Chapitre Vingt-neuf
Décembre
Lorsque Taehyun referma la porte de leur appartement derrière lui, il soupira.
La nuit était tombée depuis quelques heures déjà, il n'avait pas eu le courage de rentrer tout suite après son entrevue surprise avec Beomgyu. Ce dernier l'avait quitté avec le sourire jusqu'aux oreilles, un grand geste de main en guise d'au revoir et un dernier encouragement.
Fighting Kang Taehyun !
Discuter avec Beomgyu avait été une chose, faire désormais face à ses erreurs en était une autre. Son échange avec le blond l'avait beaucoup aidé sur le moment, après tout il n'avait jamais connu quelqu'un de plus réconfortant que lui. Mais Beomgyu avait toujours eu tendance à l'idéaliser pour une raison qui lui échappait un peu. Le fait était qu'il avait passé une bonne heure à marcher dans le froid avant d'enfin rentrer. Et maintenant que c'était chose faite, il ne savait plus quoi faire.
Rentre, excuse-toi, explique-toi, laisse-lui du temps.
Il enleva ses chaussures en se répétant ces mots lorsqu'un bruit provenant de la cuisine attira son attention. Sans se poser plus de question que cela, il s'y dirigea et ouvrit la porte qui le séparait de la pièce. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il y découvrit Kai assis à même le plan de travail, emmitouflé dans son pyjama trop grand pour lui et un plaid bleu électrique – son préféré –, un casque sur les oreilles et... un pot de confiture et un autre de beurre de cacahuète ouverts à ses côtés.
Voir Kai dans cet état lui fit l'effet d'une bombe. En un an de couple et plus encore de discussion, il avait appris à le connaître : dans ses défauts, ses qualités, sous ses plus beaux jours et aujourd'hui, au plus mal. Il savait que Kai entretenait une relation compliquée avec la nourriture, une chose sur laquelle il n'avait jamais voulu s'étaler. Mais plusieurs fois il l'avait remarqué manger un peu plus que de raison dans des périodes difficiles d'examen ou de stress inattendues. S'il n'avait jamais cessé d'être là pour lui et de lui proposer son aide dans les moments difficiles, il ne savait pas ce qu'il était censé faire lorsqu'il était la cause de son malheur. Et cette simple pensée remua quelque chose en lui. Il se sentait à nouveau au bord des larmes lorsque Kai sembla enfin le remarquer.
Le temps sembla s'arrêter.
Pendant quelques secondes il n'y avait que les yeux rougis de Kai qui plongeaient dans les siens tout aussi mal en point. C'était comme si le temps s'était étendu et qu'ils avaient été projeté dans un rêve. Et Taehyun ne voyait que lui, ce jeune homme qu'il avait aimé au premier regard, qui lui avait vendu du rêve et avait décroché les étoiles pour lui, pour eux. Ce jeune homme qui s'était battu pour lui, qui lui avait fait redécouvrir le bonheur d'être aimé et lui avait redonné espoir en quelque chose qu'il ne pensait plus pouvoir vivre.
Et sans qu'il ne puisse le voir venir, Kai se rua dans ses bras. Taehyun eu cette sensation étrange de sentiments contraires qui s'étreignaient : il sentait un mélange de tristesse et de soulagement, d'amour et de fatigue. Il fondit en larme sans pouvoir se retenir et sentit que le plus jeune s'était mis à pleurer également.
C'était comme si leurs larmes parlaient pour eux, comme si chacune d'entre elles étaient un merci¸ un pardon, un ne me quitte plus, un je t'aime. Ils se serrèrent l'un contre l'autre de peur d'échapper une nouvelle fois à la chaleur qu'ils s'offraient, de peur de ne plus savoir comment s'aimer, d'oublier pourquoi ils partageaient leur vie.
— Je suis désolé, dirent-ils en cœur.
Ils s'éloignèrent légèrement l'un de l'autre pour se regarder dans les yeux, puis se perdirent subitement dans un grand fou rire.
Et il sembla à Taehyun qu'il redécouvrait la beauté d'aimer. D'aimer Kai. C'était pouvoir rire à n'en plus savoir réfléchir et mélanger larmes de bonheur avec larmes de tristesse. C'était pouvoir communiquer une infinité d'intentions en deux trois regards et mots échangés. C'était avoir des bras dans lesquels fondre , une maison à retrouver, un sourire à embrasser. À cet instant précis, alors que Kai riait aux éclats en se tenant le ventre, il sut tout de suite que rien n'était perdu. Il sut qu'il méritait tout l'amour qu'il avait à lui offrir, que ce qu'ils avaient viendrait à bout de cette soirée et de toutes celles qui suivront. Parce que leur histoire venait à peine de commencer, et que tomber à deux c'était pouvoir s'aider à se relever mutuellement.
