Chapitre 28 : Un bal qui vire au drame

Sur le coup, je reste tétanisée. Nous allons à une grande fête. Nous allons au bal des pompiers. Nous allons à la fête où mon petit-ami sera aussi. Cette même fête à laquelle j'ai déclaré ne pas pouvoir aller et pour laquelle j'ai menti. J'ai envie de m'enfoncer dans un trou de souris.

- Je ne peux pas aller à cette soirée, je lâche en tournant ma tête vers Rafaël.

- Pardon ? Mais pourquoi ça ? On attendait une fête comme celle-là depuis des semaines. Crois-moi que tu vas adorer.

- Mon copain est à cette soirée. Je ne peux pas y aller.

La panique prend possession de mon corps et je me sens obligée d'ouvrir la portière pour prendre un bol d'air frais. Je n'arrive pas à croire la catastrophe à laquelle je m'expose.

- Je ne peux pas prendre le risque que Julio me voit à cette soirée, ni qu'il découvre que je fais partie d'un gang. C'est impossible, tu peux comprendre ça, Rafaël ?

Je prends de grandes inspirations pour tenter de calmer le stresse qui m'envahit. Je pose le masque en dentelle noire sur le tableau de bord avant que Rafaël ne reprenne la parole.

- Écoute, si tu veux, exceptionnellement, je vais faire cette mission seul. Nous allons tous les deux à cette soirée mais tu vas la passer avec Julio. Tu lui feras croire que tu lui faisais une surprise. Et tu passeras une excellente soirée.

- Je ne vais pas te laisser seule. Ce ne serait pas correct.

- Tu crois que je vais m'ennuyer ? rigole-t-il en levant les yeux au ciel. Comment crois-tu que je faisais avant de te rencontrer ? Ne t'inquiète pas pour moi, je passerai quand même une bonne soirée. Ce qui compte c'est que tout se passe bien avec ton copain et qu'il ne découvre pas ce que tu lui caches. Mon plan te va ?

- Je me sens coupable de ne pas rester avec toi pour mener notre mission à bien, je réponds en jouant avec mes doigts.

- Arrête de te tracasser, je te promets que ça va aller. Maintenant referme la portière, je t'emmène à l'une des meilleures fêtes de l'année.

Il me fait un immense sourire en démarrant notre belle voiture de course. Je tire la porte vers moi en continuant de le regarder. Je crois n'avoir jamais rencontré un homme capable de faire autant pour moi. Il me donne tout sans rien demander en retour. Je me sens chanceuse d'avoir un Rafaël dans ma vie.

Le trajet en voiture se passe comme d'habitude malgré le fait qu'une boule s'est creusée au fond de mon ventre. Je suis stressée et je n'arrive pas à me l'expliquer. Mon coéquipier semble le remarquer et tourne la tête vers moi avec un grand sourire.

- Ma petite Rym, arrête de te tordre l'esprit dans tous les sens. Écoute-moi. Tu vas aller à cette soirée rejoindre Julio. Tu lui feras la surprise. Il sera forcément heureux de te voir arriver, surtout dans cette robe magnifique. Et tu passeras l'une des meilleures soirées de ta vie. Tu vas même pouvoir le connaître dans un environnement différent, entouré de ses amis. Je te promets que tu vas passer une bonne soirée.

Je réponds par un sourire sincère et un hochement de tête. D'habitude les promesses de Rafaël me font l'effet d'un baume au cœur car elles sont toujours véridiques. Néanmoins, à ce moment-là, un mauvais pressentiment pointe le bout de son nez et je n'arrive pas à passer au-dessus. Je le sens au fond de moi que quelque chose va mal tourner ce soir. C'est viscérale. Et je ne parviens pas à faire fuir ces pensées négatives.

- On verra bien, je murmure en tournant ma tête vers la vitre.

Un magnifique paysage de coucher de soleil se joue devant nous. On croirait voir une peinture. Un beau dégradé de rose et de violet. Regarder le ciel est si apaisant pour l'esprit et pour l'âme. Je soupire doucement pendant que Rafaël fredonne les paroles d'une chanson passant à la radio. J'attrape mon masque en dentelle sur le tableau de bord et baisse le pare-soleil où se trouve un petit miroir intégré. J'installe de la bonne manière le tissu et me tourne vers mon ami.

