Chapitre Dix-huit



            Novembre
            — Atchoum !

— À vos souhaits.

— Merci...

C'étaient, à peu de chose près, les premiers mots qu'ils s'étaient échangés depuis que Soobin avait accepté d'accompagner Yeonjun à la tour Eiffel. Et il s'en sentait un peu gêné.

Il n'avait pas compris quelle mouche avait bien pu piquer son supérieur pour qu'il lui fasse une telle proposition. Il se sentait déjà suffisamment embarrassé d'avoir monopolisé la parole tout le long de leur déjeuner... Sa matinée détente l'avait un peu trop détendu, et l'appel avec Beomgyu ne l'avait pas aidé à se remettre dans son rôle d'assistant. Sans parvenir à se contrôler, il était redevenu — ou plutôt resté — Choi Soobin, celui qu'il était en dehors de l'entreprise, ou pendant les pauses déjeuner en présence de ses collègues et amis. Jamais devant Yeonjun.

Mais cela aurait été mentir que de dire qu'il n'avait pas été agréablement surpris. Que son patron déjeune dans un fast food était déjà une surprise, qu'il accepte de manger avec lui en était encore une autre, mais qu'il lui propose lui-même d'aller à la tour Eiffel avec lui ? Jamais, même dans les tréfonds de son imagination, il n'aurait osé imaginer une telle scène. Et pourtant...

La vue était prenante. Outre le ciel gris de l'hiver et le manque de couleur ambiant, il devait admettre que ce moment resterait à jamais gravé dans sa mémoire. Certes, ils avaient dû monter un nombre incalculable d'escaliers dans un silence presque macabre pour en arriver là, mais il ne regrettait rien. Alors qu'il boutonnait sa veste pour éviter d'éternuer à nouveau, il se fit la réflexion qu'il aurait tout donné pour avoir Beomgyu à ses côtes, là, maintenant. Son départ avait beau remonter à huit jours seulement, le sourire de son meilleur ami lui manquait terriblement. Heureusement, ils réussissaient à trouver des moments pour s'appeler – ce qui n'était pas une tâche facile avec un tel décalage horaire – mais au fond, ni l'un ni l'autre n'étaient dupes. Plus vite ils pourraient de nouveau se serrer dans les bras l'un de l'autre, mieux ce serait.

Un regard en direction de Yeonjun lui changea les idées.

Il avait à nouveau revêtu ce sourire apaisé qui lui donnait un air bêta. Était-il heureux à ce point ? Bien vite, il se rendit compte qu'il ne savait pas grand-chose de lui, après tout, il n'avait jamais cherché à en savoir plus. Discrètement, il se saisit de son téléphone, et ajouta quelques mots dans ses notes. 

Yeonjun semble beaucoup aimer Paris (Sourire étrange, terrasse, musée du Louvre, tour Eiffel)

Il n'était pas fier de ce qu'il faisait, mais c'était plus fort que lui.

Il rangea son portable et posa à nouveau les yeux sur lui.

Yeonjun observait les alentours avec une telle adoration... Il profita de cette passion qu'il mettait dans la vue pour le détailler à son tour. Avec ses cheveux bruns coiffés à la perfection, son long manteau noir assorti à ses gants en cuir et ses bottines cirées, il aurait presque honte de son apparence. Bien sûr il n'en n'était rien ; il savait parfaitement qu'il avait son style vestimentaire et que Yeonjun avait le sien, sans que l'un ait plus ou moins de valeur que l'autre. Mais quand même, se disait-il. Malgré tout ce qu'il avait pu penser de son supérieur ces derniers mois, une chose était restée indéniable : il ressentait une certaine admiration pour ce goût que le plus vieux insufflait dans ses tenues. Il n'avait jamais supporté les personnes trop attachées à leur apparence, redoutant chez ces dernières un manque de personnalité profond. Or, il avait rapidement découvert que si Yeonjun s'habillait ainsi, c'était simplement parce qu'il avait une sensibilité artistique et une notion du style unique et – il devait se l'avouer – très bonne. Tout bien réfléchit, cela semblait logique, sinon nécessaire, pour le patron d'une entreprise de design. Pourtant une certitude au fond de lui savait que tous les PDG d'entreprise ne vivaient pas leur travail comme c'était le cas de Choi Yeonjun.

