Chapitre Vingt-six




            Décembre
           Lorsque son réveil le tira violemment de son sommeil, Soobin eut la pressante envie de balancer son téléphone contre le mur de sa chambre d'hôtel.

Bien sûr, il ne le fit pas. Il tenait un peu trop à son portable pour cela, et ne serait-ce que d'un point de vue pratique, il serait bien trop embêtant pour lui d'en racheter un dans un pays étranger. Son esprit divagua quelques secondes encore jusqu'à ce qu'il se reconnecte complètement à la réalité.

Cette troisième semaine avait sans aucun doute été la plus rude depuis leur arrivée en France. Le projet avançait à grand pas, et de nombreuses décisions plus ou moins importantes avaient dû être prises en un court laps de temps. Ils avaient organisé des réunions en ligne avec les membres de la direction artistique choisis pour rester en Corée, peaufiné la rédaction des quelques contrats tout en s'assurant que les objectifs Regard et Arthur soient respectivement compris. Malgré la présence de Marie et de Yeonjun qui parlaient tous deux un français parfait – à ses oreilles d'amateurs tout du moins – il lui arrivait quelques fois de se retrouver légèrement perdus. Bien sûr, la majeure partie des conversations s'effectuait en anglais, lui laissant alors un peu de repos. Le reste du temps, son supérieur ne ratait aucune occasion d'exercer sa connaissance quasi parfaite de cette langue, en se gardant évidemment de lui en partager ne serait-ce qu'un bout. Après tout, ils n'étaient pas venus ici pour faire un stage linguistique, et tant que Soobin était en capacité de faire son travail, il n'avait besoin de rien de plus.

Néanmoins, un sourire s'imposa sur son expression agacée lorsqu'il se rappela pourquoi il avait programmé son réveil à huit heures trente un samedi matin. Aujourd'hui, Yeonjun et lui avaient prévu de faire les boutiques pour entamer leurs achats de noël. Ils avaient de l'avance, mais ils s'étaient trouvés sur la même longueur d'onde quant au fait qu'ils n'auraient pas l'occasion d'offrir des cadeaux français tous les ans à leurs proches et que, par conséquent, ils pouvaient bien s'autoriser cela.

C'est donc l'esprit bien plus léger qu'il se leva et commença à se préparer. La musique de son téléphone jouant à un volume raisonnable, il choisit minutieusement ses vêtements en s'observant dans la glace mise à disposition dans sa chambre. Cela le déprimait de sans cesse de devoir porter un costume en semaine, d'autant plus aux côtés d'un homme tel que Choi Yeonjun qui semblait plus élégant et à l'aise dans ses tenues de travail que dans ses tenues de ville. Il avait toujours préféré choisir ses vêtements librement ; il ne se considérait pas comme une icône de mode, mais il avait toujours apprécié faire attention à ce qu'il portait. Il s'estimait chanceux que Yeonjun ait l'esprit suffisamment ouvert pour ne pas exiger des costumes aussi stricts que les siens : les graphistes s'habillaient et se coiffaient comme ils l'enchantaient – sauf lorsqu'une réunion était prévue – tandis que les personnes occupant des postes plus élevés tels que Taehyun et lui se voyaient tout de même obligées de porter le strict minimum, soit une chemise et un pantalon qui n'était pas en jean. Il relativisait en se disant qu'il échappait au pire, et qu'il avait tout de même droit aux colorations de cheveux de son choix. Il n'avait jamais véritablement cherché à déterminer où se trouvaient les limites mentales que son patron avait lorsqu'il était question de l'apparence de ses employés, mais une chose était sûre : il était du genre tolérant.

D'humeur légère, il se saisit de son pull préféré couleur lavande faisant un rappel avec sa nouvelle couleur de cheveux et enfila un pantalon en toile bleu marine avant d'enfiler sa veste en jean foncé molletonnée. Comme ça, on sera un peu assorti, se surprit-il à penser. Mais étrangement, cela ne lui fit pas peur de le penser : il appréciait de plus en plus la compagnie de Yeonjun. Une fois prêt, il jeta un œil à son portable qui venait de vibrer, un sourire s'imposant sur ses lèvres lorsqu'il lut  le message qu'il venait de recevoir.

