Chapitre 11 : Conversation nocturne

Je décide de poser la question qui me démange.

- Comment connaissez-vous ma mère ?

Sur le coup, j'ai l'impression qu'il ne s'est pas rendu compte qu'il a prononcé le prénom de ma mère. Étrange. Je fronce instinctivement les sourcils et croise les bras. J'attends une vraie réponse cohérente de sa part.

- Assieds-toi, m'invite Diego en faisant de même.

Nous nous installons sur les deux chaises de la pièce tandis que Rafaël retourne sur le fauteuil de son bureau. Le patron met encore quelques secondes à répondre.

- Je connais ta mère depuis très longtemps. Nous avons été au collège et au lycée ensemble. Nous avons été des amis très proches. Lorsqu'elle a su que je faisais parti d'un gang, elle a pris ses distances mais j'ai continué à rechercher ce qu'elle devenait. J'ai su qu'elle avait eu trois enfants avec le patron d'un gang adverse.

Je sens à la fois du dégoût et de la haine dans sa voix.

- Je l'ai croisée plusieurs fois ces dernières années, elle m'a beaucoup parlé de toi. Et lorsque tu as commencé à devenir une championne en sport de combat, nous nous sommes penchés sur ton profil et j'ai vu que c'était toi la fille dont Marina me parlait tant.

J'aimerais croiser les jambes mais ma robe de gala m'en empêche. Je hoche donc la tête, ne trouvant rien à lui répondre. Un blanc s'installe entre nous trois. Et personne n'est décidé à le briser.Je continue de fixer dans le blanc des yeux Diego. Je ne me souviens définitivement pas l'avoir vu un seul jour de ma vie, à quelle qu'occasion que ce soit.

- Il faut que nous partions, déclare enfin Rafaël en regardant sa montre. Diego, envoie trois hommes pour l'échange d'armes au point de rendez-vous habituel. Donne-leur une demi-heure d'avance, on ne sait jamais.

Diego acquiesce et s'en va le premier. Il ferme la porte du bureau et s'en va. Dès que je n'aperçois plus le patron, je me tourne d'un seul coup vers Rafaël, mes poings cognant contre le bureau.

- Il a menti, je lâche en regardant Rafaël dans les yeux. Il a menti par rapport à ma mère.

- Quoi ? Comment ça ? s'étonne-t-il en enfilant sa veste de blazer.

- Tu es très mignon comme, je change de sujet en regardant son costume bleu foncé, sa chemise blanche et sa cravate du même bleue, avec de petits nuages dessus. Fan des cravates originales ?

- J'apprécie, ça donne une originalité à la tenue. Nous les hommes n'avons pas beaucoup de choix en terme de couleurs et de tenues. Cela étant, pourquoi penses-tu que Diego a menti ? me demande-t-il à nouveau.

- Je t'en parlerai quand on sera sorti.

Je ne fais absolument pas confiance aux oreilles qui traînent. Absolument pas. Rafaël attrape sa montre et commence à la mettre avant que nous partions. Je jette un coup d'œil rapide sur le bureau, par curiosité mal placée, et vois un post-it où il est inscrit : « appeler les deux familles pour la mort des membres ». Ma curiosité légendaire prenant le dessus, je demande à mon binôme :

- C'est pour quoi ça ?

- Deux de nos hommes sont morts il y a moins de deux semaines, je dois appeler leur famille.

Je ne sens pas une once de tristesse dans sa voix. Peut-être est-il habitué à ce genre de choses ?

- Comment sont-ils morts ?

- Chacun a reçu une balle dans le cœur, m'explique-t-il. C'est Diego qui les a découverts. Je suis aussi allé sur les lieux. Le médecin de notre gang était médecin légiste avant de prêter allégeance aux Tiradores. Il a examiné les deux corps.

- Quelque chose clochait, n'est-ce pas ? je demande, sachant qu'il ne serait pas entré dans le détail si tout allait bien.

