Chapitre 16 - Les annonces
Gabriel Agreste n'était pas d'un naturel chaleureux, et cela ne s'était pas amélioré avec le temps. Loin de là. Pour parler à son père, Adrien avait dû prendre rendez-vous auprès de Nathalie, son assistante. Depuis le temps, il devait avoir l'habitude mais cela le frustrait toujours autant. Il aurait aimé que cet homme soit un peu plus que son géniteur, une figure paternelle aimante. Par exemple. Mais c'était déjà pas mal qu'il ait pu obtenir un entretien de trente minutes. Un exploit sur l'échelle de l'attention Gabrieline.
Et à neuf heures tapantes, la silhouette familière de Nathalie vint le chercher pour l'amener dans son bureau.
-Votre père vous attend, Adrien.
-Merci.
Elle hocha de la tête et s'en alla. Décidément, elle singeait bien son père dans cette mise à distance de toute émotion. Il prit une grande inspiration et poussa la porte. Son père se leva pour l'accueillir puis l'invita à prendre place dans un des deux fauteuils qui se faisaient face près d'une table basse.
-Bonjour, Adrien. Comment te portes-tu ?
-Bien, père. Je vous remercie. Et vous ?
-Bien également. Alors ? As-tu choisi quelles études tu allais mener ?
Le jeune homme cligna des yeux, sans comprendre. Il avait bien spécifié « personnel » dans le type de rendez-vous mais pas ce genre-là. Il serra les dents, anticipant déjà le mauvais quart d'heure qui allait suivre.
-J'y réfléchis encore. Mais ce n'est pas à ce sujet que je suis venu vous entretenir.
-Oh ? Et quel autre sujet vaudrait la peine de se voir pendant trente minutes ?
Adrien encaissa difficilement mais tint bon. Comme il aimerait que Marinette soit là pour le soutenir.
-Je... j'ai une petite-amie. Et je voulais vous en faire part moi-même.
Gabriel Agreste était l'incarnation du stoïcisme. Parlez-lui du beau temps, de la famine dans le monde, du dernier potin people ou d'amour... il restera toujours de marbre.
-Eh bien, j'espère que ce n'est pas la fille du maire. Elle n'est pas digne de toi.
Chloé ? Le jeune homme retint une expression abasourdie. Chloé était son amie d'enfance et il avait beaucoup d'affection pour elle. Mais elle n'était pas du « girlfriend material », comme disait les anglo-saxons. En tout cas, pas pour lui.
-Non, non. Ce n'est pas elle, père. C'est Marinette Dupain-Cheng.
Le styliste eut l'air de faire un effort de mémoire.
-Une ancienne camarade de lycée ?
Le visage d'Adrien s'illumina de constater qu'il avait retenu un tel détail de sa vie.
-Oui, nous avons été ensemble du collège au lycée !
-Es-tu certain qu'elle s'intéresse à toi pour toi ? demanda son père soudainement.
-Certain ! se récria le fils, outré.
-Je le jugerai par moi-même en temps voulu, déclara-t-il en se levant pour rejoindre son bureau imposant.
-Je vous demande pardon ?!
Gabriel Agreste toisa son fils.
-Je comprends qu'à ton âge, les... sens peuvent dicter la conduite des jeunes garçons mais il te faut garder en tête que tu es mon héritier. Et que beaucoup de gens qui t'approchent l'ont aussi en tête.
Face à son père, Adrien serra les poings. Il se sentait insulté et rabaissé comme jamais.
-Sous-entendez-vous que je ne suis pas assez intéressant par moi-même pour retenir l'attention de qui que ce soit ? lança-t-il avec émotion.
-Non. Je dis que beaucoup de personnes chercheront à profiter de toi, pour ta position sociale et le prestige de notre famille. Comme la fille du maire.
-Marinette n'est pas comme ça !
-Je n'aime pas me répéter. Je le jugerai par moi-même. Nathalie fixera un rendez-vous pour que nous dînions ensemble. Tu peux disposer.
Il se faisait congédier comme un employé, comme un mal-propre. D'ordinaire, il se serait résigné. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, cet homme ne lui inspirait que de l'incompréhension et de la colère.
-Comment ma mère a-t-elle pu trouver grâce à vos yeux ?
Gabriel Agreste se figea un instant. Puis il se leva lentement et se tourna vers le portrait de sa défunte épouse, dos à son fils.
-La bonne question serait plutôt : comment ai-je pu trouver grâce aux siens ? Je l'ignore, Adrien. C'est un des mystères inexpliqués de ce monde.
Il pivota vers lui.
-Insinues-tu que ton amie soit comparable à ta mère ?
-J'ai pour projet de faire ma vie avec elle, déclara-t-il solennellement.