Maman <3

Joyeux anniversaire mon Soobinie 🐰

Ton père et moi espérons que tu passeras une très agréable journée à Paris ! Profite bien surtout, offre-toi un bon repas et des souvenirs pour Beomgyu et toi (sans oublier une tour Eiffel pour ton père, tu sais à quel point cela lui tient à cœur).
On attend ton retour avec impatience pour fêter cela entre nous, en attendant prend soin de toi mon fils

Avec beaucoup d'amour,
Maman et Papa.


Et lorsqu'il ouvrit la porte de sa chambre et trouva Yeonjun dans le couloir de l'hôtel, une certitude l'envahit : il était chanceux.

:::

             — Je la pensais plus grosse...

Soobin n'était pas du genre à être facilement déçu. Néanmoins, la taille de la boutique qu'il s'était donné tant de mal à trouver n'avait pu que lui arracher une moue contrariée.

Il avait délaissé Yeonjun le temps qu'il fallait pour se mettre à la recherche d'une boutique de mode reconnue dont Beomgyu était fan. Naturellement, il s'était légèrement renseigné sur le sujet, mais les longs discours de son ami lui avaient vendu quelque chose qui se trouvait très éloigné de la réalité. La boutique en question était minuscule, ne possédant qu'un étage dont l'espace était plus vide qu'autre chose. On pouvait appeler ça une décoration « épurée », Soobin n'y voyait que du flan : des décorations épurées, il en avait vu. Cela en revanche ce n'était qu'une façon de tenir un certain esthétique tout en ne possédant que de faibles stocks sur une surface donnée.
Pour Beomgyu, se dit-il en s'enfonçant à contre cœur dans cet environnement qui n'avait rien à voir avec son élément. Enfin, si, en quelque sorte cette boutique lui rappelait quelques galeries d'art ou luxueux appartements qu'il avait pu visiter dans le cadre de son travail. Et même s'il appréciait globalement sa profession, cela ne fit pas qu'éveiller en lui de bons souvenirs.

Une fois qu'il eut trouvé l'article qu'il avait repéré sur le site de la marque – une chemise sur laquelle son ami bavait depuis environ trois mois – il s'empressa de déguerpir. Satisfait de ses achats, il regarda l'heure avant de demander à Yeonjun où il en était. Ce dernier lui répondit dans la minute par le nom d'une boutique qui se trouvait à une vingtaine de mètres d'ici, toujours sur les Champs Élysées. Soobin se mit en chemin, caressant son ventre d'une façon distraite en songeant au fait qu'ils n'avaient rien grignoté pour le goûter, et qu'il commençait à avoir un petit creux maintenant que les aiguilles avaient dépassé les dix-huit heures.

Quelques minutes plus tard, il se retrouva devant la devanture d'une superbe boutique de costume. Il n'avait pu s'empêcher d'admirer la vitrine la bouche entrouverte ; il fallait dire que le lieu se détachait nettement des autres boutiques prises d'assauts par la population. Et étrangement il ne put s'empêcher de penser que, d'une certaine façon, cette boutique ressemblait un peu à Yeonjun.

Lorsqu'il se décida enfin à pénétrer dans l'enceinte de l'établissement, une petite clochette retentit, imposant un contraste notable entre la rumeur des boulevards bondés et le calme de l'intérieur de la pièce. Cette dernière arborait un style davantage anglais que français, et Soobin se retrouva à le préférer à toutes les décorations d'intérieur qu'il avait pu voir depuis le début de leur escapade shopping. Trois hommes seulement se trouvaient dans la pièce, deux d'entre eux n'étant nulle autre que Yeonjun et ce qui semblait être un membre du personnel chargé de la clientèle. Sans plus attendre, il se dirigea aux côtés du récemment coloré en bleu qui l'affubla d'un étrange regard plein d'espoir.

