne avec la femme qu'il aimait. Il sentit monter une immense bouffée d'affection pour elle. Et à tel point qu'il la fit se relever et lui fit un gros câlin auquel elle ne s'attendait pas vraiment. La surprise passée, elle lui rendit son étreinte.
- Merci, Will, dit-il avec ferveur.
- Oh mais de rien, trésor, lui répondit-elle ses joues constellées de taches de rousseur légèrement plus roses que d'habitude.
- Que me conseilles-tu de faire ?
Elle ramena une mèche échappée de son chignon derrière une oreille.
- Sérieusement ?
- Sérieusement.
- De suivre ton propre conseil, Adrien. Sois honnête envers toi-même sur ce que tu veux vraiment. À partir de là, soit tu lâches l'affaire mais vraiment, hein ! Soit tu mets les bouchées doubles pour la conquérir et tu fais de moi ton garçon d'honneur à votre mariage.
- Quoi ?!
- J'ai déjà prévu un enterrement de vie de garçon aux petits oignons, fit-elle en embrassant son index et son pouce joints. Allez, on y retourne. Et tu as intérêt à m'offrir du répondant !
Adrien n'en crut pas ses oreilles mais la savait capable de l'avoir vraiment planifié. Il se demanda si elle était comme ça avec tous ses amis ou s'il avait droit à un traitement spécial. Il remit son casque, reprit sa rapière et la rejoignit sur le terrain.
Cette fois-ci, c'est lui qui ferait la touche.
En plein cœur.
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2e chapitre que je me suis bien amusée à écrire. Will est déjà mon personnage secondaire préféré. Vous vous en douterez xD
J'espère que cela vous a plu :3
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