- Comment tu me trouves ?

- Prépare-toi à faire tourner les têtes, ricane-t-il en empruntant une sortie d'autoroute.

Un rire s'échappe de ma bouche et je décide de chanter avec lui. Nous passons les trente dernières minutes en chanson et en fausses notes. Mais nous rigolons, c'est l'essentiel. Rafaël baisse le son de la musique lorsque nous arrivons devant un immense parking précédent une gigantesque salle des fêtes. Le bâtiment est magnifique et sur trois étages. La fête à l'air de se tenir au rez-de-chaussée et bat son plein. Des voitures sont garées partout dans le vaste parking et Rafaël parvient à trouver une place un peu à l'écart. Il enfile son masque avant de sortir de la voiture, d'en faire le tour et de venir m'ouvrir. Il m'aide à sortir pour ne pas que j'abîme la belle robe confectionnée par Yanissa.

- Ça en fait des voitures, je commente en tournant sur moi-même.

En effet, plusieurs centaines de voitures sont garées les unes à côté des autres. Toutes plus belles les unes que les autres.

- Je t'avais dit que ça serait la fête de l'année. Je suis étonnée que tu ne sois jamais allée au bal des pompiers. Toi qui a passé ta jeunesse dans les soirées mondaines avec tes parents.

- Il faut croire que le bal des pompiers ne l'était pas assez, je rigole en lui frappant gentiment l'épaule.

Il marmonne quelques mots avant de sortir de sa poche une autre clef de voiture.

- Comme nous serons séparés ce soir, prend le double des clefs. Ça t'évitera d'attendre dans le froid si tu arrives avant moi.

- Merci, Rafaël, je réponds en les rangeant dans ma petite pochette noire. Tu as tout ce qu'il te faut pour la mission ?

Il ouvre les deux côtés de sa veste de costume où apparaissent clairement, à travers les poches, les chargeurs d'armes et les sachets de drogue pure.

- Bon, et bien il semblerait que nos chemins se séparent, dit-il finalement en prenant un air triste.

- Arrête de faire l'enfant, on se retrouve en fin de soirée, je souris en levant les yeux au ciel.

- Deux heures du matin, ça te va ? Ou trois heures ?

- Deux heures du matin. On va devoir faire le compte-rendu en rentrant et je n'ai pas envie de dormir en début de journée. J'ai ma conférence demain.

- C'est vrai. On dit deux heures alors. Je te souhaite une bonne soirée, petite Rym.

Il me claque un bisou sur la joue et s'en va vers le grand bâtiment tandis que j'attends quelques minutes dans l'air encore tiède de cette fin de journée. Je jette un coup d'œil à mon téléphone et aucun message de Julio. Il est sûrement occupé à cette soirée. J'ai hâte de lui faire la surprise de ma venue.

Trois minutes après le départ de Rafaël, je m'en vais à mon tour vers le grand bâtiment. Je vois quelques regards se tourner vers moi, sûrement dus à la beauté de la robe de Yanissa. Je lance de gentils sourires autour de moi et mes mauvais pressentiments s'envolent enfin. Je suis décidée à passer une bonne soirée avec mon petit ami.

Je franchis la grande porte en bois massif pour arriver dans une grande salle bondée de monde. Je crois n'avoir jamais été à une fête avec autant de personnes présentes. Une vague de chaleur m'envahit d'un seul coup, dès que je mets un pied sur le tapis rouge intérieur menant à un immense escalier, au bout de la salle. Je jette un coup d'œil autour de moi. Aucune trace de Julio, ni de Rafaël. Il y a tellement de monde que je peine à retenir, ni à reconnaître, un seul visage. Et les masques que chacun porte ne m'aident pas dans ma tâche. Ne voulant pas passer la prochaine demi-heure à chercher Julio, je décide de me diriger vers le bar.Il va forcément finir par y aller lui aussi.

- Un cocktail à la framboise. Sans alcool, je précise en plantant mes yeux dans ceux du barman.

Il hoche la tête et s'affaire à me préparer ma boisson.

- Vous êtes ravissantes, mademoiselle. Votre robe est sublime et vous va si bien, me complimente-il en me tendant mon verre. Vous êtes pile dans le thème de la soirée !