— Ah, Soobin, je vous attendais.

Ça pour une surprise, de souvenir il n'avait jamais entendu son patron prononcer ces mots dans un contexte qui n'était pas celui de leur travail. C'était un peu étrange de l'entendre dire cela comme s'il venait de s'adresser à un ami.

Enfin, n'était-ce pas ce qu'ils étaient à présent ? Des amis ? Soobin en doutait, mais il n'eut pas le temps de plus se pencher sur la question que déjà, il se trouvait entre Yeonjun et le vendeur qui semblait lui poser soucis.

— Ce monsieur ne semble pas comprendre que je suis en capacité de choisir moi-même quel ensemble m'irait le mieux, ni qu'il est possible que j'achète une cravate d'un costume qui n'est pas celui que j'achète, lui chuchota-t-il en coréen.

Soobin eut un mouvement de tête compréhensif. Il voyait très bien à quel genre de vendeur ils avaient affaire : c'était le genre à se mettre en tête qu'un client devait être suivi partout dans la boutique, et que s'il était en plus étranger, il nécessitait des conseils avisés. Lui-même ayant travaillé dans ce genre de magasin un certain temps connaissait bien les travers dans lesquels il était facile de tomber en exerçant un tel poste. 

Une fois assuré que le jeune homme – il ne devait avoir qu'une ou deux années de moins que lui – pouvait parler anglais, il s'appliqua à lui faire comprendre que son aide n'était pas nécessaire tout en lui assurant qu'il était très aimable de sa part de la proposer. Yeonjun semblait s'être retenu de soupirer d'impatience tout le long de la petite discussion, jusqu'à ce qu'enfin, le français ne les laisse tranquille pour vaquer à d'autres occupations. 

— Il ne faut pas lui en vouloir Monsieur, il veut bien faire, lui précisa-t-il après l'avoir vu lever les yeux au ciel.

— Je me fiche bien de ses intentions, je lui ai répété plusieurs fois que je n'avais pas besoin d'aide, cela aurait dû être suffisant...

Il imaginait bien la façon dont son supérieur avait pu communiquer avec le jeune vendeur, et se mit à éprouver une once de sympathie pour ce dernier.

— Mais bon, je m'étais bien dis que, paradoxalement, vous seriez plus doué que moi pour le faire partir. Je vois que je ne m'étais pas trop trompé...

Il ne sut trop comment accueillir cette remarque et opta pour un simple hochement de tête, un léger sourire peint sur les lèvres.

Sans ajouter quoique ce soit, le plus vieux se remit à détailler les costumes présentés sous le regard attentif de son assistant. Soobin n'osait pas regarder les prix ; il savait pertinemment que tout ce qui se trouvait ici était hors de sa portée . Et même s'il aimait bien faire quelques folies pour ses proches ou lui, cela ne relevait jamais que de l'exceptionnel. Or, il se doutait bien que Yeonjun avait plus ou moins l'habitude de se trouver dans ce genre d'endroit. Cela se voyait à l'application qu'il mettant dans ses observations des différents tissus et modèles qu'il avait face à lui. Et en l'observant se mouvoir dans cet espace si particulier, presque aussi élégamment habillé que les mannequins en bois qui les entouraient dans son long manteau bleu, sa chemise blanche subtilement brodée de motifs azur et son pantalon cintré de la même nuance, il ne put s'empêcher de la trouver beau tant il semblait dans son élément.

— Quelque chose vous plaît ?

Il sortit de ses pensées lorsqu'il l'interpella.

— Oh, ma foi non, pas vraiment...

Une drôle impression de déjà vu le prit, et il trouva ce léger sentiment d'habitude rassurant et confortable.

— Vous savez bien que cela ne correspond pas vraiment à mon style vestimentaire, mais je suis sûr que tout vous irait ici !

