Chapitre 6 : Le dernier recours
- Pardon ? Vous rigolez ? je panique, les mains crispées sur la table.
- Absolument pas.
Je ne vois pas une seule once d'ironie dans ses yeux. Il m'a l'air sérieux.
- Vous ne croyez pas que si mon père était membre d'un gang je le saurai ?je rétorque, ne me résolvant pas à le croire.
- J'ai déjà eu affaire avec Estebán Abril. Je sais que c'est votre père et qu'il faisait bien parti du gang des Navajas.
- Attendez, je le stoppe. Les Navajas ? Les couteaux ? Est-ce que les membres de ce gang porte un tatouage représentative d'un grand couteau ? Ou d'un poignard ?
Il fronce les sourcils face à ma question, qui a l'air complètement idiote.
- Oui, bien sûr.
Il commence à soulever son t-shirt et me montre du doigt le bas de son ventre, du côté gauche. Un revolver y est tatoué. Le dessin est extrêmement détaillé et, dans d'autres circonstances, j'aurai pu le trouver beau. Mon regard s'en va quand même instantanément vers ses abdominaux saillants. Il rebaisse son t-shirt dans un rire.
- C'est toujours l'effet que ça fait aux femmes.
Je lève les yeux au ciel.
- Tout ça pour dire qu'on a tous un tatouage représentatif de notre gang, reprend-il. Nous sommes les Tiradores, nous avons donc un tatouage représentant une arme à feu. Et les membres du gang des Navajas ont un tatouage représentatif d'un couteau. Pourquoi cette question ?
J'hésite à parler de ça avec ce Rafaël. Après tout, il fait parti d'un gang, je ne le connais pas et il pourrait me mentir. Est-ce que j'ai une autre solution ? Absolument pas.
- Le jour de l'explosion, ma sœur a été enlevée par un homme qui avait le tatouage d'un grand couteau sur l'avant-bras.
- Si les Navajas l'ont enlevée, ce n'est sûrement pas pour l'argent. C'est un gang extrêmement riche.
- Elle connaissait l'homme, je lâche.
Je lui épargne les détails concernant le fait qu'elle l'ait appelée « papa » pour sortir de l'établissement. Rafaël garde les sourcils froncés.
- À part te certifier à presque cent pour cent qu'elle est dans un des gangs adverses à l'heure qu'il est, je ne peux rien te dire de plus.
- Et concernant mes parents ? je renchéris, bien déterminée à avoir au moins une réponse.
- Alejandro a dû te dire que j'étais une personne difficile en affaires et que...
Je vois ses lèvres bouger mais je n'écoute plus. Une pensée me traverse l'esprit. Un cauchemar du passé revient me hanter.
- Attendez, je l'arrête du geste de la main.
La colère monte en flèche en moi sans que je ne puisse la contrôler.
- Pour entrer dans votre gang, Alejandro a dû sacrifier un proche pour montrer sa loyauté. Est-ce vrai ?
- Oui, bien sûr. Ceux qui veulent entrer dans le gang par dépit, parce qu'ils ont besoin d'argent, doivent passer un test, m'explique-t-il. Ceux que nous recrutons, eux, n'ont pas besoin de test car nous les avons choisi pour leurs caractéristiques particulières. Les membres comme Alejandro ne sont que des pions.
Je sers les poings sous la table pour maîtriser la colère qui s'empare de mon être.
- Par hasard, est-ce que vous vous rappelez ce que Alejandro a dû passer comme test ? je demande, les dents serrées.
- Je ne sais même pas qui était la personne proche qu'il a sacrifié, me répond-il, nonchalamment, en haussant les épaules. Je n'ai jamais vu la vidéo.
- La vidéo ? je crie en me levant.
- Tous les tests sont filmés pour certifié que le nouveau membre l'a bien accompli.
Ma main vient se coller avec une force inouïe sur la joue de Rafaël. Tous les regards sont rivés vers nous tandis que Rafaël se frotte la joue.
- Vous n'êtes que des connards ! Allez vous faire voir avec votre gang de merde !
