Chapitre 12 - Dans le brouillard
Adrien entra dans son appartement dans un état second. La partie superficielle de sa conscience exécutait tout juste les automatismes acquis au cours des derniers mois à vivre dans ce cadre qui lui paraissait si froid. Fermer la porte à clé. Poser ses clés dans le vide-poche. Vider ses poches. Enlever ses chaussures. Retirer son manteau. Cligner parfois des yeux. Respirer.
-Ton père t'a laissé vivre dans ton propre appartement ? lui demanda Marinette dans son dos, étonnée.
-Oui. Après avoir acheté l'immeuble entier, précisa-t-il en jetant son manteau sur le canapé.
-Je me disais aussi, commenta-t-elle simplement.
-Tu veux prendre une douche ?
Il lui désigna une porte derrière elle sur sa gauche.
-Oui, merci. Ça me fera du bien.
Il alla lui chercher un t-shirt et un pantalon de pyjama qu'elle pourrait porter pour la nuit.
-Merci, lui dit-elle avant de se rendre dans la salle de bain.
En attendant son tour, il alluma machinalement la télévision mais son esprit n'arrivait pas à se concentrer sur quoi que ce soit. Etat de choc, déni. C'était le terme que le psy lui avait dit quand Marinette avait insisté pour le voir cinq minutes. C'était un état normal, un réflexe de défense de notre esprit qui ne pouvait encaisser tout de suite quelque chose de trop brutal. Généralement une expérience avec la mort.
L'image de Will étendue par terre dansait devant ses yeux clos. Ça aussi, ça allait durer un moment, l'avait prévenu le psy. Il lui avait donné un rendez-vous pour la semaine suivante et sa carte en cas de besoin. Marinette en avait pris un aussi. Comment faisait-elle pour aller voir ce genre de personne qui disséquait son esprit à coup de théorie freudienne ? Se montrer vulnérable à un total inconnu ? Impensable. Impossible.
Lorsqu'il sentit que le canapé bougeait sous le poids de quelque chose, il atterrit et constata que Marinette avait revêtu son pyjama et le regardait d'un air inquiet. Il constata alors avec une certaine perplexité qu'elle touchait son épaule et le secouait un peu. Il n'avait rien senti. Il remarqua vaguement qu'elle s'était lâché les cheveux et que cela lui allait bien.
-La place est libre.
Il se leva machinalement et alla se doucher. En vérité, il laissa juste l'eau couler sur sa tête sans rien faire. Au bout d'un moment, il entendit Marinette frapper à la porte ce qu'il lui indiqua qu'il avait dû largement dépasser la durée normale d'une douche. Il se sécha rapidement et enfila son propre pyjama. Il sortit dans un nuage de vapeur digne d'effets spéciaux de cinéma.
Marinette le regardait avec anxiété. Il était content qu'elle soit là, et très honteux qu'il la voit dans cet état. Il ne se sentait pas lui-même. À vrai dire, il ne se sentait pas. Ses yeux bleus, ils étaient magnifiques. Depuis quand ne les avaient-ils pas regardé ainsi ? Jamais, peut-être. Trop occupé à regarder sa Lady. Oh misère, il eut l'impression d'une gifle mentale. Il venait de se rappeler de sa conversation avec Ladybug. Sa Lady si surprenante, si entreprenante. Juste avant de trouver Will. Inconsciente, et pâle comme la mort. Il eut soudainement un vertige.
-Ouh, là ! Assis-toi ! l'enjoignit Marinette d'un ton autoritaire qu'il ne lui connaissait pas.
Il s'affala dans le canapé et l'entendit farfouiller dans les placards de la cuisine. Elle lui mit quelque chose dans les mains, lourd et froid.
-Bois un peu, Adrien. S'il te plaît.
Perdu, il comprit qu'elle se faisait un sang d'encre pour lui et obtempéra. Il mourrait de soif mais n'en prit conscience qu'en sentant l'eau fraîche sur sa langue pâteuse et légèrement gonflée. La jeune femme lui resservit un autre verre qu'il se fit un plaisir de vider.
-Merci, dit-il en s'allongeant sur son canapé.
Il se sentait lourd, et épuisé.
-Quelque chose me dit que tu es trop fatigué pour faire quoi que ce soit, mais trop épuisé pour espérer dormir.
-Tu lis en moi comme dans un livre ouvert.
Elle eut un éclat de rire... amer ? accompagné d'un « si seulement » qu'il crut distinguer sans en être tout à fait certain.
-Que veux-tu faire ? lui demanda-t-elle en se penchant au-dessus de lui, en appui sur les coudes.
-Essayer de manger me paraît pas mal, suggéra-t-il sans conviction, le bras sur les yeux. Tu n'as qu'à ouvrir le frigo et prendre ce que tu veux.