Yeonjun l'affubla d'un regard un peu surprit avant de lui sourire tendrement.

— Merci Soobin, fit-il tout bas.

Il crut sentir ses joues chauffer à cette réponse, sans savoir d'où cela pouvait venir. Ils entretenaient pourtant une discussion des plus normales. Il se fit la réflexion que le chauffage de la boutique devait être un peu trop fort, tout simplement.
Quelques minutes plus tard, alors qu'il s'était plus intéressé à la décoration de l'échoppe qu'à ce qu'elle proposait, il vit Yeonjun faire son choix. Ce dernier avait opté pour un ensemble au motif tartan gris et bleue, un style très anglais qui correspondait bien à l'image que renvoyait la marque. Il osa demander à Yeonjun quel était l'intérêt d'acheter dans une boutique anglaise lorsqu'on était en France, et ce dernier lui répondit que Paris avait beau être un des berceaux de la mode, les Anglais détenaient selon lui les secrets des costumes les plus élégants.

— Vous ne prenez pas la broche ?

Il l'avait vu se saisir d'un exemplaire du costume en délaissant le bijou qui allait avec. Il s'agissait d'une double chaine en argent reliant deux papillons magnifiquement sculptés arborant quelques petites pierres bleues sur leurs ailes. Il avait beau ne pas porter ce genre de vêtements et accessoires, il ne put s'empêcher de penser que la broche était magnifique, et qu'il serait dommage de porter son costume sans elle.

— Vous savez, j'ai beau avoir mes moyens, ces derniers ont des limites. C'est un beau bijou, mais je peux m'en passer. Et puis, vous semblez oublier que je dois offrir quelque chose à mes proches également.

Et il partit, le laissant penaud. Ses proches, Soobin en aurait presque oublié que Choi Yeonjun aussi pouvait avoir des amis et de la famille. Bien sûr, il le savait très proche du responsable des ressources humaines, Taehyun, mais aucun des deux hommes ne s'était jamais véritablement étalés sur leur relation. Et bêtement, il n'avait jamais imaginé que son patron qu'il avait longtemps trouvé un peu trop étriqué d'esprit puisse avoir une vie sociale. Le temps d'un instant, l'image de la mannequin lui revint à l'esprit, et il se força à la chasser. Ce n'était pas le moment de penser à ce genre de chose.

Une fois certain qu'il ne se trouvait plus dans le champ de vision du plus vieux, il se saisit discrètement de la broche et gagna une autre caisse. Une fois sorti de la boutique, Yeonjun la darda d'un regard inquisiteur.

— Je pensais que rien ne vous plaisait dans cette boutique.

Un rictus vint étirer le coin de ses lèvres.

— On dit bien qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis

:::

Sur le chemin du retour, ils discutèrent sommairement de leurs achats respectifs, jusqu'à ce qu'ils ne se fassent interrompre par la sonnerie du téléphone de Soobin. Ce dernier s'excusa brièvement avant de décrocher.

— Ou-

— JOYEUX ANNIVERSAIRE !!

Une fois encore, il avait su éloigner son téléphone de son oreille suffisamment rapidement pour s'éviter une surdité assurée. Il aurait dû prévoir le coup en voyant le contact de son meilleur ami s'afficher sur l'écran de son téléphone, mais il avait eu la tête ailleurs. Yeonjun l'observa d'un air surpris, et il sentit une once de gêne grandir en lui.

— O-oui 'Gyu, je t'entends bien, ce n'était pas la peine de crier...

— Roh, c'que tu peux être rabat-joie. Et moi qui fait l'effort de t'appeler à une heure pareille !

Il regarda l'heure qu'affichait son téléphone, fit un rapide calcul avant d'ouvrir grand les yeux.

— Mais qu'est-ce que tu fais debout à trois heures du matin ?

Il entendit son ami rire à l'autre bout du fil, cela ne lui plut  pas beaucoup.

