Chapitre Quatre




Septembre
Soobin traça sa dernière lettre avant de fermer son calepin. Il y accrocha son stylo avant de se lever, en même temps que leurs collaborateurs qu'il s'empressa de saluer en s'inclinant à plusieurs reprises. Une nouvelle réunion venait de se terminer et elle n'avait été porteuse que de bonnes nouvelles pour l'entreprise. On avait fait appel à Regard pour designer l'intérieur du hall d'un restaurant chic qui ouvrait ses portes aux pieds de la Namsan Tower. Le projet établi plaisait ; il ne restait plus qu'à lancer la création de tous les éléments de décoration. Il laissa passer Choi Yeonjun devant lui  avant de sortir de la salle de réunion et de se diriger en direction de son bureau qui, à vrai dire, ne se trouvait qu'à cinq mètres du sien. Il crut pouvoir y entrer sereinement et ainsi entamer la rédaction de son compte rendu quand son patron s'arrêta devant sa porte.

— J'aurai à vous parler, Soobin, fit-il en se retournant face à lui, les mains dans les poches.

— C'est que j'ai des dossiers à clore et-

— La durée de cette discussion ne dépendra que de vous, le coupa-t-il.

Il lui fit comprendre en un regard que la question n'attendait pas d'autre réponse qu'un « oui ».

Il ne fit qu'hocher la tête en lui emboitant le pas. Il entendit Yeonjun fermer la porte derrière lui, et aussitôt, il sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il la sentit doucement s'accaparer tous les membres de son corps ; cette peur désagréable qui s'accrochait à lui telle une vieille amie dont il peinait à se débarrasser. Alors il se retourna en direction du plus vieux et se vêtit de son sourire narquois. Il savait si bien le faire, depuis le temps. Les mains dans le dos contre le bord de son bureau, il attendit que son supérieur prenne la parole, ce qui ne tarda pas.

— J'imagine que vous connaissez la raison de cette entrevue, commença-t-il.

Son sourire s'agrandit alors qu'il commençait déjà à titiller le bout de ses doigts avec son ongle.

— Cela doit avoir un rapport avec l'incident du bar, lança-t-il avec un mouvement de tête, s'efforçant de se donner un air décontracté.

— Les incidents, pour être plus précis, compléta le plus vieux avec son regard inquisiteur. J'aimerais bien savoir ce qu'il s'est passé. Et j'exige une véritable réponse, comprenez que je ne peux pas me permettre d'avoir un assistant qui vomit ses tripes régulièrement.

Un rire lui échappa. Il était nerveux, mais il pria tous les dieux pour que Choi Yeonjun ne songe pas une seule seconde à l'horrible sentiment qui lui tordait le ventre à l'instant-même.

— Suis-je viré si je vous dis que je ne sais pas moi-même la raison de ces... incidents ? fit-il en reprenant ses mots.

Mieux valait jouer la sûreté, comment pourrait-il expliquer à son patron un problème aussi abstrait que le sien ? Lui-même avait mis du temps à en saisir l'existence, et aujourd'hui encore il n'arrivait pas à mettre de mots dessus. En parler à Choi Yeonjun était la dernière chose qu'il avait en tête. C'était bien trop futile, trop étrange et sûrement pas assez important pour justifier ses crises aux yeux de son supérieur.

— Non, vous ne l'êtes que si vous n'arrivez pas à trouver un moyen de remédier à ça.

Ça, songea-t-il. Il était foutu. Il sentit une première goutte de sang s'échapper de son doigt alors qu'il s'était certainement arraché un peu trop de peau. Il trouva préférable de sagement accrocher ses doigts à son bureau. Il ne pouvait pas se permettre de perdre ce travail ; il était sorti de son université avec pour but d'enfin avoir un mode de vie fixe et sans embûche, d'en terminer une bonne fois pour toute avec les petits boulots, les galères de loyers ou les retours chez ses parents. Il avait une vie stable depuis son entrée chez Regard, et ses parents étaient tellement fiers de lui. Il ne pouvait pas. Mais d'un un autre côté, il ne voulait pas en parler à Choi Yeonjun. C'était bien trop personnel, cela ne le regardait pas.

Lui dire ? Pour quoi ?

Pour ça 'Bin.