Dire qu'il n'avait plus aucune volonté était un doux euphémisme. Au bout d'un certain temps, elle vint s'asseoir dans un fauteuil et déposer une grande assiette de sandwichs sur la table basse. La simple vue de nourriture lui rappela qu'il n'avait pas vraiment mangé depuis ce midi. Il sentit alors l'animal nommé « Faim » ramper dans sa gorge et lui déchirer l'estomac. Il avait l'impression que sa conscience avait toujours un train de retard sur son corps.
-Ils sont très bons, dit-il en mangeant son quatrième sandwich. Merci.
-Il faut bien que mes compétences de boulangère servent à quelque chose de temps à autres, lui répondit-elle en souriant.
C'était la fatigue et le choc mais des pensées venimeuses lui vinrent. Il ne savait rien faire de ses dix doigts, à part prendre la pose. Mais cela ne lui donnait pas le sentiment d'être utile, d'apporter quelque chose à l'édifice qu'était l'humanité. Seul Chat Noir avait un sens dans sa vie, ces derniers temps. Mais comment envisager une vie professionnelle quand on pouvait tout à coup disparaître pour répondre à l'appel ? Et comment avoir une vie amoureuse épanouie ? La confiance était la base de toute relation, la communication venait juste après. Mentir ne ferait qu'émietter les liens qu'il pourrait éventuellement tisser.
-À quoi tu penses, Adrien ? lui demanda Marinette en mordant dans un sandwich.
Il releva un peu la tête et échangea un regard avec elle, à moitié dans le vague.
-Que je t'envie beaucoup. Tu as une passion qui guide ta vie, jusqu'à maintenant on a toujours pris toutes les décisions pour moi. J'ai voulu renverser la vapeur et reprendre ma vie en main. Mais... je ne sais pas ce que je veux ou peux en faire !
-On dirait que tu n'as pas vraiment évolué dans ta réflexion depuis... enfin, depuis la dernière fois, dit-elle simplement en haussant les épaules. Il n'y a rien qui ne t'inspire au quotidien ?
-Si mais tu vas me trouver ridicule, répondit-il en rougissant.
-Heureusement que ça ne tue pas.
Elle eut un sourire en coin, Adrien réalisait à quel point elle rayonnait de confiance en elle-même et d'assurance. Il réalisait avec une clairvoyance stupéfiante que si autrefois, elle semblait timide et bafouillait en sa présence, c'était parce qu'elle était amoureuse. Il se réjouissait cependant qu'elle lui montre enfin cette facette de sa personnalité qu'il trouvait charmante.
-Ladybug, lâcha-t-il. Ladybug et Chat Noir m'inspirent tous les jours.
Marinette le fixa en écarquillant les yeux de surprise. Puis elle eut un regard sur le côté, comme si elle cherchait dans sa mémoire.
-Oui, je me souviens que tu m'en avais parlé, il y a des années. Tu avais Ladybug en fond d'écran. Alors, tu veux être un super-héros en combinaison moulante ? le taquina-t-elle en buvant un verre d'eau.
Embarrassé, il croisa les bras.
-Pas exactement, non. Je ne sais pas. J'aimerai pouvoir aider mon prochain autant qu'eux. Quelque chose avec un emploi du temps souple, pour que mon père continue à utiliser mon image pour l'entreprise familiale, précisa-t-il en levant les bras d'exaspération.
Elle eut un sourire compatissant. La jeune femme ramena ses jambes sous elle et sembla réfléchir, accoudée.
-As-tu pensé à l'humanitaire ? lui demanda-t-elle en reportant son regard bleu sur lui. Ce n'est pas aussi glorieux que de se battre contre des vilains mais c'est tout aussi concret.
-C'est... c'est une excellente idée, avoua-t-il plein d'admiration pour l'intelligence de son amie.
-En plus, tu as une très bonne image publique. Ce serait un atout supplémentaire pour postuler en tant qu'ambassadeur auprès d'une ONG. Etant donné qu'il en existe des milliers, tu n'aurais que l'embarras du choix, continua-t-elle lancée sur sa réflexion.
-Je pense que mon père n'aurait pas trop à redire sur mon image publique, bien au contraire, commença-t-il à planifier.
Marinette posa son verre et croisa les mains sur sa cuisse. Elle prit une expression grave et sérieuse.
-En revanche, je te préviens qu'être un mannequin promouvant un mode de vie luxueux et déraisonné sera incontestablement un frein dans le milieu.
-Pourquoi donc ? s'étonna-t-il.
La jeune styliste le regarda, peinée.
-Tu ignores donc que l'industrie textile est l'une des premières causes de pollution et de misère humaine dans les pays pauvres ? Le coton est l'un des premiers consommateurs d'eau et la teinture une des principales causes de pollution de l'eau et des sols. Chaque année, de nouvelles collections apparaissent, deux fois par an. On achète puis on jette des vêtements neufs, de mauvaise qualité et parfois toxiques, juste pour être « à la mode ». Vouloir devenir le porte-étendard d'une cause en étant indirectement lié au malheur de populations qui souffrent de l'industrie dans lequel tu évolues... ça passera mal auprès d'une partie de l'opinion publique.