— Je sors tout juste du studio de l'agence, on a une novelle chorée assez dure à apprendre alors euh... disons que je n'ai pas vu le temps passer.

Il l'imaginait parfaitement sourire avec sa bouille d'ange et ses yeux de chien battu, d'un air de dire « je n'ai rien fait de mal » alors même qu'il mettait sa santé en péril. Mais Beomgyu était comme ça : bosseur. En tous cas dès qu'il s'agissait de la danse, on ne l'arrêtait plus, et cela pouvait parfois poser problème. Soobin ne comptait plus le nombre de fois où il avait dû lui-même extirper son ami du studio de danse ou lui ramener quelque chose à manger parce qu'il s'oubliait trop souvent. Aujourd'hui encore, il constatait que le plus jeune n'en n'avait fait qu'à sa tête, mais il ne put s'empêcher de trouver l'attention adorable.

— Tu es irrécupérable.

— Oui moi aussi je t'aime mon 'Binnie.

Ils discutèrent quelques minutes jusqu'à ce que Soobin ne force le décoloré à raccrocher, lui donnant pour argument majeur qu'il se trouvait actuellement en compagnie de Yeonjun.

— Oh mince alors ! Je vous laisse, j'espère qu'il va t'emmener dans un endroit chic pour ton anniv', ce serait con qu'il garde tout son fric pou-

— Oui oui d'accord Beomgyu, bonne nuit !

Et il raccrocha, les joues rouges de honte. Bien sûr, Yeonjun n'avait pas entendu sa discussion avec le danseur – et encore, ce dernier avait une voix qui portait tellement qu'il pouvait s'autoriser à douter de cette affirmation – mais il se sentait tout de même gêné d'avoir eu une interaction aussi intime à ses côtés.

Il s'excusa d'un sourire fébrile alors qu'ils continuaient tranquillement leur chemin du retour. Ce dernier se fit dans un silence assez paisible, jusqu'à ce qu'ils ne se retrouvent tous deux devant leur porte de chambre respective, celle de Yeonjun se trouvant à cinq mètres de la sienne.

Il allait entrer lorsque ce dernier l'interpella.

— Soobin !

Réfrénant un sursaut, il se tourna vers le plus vieux.

— Oui Monsieur ?

Yeonjun semblait hésitant, la bouche entrecouverte, comme s'il n'était pas certain des mots qu'il allait prononcer.

— Je..., il attendit encore un peu avant de continuer. C'est votre anniversaire aujourd'hui, c'est ça ?

Soobin déglutit avec peine. De toute évidence, Yeonjun avait compris. Maintenant, il ne savait quoi lui dire. Que pouvait-il répondre ? Il avait volontairement caché à son patron la date de son anniversaire, par peur de paraître trop égocentrique – après tout, ils avaient déjà prévu quelque chose pour la journée, et cela lui avait beaucoup plu. Mais ça, il ne lui avouerai probablement jamais. Il se sentait bien bête tout d'un coup.

— Euh, oui, répondit-il seulement d'un ton incertain.

— Mais...

Le plus petit semblait en difficulté, presque désemparé face à la nouvelle. Jamais il n'aurait cru voir le visage de son supérieur dépeindre autant d'expression faciales, mais il devait avouer que cela avait quelque chose de terriblement attachant. À cet instant précis où Yeonjun le regarda avec des yeux brillants, il se rendit compte du chemin qu'ils avaient parcouru, et il frissonna.

Non. Il ne fallait pas qu'elle ressurgisse.

— Je ne savais pas, je m'en excuse. Enfin vous auriez pu me le dire, quoique, j'aurais peut-être dû savoir, Taehyun savait sûrement lui, j'aurai dû...

Voilà qu'il paniquait maintenant. Soobin avait l'étrange impression que les rôles étaient inversés, et cela ne lui sembla pas aussi désagréable que cela. Pour sûr, il ne savait pas trop quoi faire sur le moment, mais cela lui fit grand bien de savoir qu'il n'était pas seul à avoir du mal par moment.