- Et vous, vous avez un très joli masque.

Je lui fais un grand sourire et m'en vais m'installer sur une des innombrables tables hautes. Je sirote mon verre en observant les gens. Un par un. Cherchant désespéramment Julio. La salle est immense et les gens sont si nombreux. Je soupire avant de boire une gorgée de ma boisson. Finalement une demi-douzaine de personnes viennent à ma table discuter avec moi. La plupart connaissaient plus mes parents qu'ils ne me connaissent moi. Mais je fais avec et presque une heure passe, ainsi que trois cocktails. Ma vessie commence à faire des siennes et je décide de mettre un terme à ma conversation avec un golfeur professionnel, avec lequel mon père passait ses dimanches, pour partir en direction des toilettes. Ces dernières se trouvent au fond du rez-de-chaussée, bien après l'escalier massif. Mes talons claquent sur le sol au rythme de mes pas. J'entre dans les toilettes des femmes où, bizarrement, il n'y a pas tant de monde que ça. À l'image de la salle des fêtes, les toilettes sont également immenses. Il y a des cabines à n'en plus finir. Je décide d'aller dans une des cabines du milieu et y passe bien dix minutes. Ma robe est compliquée à enlever et à remettre. J'attrape d'ailleurs un gros coup de chaud et pousse des soupires toutes les trois secondes. J'allais ressortir de ma cabine lorsque j'entends deux filles arriver non loin et discuter. Elles parlent forts et leur conversation m'interpelle.

- Tu as vu comme Julio est beau dans son costume noir ? tonne la première en rigolant comme une dinde. Je te jure, je craque trop pour ce bel Apollon.

- Je te rappelle qu'il est en couple, la reprend la seconde, visiblement fatiguée du comportement de sa copine.

- En couple, en couple, c'est vite dit. Si sa copine l'aimait vraiment, elle serait là ce soir, or ce n'est pas le cas. Je suis désolée mais ça devrait être un honneur d'être en couple avec le beau Julio. Cette cruche ne se rend même pas compte de la chance qu'elle a.

Sur le coup, je ne me rends pas compte que cette conversation me concerne sûrement. Je me mets à imaginer qu'il s'agit d'un autre Julio, d'un autre homme, et que cette fille dont elles parlent n'est pas moi.

Les deux filles restent quelques secondes dans le silence avant que la pimbêche ne lance :

- Et puis, c'est qui cette fille, d'abord ? Une escorte imaginaire ?

Elle éclate de rire dans un vacarme très aigu. Je plisse le nez et fronce les sourcils devant ce bruit assourdissant. « Il existe vraiment des pétasses à tous les coins de rue », je pense avec désolation.

- Il sort avec une fille plutôt connue. Elle est passée à la télévision.

- Ça ne me dit rien.

- Si, si, tu la connais forcément. Attends, je sais ! s'exclame sa copine. C'est elle qui est devenue PDG de la marque Sublimeza ; tu sais, ta marque de masque pour le visage préféré.

- Celle dont les parents sont morts ? Sérieusement ? Julio sort avec elle ?

C'est donc bien de mon Julio dont elles parlent. Et c'est bien moi la fille qu'elles sont en train de rabaisser. J'ai envie de leur faire manger le beau sol en marbre.

- On n'a vraiment rien à voir ensemble alors, conclut la pétasse, sûrement en haussant les épaules. Deux grands opposés.

- Bien remarqué.

- Mais ça ne m'empêchera pas de te montrer que je peux avoir Julio. Autant que je veux. Et quand je veux.

« Comme si Julio allait tomber dans ses bras », je pense avec un sourire en coin.

Finalement, je crois avoir entendu assez de bêtises pour ce soir et décide de sortir de ma cabine. Je dois le faire un peu trop brusquement puisque les deux jeunes filles se retournent d'un seul coup. Je prends quelques secondes pour les dévisager. Il y a une brune, légèrement potelée, les cheveux bruns, le teint mate et de grands yeux bleus. Et la seconde est blonde, les yeux également bleus, le teint pâle, très grande et très maigre. En effet, ça doit être elle la pétasse. Cette dernière porte une robe rose bonbon. Je n'aurai pas de mal à la retrouver parmi tout ce monde.