Je n'en ai rien à faire que la Terre entière m'entende. J'en ai trop sur le cœur pour me taire. Par réflexe, Rafaël se lève, pose une main sur ce que je pense être une arme et m'attrape le bras pour me rasseoir.
- Lâche-moi.
Je le rabaisse au tutoiement.
- Pas avant d'avoir eu une explication.
- Je ne te dois absolument rien, je crache en me défaisant de son bras.
Il enlève la main de son arme pour la glisser dans poche de devant et en sortir très rapidement une photo.
- Tu ne me dois peut-être rien mais je sais quel gang a tué tes parents.
Je prends la photo. Elle provient d'une de nos caméras de surveillance, je reconnais l'angle de vue. On y voit deux hommes, habillés en noir. Ils sont dans le bureau de mon père. L'angle de la photo permet de voir le bras d'un des hommes. Il y a un tatouage dessus. J'avance la photo plus près pour reconnaître le dessin. Un serpent.
- Un serpent ? je demande, maîtrisant ma colère pour obtenir des informations.
- Une vipère, me corrige-t-il, sur un ton plus doux que tout à l'heure. C'est le gang des Víboras.
Je ne réponds pas, fourre mes affaires dans mon sac à main et me lève pour partir. Pour de bon. Mais il me retient une nouvelle fois par le bras.
- Notre gang a vraiment besoin de gens comme toi.
- Allez vous faire voir, toi et ton gang.
Voyant qu'il ne compte pas me lâcher, je m'empare de sa tasse de café encore chaude et la lui balance sur sa jolie chemise blanche. Je rapproche mon visage du sien avant de lui balancer :
- La personne proche qu'Alejandro a choisi de sacrifier, c'était moi.
Il reste bête. Complètement. Son regard est rivé dans le mien et, sonné, il relâche mon bras. Je vois dans son regard qu'il sait ce dont son gang est capable.
- Je suis désolé, me répond-il, doucement.
- Ça n'effacera pas les douleurs psychologiques que j'ai eu. Ni les douleurs physiques. Alors ton pardon tu peux te le mettre où je pense !
- J'ignore ce que tu as subi, mais je peux très bien tuer les personnes qui t'ont fait cela. Y compris Alejandro. Et effacer la vidéo. Si c'est ce qu'il faut pour que tu rentres dans notre gang.
Dans un monde parallèle, l'idée aurait pu me plaire.
- Parce que tu crois que c'est la solution à tout ? Tu crois que c'est ça le problème ? Qu'est-ce que t'es drôle, toi ! je souris sarcastiquement. Tu n'as rien compris. Le problème vient du fonctionnement de ton gang. Ce n'est pas comme ça qu'on traite les gens innocents, les gens qui n'ont rien à voir avec ton foutu gang !
Je me relève une énième fois.
- S'il te plaît, rassis-toi. Je veux qu'on parle.
- Et moi je veux partir.
- Je t'aiderai à retrouver ta sœur. Et ceux qui ont tué ta famille. Je t'en fais la promesse.
Sa proposition me dissuade de partir du café. Je veux plus que tout retrouver ma sœur. Et l'envie de venger mes parents et mon frère est de plus en plus grande. Ma haine vis-à-vis des tueurs s'amplifie à chaque jour qui passe.
La sonnerie de mon téléphone me coupe dans mes pensées. C'est un message de Julio : « Je viens de finir le travail, tu veux que je passe te voir ? ». Je m'entends à merveille avec lui. Il y a eu une sorte de connexion entre nous. Je l'apprécie vraiment. « Désolée, je suis fatiguée, je n'ai envie de voir personne », je mens. Je n'ai pas envie de lui dire où je suis, ni avec qui, et si je lui dis seulement que je ne suis pas chez moi, il va vouloir me retrouver. Dans tous les cas, je suis obligée de mentir. Je repose donc mon téléphone à côté de ma tasse de café froide et reprends ma conversation avec Rafaël.
- Pour récapituler, je continue, ma sœur se trouverait dans le gang des Navajas, où mon père était, apparemment, tandis que les tueurs de ma famille sont les Viboras.