Il hoche la tête avant de me dire, dans un demi-sourire :

- On en parlera quand on sera dehors.

- C'est nul quand tu reprends mes phrases, tu sais ?

Il hausse les épaules, cette fois en souriant.

- Tout ce que je dis est cool.

Je soupire, exaspérée. Nous sortons de la pièce, Rafaël ferme son bureau à clef puis nous sortons par la porte secrète. Je suis prête à partir pour ma toute première mission. Nous nous engouffrons dans une voiture de sport orange. Elle est magnifique ! Rafaël ne voudra jamais que je la conduise, j'en suis sûre.

- Nous avons un long trajet qui nous attend, me prévient-il. Nous allons changer d'État.

- Où allons-nous ?

- À Cuernavaca. C'est à une heure trente d'ici mais avec cette voiture, nous y serons en une heure.

- Fais quand même attention de ne pas nous tuer sur le chemin, ce serait bête !

J'ai toujours adoré la vitesse, mais sur les circuits.

- Je vais t'expliquer quelques règles pour les missions, commence-t-il en démarrant la voiture.

Il sort du parking dans un bruit assourdissant. Les chevaux de cette voiture sont impressionnants.

- Nous ne dormons jamais sur place, me prévient-il. Un de nous deux ne doit pas boire d'alcool pour ramener l'autre. On alternera à chaque fois, si tu veux.

- C'est vrai ? Je frappe des mains en m'agitant sur mon siège. Je pourrai conduire cette merveille ?

Je touche le tableau de bord du bout des ongles. Cette voiture est définitivement ma préférée.

- Tu pourras la conduire les fois où tu ne boiras pas, insiste-il.

- Je ne bois jamais d'alcool. Je pourrai la conduire à chaque fois ! je me réjouis.

- Tu ne bois pas ? s'étonne-t-il.

- Non, mais ce n'est pas pour autant que tu dois boire comme un trou. J'aimerais avoir un bon copilote.

- Aucun souci. Je fais ces missions depuis longtemps et j'ai souvent été seul. Je ne bois pas beaucoup à ces galas.

C'est une bonne nouvelle.

- Nous devons aussi user de nos charmes pour arriver à nos fins, poursuit-il en dessus du vrombissement de la voiture.

- C'est-à-dire ?

- Il peut arriver toute sorte de situations. Je vais te donner un exemple. Imagine que ton client ne veut finalement plus la drogue que tu lui as ramenée, et bien tu dois user de tous tes charmes pour le persuader. On ne repart pas avec la drogue sinon la personne peut prévenir les flics. Tu devras lui vendre à tout prix. Je ne dis pas que ce sera le cas à chaque fois, mais ça peut arriver.

- Autre chose ? je demande.

- Je ne crois pas.

- D'accord, j'enchaîne. Alors, dis-moi ce qui te tracasse par rapport aux deux membres qui sont morts.

Je ne perds vraiment pas le Nord. Je le vois serrer le volant avec ses deux grandes mains. Nous quittons la ville et le décor change immédiatement. Nous arrivons sur l'autoroute et les grands bâtiments, les tours et les magasins ont laissé la place aux zones industrielles. La vue est moche.

- Le médecin légiste a déclaré que les deux coups portés aux hommes avaient été tirés de près. Il nous a dit que la portée du tir était à moins d'un mètre. Il faut que tu saches, Rym, que l'une des règles de bases, dans un gang, est de ne jamais être à plus de trois mètres d'un ennemi ; pour justement anticiper le tir.

J'acquiesce en fixant la route.

- Il est inscrit dans les fichiers que ces deux hommes partaient chercher de la drogue chez notre fournisseur. Mais ils n'y sont jamais parvenus et ont été tués avant. La portée du tir montre que nos hommes connaissaient le tireur. Ça ne fait aucun doute.

Je reste bouche bée face à ce qu'il m'annonce. Je tripote la lanière de mon sac à main, stressée.

- Donc, si je comprends bien, il y a un tueur parmi les membres des Tiradores ?