Il sourit de plus belle : il avait l'impression d'être pris au piège.

Son regard perdu dans le vide, il ne vit pas Yeonjun froncer les sourcils.

— Vous avez cette fâcheuse tendance à sourire lorsqu'on vous parle sérieusement.

Surpris, il haussa un sourcil, intrigué par cette mine sérieuse et agacée qu'affichait son supérieur.

— En effet, cela vous dérange ?

— Énormément, fit-il sans hésiter en croisant les bras. On dirait que vous vous moquez du monde, pourquoi faites-vous cela ?

Il n'allait pas lui dire, si ? C'était trop personnel... pourtant, s'il répondait à ses questions, il y avait des chances pour qu'il le laisse tranquille sans lui avoir dit pour son problème. C'était un pari risqué, mais il misa sur l'apathie de son supérieur et joua la carte de l'honnêteté pour cette fois.

— Pour lutter contre les sentiments négatifs que peuvent éveiller les discussions. L'embarras, la tristesse, la colère, le désir...

Un frisson le parcouru. Et si Choi Yeonjun comprenait ?

— Le désir représente une menace pour vous ? demanda le brun en haussant un sourcil à son tour.

Soobin sourit de plus belle et ses mains s'écorchèrent presque contre le bois du bureau.

— Oui, une grande menace.

Yeonjun semblait confus, remarqua-t-il, pourtant le brun ne s'attarda pas plus longtemps que cela sur le sujet et Soobin remercia tous les dieux pour le désintérêt que portait Choi Yeonjun à autrui.

— Bon, qu'importe, fit-il en chassant le sujet d'un geste de main. Evitez de sourire ainsi à l'avenir, cela pourrait gâcher la signature d'un contrat.

— Il faudrait être sacrément susceptible pour ne pas signer un contrat pour un sourire... lâcha Soobin tout bas, pensant ne pas être entendu.

— Croyez-le ou non, l'industrie du luxe est remplie de personnes susceptibles. Ce n'est pas pour autant que l'on va les changer du jour au lendemain. Et certainement pas avec un sourire comme le vôtre, fit le plus vieux avec légèreté et un soupçon de reproche.

— Mais revenons-en au sujet principal. Expliquez-moi ce qu'il s'est passé vendredi dernier, et le lundi d'avant.

Comment allait-il lui pouvoir lui expliquer tout en restant vague ? Il était hors de question qu'il lui dise.

— Bien, fit Soobin. Prenons une peur, une phobie disons, n'importe laquelle. Peut-être en avez-vous une ?

Il crut voir Yeonjun se tendre l'espace d'une seconde durant laquelle il avait perdu son regard sur un recoin de la pièce. Sûrement s'était-il remémoré quelque chose, et le regard qu'il lui lança par la suite, il le connaissait. C'était celui de quelqu'un qui avait connu un malheur semblable au sien.

— Oui.

— Laquelle, si je puis me permettre ?

Il le vit soupirer légèrement, regarder autour d'eux – alors qu'il n'y avait qu'eux-deux, il s'en était lui-même assuré – puis hésiter avant d'enfin répondre.

— La thalassophobie, fit-il simplement sans plus de précision, et Soobin ne lui en voudrait jamais pour cela, il s'avait ô combien il pouvait être désagréable de parler de ce genre de chose.

— Imaginons un instant. Vous, c'est ce fond marin sombre et immensément profond qui ne vous laisse plus savoir où vous êtes, ni ce qui vous entoure. Et bien moi... il prit une inspiration, Il y a quelque chose. Une chose qui me répugne et me fait trembler à la simple idée d'y penser...

Il sentit un haut le cœur le prendre ; cette pensée lui était insupportable. Il ferma les yeux en se concentrant sur sa respiration. Il ne fallait pas qu'il fasse une crise là tout de suite, alors que son patron avait les yeux rivés sur lui. Je n'ai fait que dire deux mots, songea-t-il, et pourtant, Dieu savait que c'était amplement suffisant pour lui donner la vague impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il rencontra à nouveau ceux de son supérieur, et les siens s'écarquillèrent.