Au fond, on est peut-être un peu pareil sur certains points.

— Oh mais monsieur..., il lâcha ses sacs pour s'approcher de lui sans pour autant savoir quoi faire de ses mains. Ne vous en faites pas, je ne vous l'ai pas dit parce que... Eh bien parce que je ne pensais pas que vous jugiez cela important d'être au courant.

Il se trouvait bien stupide à expliquer son raisonnement douteux à voix haute.

— Mais enfin je... !

Une fois encore, le plus vieux semblait à court de mots, semblant mitigé entre stupeur, frustration et ce qui s'apparentait à de la peine. Finalement, il souffla, ses épaules s'affaissant.

— Il est vrai que j'ai pu vous donner cette impression, commença-t-il. Et pour être honnête avec vous, l'information ne m'aurait effectivement pas parue importante il y a de cela quelques mois. Mais maintenant..., il le vit hésiter à nouveau, pourtant, il pouvait sentir quelque chose battre au fond de lui, une appréhension peut-être, un espoir sûrement. Maintenant et bien... Je pense que nous pouvons tous les deux dire que la situation a changé.

Soobin retint sa respiration. Oui, quelque chose avait changé. Il se rendit compte à l'instant de la ferveur avec laquelle il avait tenté de repousser cette évidence. Parce qu'elle pouvait sous-entendre tout un tas de chose qu'il n'était pas encore prêt à entendre, à ressentir. Pourtant, cela ne voulait pas dire grand-chose non plus. Leur relation avait changé oui, il se surprenait parfois à sentir un fleuve de tranquillité couler en lui lorsqu'il était aux côtés de son supérieur, rien à avoir avec cet ennui qu'il ressentait auparavant. Alors peut-être que ce n'était pas si mauvais que cela après tout.

— C'est vrai, parvint-il à répondre. Enfin, j'aurais peut-être dû vous le dire plus tôt, pardonnez-moi je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise.

— Laissez-moi vous inviter à dîner pour me rattraper. S'il-vous-plaît.

Soobin se mordit la joue. Il n'avait pas prévu que son patron puisse être aussi adorable avec son air déterminé, les poings serrés et la posture droite. Comment pouvait-il lui refuser quoique ce soit lorsqu'il le regardait ainsi ?

— C'est d'accord, souffla-t-il.

Et il fut rassuré de voir que sa réponse fit sourire son vis-à-vis.

:::

Soobin ne savait pas quoi choisir.

Il avait opté pour le restaurant de l'hôtel. Il avait déjà été gêné que Yeonjun veuille l'inviter quelque part, jamais il n'aurait été capable de l'emmener dans un autre restaurant hors de prix éloigné de leur lieu de résidence. Pourtant, rien de ce qui était inscrit sur la carte ne lui semblait raisonnable, et il se mit à se demander comment diable Yeonjun pouvait dîner ici chaque soir. Pour avoir ses moyens, il a ses moyens, n'avait-il pu s'empêcher de penser avant de chasser cette idée d'un battement de cil.

Finalement, il opta pour un steak accompagné de patates douces tandis que le plus vieux commandait un plat au nom imprononçable. Et à l'instant où le serveur reparti, il sentit ses mains devenir moites.

Et maintenant quoi ?

— Vous auriez pu choisir un meilleur restaurant vous savez ? demanda Yeonjun en replaçant correctement ses couverts.

— Ne dites pas n'importe quoi, je ne veux pas vous dépouiller. Vous n'aviez déjà pas prévu de m'offrir quoique ce soit, j'aurais été gêné de vous demander plus. Et puis, pour que vous y dîniez tous les soirs, ce restaurant doit être plus que correct.

Le coloré le regarda avec des yeux ronds, et l'évidence le frappa. Quel idiot ! Il venait tout juste d'avouer implicitement qu'il avait observé ses habitudes depuis leur arrivée à Paris. Il eut une fugace pensée pour la note dans son téléphone et se retint de pleurer de honte.