- Ne tire pas de conclusions hâtives, soupire-t-il. Je dis juste que leur mort n'est pas ce qu'on pourrait appelée « normale ».

- Si on résume, deux hommes sont morts par un coup porté au cœur. Ce qui signifie que le tireur voulait ces personnes mortes, déjà. La portée du tir montre que les hommes connaissaient le tireur, ils ne pensaient donc pas qu'il les tuerait. Dis-moi, les balles retrouvées étaient-elles du même calibre ?

Les heures que j'ai passé à regarder des séries policières vont enfin me servir.

- Oui, elles proviennent de la même arme, et donc d'un seul tireur, me répond Rafaël en changeant de vitesse.

- Et les hommes ont été retrouvés sur le dos ou sur le ventre ?

- Sur le dos, la balle est entrée par devant. Ils sont morts sur le coup.

- Les deux hommes étaient donc sûrs que le tueur ne tirerait jamais sur eux. Sinon ils auraient tenté de s'enfuir et le tueur aurait tiré dans leur dos. Ils auraient donc été retrouvés sur le ventre. Donc, je conclus, non seulement ils connaissaient l'homme, mais ils le connaissaient assez pour être certains qu'il ne tirerait jamais.

Rafaël hoche la tête, fier de moi.

- Belle observation. J'ai eu raison de t'engager, tu es très perspicace.

Je hausse une épaule avec un sourire de garce. Ça le fait rire.

- On est d'accord pour dire que la mort de ces deux hommes est très louche ? je demande en cherchant mon téléphone dans mon sac.

- J'aimerais connaître la raison pour laquelle ils sont morts. Comme s'il n'y avait pas eu déjà assez de morts ce jour-là.

Il me lance un regard triste. Je fronce les sourcils.

- Que veux-tu dire ?

- Les membres ont été retrouvés morts le lendemain de l'explosion de l'entreprise de tes parents. Ils ont été tués dans la nuit. Diego les a retrouvés dans les alentours des quatre heures du matin.

Je n'arrive pas être désolé qu'un patron retrouve ces hommes décédés alors que j'ai perdu ma famille ce jour-là. Je décide donc de ne pas répondre et jette un coup d'œil à mon téléphone. J'ai plusieurs messages de Julio. Je souris comme une imbécile et réponds à ses messages.

- Un petit-copain ? me demande Rafaël.

Je lève les yeux vers lui en me forçant à enlever le sourire niais de mes lèvres.

- Non, plutôt un flirt.

- Il a l'air d'être plus qu'un flirt à tes yeux, si tu veux mon avis, sourit-il.

- Je ne veux pas de ton avis, Rafaël.

Il éclate de rire en accélérant de nouveau. Je range mon téléphone et me tourne vers l'homme mystérieux qui me sert de binôme.

- Puisque nous avons du temps devant nous, très cher, raconte-moi pour qu'elle raison tu es entrée dans un gang ?

Il mime un « non » avec son index, au-dessus du volant.

- D'abord, tu vas me raconter pourquoi tu m'as dit que le patron avait menti.

Étant donné qu'il m'a raconté l'histoire des deux hommes tués, je me dois de lui expliquer ce que je pense de Diego.

- Je suis sûre qu'il n'a jamais été amie avec ma mère, et qu'il a menti.

- Tu connaissais tous les amis de ta mère ? me demande Rafaël, au hasard.

- Non. Mais ma mère n'a aucun ami homme. Elle n'a jamais cru en l'amitié homme-femme.

- Et si elle y avait finalement cru, seulement elle ne te l'a pas dit ?

Je secoue la tête.

- Il faut que tu saches que je suis une menteuse professionnelle. Je sais mentir comme personne et je reconnais les gens qui mentent. Et laisse-moi te dire qu'un homme qui perd du temps pour fournir une explication est un homme qui ment.

Ce sont toujours les plus petits détails qui font la différence.

