Chapitre Trente et un


           Décembre
           Yeonjun jeta un œil à l'horloge de son bureau et retint un juron.

C'était la troisième fois qu'il regardait l'heure dans la même minute. Vingt fois peut-être dans le même quart d'heure, et il aurait trop honte de savoir combien de fois pendant cette dernière heure. Depuis que Soobin avait accepté de déjeuner et avec lui et avait refermé la porte de son bureau, un étrange mélange d'appréhension, de hâte et d'impatience s'était emparé de lui. Bien heureusement, il avait suffisamment travaillé depuis tôt dans la matinée pour éviter que cela ne puisse le gêner dans son travail. Il fallait dire qu'en étant au bureau sept heures et demie, il avait eu le temps de se noyer dans diverses tâches qui avaient su lui faire oublier l'angoisse de sa proposition. Il se l'était répété maintes fois avant d'enfin trouver les bons mots. Il espérait avoir eu l'air sûr de lui et à l'aise lorsqu'il avait enfin fait sa demande. Il ne parvenait pas à se faire une idée de ce que Soobin avait pensé de lui, mais il avait accepté et c'était tout ce qui comptait.

Au bout d'un énième coup d'œil, l'aiguille des minutes le libéra enfin de sa prison invisible et il put se lever de son bureau. Il attrapa à la hâte le sac qui renfermait les deux paniers repas qu'il avait préparé avant de sortir de la pièce. Soobin referma la porte de son propre bureau en même temps que lui et ils se fixèrent pendant quelques secondes avant de timidement se sourire. Décidément...

— Tu as ramené quelque chose ? l'interrogea-t-il avec un geste de tête vers son sac.

— Oui, fit-il en essayant de se donner un air décontracté, je... j'ai pensé que cela pourrait être sympathique de nous préparer le déjeuner.

Il crut perdre toute sa confiance en voyant les yeux de Soobin s'écarquiller à sa réponse.

— Oh mais il ne fallait pas ! Enfin..., se rattrapa-t-il. C'est très gentil de ta part !

Il sentit un sourire renaître sur ses lèvres. L'emprise qu'il commençait à avoir sur lui le dérangeait de moins en moins, mais il ne pouvait s'empêcher de la relever.

— Du coup, poursuivit le plus grand, on déjeune en bas ?

Yeonjun se tendit légèrement. Il avait plutôt songé à déjeuner dans son bureau, comme à son habitude. Puis il se souvint que ce n'était que la sienne, et qu'il ne pouvait pas se permettre de forcer Soobin à manger cloîtré avec lui.

Son hésitation se fit visiblement remarquer.

— Nous prendrons une table à part, le rassura-t-il, sans Donghyuk.

Un rire lui échappa et Soobin le suivit.

— Allons-y dans ce cas.

:::

            Lorsqu'ils arrivèrent à leur table, Yeonjun voulut s'affubler d'une gifle.

Il ne le fit que mentalement, trop de personnes étaient présentes dans les alentours pour qu'il puisse agir ainsi sans se couvrir de honte. Et là était justement le problème : à ne jamais déjeuner dans la cafétaria de sa propre entreprise il en avait oublié que cette dernière n'avait rien d'un grand réfectoire où ils pourraient trouver une table plus à l'abris des regards. Même en gardant une table vide entre celle qui était occupée par l'équipe habituelle des « graphistes et compagnie » – un surnom dont il n'était pas fier mais qui lui servait de repère –, il pouvait très aisément deviner quelques regards curieux se poser sur leur duo.

— Je me demande ce que tu nous as préparé. Je m'excuse encore, si j'avais su que tu faisais le déjeuner, j'aurais au moins pris un dessert.

— Non non, ne t'en fais pas. Si cela m'avait dérangé d'être le seul à préparer quelque chose, je t'aurais demandé d'en faire autant. Je... Je voulais te faire la surprise, parvint-il à articuler.

Soobin parut surpris, sa bouche forma un 'o' presque parfait et Yeonjun laissa échapper un léger rire. Soobin le suivit, les joues légèrement roses. Derrière, il lui sembla que la table des graphistes se fit plus silencieuse le temps d'un instant. Il préféra se convaincre qu'il ne s'agissait que de son imagination.

En ouvrant leur panier repas, il guetta avec attention ses expressions faciales. Pour sûr, il n'avait jamais été doué pour ce qui était de lire sur les visages, mais il devinait plus ou moins aisément que Soobin appréciait ce qu'il voyait.

— Du japchae* avec du poulet frit au légumes...

Il ne sut trop comment interpréter le ton presque ému du plus grand. Ce n'était rien de très gastronomique, en tous cas il s'était connu meilleur chef. Mais il n'avait pas voulu s'encombrer d'un plat plus copieux. Ce sera pour une prochaine fois, c'était-il dit la veille. Et rien que de le penser à nouveau le fit sourire.