Je secoue légèrement la tête et m'en vais vers les lavabos. Je me fais violence pour ne pas leur crier que je suis la copine de Julio. J'ai une idée derrière la tête qui est en train de mûrir. Heureusement que je porte mon masque. Je ne pense pas qu'elles puissent me reconnaître.

- Bon, on retourne à la fête ? demande la blonde en rangeant un rouge à lèvres dans son sac.

J'avais raison, la blonde est bien la pétasse qui aimerait avoir mon petit-ami. Tant pis pour elle. Je ne peux m'empêcher de la regarder partir avec du dégoût dans les yeux. Je déteste ce genre de filles. Et je pense que tout le monde les déteste. Je soupire bruyamment en me lavant les mains. Il y a quelques autres femmes dans les toilettes à qui je souris en replaçant mon masque. Puis je m'appuie contre les rebords des lavabos. Je pense que ces deux filles ne sont pas apparues sur mon chemin par hasard. Peut-être que Dieu m'envoie un test ? Peut-être qu'il sait quelque chose sur Julio qu'il veut me faire savoir ? J'ai envie de passer la soirée à suivre Julio pour savoir comment il se comporte avec cette fille. Je ne suis pas une femme jalouse mais j'aimerais savoir avec qui je sors. J'aimerais savoir comment il se comporte quand je ne suis pas avec lui. Ce test est une aubaine pour moi, je ne peux pas passer à côté. J'attrape donc ma pochette noire et traverse le long couloir des toilettes pour retourner dans la grande salle, bien décidée à mener ce test à bien.

Je prends l'initiative de partir à la recherche de la blonde à la robe rose bonbon. Mon petit doigt me dit qu'elle me mènera droit à mon petit-ami. Et je ne mets que quelques minutes à la trouver, non loin des escaliers. Ils sont un groupe d'à peine dix et discutent. La pétasse en rose bonbon tient Julio par le bras en riant fort. Trop fort. Ça sonne très faux. Julio n'a pas l'air déranger par son bras, mais, après tout, ce n'est qu'un bras. Je décide donc de mettre mon plan à exécution et me cache non loin de l'escalier. Je suis à quelques mètres d'eux mais cachée derrière une grande plante. L'avantage est qu'ils ne me voient pas mais que, moi, je peux les voir et les entendre. Au départ, rien de bien méchant ne se passe. Ils discutent entre eux, se racontent des anecdotes, et la blonde lui tient toujours le bras. Ça dure plusieurs dizaines de minutes et je décide de sortir mon téléphone pour faire passer le temps. Au bout d'une vingtaine de minutes, le petit groupe décide de jouer à action ou vérité. Les premiers gages et questions sont banales : « fais un bisou sur la joue de ton voisin de gauche », « as-tu déjà aimé une personne du groupe ? », « bois cinq shots de vodka en dix secondes ». Les personnes s'enchaînent et c'est bientôt le tour de Julio. Mais avant, c'est au tour de la blonde. Elle choisit « action ». Un homme dénommé Rodriguez lui donne pour gage d'embrasser sur la bouche Julio. À ce moment-là, mon cœur se serre légèrement et je soupire. Je les vois s'embrasser, sous mes yeux, sans rien dire, sans rien faire. Ce n'est qu'un jeu, je ne suis pas jalouse. Même si j'aurai préféré être à la place de cette pétasse. Mais je dois continuer ma petite mission, après tout, ce n'est que le début de la soirée.

Le tour de Julio arrive et je vois le sourire satisfait de la blonde. C'est la dernière image que j'ai avant de sursauter de peur lorsque quelqu'un met sa main sur mon épaule en criant mon nom. Je me retourne vers l'homme qui m'a interpellée.

- Rafaël ! Mais tu es malade de me faire peur comme ça ! J'ai cru que j'allais faire une attaque.

Je finis par éclater de rire devant ma peur ridicule.

- Qu'est-ce que tu fais là, Rym ? Tu ne devrais pas être avec Julio ?

Je prie dans ma tête pour que sa voix ne porte pas jusqu'au groupe de mon petit-ami.

- Il y a eu un petit imprévu, je t'en parlerai ce soir.

- Mais pourquoi tu te caches ? insiste-t-il en penchant la tête sur le côté.

- Pour rien, retourne à tes occupations. Je t'expliquerai tout ce soir. Je suis en mission personnelle, je dis en souriant.