— Vous avez raison, fit simplement le plus petit après quelques secondes. Ils ont de bons cuisiniers.

Ils parvinrent à discuter de tout et de rien. Yeonjun eut l'occasion d'apprendre que Soobin fêtait aujourd'hui ses vingt-sept ans, et l'annonce sembla démarrer en lui une sorte de remise en question. L'assistant ne put empêcher un petit rire de lui échapper des lèvres à la vision de l'expression abasourdie du plus vieux. Ils se mirent à rire en cœur, et cela lui fit du bien. Soudain, il eut l'impression qu'ils laissaient tous deux laisser quelques morceaux de leurs armures tomber. Et Dieu, ce que cela pouvait être confortable.

— Je me sens tout de même un peu gêné de n'avoir rien de plus à vous offrir. N'y a-t-il rien d'autre qui vous ferait plaisir ?

Il voulut écarquiller les yeux à nouveau mais se retint et sourit à la place.

— Non vraiment, vous allez finir par me gêner ! Je suis déjà ravi. Mais si vous tenez à me faire plaisir, il y un jeu auquel j'aimerais beaucoup jouer avec vous.

Yeonjun parut intrigué. Un serveur vint leur déposer leur plat respectif avant qu'il ne poursuive.

— Avec mon ami, on appelle cela « Vérité ou Vérité ». C'est un peu idiot dit comme ça, mais lorsque la situation ne convient pas à des « actions », c'est un très bon moyen de passer le temps !  

— Je vois..., fit-il d'un air qui laissait croire qu'il ne voyait pas vraiment de quoi il était question. Il s'agit donc d'un simple jeu de questions-réponses ?

— Oui, mais vous êtes obligé de répondre ! il se mit à découper son steak. Les règles sont simples : tout le long de la partie, vous devez répondre aux questions posées. Vous avez la possibilité de demander une autre question, mais vous n'avez droit qu'à un seul jocker. Bien entendu, vous pouvez tout de même décider d'arrêter le jeu dès que vous en ressentez le besoin.

Il enfonça un morceau de viande dans sa bouche et cru défaillir. Comment un simple bout de bœuf pouvait-il être aussi délicieux ?

Il releva la tête.

— Alors, ça vous dit ?

Il vit le plus âgé déposer sur lui un drôle de regard. Empli d'une curieuse lueur, une sorte de douceur qui allait de pair avec le léger sourire qu'arboraient ses lèvres.

— C'est d'accord.

Il ne put réfréner un immense sourire à cette réponse.

Pendant une dizaine de minutes, ils se posèrent des questions d'un banal presque ridicule. Mais à la vérité, cette touche de simplicité adoucit Soobin de l'intérieur. L'idée d'un dîner en tête à tête avec son supérieur avait tout pour le faire paniquer, réveiller sa peur et le plier en quatre pour le reste de la soirée. Mais la familiarité de ce jeu inventé dans son adolescence – malgré son enjeu qui pouvait facilement faire tourner une soirée au vinaigre – l'apaisait. Et le fait que Yeonjun entrait dans son jeu de questions plutôt simpliste le rassura tout de suite.

— À mon tour, fit Yeonjun alors qu'il essuyait son couteau puis sa fourchette avec sa serviette d'un geste minutieux. Vérité ou vérité ?

— Allez, soyons fous, vérité ! fit-il avec une mine faussement sérieuse.

Ils rirent de bon cœur avant que le silence ne retombe. Le plus petit sembla réfléchir un moment avant d'enfin poser sa question.

— Comment vous êtes-vous liés d'amitié avec Beomgyu ?

Et malgré tous ses efforts, Soobin eu un mal fou à retenir son sourire de se faner. Visiblement, cela ne fonctionna pas beaucoup, car il vit le sourire de Yeonjun tomber subtilement avec le sien. C'était idiot, à ce stade, il pouvait bien lui dire. Après tout, il se l'était affirmé tout à l'heure : leur relation avait changé. Et puis, il ne s'agissait jamais que de son meilleur ami, même si ce genre formulation le dérangeait toujours. Il aimait considérer Beomgyu comme son petit secret, comme si cela pouvait protéger leur relation fusionnelle de tous les aléas de la vie. Mais il devait se rendre à l'évidence : Yeonjun n'était pas un danger.