— Ma mère me préparait souvent ça lorsque j'étais au collège, confia Soobin avec un sourire qu'il ne put s'empêcher de trouver adorable.

Il se demanda l'espace d'un instant s'il venait vraiment de remarquer les fossettes de son assistant pour la première fois.

— Oh... moi aussi, admit-il avec étonnement.

Ils échangèrent un nouveau rire avant d'entamer leur repas. Ce dernier se passa tranquillement – si seulement il parvenait à faire abstraction de la table remplie qui se trouvait à une dizaine de mètres de la leur – jusqu'à ce qu'un élément ne lui revienne à l'esprit.

— Au fait, de quoi voulais-tu me parler tout à l'heure ?

Soobin sembla avaler difficilement sa bouchée de riz avant de poser ses baguettes. Il observa son regard se perdre dans le fond de sa boîte à repas avant qu'enfin il ne rencontre le sien.

— J'ai peur que tu trouves cela idiot... l'entendit-il murmurer.

— Il ne faut pas.

Il le vit fixer les restes de son repas avec une moue dessinée sur le visage avant qu'il ne relève subitement son regard. Sans qu'il n'ait le temps de dire quoique ce soit, il sentit la main de Soobin se saisir de la sienne. La chaleur que cela lui procura le pris de court, presque autant que la phrase qu'il prononça par la suite.

— Tu me plais.

Il eut à peine le temps de sentir ses joues rosir qu'une désagréable voix nasillarde vint interrompre leur échange.

Il extirpa sa main de celle de Soobin.

— Alors m'sieur Choi, je vois qu'vous êtes passé au bleu ! s'exclama Donghyuk en surgissant de nulle part. Ça vous va drôlement bien, je pensais pas que vous seriez cap de faire un truc pareil, mais croyez-moi vous avez bien fait !

Il se mordit l'intérieur des joues. En voilà un qui ne lui avait pas manqué une seule seconde.

— Et toi Soob' ! T'es parti sur du violet, j'aime beaucoup aussi !

Yeonjun se tendit en avisant la main que le graphiste passa dans la chevelure violette de son assistant. L'envie de dégager sa main d'un geste vif le prit, mais il se fit violence pour ne pas le faire. Soobin n'avait pas l'air gêné par l'action du plus jeune et ne fit que discuter avec ce dernier du choix de sa nouvelle coloration.

Bientôt, toute la petite troupe de graphistes et autres employés les entourait. Enfin, entourait Soobin. Lui ne trouvait pas réellement sa place dans toutes ces discussions enjouées et ces échanges amicaux. Il n'avait jamais été véritablement proche de ses employés, n'en n'avait jamais vu l'intérêt. Toutes et tous étaient sujets à un potentiel licenciement : apprendre à les connaître et tisser des liens avec eux relevait selon lui du risque inutile. Risque qu'ils prenaient pourtant tous, Taehyun compris alors même qu'il était celui chargé de renvoyer les employés si nécessaire. Soudain, il remit en question ce choix de sa part. Pour sûr, il n'avait jamais refusé d'aller dans un bar avec eux pour célébrer certains événements, ne s'était jamais montré particulièrement rude envers eux et s'était toujours débrouillé pour savoir tout ce dont il avait besoin sur eux. Aujourd'hui, en observant Soobin interagir joyeusement avec ses collègues, il se demanda s'il pouvait s'autoriser lui aussi ce qu'il avait longtemps considéré comme une perte de temps. Une partie de lui continuait de trouver cela ridicule : il n'avait jamais ressenti le besoin de se rapprocher d'eux, pourquoi maintenant ? Il ne parvenait pas à trouver de réponses correctes à cette question. Il se remémora à nouveau les mots de Taehyun. Peut-être bien que oui, au fond, Yeonjun voulait se rapprocher de ses subordonnés. Peut-être bien qu'il avait tout simplement envie de tisser avec eux des liens qui dépassaient la simple relation professionnelle. Juste parce qu'il en avait envie.

Des exclamations le sortirent de ses pensées. Sans qu'il ne sache trop d'où ils les avaient sortis, Soobin était désormais en train de distribuer les cartes postales qu'il avait acheté à Montmartre. Il vit le visage de tous les employés s'illuminer un à un lorsqu'ils réceptionnèrent leur cadeau. Ce n'était pas grand-chose pourtant, de simple bout de cartons avec des dessins de Paris ; rien qui ne valait l'expérience d'y être. Pourtant lorsqu'il aperçut les yeux brillants de Hyunjin, il se rendit compte qu'il avait mal jugé l'intention de Soobin. Ce dernier avait voulu faire plaisir à ses collègues et avait réussi avec brio. Le grand sourire qui étirait ses lèvres était la preuve que cette dépense n'avait pas été vaine.

Soobin était beau.

Il avait déjà eu l'occasion de s'en rendre compte. Mais ainsi entourés de personnes qu'il appréciait, la bonne humeur peinte sur son visage et ses fossettes apparentes ; il rayonnait. Et les mots qu'il avait prononcés lui revinrent soudainement.