Il n'insiste pas plus longtemps et me fait un grand sourire.

- Tu en es où de la mission, au fait ? je demande en croisant les bras.

- J'ai déjà tout liquidé. Les riches qui dépensent leur argent dans la drogue me feront toujours autant rire. La pression, tu comprends, ils ne supportent pas, c'est pour ça qu'ils ont besoin de drogue, se moque-t-il en posant une main sur son cœur.

Je rigole une nouvelle fois en lui tapant amicalement le torse.

- Allez, va te trouver une petite amie à la hauteur, je l'encourage. Cette salle est remplie de jolies filles.

- Tu connais déjà mon point de vue sur le sujet, Rym.

- Je te promets que l'amour c'est beau quand ça ne vire pas au drame. Regarde comment j'aime Julio et comment je suis heureuse dans ma vie.

- Je vois surtout l'état dans lequel tu es quand il te fait souffrir.

Sa pique me fait mal au cœur mais je secoue la tête, prête à le convaincre.

- Il y a tellement de positif à une relation, Rafaël.

- Tu n'arriveras pas à me convaincre. Pas pour le moment.

- Et bien va discuter avec les deux gros bonhommes qui gardent l'entrée de la salle et laisse-moi tranquille.

Il rigole, me claque un bisou sur la joue et s'en va en levant les yeux au ciel, tout sourire. Je n'arrive pas à garder mon sérieux bien longtemps avec lui. Une fois que je ne le vois plus dans la foule, je pivote pour retourner à ma mission personnelle. Mais je reste bête lorsque je vois que Julio et la blonde ont disparu de mon champ de vision. Tous leurs amis sont encore dans le cercle en train de jouer mais les deux ont disparu. Où sont-ils passés ? J'examine les alentours. Rien. Je décide donc de sortir de ma cachette pour partir à leur recherche, mon mauvais pressentiment repointant le bout de son nez. Je fais le tour de la salle en quête d'une robe rose bonbon. Aucun signe d'elle. Je m'en vais dehors à leur recherche. Toujours rien. Néanmoins, je reste quelques minutes à l'extérieur pour respirer un bol d'air frais. Ça me fait beaucoup de bien. Je croise à nouveau Rafaël qui parle avec deux hommes en costume gris. Je lui tire la langue et rentre à l'intérieur, d'un pas décidé. Je fais à nouveau le tour de la salle, prends un cocktail au passage et m'en vais vers les toilettes. J'inspecte la totalité des toilettes des femmes et celles des hommes. Aucune trace de mon petit-ami. Je le cherche pendant une demi-heure sans succès. La panique prend possession de mon corps et, dans un tel état, je décide de faire la seule chose qui me vient en tête : aller voir les amis de Julio pour leur demander où il est.

Je m'en vais dans leur direction, d'un pas décidé. Mais, arrivée à une dizaine de mètres, ma tête se lève instantanément vers l'escalier. Je reste immobile, tétanisée, lorsque je vois Julio et la blonde redescendre du premier étage. Ils sont bras dessus, bras dessous. Sur le coup, de loin, je ne vois pas grand chose de bizarre si ce n'est une autre femme que moi au bras de mon copain. Mais plus ils descendent, plus je distingue des détails troublant. La blonde n'a plus les cheveux aussi lisses que lorsque je l'ai croisée dans les toilettes ; ils sont à présent ébouriffés, dans un désordre monstre. Sa robe est mal mise et elle a un sourire, encore plus bête que tout à l'heure, plaqué sur le visage. Quant à Julio, sa cravate a évidemment été mal remise, sa chemise est légèrement froissée et ses cheveux désordonnés. Je cligne plusieurs fois des yeux, ne croyant pas à ce que je suis en train de voir. Pourquoi n'ai-je pas pensé à aller voir aux autres étages ? J'ai envie de courir vers Julio pour avoir une explication mais je n'y arrive pas. Je reste tétanisée au milieu de la salle des fêtes.

- Vous allez bien, mademoiselle ? me demande un homme d'un certain âge en se postant devant moi.

Je me pince l'avant-bras pour revenir à la réalité. Je le regarde sans le regarder. Je me force à secouer la tête pour pouvoir lui répondre.