Alors il s'empara des pots de confiture et de beurre de cacahuète ainsi que du sachet de brioche échoués sur le plan de travail et entraîna le brun jusqu'à leur salon. Il attrapa en chemin un autre plaid couleur crème dans lequel il s'emmaillota avant de confortablement s'installer à ses côtés sur leur canapé. Et il lui expliqua tout. Pour la première fois depuis des années, il raconta son enfance compliquée, les aventures désastreuses de son adolescence, ses tourments et découvertes de jeune adulte. Il expliqua comment très tôt, on avait voulu le ranger dans une case, sans trop lui demander son avis. Comment l'étiquette de 'surdoué' lui avait valu les attentes bien trop grandes des adultes de son entourage et un écart entre lui et ses camarades. Comment on lui avait toujours fait sentir qu'il n'aurait jamais sa place car trop intelligent, pas assez commun, trop différent, pas assez discret. Il n'avait jamais cessé d'essayer d'être lui-même, tout en faisant de son mieux pour plaire aux autres. Désir qui lui avait causé des expériences douloureuses qu'il n'avait pu partager avec personnes à l'instant où elles étaient arrivées. Vouloir plaire aux autres en collectionnant les différences ; ça avait été la malédiction avec laquelle il avait tenté de vivre pendant les vingt premières années de sa vie. Jusqu'à ce qu'il ne fasse la rencontre de Yeonjun et Chaeyoung, ses deux premiers vrais amis rencontrés dans ses années de prépa. Leur bienveillance lui avait fait comprendre que sa personne était amplement suffisante pour être appréciée et qu'il n'avait aucun compte à rendre à personne. Il lui parla de sa famille avec qui il avait coupé les ponts, puisqu'ils étaient de toute évidence incapables de l'aimer tel qu'il était : homosexuel et haut potentiel. Puis il se senti obligé d'évoquer Beomgyu et leur histoire brève mais fondatrice : il avait été le premier garçon capable de l'aimer malgré son asexualité. Sa première vraie histoire d'amour, une tout droit sortie d'un rêve qu'il ne s'était jamais autorisé à imaginer.
Kai était le premier à qui il racontait cela : Beomgyu avait toujours été son petit secret, de la même façon qu'il savait pertinemment que Soobin n'avait aucune idée de leur aventure. Pour lui, il n'était rien d'autre que le DRH et meilleur ami de Choi Yeonjun. Mais il sut en voyant le regard que son petit ami posa sur lui que cela s'était avéré nécessaire. Il lui sembla déceler dans ses yeux une lueur de soulagement et de douceur qui l'émerveilla. Kai était magnifique, dans sa façon d'être ouvert et bienveillant qui ne cessait de l'étonner. Kai était plus jeune, pourtant il se rendit compte qu'il avait beaucoup à apprendre de lui.
— Je sais que c'est plus facile à dire qu'à faire, mais tu aurais dû venir m'en parler plus tôt, fit-il doucement.
Taehyun sourit et essuya un reste de confiture resté au coin de ses lèvres.
— Oui, tu as raison. Je m'excuse pour m'être braqué et avoir évité la discussion.
— Et moi je m'excuse pour t'avoir mis au pied du mur et t'avoir mis à la porte de ton propre appartement, ajouta-t-il avec un petit rire.
Ils se regardèrent pour la énième fois cette soirée, sans aucune conscience de l'heure qu'il était et de leur apparence presque misérable.
Ils s'embrassèrent. Leur baiser avait un goût sucré-salé, original, doux, terriblement agréable.
La seule chose qui comptait désormais, c'était eux. De quoi serait fait demain, leur demain ; ils avaient hâte de le découvrir ensemble.
:::
— Les passagers du vol 207 à destination de l'Aéroport international d'Incheon doivent se rendre en salle B8...
— Soobin, il faut se réveiller.
Yeonjun observa le plus jeune ouvrir difficilement les yeux, un air égaré peint sur le visage. Une drôle d'impression de déjà-vu s'empara de lui alors qu'un sourire se dessinait sur ses lèvres. Et dire qu'ils quittaient la France, déjà. Trois semaines ne lui avaient pas suffi pour pleinement profiter de Paris. Pourtant, il partait le cœur léger. Cela ne faisait plus aucun doute désormais ; Soobin était l'origine de cette agréable chaleur. Et cela ne lui faisait plus peur de l'admettre.
Lorsque l'avion décolla, il jeta un dernier œil à la tour Eiffel et se jura de revenir dès que l'occasion se présenterait.
— Tu aimes vraiment cette ville, pas vrai ?
Il se retourna en direction de Soobin qui semblait toujours vaciller entre l'éveil et le sommeil profond. Un nouveau rictus se peignit sur son visage. C'était agréable de pouvoir le penser : Soobin était adorable.
— Oui, répondit-il. J'ai toujours rêvé d'y aller, c'était la première que je posais le pied sur le sol français.
Soobin haussa un sourcil, dubitatif.
— Vraiment ? Je suis étonné que ton premier voyage dans la ville de tes rêves ait eu lieu à cause du travail.
Il souffla du nez en le voyant bailler et s'emmitoufler un peu plus – si c'était seulement possible – dans sa veste molletonnée.