Le styliste monolithique haussa un sourcil circonspect. Ce qui en soit était un cataclysme dans l'histoire de l'expressionisme gabrielin !
-Tu es bien jeune pour affirmer une chose d'une telle importance.
-Peu importe l'âge quand on a trouvé la bonne personne, non ?
-Encore faut-il que ce soit la bonne.
-Comment l'avez-vous su pour maman ? lui demanda-t-il fébrile, las de cette conversation qui ne menait nulle part.
Son père soupira longuement, signe d'une grande émotion.
-La première fois que j'ai croisé ses yeux verts, les mêmes que les tiens, et qu'elle m'a souri, j'ai su que je voudrais passer le reste de mes jours à ses côtés.
-La première fois que nous avons... dansé ensemble, Marinette m'a impressionné par son allure et l'aura qu'elle dégageait. Mais ce sont ses yeux bleus et son sourire qui me hantent depuis ce jour.
L'homme qui lui faisait face aurait pu être une statue, il n'aurait pu faire la différence. Adrien se sentait impuissant à atteindre le père derrière ce mur dressé face lui.
-Dupain-Cheng ? reprit soudainement son père, comme si un éclair venait de le frapper. Ce nom me dit quelque chose... ah oui. La directrice de la faculté de stylisme de la Cité des Arts m'en a parlé comme une étudiante très prometteuse. Tu comptais me cacher longtemps qu'elle souhaitait évoluer dans le même milieu que notre famille ?
-Je, je... non. Cela m'est sorti de l'esprit.
-Un détail de cette importance "t'est sorti de l'esprit" ?
-Père, je ne suis pas dans ce milieu par passion. Mais par votre intermédiaire. Vous seriez mal placé pour dire qu'elle veuille profiter de la situation. Ce qui n'est pas le cas.
Adrien venait de parler d'un ton las mais ferme. Son père haussa très légèrement des sourcils.
-Tu me compares... à des roturiers intéressés ? demanda-t-il, outré (?).
-Non. Je vous demande de lui laisser une chance, de ne pas la juger sans même avoir appris à la connaître. Je l'aime, père.
Gabriel Agreste perdit pendant quelques dixièmes de secondes son impassibilité habituelle.
-Alors cette jeune femme requiert d'autant plus mon attention, déclara-t-il finalement. Fort bien, je réserve mon jugement. Ce sera tout ?
-Oui. Bonne journée, père.
-Bonne journée, Adrien.
De retour chez lui, Adrien était au téléphone avec Marinette et lui faisait un compte-rendu de son "rendez-vous" avec Gabriel Agreste.
-Il veut me rencontrer. Lors d'un dîner. Ce samedi. Euh... Tu seras bien là, on est d'accord ?
-Oui, bien sûr. Tu t'en sens capable ?
-Quoi ? De ne pas me ridiculiser devant mon idole ou d'en sortir vivante ?
Il eut un sourire attendri.
-Oui, j'en suis capable. Mais... ce n'est pas un peu tôt pour se présenter officiellement à nos familles ? On est ensemble que depuis quelques jours.
Le jeune homme l'imagina se mordiller la lèvre.
-De ce côté-là, il faudra t'y faire. Mon père ordonne et mon père est obéi.
Elle soupira à l'autre bout de la ligne.
-Mes parents sont plus sympa si ça peut te consoler. Je dois d'ailleurs te faire expressément savoir que tu es le bienvenu chez nous.
Adrien eut un pincement au coeur qui perdura quelques secondes. Sa gorge le serra un peu et il eut du mal à formuler une réponse.
-Chaton ?
-Je vais bien, ma Lady. Ça me touche beaucoup de leur part. Tu les remercieras pour moi ?
-Tu pourras le faire toi-même la prochaine fois que tu viendras chez moi, l'entendit-il sourire au bout du fil.
Le jeune homme sourit à son tour.
-On mange ensemble à midi ?
-Désolée, mais j'ai réservé un créneau pour manger avec Alya dans un resto.
-En public ? Tu vas lui faire l'annonce en public ?
-Pour être certaine qu'elle ne me trucide pas, oui.
Il se plaqua une main sur la bouche pour se retenir de rire.
-Tu sais que je t'entends ?
-Pourquoi te truciderait-elle ? demanda-t-il en ignorant sa remarque.
-Parce que je ne lui ai pas dit l'instant d'après et qu'elle n'est pas la première au courant. Alors qu'elle a été mon premier soutien depuis qu'on se connaît.
-Pour devancer Will, il aurait fallu qu'elle nous surprenne dans ma chambre quand même, fit-il circonspect.