- Qu'y a-t-il dans les autres étages de ce bâtiment ?

Il ne s'attendait pas à cette question mais prend le temps de me répondre.

- Les premier et deuxième étages sont des chambres, des salles de bain et des toilettes pour les personnes qui restent dormir. Et le dernier étage est là où on range toutes les tables, les chaises, le mobilier utilisé lors des fêtes.

- Je vous remercie.

Je m'écarte pour lui faire comprendre que j'aimerais qu'il s'en aille.

- Des chambres, je murmure, le cœur serré.

Je fais quelques pas en direction du petit groupe où Julio se trouve. Je me sens marcher de travers, perdue dans la foule. De là où je suis, je peux toujours les entendre. L'alcool leur montant au cerveau, ils parlent très forts.

- Alors, Julio, action ou vérité ? tonne la blonde en riant fort.

- J'ai déjà choisi action, répond-il en lui lançant un regard évocateur.

Elle rit comme une enfant en s'affalant contre lui.

- Vérité, donc, poursuit-elle. Alors, Julio, dis-moi, est-ce que tu as une petite-amie ? Et est-ce que c'est vraiment sérieux avec elle ?

Je fronce les sourcils et penche la tête sur le côté. À ce moment-là plus rien n'a d'importance. La réponse que Julio va donner est la seule chose qui compte à mes yeux. Et quand il la dira, je m'empresserai de courir vers lui et de sauter dans ses bras. Tout aura été qu'un mauvais malentendu. Les concours de circonstances m'auront simplement induites en erreur et je me rendrai compte que notre amour vaut plus que tout à nos yeux. Et je saurai que j'ai bien fait de n'avoir jamais été jalouse et de toujours lui avoir fait confiance. Parce qu'il n'y a rien de plus vrai que l'amour, que notre amour.

- Pourquoi cette question ? demande-t-il à la blonde.

- Je suis curieuse.

- Je fréquente quelqu'un, oui.

Un sourire s'étire sur mes lèvres tandis que je fais un pas en avant, dans sa direction.

- Mais ce n'est rien de sérieux, poursuit-il, un sourire au coin des lèvres. Je sais qu'elle m'aime mais moi non. Elle croit que je peux être l'homme de sa vie, vous imaginez ? Ce n'est pas du tout sérieux de mon côté, puis on n'est plus vraiment ensemble. Je ne veux pas me lancer dans l'histoire d'une vie, je veux juste profiter. Je ne me considère pas en couple. On n'a jamais couché ensemble, vous imaginez ?

- Tu rigoles ? Mais c'est qui cette coincée ? rigole la blonde en jetant sa tête en arrière.

Et tandis que le monde rigole, mon cœur se brise en mille morceaux. Je ressens la douleur de ses mots, les poignards de ses paroles. Ils entrent et sortent de mon corps, laissant toujours un peu plus de sang. La couleur rouge de la déception, mélangée au bleu de la tristesse. Tout ce violet me donne envie de vomir. Je reste choquée par ce que je viens d'entendre de la bouche de mon soi-disant petit ami. La bile me monte à la gorge, j'ai envie de m'évanouir.

Dans un bruit sourd, je laisse échapper mon verre. Je ne le pensais pas aussi lourd. Le bruit de sa chute fait taire plusieurs conversations et tourner quelques têtes. Le groupe de Julio en fait parti. Ils se tournent tous vers moi. Je n'arrive pas à détacher mon regard de celui que je pensais aimer à sa juste valeur. Lorsque ses yeux croisent les miens. Il se tétanise à son tour. Dans un geste gracieux, je décide de retirer mon masque. Toute cette scène se passe dans un tel ralenti que je pourrai vraiment croire que Dieu a suspendu le temps pour moi.

- Rym.

Je le vois prononcer mon prénom tellement bas que je le lis simplement sur ses lèvres. J'entends ses amis se demander si c'est bien moi qui est censé être sa petite-amie, ou son flirt. Julio décide de s'avancer vers moi, avec le même regard penaud qu'il fait souvent quand il est coupable. Mais je recule au fur et à mesure qu'il avance. À ce moment-là, j'ai deux choix qui s'offrent à moi : hurler et faire un scandale ou bien lui dire calmement ce que je pense de lui et de son comportement. Le choix qui me pousserait à partir en courant de la salle, comme dans les films, n'est pas envisageable pour moi. Je suis une femme qui a besoin d'exprimer ce qu'elle ressent. Je décide d'opter pour le second choix, malgré toute la haine que je ressens en ce moment même.