- Diego m'a d'abord proposée de m'asseoir au lieu de me fournir directement une explication. Puis il paraissait ne pas s'être rendu compte qu'il avait prononcé le nom de ma mère, comme s'il avait l'habitude de le prononcer. Et pour finir, il a eu de grandes hésitations avant de me déballer son speech. Laisse-moi te dire, Rafaël, que ce sont tous les signaux qu'il mentait.

J'ai parlé tellement vite que je suis obligée de reprendre mon souffle. Je m'arrête quelques secondes avant de poursuivre.

- Son histoire ne tient pas debout. Il a précisé avoir connu ma mère au collège et au lycée et qu'ils avaient été amis pendant des années. Or, ma mère m'a déjà raconté son enfance. Elle n'a jamais eu d'amis garçons. Pendant toute son adolescence, elle a été en couple et n'avait aucun ami du sexe opposé. Je suis sûre de ça.

- Pourquoi aurait-il menti ?

- Je n'en ai aucune idée. Mais savoir qu'il connaissait ma mère et qu'il ment, ça n'annonce rien de bon.

Nous restons silencieux quelques secondes pendant que le paysage continue de défiler devant nos yeux.

- Diego n'était pas non plus à l'enterrement, je précise.

- Les membres des gangs évitent les bains de foule, sauf en cas de mission spécifique, m'apprend Rafaël. Et si ta mère t'avait caché une partie de sa vie ? On ne sait jamais. Parfois on croit connaître les gens par cœur alors que ce n'est pas le cas.

Si je commence à douter de ma propre mère, je peux commencer à douter du reste du monde. J'ai toujours eu une énorme confiance en ma mère. Sur quoi aurait-elle pu me mentir ?

- Non, elle n'aurait jamais menti sur une histoire aussi débile ; à savoir qu'elle avait Diego pour ami. Je veux dire, c'est insignifiant. Je pense que c'est bel et bien Diego qui a menti. Il faut que je sache pourquoi.

- Si tu as besoin d'aide, sourit-il en claquant sa langue contre son palais, je suis là.

Il me fait un clin d'œil à la fin de sa phrase mais je n'arrive pas à sourire en me rendant compte qu'il y a de nouveaux secrets à éclaircir. J'espère juste que le mensonge vient de Diego. Je n'ai jamais entendu parlé de lui de toute ma vie, je ne l'ai jamais vu, comment peut-il connaître ma mère ? La question reste en suspend dans ma tête. Je n'ai aucune réponse, pour l'instant.

Voyant que je me tracasse l'esprit, Rafaël décide de relancer la conversation alors que nous roulons déjà depuis une bonne demi-heure. Il met allume la radio pour mettre un léger fond sonore avant de commencer.

- Tu voulais savoir pourquoi je suis entré dans le gang ? m'interroge-t-il en doublant une voiture.

Je hoche la tête en le regardant conduire.

- Il faut d'abord savoir que je viens d'une famille un peu spécial. Ma mère a deux sœurs avec lesquelles elle est triplée. Elles ont toujours vécu ensemble dans une petite maison. J'ai donc grandi avec ma mère, mes deux tantes et mes cinq cousins et cousines. Il y avait aussi ma grand-mère avec nous et le mari d'une de mes tantes. Mais il travaillait de nuit et on ne le voyait jamais. J'ai donc été élevée seulement par des femmes. Et je suis fils unique.

Je n'ose pas lui demander pourquoi son père n'était pas avec eux. Mais il répond quand même à ma question silencieuse.

- Mes parents ont divorcé lorsque j'avais un an. J'ai donc passé mon enfance à faire des allers-retours chez mes parents. Mais mon père a refait sa vie avec une femme qui me détestait et avec qui il a eu deux enfants. Mon père ne m'accordant plus aucune attention, j'ai décidé de couper les ponts avec lui et il n'a jamais cherché après moi. Et c'est sûrement mieux comme ça.