-J'essaierai de lui présenter les choses ainsi. Enfin, sans trop rentrer dans les détails.
-Et quels détails, dit-il d'un ton rêveur.
Adrien sut instinctivement qu'elle levait les yeux au ciel et en sourit. Il passait son temps à sourire en ce moment et ce n'était pas pour lui déplaire. Il se sentait heureux et entier depuis la soirée chez Nino.
-Bon, j'ai encore du travail devant moi. J'ai un projet à présenter pour la rentrée et une robe à terminer pour samedi.
-Tu te fais une nouvelle robe ? Pour manger avec mon père ?
-Oh, j'en avais le projet depuis un moment. Il y a deux ans, j'ai craqué et me suis achetée un rouleau de soie rouge sans jamais osé en faire quoi que ce soit. Ce sera l'occasion.
-Il serait intéressant d'accorder nos tenues dans ce cas, tu ne crois pas ?
-Excellente idée. Hm... le dress code est formel. Tu comptais porter quelque chose de spécial ?
Il soupira, il n'aimait pas se prendre la tête sur quel vêtement porter avec quel accessoire. Ironique pour un mannequin.
-Je mettrai certainement un pantalon blanc, une chemise blanche et un veston. Je n'aime pas les vestes de costume. C'est trop guindé, argua-t-il.
Il entendit des crissements caractéristiques d'une mine de crayon sur du papier. Marinette dessinait à toute allure. Au bout d'un moment, elle reprit la parole :
-J'ai largement assez de tissu en stock pour te faire un veston accordé à ma robe si cela te dit ?
-Cela me ferait très plaisir de porter une de tes créations, faite exprès pour moi en plus, se réjouit-il.
-Tu es libre ce soir ? Il faut que je prenne tes mensurations, lui demanda-t-elle déjà en train de planifier le travail des prochains jours.
-Oui, je passerai vers 18h30 ?
-Parfait. À ce soir alors.
-À ce soir. Je t'aime.
Il entendit un petit rire.
-Moi aussi, je t'aime.
Nino et Will l'attendaient à l'intérieur quand il arriva dans le bar restaurant où ils lui avaient donné rendez-vous. Will eut un petit sourire entendu en le voyant arriver.
-Mec, tu irradies de bonheur ! Est-ce que tu as enfin conclu avec ta mystérieuse copine ? lui demanda son meilleur ami.
-C'est le moins qu'on puisse dire, Nionio.
-Marinette et moi sommes ensemble, annonça-t-il finalement en lançant un regard à Will qui souriait de toutes ses dents.
La jeune femme portait toujours un bandage autour de la tête mais il était plus petit et ses yeux étaient moins rouges qu'avant. Son annonce eut l'effet d'une bombe sur Nino qui ne s'y attendait pas du tout.
-Whaaaaaat ?!
-Marinette et moi sortons ensemble.
-Nan mais ok. Mais comment ? Quand ? Pourquoi ?
Il avait anticipé sa réaction et s'attendait à plus virulent. Adrien en ressentit un immense soulagement avant de commencer son histoire.
-J'ai réalisé que depuis sa déclaration, elle hantait mes pensées. Je me sentais mal, coupable de lui avoir fait de la peine. Et dans le même temps, elle me manquait énormément. Plus que ce qu'une simple amie le devrait. Après avoir laissé Will à l'hôpital, je... je me sentais trop mal pour rester seul chez moi. Alors j'ai demandé à Marinette de me tenir compagnie. En tout bien tout honneur, hein.
-C'était le plan de base qui n'a pas tenu très longtemps, n'est-ce pas ? le taquina Will une main couvrant son hilarité.
-On s'est rapproché, oui. Mais ce qui a été décisif, c'est quand elle a craqué pour m'avouer qu'elle m'aimait toujours. Ça a fait tilt dans mon cerveau. Et... J'ai réalisé que j'étais aussi tombé amoureux d'elle.
Nino émit un sifflement admiratif.
-Bon, ben ta mésaventure avec le plan de travail aura au moins eu des retombées heureuses, dit-il à Will.
-Joli, approuva-t-elle avant de revenir à Adrien. Et ton autre crush ? Tu la laisses tomber ?
-J'ai suivi ton conseil, Will, dit-il de manière énigmatique.
-Bien, bien, approuva-t-elle d'un air entendu.
-C'est cool pour toi et Marinette, renchérit Nino. Alya va être ravie !
Adrien eut quelques doutes sur la question.
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Mince, ça fait déjà 16 chapitres ?! Eh beh, j'espère que vous ne vous en lassez pas ! Je m'amuse toujours autant.
Je sais où est-ce que je vais mais j'ignore combien de chapitres cela prendra pour y arriver.
À demain pour la suite /0/
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