- Tu me dégoûtes, Julio. Tu es la pire énergumène que la Terre n'est jamais portée. Tu me trompes sous mes yeux, tu couches avec une pétasse qui n'atteint même pas les deux de QI et tu me mens toute notre relation ? Quel genre de personnes peut faire ça ?

- Ce n'est pas ce que tu crois, commence-t-il. Je n'ai pas couché avec elle. Je lui ai simplement fait un massage.

Je me mets à rire nerveusement de haine. Il se fiche encore de moi après tout ce que j'ai vu et entendu. Je serre mon poing gauche très très fort pour tenter en vain de diminuer ma colère.

- Ça m'apprendra à n'avoir jamais été jalouse. Ça m'apprendra d'avoir toujours eu confiance en toi, sans ne jamais avoir douté ; et de t'avoir, à chaque fois, trouvé des excuses pour toutes les choses louches que tu faisais. Mais qu'est-ce que tu veux dans ta vie, Julio ? Honnêtement qu'est-ce que tu cherches pour ton avenir ? Si pour toi la vie c'est faire du mal aux personnes qui t'entourent, si c'est mentir à tes proches et finir seul, tu es sur la bonne voix, vraiment.

J'applaudis dans mes mains en m'avançant doucement vers lui. Je remarque qu'une vingtaine de personnes autour de nous regardent la scène.

- Tu avais auprès de toi une fille qui t'aimait, une fille qui tenait à toi. Et tu fous tout en l'air pour une pétasse comme elle ? je crie en montrant la blonde d'un geste de la tête. Tu brises tout pour une fierté masculine stupide ? Honnêtement, je n'arriverai jamais à comprendre ce genre de comportement de garçons minables. Tu n'es pas un homme, Julio. Et tant que tu agiras comme ça, tu n'en seras jamais un. Un homme prend ses responsabilités. Et toi tu ne l'as jamais fait. Je n'ai jamais rencontré un homme aussi minable, je dis, les dents serrées en m'approchant encore de lui.

- Ah oui ? Je suis plus minable que ton ex qui t'a organisé un viol ?

Mes yeux s'ouvrent aussi rapidement que toutes les personnes qui nous écoutent expriment des cris de stupeur. Il ose sortir mon histoire, mon passé, ma vie, et la piétiner devant des dizaines et des dizaines d'inconnus ? Le calme avec lequel je faisais face jusque là part instantanément. En continuant de m'approcher de lui j'attrape mes clefs de voiture dans ma pochette et les garde dans ma main en faisant ressortir le bout de la clef entre mon index et mon majeur.

- Tu as osé faire ça, je lâche en me postant devant lui.

- Et je ne regrette rien, répond-il en gardant son même sourire narquois. Absolument rien.

Le coup de poings dans son visage part tout seul. La clef de voiture lui coupe l'arcade sourcilière avant de terminer sa course à la commissure de ses lèvres. Le visage ravagé par le sang, il s'écroule sur le sol. Il tente de riposter mais il n'y voit plus rien. J'en profite pour lui donner un violent coup de talon dans ses bijoux de famille. Il hurle de douleur encore plus fort. Un homme arrive pour m'éloigner de Julio.

- Tu vois, cette douleur que tu ressens, mon cher ami ? je crie pour être sûre qu'il m'entende. Ce n'est pas un centième de la douleur que je ressens en ce moment même !

J'ai envie de l'étriper encore et encore. De le frapper jusqu'à ce qu'il perde connaissance. La haine que j'éprouve n'est comparable à aucune autre. J'ai envie de le massacrer pour ce qu'il m'a fait.

Tandis que l'homme qui m'a éloigné de quelques mètres tente de m'apaiser, je vois le dénommé Rodriguez relever Julio. En faisant ça, on entend quelques choses tomber de sa veste. L'objet fait un bruit que je reconnaîtrais entre mille. Mais, avant que je ne puisse me défaire de l'homme qui me retient pour me jeter sur l'objet en question, Rodriguez l'attrape, des éclairs pleins les yeux.