Il hoche la tête.
- Qu'est-ce que vous pourriez faire pour m'aider ?
- Une fois que tu rentres dans le gang, avec tes compétences, tu pourras très vite gravir l'échelle sociale. On devra commencer par savoir si elle est toujours vivante. Ça risque de prendre du temps sachant que les gangs sont très fermés et que mes informateurs ont parfois du mal à récupérer des informations cruciales.
- Ce n'est pas plus simple que j'aille directement dans leur gang ? je demande, à tout hasard.
- Si tu rentres chez nous, les Tiradores, tu as la certitude que je ferai tout pour réduire à néant les deux autres gangs. Je ne le fais pas que pour toi mais aussi pour la puissance de notre gang. Si tu vas chez les Navajas, ou encore les Viboras, rien ne te garantit que tu arriveras à les tromper pour te venger ou retrouver ta sœur.
J'ai un gage d'assurance avec lui. Je n'aurai jamais pensé en arriver là dans ma vie. Mais je n'ai pas le choix. J'ai besoin d'avoir les réponses à mes questions. Et seul Rafaël peut me les donner. Et sa seule condition est que j'entre dans son gang.
- Je vais réfléchir à ta proposition. Mais si j'accepte, je devrais poser mes conditions.
- Lesquelles, par exemple ?
- Je ne me ferai pas tatouer, je commence. Je ne tuerai personne, je ne passerai pas de test,...
- Tu ne passeras pas de test, me coupe-t-il, soit en sûre. Et le tatouage n'est pas obligatoire. La plupart des membres le font pour montrer leur appartenance mais tu n'es pas obligée. Cependant, en ce qui concerne de tuer des gens, nous ne t'obligerons jamais à rien ; mais il se peut que tu te retrouves dans une situation qui t'amène à tuer quelqu'un par légitime défense. Tu dois te douter que les gangs ne sont pas très coopératifs et ne font pas dans la dentelle. Mais nous ne te demanderons jamais de tuer quelqu'un si c'est ton désir. Tu dois juste te préparer à l'éventualité que ça puisse arriver en te défendant.
Je hoche la tête, enchantée qu'il se plie à mes conditions.
- Mais, tu t'en doutes, continue-t-il, en décidant d'entrer dans le gang tu t'engages à accomplir toutes sortes de missions. Les trafics d'armes et de drogues sont courants. Cependant, je te verrai plus dans les soirées et les galas.
- C'est-à-dire ?
- Beaucoup de ces trafics se font au milieu de soirées mondaines auxquels nous arrivons à être invités. Les riches aussi veulent de la drogue, des armes et d'autres produits tout autant illicites. Je ne fais quasiment plus que ces missions-là. Mais je suis seul. Et je pense que si je venais au bras d'une femme, nous passerions encore plus inaperçus et j'aurai quelqu'un pour couvrir mes arrières.
L'idée des missions ne m'emballe guère. Même si je savais que ça allait avec le contrat, je ne m'en réjouis pas.
- En revanche, poursuit Rafaël, tu pourras rester chez toi et continuer ta vie normale. Nous n'exigeons pas forcément de nos membres qu'ils habitent au quartier général. Tu dois seulement être joignable à toute heure de la journée. Tes différentes entrées d'argent te seront mises automatiquement sur le compte bancaire que tu nous auras donné. À moins que tu ne préfères l'espèce.
- L'espèce est plus facile à liquider au Mexique, mais ce n'est pas pour l'argent que je fais ça.
- Partons sur l'espèce. Tu seras payée. Tu fais ton travail, on te paie. C'est comme ça que ça fonctionne.
- Bien. Je vais réfléchir, et si jamais je souhaite faire affaire avec toi, je te contacterai.
Je ramasse mon sac, prête à partir, lorsque le tintement de la porte du café retentit. Je n'y fais pas attention jusqu'à ce que, dans mon champ de vision, je vois la personne immobile sur le seuil. Je lève les yeux vers la personne, et mon regard croise aussitôt celui de Julio. Merde.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top