— Je dirais plutôt grâce au travail.
Les yeux fermés, Soobin tiqua en souriant.
— Bien sûr, comment ai-je pu incriminer Regard de quoique ce soit ?
Yeonjun leva les yeux au ciel en rigolant légèrement.
— Tu es juste jaloux.
À sa surprise, Soobin ne fit que hausser les épaules avant de continuer sa courte nuit sur le siège de l'avion, les bras croisés et la bouche légèrement entre-ouverte. Il eut un peu de mal à détourner le regard avant d'enfin se décider à sortir son ordinateur portable. En répondant au dernier mail de la compagnie Arthur, les souvenirs de la cérémonie d'inauguration lui revinrent en flash.
Lorsqu'ils s'étaient redirigés vers la salle des fêtes suite à leur petite escapade, ils s'étaient excusés en feignant que Soobin ne se sentait pas bien – bien qu'ils n'avaient pas tort, ils ne se voyaient tout simplement pas dire qu'il souffrait d'autre chose que d'une banale gastro. Personne ne leur en avait tenu rigueur et ils avaient pu se rendre à leur hôtel en toute tranquillité. Ils n'avaient pas posé de réels mots sur leur échange, mais une douceur tacite avait été le fil conducteur de leur dialogue visuel. Ils n'avaient pas vraiment eu besoin de s'expliquer plus que cela. Ce qu'ils s'étaient dit dans la clairière avait suffi. Il avait simplement raccompagné Soobin à la porte de sa chambre en lui souhaitant une bonne nuit. Et en rentrant dans sa chambre, il avait eu une pensée pour elle.
Chaeyoung et lui avaient prévu de voyager à Paris à l'époque où ils s'étaient rencontrés. L'amour de la France en commun, de sa capitale en particulier, ils avaient de nombreuses fois planifié ce qu'ils feraient une fois là-bas. Le Louvres, la tour Eiffel, les jardins du Luxembourg, Montmartre... Ils avaient tout écrit. Et Yeonjun n'avait jamais cessé de garder ces plans près de lui, même après leur séparation. Rosé – car c'était ainsi qu'elle aimait être surnommée – avait des projets, des ambitions, des rêves. Tout comme lui. Le fait était qu'ils avaient longtemps cru qu'ils étaient complémentaires, que tous leurs projets s'accompagneraient de façon logique et millimétrée. Faux. Yeonjun avait découvert qu'un plan parfaitement mené pouvait voler en morceaux, aussi sensé soit-il, par une impulsion extérieure imprévue. Elle avait une carrière dans le mannequinat, une opportunité en or qui lui permettait l'accomplissement de toute une vocation. En France. Sans lui. Yeonjun avait une entreprise à fonder, un projet de longue date qu'il ne se voyait abandonner sous aucun prétexte, pas même celui de l'amour. Chaeyoung avait un voyage à effectuer, celui de toute une vie, une occasion qui ne se serait jamais représentée.
Leurs chemins s'étaient séparés. Pour le meilleur, il s'en était longtemps persuadé. Pendant quatre années, Regard était devenu sa seule et unique préoccupation. Vivre pour autre chose que pour l'entreprise, son ami et sa famille n'avait pas été envisageable. Il ne lui restait que ça, il s'était noyé dans son travail pour fuir toutes les conséquences que cette séparation avait pu avoir sur lui. Taehyun avait insisté pour qu'il adopte Capucine, et aujourd'hui il se rendait compte d'à quel point l'arrivée de la lapine l'avait sauvé. S'occuper d'autre chose que de Regard, d'autre chose que de lui, même à petite dose, lui avait permis de revenir à la surface. Il prit soudainement conscience du rôle décisif qu'avait joué Taehyun dans tout ça et se fit la réflexion qu'une discussion pour le remercier s'avérait nécessaire.
Un poids sur son épaule le ramena à la réalité. Il s'aperçut que Soobin avait basculé et commençait doucement à s'échouer sur lui. Ce qui était fâcheux c'était que malgré leur différence d'âge, Soobin était plus grand que lui. Sa position n'aurait bientôt rien de confortable. Pourtant, il n'eut pas à cœur de le réveiller pour qu'il se redresse.
Il pouvait bien le supporter quelques heures de plus, au moins le temps d'avancer sur quelques dossiers.
⌨SUISEI...
heyyyyyy
comment allez-vous mes chocolats pralinés ? :)
en ce qui me concerne je vais bien ~ un peu comme chaque fois que je vous poste un chapitre et que je m'apprête à lire vos commentaires hehe
d'ailleurs, ce chapitre marque le milieu de l'intrigue de Menace ! il ne s'agit que d'un point de vue théorique, je ne sais pas combien de chapitre exactement fera la fiction mais en tout cas, sachez qu'on a passé un cap important et que la suite s'annonce très agréable ~
merci encore de lire cette fiction, on se retrouve dans dix jours pour la suite !
bisous !
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