- Lâche cette arme ! je hurle en le montrant du doigt.

« Pourquoi Julio avait une arme sur lui ? », je me demande en essayant de gérer la situation. Des coups de feux sont la dernière chose dont j'ai besoin pour finir cette soirée en beauté. Julio s'écroule finalement de nouveau sous la douleur que je lui ai infligé.

- Rodriguez, pose cette arme, je dis calmement pour ne pas énerver qui que ce soit.

J'oublie toute ma haine, toute ma colère et toute ma tristesse. Un homme avec une arme est bien plus dangereux qu'on le pense.

- Tu n'as jamais tenu une arme de toute ta vie, je remarque en m'avançant doucement vers lui. Repose-la. Tu veux me tirer dessus ?

Il tient l'arme à deux mains, tout tremblant.

- Tu as massacré mon ami, me répond-il en continuant de pointer l'arme sur moi.

Je vois que les invités partent les uns après les autres de cette scène, qu'ils reculent le plus loin possible. Un seul coup de feux et tout peut dégénérer. Je n'ose pas sortir ma propre arme car beaucoup de personnes me connaissent ici. Je ne veux prendre aucun risque de révéler mon identité au sein d'un gang, ou d'une quelconque organisation.

- Si j'avais voulu tuer Julio, il serait déjà mort, je lui explique en jetant un coup d'œil à la dépouille de mon ex. Il sera peut-être stérile mais pas mort. Vois le bon côté des choses, il ne donnera pas naissance à une progéniture encore plus pourrie que lui, je dis sur le ton de la rigolade pour essayer de le détendre un peu. Je t'en pris, pose cette arme par...

Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que je me sens projetée vers l'avant avec une force inouïe. Quelqu'un m'a sauté violemment dessus. Je tombe sur le sol en marbre. Heureusement, mes bras amortissent largement ma chute. J'entends un énorme coup de feux résonner si fort dans mes oreilles qu'un sifflement strident crie en continue.

Je reste quelques secondes à terre le temps de reprendre mes esprits. Je n'entends plus rien de ce qu'il se passe autour de moi à cause du bourdonnement incessant dans mes tympans. Lorsque je relève tant bien que mal la tête, je vois Rodriguez au sol, le mollet en sang. Je pensais que c'était lui qui avait tiré, mais non. J'entends des bruits lointains mais mes tympans continuent de brouiller les sons. J'essaie de me retourner sur le dos pour me relever et vois Rafaël, deux armes à la main. Une grande partie des invités ont pris la fuite et mon coéquipier ne réfléchit pas une seconde de plus. Ni une ni deux, il range ses armes à l'arrière de son pantalon, court vers moi et me porte. Je le vois me parler mais je n'entends toujours pas. Mes oreilles ne veulent pas coopérer. Il avance très vite pour un homme qui porte une femme. Nous franchissons rapidement la grande porte menant à l'extérieur. Ma tête tangue violemment vers l'arrière. Même si mes bras ont amorti ma chute, ma tête a quand même heurté le sol. Je me sens mal.

On rejoint très vite la voiture où il m'installe rapidement sur le siège passager tandis qu'il court au volant. Ni une, ni deux, il démarre en trombe, manquant provoquer plusieurs accidents en quelques secondes. Je remarque que mon ouïe revient progressivement lorsque je me rends compte que j'entends le bruit du moteur pendant les accélérations de Rafaël. Ce dernier roule pendant une bonne dizaine de minutes, avant de trouver un parking presque vide où il se gare en un seul coup de volant. Il éteint le moteur et se tourne directement vers moi. Je peine à le regarder, la tête collée contre la vitre glacée. Je me sens fragile, je me sens affaiblie. Mon mauvais pressentiment a eu raison de moi.

Je vois les lèvres de Rafaël bouger, j'entends à peine ce qu'il dit. Je secoue doucement la tête pour lui dire que je ne comprends pas ce qu'il me dit. Les larmes se mettent finalement à couler d'elles-mêmes sur mon visage. Mon coéquipier attrape ma main pour la serrer très fort.

- J'ai mal, Rafaël. Je n'entends presque plus. Je ne me sens pas bien. Je n'en peux plus. J'ai mal à la tête, Rafaël. J'ai si mal au cœur...

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