Tu me plais.

Il apprécia que tous les regards n'étaient pas posés sur sa personne ; personne n'aurait ainsi l'occasion de relever le pigment écarlate de ses joues. Cette nouvelle manie de rougir pour un rien commençait déjà à l'agacer. Mais c'était plus fort que lui, il lui semblait découvrir Soobin un peu plus chaque jour. Et chaque étape qu'il entreprenait dans ce voyage l'étonnait un peu plus et dégageait en lui une agréable chaleur.

Il voulut lui répondre, là tout de suite, que ces trois petits mots étaient on ne peut plus réciproques. Mais ainsi entouré, il ne pouvait rien faire. Il se contenta d'observer ses employés discuter de tout et de rien avec légèreté. Étrangement, tous les voir échanger ainsi lui mit du baume au cœur. Après tout, toutes et tous contribuaient à faire vivre son rêve. Et pour cela au moins, il leur en était reconnaissant.

— Alors comme ça, Monsieur Choi est lui aussi un grand fan de Paris ?

Il tourna son regard en direction de Yeji. Ses grands yeux en amendes le fixaient d'un air qu'il ne sut trop déchiffrer. Il se permit d'y interpréter un mélange de curiosité et de malice. La question qu'il devina lui être indirectement posée le mit légèrement mal à l'aise. Et pour cause : tous les regards étaient désormais posés sur lui. Plutôt que de répondre froidement comme il avait l'habitude de le faire il se surprit à regarder Soobin, comme si les réponses à ses interrogations silencieuses y résidaient. Étrangement, il voulut changer de méthode. Les réponses distantes et toutes faites qu'il avait l'habitude de servir en réponse à ce genre de questions avaient longtemps constituées une parade à la vie sociale d'un point de vue général. Parler de lui aux autres – qui plus est à ses salariés – lui avait toujours semblé inutile et presque désagréable. À la vérité, c'était la perspective de tisser des liens et de s'investir dans des relations qui lui avait toujours été rebutante. Aujourd'hui, le sourire timide de Soobin lui intima que changer ses habitudes ne lui ferait pas de mal. Surtout si cela pouvait le changer en mieux.

Et l'évidence le frappa.

— Oui, articula-t-il, « grand fan » est sûrement le terme adéquat. Je...

Il balaya du regard l'ensemble des employés attablés à ses côtés. Pourquoi leur parler de sa passion semblait cent fois plus complexe et angoissant qu'un discours devant de précieux partenaires ?

Il replongea son regard dans celui de Soobin. Il crut y lire un encouragement.

— J'en rêvais depuis tout petit, poursuivit-il en continuant de le fixer comme s'il ne parlait qu'à lui, et je dois avouer que j'ai pris un grand plaisir à m'y déplacer pour le travail, malgré la... difficile, collaboration avec Arthur.

Tout le monde se mit à rire, et même s'il n'avait pas ajouté cela dans un but humoristique il apprécia de pouvoir à lui-même mettre ses employés de bonne humeur.

— Il est vrai que leur interprétation un peu décalé d'Agastopia nous aura rendu la tâche plus compliquée, ajouta Hyunjin. Mais bon, on s'en est quand même bien sorti au final, bravo à tout le monde !

Ils s'applaudirent tous sans exceptions, et Yeonjun dû se rendre à l'évidence : la vie de groupe ne pouvait pas toujours lui faire du mal.



Quelques temps plus tard, lorsque Soobin et lui regagnèrent leur bureau respectif, il retint ce dernier. Tout bas, il lui rendit ces quelques mots qu'il lui avait adressé plus tôt. Il crut l'espace d'un instant que Soobin était redevenu enfant sous ses yeux. Mais lorsqu'il lui proposa de se voir en dehors du travail, il n'en mena pas large. Il accepta timidement et lorsqu'il referma la porte de son bureau derrière lui, Yeonjun sut.

Il sut que pour la première fois depuis quelques années, il était heureux. 




SUISEI...

coucou mes chocolats ! 

désolée de mon retard -_-' j'ai pas mal profité de mes vacances quand elles ont commencé, maintenant que c'est plus calme, je devrais réussir à retrouver un bon rythme ~

j'aime beaucoup ce chapitre, non seulement parce qu'il montre le début d'un vrai nouveau départ pour nos loulous, mais aussi parce que chaque fois que j'ai l'occasion d'approfondir le personnage de yeonjun, je me retrouve à l'aimer encore plus... (non j'ai pas de préféré c'est faux 🙄)

sur ce, j'espère que le chapitre vous aura plu à vous aussi ! on se retrouve une prochaine fois pour la suite, et avant ça sur 'LE CHANT DES SIRÈNES' (qui semble vous avoir plu également, j'en suis très heureuse >< !!)

bisous <333


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