— Beomgyu et moi nous sommes rencontrés au collège. C'était un simple établissement public de quartier, et à vrai dire, tout s'est fait assez naturellement. Beomgyu est quelqu'un de très ouvert et sociable, et si je suis toujours un petit peu plus timide que lui, je n'ai jamais eu de grande difficulté à me faire des amis. En bref, nous nous sommes retrouvés assis à côté lors de notre premier cours, et de ce dont je me souviens, il avait fait une réflexion sur notre professeur de mathématiques qui m'avait fait rire sur le coup. 

Un sourire se forma sur ses lèvres à l'évocation de ce souvenir qui lui était cher. Il ne vit pas Yeonjun l'observer avec tendresse, trop occupé à fixer la moquette du restaurant.

— Et c'est à peu près tout ! Enfin, depuis le temps, nous avons eu le temps de vivre tout un tas de choses, des disputes, des moments de joie intense, des peines...

L'image d'une soirée de printemps lui revint à l'esprit, il s'efforça de la chasser en se râclant la gorge. Ce n'est pas le moment de penser à ça.

— Voilà, fit-il en se redressant, osant à nouveau regarder son vis-à-vis dans les yeux. Cette année cela fait quatorze ans que nous sommes amis, et je dois avouer que j'en suis plutôt fier !

Yeonjun sourit et n'ajouta rien. Un serveur vint leur demander s'ils souhaitaient un dessert, et il s'empressa de demander une boule de glace à la vanille, songeant bêtement que cela aiderait probablement à apaiser les battements de son cœur qui devenaient désagréables.

— À mon tour ! fit-il une fois sa glace entamée. Vérité ou vérité ?

— Vérité.

— Qui est la mannequin que nous avons vu sur l'affiche jeudi dernier ? 

Ce fut au tour de Yeonjun de perdre son sourire. Soobin s'en voulut un peu, mais une part de lui tenait à obtenir une réponse. Par soucis d'équité, il ne voulait simplement pas être le seul à se dévoiler.

— Vous pouvez toujours utiliser votre jocker ou demander une autre question, précisa-t-il en voyant le plus petit prendre son temps.

— Non, fit-il en déboutonnant sa veste de costume, comme pour montrer qu'il était prêt à en dire un peu plus sur lui, et cela fit naître un espoir en Soobin. Je vais répondre à cette question, après tout, vous m'avez parlé de votre ami et j'ai cru comprendre qu'il s'agissait là de quelque chose d'important à vos yeux. Je pense que c'est la moindre des choses de répondre à votre question.

Il acquiesça d'un geste de tête et trouva tout de suite cela idiot. Il ne savait pas quoi dire ni faire, alors il attendit simplement que Yeonjun reprenne la parole.

Ce dernier finit son verre d'eau d'une traite avant de planter son regard dans le sien.

— Cette femme que nous avons vue, c'était mon ex fiancée.


Et Soobin sourit.

Parce qu'au fond, c'était toujours plus facile de brandir son bon vieux bouclier que d'affronter les durs coups de la réalité.








SUISEI...

mes chocolats, comme on se retrouve !

bon, j'ai pris un peu de retard, mais pour ma défense, ce chapitre fait à peu près le double d'un chapitre standard xD j'espère d'ailleurs qu'il vous aura plu ~

néanmoins, je vous annonce ici que ce chapitre était le dernier avant quelques temps. je compte reprendre une - courte, pas de panique - pause de publication. pour plus de détails, je vous donne rendez-vous sur mon mur dans la soirée histoire de vous expliquer tout ça !

bonne soirée  à vous et à la prochaine <33

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