Son histoire me touche. Je sens dans la timbre de sa voix qu'il a eu des périodes très compliqués dans sa vie. Je pose instinctivement ma main sur son épaule. Je reste silencieuse mais je n'en pense pas moins.

- Je suis désolé, je te raconte toute ma vie, s'excuse-t-il en secouant la tête de droite à gauche.

Il tente un sourire mais ses yeux le trahissent.

- Ne t'excuse pas, ça m'intéresse vraiment, je réponds sincèrement. Tu peux continuer si tu en ressens le besoin.

J'ai l'impression qu'il n'a quasiment jamais parlé de son enfance et qu'il a besoin d'expulser ce qu'il ressent. Rafaël a l'air d'être quelqu'un de solitaire.

- Pour résumer ce que je viens de dire, je n'ai pas vraiment eu de modèle paternel entre mon père qui a refait sa vie, et qui m'a mis de côté, et mon oncle qui était toujours absent. Ma grand-mère, mes tantes et, bien sûr, ma mère m'ont élevé. C'est la raison pour laquelle je ne ferai jamais de mal à une femme de toute ma vie et que je t'ai prise sous mon aile, Rym. Parce qu'avoir été élevé seulement par des femmes m'a appris des valeurs que d'autres hommes n'ont pas.

- C'est tout à ton honneur, je souris, enfin contente de tomber sur un homme respectueux dans ce monde de bruts. Ça se voit que tu es un homme doux.

- Doux ? répète-il, un sourcil levé.

- Oui. Tu n'es pas quelqu'un d'agressif, d'insultant ou de dégradant. Depuis que nous nous sommes parlés, la première fois, tu n'as jamais eu une seule once de méchanceté envers moi. Même quand je t'ai frappé ou que je t'ai jeté ma tasse de café sur ta chemise. J'en suis désolée, d'ailleurs, j'ajoute avec un sourire. Tu n'as jamais réagi, tu ne m'as pas rendue la gifle que je t'ai donné, tu n'as pas été agressif. Je comprends maintenant pourquoi.

Ses lèvres s'étirent. Il m'a vraiment l'air d'être quelqu'un de bien.

- Maintenant, raconte-moi pourquoi tu es ici, je le relance, voulant connaître la suite.

Il prend une grande inspiration.

- J'ai toujours été très bon à l'école. J'ai donc fait des études supérieures et, avec mes notes excellentes, je suis entrée dans la plus grande école de commerce du pays, l'EGADE Business School.

- Sérieusement ? je m'excite en secouant les mains. Si je n'avais pas choisi le droit, j'aurai voulu étudier dans cette école. Elle a l'air sigénial !

- Les meilleures années de ma vie, me sourit-il. J'ai obtenu une bourse pour y aller, ma mère n'aurait jamais eu l'argent pour que je puisse y étudier, sinon. J'ai donc quitté ma famille pour partir au Nord du Mexique et étudier le commerce. J'en suis ressorti cinq ans plus tard, major de ma promotion, un master en poche.

- L'étudiant parfait, je rigole.

- C'est pour ça que j'ai été repéré par Diego. Un jeune homme qui sort premier de sa promotion d'une école de commerce, et qui a un passif excellent, ça ne passe pas inaperçu pour les gangs. Et un peu avant la fin de mon cursus, ma mère est tombée gravement malade. Je suis donc rentrée chez moi, mon diplôme en poche et j'ai commencé à travailler dans une multi-nationale pour payer les soins de ma mère. Quelques mois plus tard, ma grand-mère a aussi chopé un cancer. Mais elle était à un stade déjà très avancé. Et Diego est arrivé à ce moment-là dans ma vie.

Mon cœur se serre. Je suis très sensible à ce qui touche la famille. J'ai peur de la suite de son histoire.

- Diego est venu me proposer de travailler pour lui. Étant donné que j'avais de grandes connaissances concernant le commerce, il était très intéressé par mes compétences. Il m'a même proposé une période d'essai, si je le souhaitais, alors qu'il ne l'a jamais fait pour personne. Et j'ai accepté. Ma période d'essai a duré un mois. Et en un mois, j'ai triplé les bénéfices du gang, c'était incroyable !