Jamais, au grand jamais, il n'avait vu cette expression habiller le visage de Yeonjun. Ce dernier avait constamment un air sérieux, presque fermé, qui lui collait aux traits. C'était un bon PDG malgré son léger égocentrisme, il en était certain. Mais est-ce que toutes les patronnes et patrons regardaient leurs employés comme il le faisait à l'instant ? Avec ce mélange de pitié, de doute et... serait-ce de la compassion ? Impossible, son supérieur était bien trop individualiste pour s'inquiéter d'un problème qu'il n'avait énoncé qu'à demi-mot.

— Vous ne me croyez pas, monsieur ?

Aucune réponse.

— À votre place, je n'y croirai pas non plus, fit-il simplement en fixant la moquette hochant la tête comme pour avouer une évidence.

Comment avait-il pu croire l'espace d'un instant que Choi Yeonjun puisse sérieusement l'écouter et comprendre son trouble ? Il n'avait fait que lui dire que quelque chose le rebutait au plus haut point, jusqu'à le faire s'étouffer dans des toilettes et manquer d'arriver en retard à une réunion. Il était évident qu'aux yeux de son patron, rien ne pouvait justifier de tels incidents, hormis une maladie à la rigueur. Mais si seulement il ne s'agissait que d'une maladie.


Silencieux, le plus âgé ne semblait pas convaincu pour un sou, mais de toutes façons, il n'obtiendrait aucune information de plus. Il lui en avait déjà beaucoup dit selon lui, il était inutile que son supérieur en sache plus que cela sur lui et ses problèmes, cela ne le regardait pas.

— Evitez-la.

Il releva la tête, confus et étonné.

— Comment ?

— Cette... chose, poursuivit-il. Je n'ai aucune idée de ce que cela peut bien être, mais cela doit être suffisamment conséquent pour vous plier en quatre et vous asphyxier.

Toujours aussi cru, nota-t-il, et pourtant il avait fait le choix de le croire. C'était curieux, il aurait été plus facile de simplement le réprimander, le forcer à aller voir un médecin et la page aurait été tournée. Mais non, il voulait simplement qu'il évite la source de ses problèmes.

Plus facile à dire qu'à faire.

— J-je ne sais pas, parvint-il seulement à articuler, se maudissant pour avoir bégayé. Ce n'est pas une situation très commune, je ne pense pas pouvoir l'éviter. Et puis, je peux faire avec...

Il s'en voulait d'en dire autant, toute cette discussion l'angoissait.

— Vous pouvez faire avec, cela ne vous pose donc aucun problème de vomir vos repas jusqu'à en oublier comment respirer ? fit-il un peu plus fort.

Son sourire cynique réapparut aussitôt ; comme s'il ne savait pas qu'il était un cas désespéré que l'on devait sans cesse récupérer à la petite cuillère. Ce n'était pourtant pas ce qu'il voulait être, il s'était promis de garder la tête haute et de ne pas être victime de cette sorte de handicap suffocant. Peut-être avait-il réussi à s'en persuader, jusqu'à cette phrase de Choi Yeonjun. Son patron avait, malgré sa tentative de bienveillance, réduit à néant ce qu'il avait construit – ou plutôt crut construire – en un souffle, comme s'il ne s'agissait que d'un vulgaire château de carte. Son patron ne savait définitivement pas y faire avec la communication.

— Non, cela ne me dérange pas.

— Encore une fois, moi, cela me dérange. Sans vouloir tout ramener à ma personne, vous êtes mon assistant. Et aux dernières nouvelles, si vous êtes en train de clamser dans des toilettes, c'est mon travail, et donc Regard, qui en est affecté. Je n'ai aucune envie de vous virer, Soobin, vous faîtes très bien votre travail alors faites-moi le plaisir de vous éloigner de cette chose qui vous met dans un état pas possible, cela ne peut pas durer.

Et il partit sans un mot de plus.





⌨️SUISEI...

hey ! comment allez-vous mes chocolats ?

perso je vais bien (légèrement malade, mais je garde la forme ! ), maintenant que les vacances sont là je sens que je vais beaucoup avancer sur plusieurs projets qui vous plairont je l'espère !

en attendant, ça me fait vraiment plaisir de lire toutes vos réactions sur Menace, notamment vos théories hehehe
je ne donnerai aucun indice jusqu'au chapitre où le problème de Soobin vous sera dévoilé haha 😈

prenez soin de vous mes choco, et à la semaine prochaine !

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