Le monde du mannequin sembla s'effondrer. Il ignorait tout de cela. Depuis quand Marinette était si clairvoyante sur sa propre profession ?
-Je ne te juge pas, Adrien. Moi-même, je n'avais pas connaissance de ce problème il y a encore peu. Et cela m'a fait ré-envisagé ma carrière professionnelle pendant un temps. En mon âme et conscience, je ne pouvais supporter que ma passion soit liée à autant de... souffrance.
Il la fixait avec une intensité nouvelle, fébrile.
-Qu'est-ce qui t'a décidé à rester ?
Elle ramena une mèche derrière son oreille.
-Quand j'ai rencontré Alya, je trouvais son enthousiasme sur les super-héros... risible. Amusant mais risible. Depuis, j'ai revu mon jugement. Et je me souviens très clairement de ce qu'elle m'a dit ce jour-là : « Le monde ne sera pas détruit par les gens qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. » Que je renonce à mon rêve n'arrêtera pas le système en place, mais si j'y prends pied en lançant une ligne de vêtements qui se voudra éthique et écologique... Peut-être alors que d'autres suivront mon exemple, comme je suis actuellement l'exemple d'autres avant moi. Alors, peut-être. Que le monde sera sauvé.
Adrien éprouva une admiration sans borne pour la jeune femme.
-Ladybug n'aurait pas dit mieux, dit-il la voix tremblante d'émotion.
Elle haussa les sourcils et eut un sourire ironique.
-Je prends ça comme un compliment.
-C'en est un, lui assura-t-il avec chaleur.
-Ça va mieux ? lui demanda-t-elle avec douceur.
Il inspira et expira lentement. Il ne sentait plus cette tension dans ses épaules, ni cette boule d'angoisse dans son ventre et l'espèce de brouillard qui anesthésiait son esprit.
-Oui. Merci beaucoup. Tu m'as donné beaucoup à réfléchir. Je me rends compte que j'ai été dans une sorte de cocon protecteur. Non. Que j'ai été aveugle depuis tout ce temps.
-Ne t'en veux pas trop. Il faut creuser pour savoir, et tout le monde ne souhaite pas que cela se sache.
Adrien prit soudainement conscience de quelque chose.
-Mon père, sa maison de couture...
Marinette se mordit la lèvre inférieure, suivant le cheminement de sa pensée.
-Très probablement, oui.
Adrien réalisait peu à peu toutes les implications et les conséquences qu'elles entraînaient. Il releva soudainement la tête lorsqu'il sentit une main sur son épaule. Son visage se trouva soudainement proche de celui de Marinette qui recula avant de se prendre un coup de tête.
-Respire, le choc du mur de la réalité est très difficile à encaisser mais il ne faut pas que ça te détruise. Il doit être un moteur pour changer les choses, pas pour se lamenter sur les actes passés. Je ne te l'ai pas dit pour que tu culpabilises mais pour que tu comprennes l'ampleur de la tâche qui t'attend, si tu veux poursuivre sur cette voie. Dans laquelle je suis sûre que tu feras de grandes choses.
Sa sagesse et sa douceur l'émurent plus qu'il ne sut le dire. Il posa une main sur sa joue et déposa un baiser tendre sur l'autre avant de la prendre dans ses bras. Adrien réalisait à quel point elle lui avait manqué et en même temps, il était ravi de découvrir toute la Marinette qu'elle était censée être. Douce, forte, déterminée, réfléchie, sage. Oh, il pourrait pu en tomber fou amoureux sans Ladybug. En vérité, elle lui ressemblait beaucoup par la personnalité, se dit-il.
Elle lui rendait son étreinte avec affection. Mais, au bout d'un moment, il la rompit, se demandant s'ils n'avaient pas dépassé le temps réglementaire de l'accolade amicale.
-Je vais aller me coucher, je suis épuisé. Merci pour ton écoute et tes conseils.
-À ton service, beau blond. Bonne nuit.
-Bonne nuit.
Une fois seul dans sa chambre, il l'entendit refermer la porte de la chambre d'ami. Allongé sous la couette, il réfléchissait à tout ce qui s'était passé aujourd'hui. La soirée puis la nuit avait été longue. Il roula sur le côté et aperçut Plagg qui roupillait dans une assiette autrefois pleine de camembert. Adrien secoua la tête avec une expression amusée avant de s'endormir profondément.
Le sourire aux lèvres.
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Sentez l'ironie de la situation et le sarcasme dans l'auteur dans les répliques des personnages !
MOUAHAHAHAHAHA \o/
Continuons si vous le voulez bien sur cette belle lancée >D
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