- Comment as-tu fait ? je demande, sceptique.

- En école de commerce, on t'apprend à vendre. Je peux vendre n'importe quoi, à n'importe qui. Je suis très persuasif et j'ai pu me servir de ce que j'avais appris pendant mes études. Et les clients du gang ont augmenté considérablement. Diego était tout heureux. Il m'a donné l'équivalent de cent mille euros pour un mois de travail au gang. J'ai pu payer des soins à ma mère et à ma grand-mère. Ma mère a été entièrement guérie. Mais ma grand-mère est quand même décédée. La maladie l'avait déjà rongée.

La fin de sa phrase me brise littéralement le cœur en deux. Sa voix s'éteint et je suppose que sa grand-mère lui manque encore terriblement. Et je comprends tout maintenant. Rafaël a travaillé dans le gang pour sa famille. Rien que pour soigner ses proches. Son histoire me touche sincèrement.

- Mais après ta période d'essai, pourquoi es-tu resté ?

- M'a cousine de dix-sept ans, à l'époque, est montée en voiture avec son copain alcoolique. Ils ont eu un grave accident de voiture. Le garçon est mort et elle, elle a été grièvement blessé. J'ai compris que c'était un coup du sort, que c'était le destin qui me disait que je devais retourner dans le gang. Même si toute notre activité est illégale, j'ai besoin de tout l'argent que ça me rapporte. Ça fait deux ans que j'y suis maintenant. J'ai pu soigner ma cousine et acheter une grande maison pour que toute ma famille puisse y vivre confortablement, tout en faisant en sorte que chacun garde son intimité.

- Ils sont au courant pour le gang ? je m'interroge.

- Oui, ils sont au courant. Nous n'en parlons pas souvent mais ils savent.

Sur le moment, je ressens une bouffée d'affection pour Rafaël. Le genre d'affection qui te fait voir la personne autrement que ce qu'elle te montrait auparavant. Je pensais vraiment qu'il cherchait son intérêt dans tout ce qu'il entreprenait, mais c'était faux. Au contraire, il s'acharne pour sa famille, pour qu'elle puisse vivre décemment. Je ne peux m'empêcher de sourire en le regardant. Je vois ses yeux brillants d'émotion. Mes yeux sont tout aussi humides, les larmes manquant de tomber. Son histoire me touche beaucoup. Elle est vraie, son parcours aussi. C'est une personne bien, je n'ai plus aucun doute là-dessus. Et tomber sur une personne sincère, honnête, généreuse et respectueuse, ça n'arrive pas tous les jours. Et ça fait beaucoup de bien. Il a les pieds sur terre et sait ce qui est important dans la vie. Et faisant d'une pierre deux coups, il me fait aussi comprendre ce qui doit réellement avoir d'importance dans la vie : les proches et la santé.

- Je suis vraiment heureuse que tu sois mon binôme. Sincèrement.

Il me rend mon sourire. L'atmosphère est pleine d'émotion. Je pose une nouvelle fois ma main sur son épaule, une larme coulant sur ma joue.

- Tu es vraiment quelqu'un de bien, Rafaël.

Je n'ai pas d'autres mots qui me viennent à l'esprit. Parfois, un silence vaut tous les mots du monde. Il y a quelques jours, j'ai dit à Julio que j'étais heureuse que Dieu mette parfois sur notre chemin des personnes simplement pour notre bien. Et je pense sincèrement que Rafaël a été posé sur ma route pour une raison particulière. Pour m'apporter du positif dans tout ce que je traverse.

Ma conversation avec Rafaël m'aura au moins appris une chose : ne jamais faire confiance aux apparences. Et je pense que c'est une phrase que je dois m'ancrer fortement dans la tête pour mon avenir au sein du gang. Je suis sûre que je ne suis pas encore au bout de mes surprises.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top