Lorsque ses yeux rencontrèrent les siens, il prit conscience de l'appui avec lequel il l'avait observé, et se dit que le brun avait dû se sentir dévisagé. Les joues légèrement rouges – priant pour que le plus petit mette cela sur le compte du froid – il détourna le regard. Que lui arrivait-il bon sang ? Le monologue de ce matin, et maintenant ça, il aurait bien des choses à raconter à son meilleur ami – bien qu'il craigne encore une de ses fantaisies farfelues.

Il continua d'observer la vue, l'impression qu'il ne pourrait jamais s'en lasser lui prenant au ventre. Après tout, quand aurait-il l'occasion de détailler à nouveau les toits si particuliers de Paris, d'observer au loin ses monuments et ses habitants qui donnaient l'air d'être des millions de fourmis ? Vue d'ici, sa vie entière lui semblait différente, et c'était une impression qu'il n'avait connue nulle part ailleurs.

L'instant d'après, il se rendit compte que Yeonjun n'était plus à ses côtés.

Il lui fallut un moment pour le réaliser. Il pivota, le cherchant, puis ne le trouvant nulle part, il décida de faire le tour de l'étage sur lequel ils étaient. Comment diable avait-il pu perdre un homme d'un mètre quatre-vingts dans un périmètre aussi restreint ? Il se fit la réflexion que la légère peur de se retrouver seul qui commençait à grandir en lui n'était sûrement rien comparée au nombre incalculable de fois où sa mère l'avait perdu dans un grand magasin. Un léger rire lui échappa en songeant à une annonce franchement douteuse : « Monsieur Choi Yeonjun est attendu à l'accueil par son assistant, Choi Yeonjun vous êtes prié de vous diriger vers la sortie ». C'était idiot, il chassa cette idée en tombant devant l'entrée de la boutique de souvenirs. Il avait presque oublié qu'elle existait – étrange, puisqu'ils étaient passés devant et qu'elle prenait tout le centre de l'étage – tant la vue l'avait plus intéressé. Sans grand espoir, il entra à l'intérieur.

En voyant son patron parmi les rayons de goodies en tout genre, une idée s'imposa à lui : il n'avait peut-être pas eu besoin de faire d'annonce pour le retrouver, mais l'expression faciale que Yeonjun abordait était tout à fait enfantine. Les yeux légèrement écarquillés, les lèvres entre-ouvertes, l'air tout simplement terriblement investit qu'il avait pour ces incalculables tours Eifel, tout en lui criait « Je la veux ! » lorsqu'il posa les yeux sur un certain modèle. Et cette vision eu le don d'adoucir quelque chose en lui, sans qu'il ne parvienne à mettre le doigt dessus. C'était comme s'il venait de s'enrouler dans sa couette après une longue journée.

C'était étrange. Mais pas désagréable.

Il sortit de ses pensées lorsque Yeonjun l'interpella.

— Quelque chose vous plait dans cette boutique ?

Pas autant qu'à vous en tous cas, eut-il envie de lui répondre, mais il n'en fit rien.

— Je ne sais pas trop. Les pièces sont belles, mais..., il mit sa phrase en suspens en se rendant compte qu'il parlait comme il le faisait en tant que Soobin l'assistant. Les prix ne me conviennent pas.

Et c'était peu dire. Certes, les monuments miniatures vendus semblaient d'une bonne qualité, mais tout de même. Ce n'était tout simplement pas son genre de dépenser autant d'argent pour de si petites choses.

— Je vois, fit Yeonjun un peu plus bas.

Le temps d'un instant, il interpréta son ton comme emplis de jugement par la réponse qu'il lui avait donné. Puis, il se rendit compte qu'il n'en n'était rien. C'était à peine si le brun avait réellement écouté sa réponse ; il semblait bien plus occupé à calculer à vue d'œil le rapport qualité-prix de toutes les marchandises en face de lui. Du Yeonjun tout craché, se dit-il, puis la seconde qui suivit, il se demanda à nouveau s'il le connaissait suffisamment, pour avancer de telles choses.

— Je vais prendre celle-ci, fit finalement le plus vieux, plus pour lui-même que pour l'en informer.

Il avait opté pour une tour Eiffel en métal d'une vingtaine de centimètres un peu quelconque à ses yeux, mais il devait avouer qu'elle arborait certains détails satisfaisants ainsi que des leds qui la faisaient briller – et sur le même fuseau horaire que l'original, s'il savait encore lire l'anglais sur les petites étiquettes. En vérité, malgré le temps qu'il avait vraisemblablement passé à comparer tous les modèles et leur prix, il avait tout de même décidé d'acheter celle qu'il dévorait des yeux depuis qu'il l'avait retrouvé dans le magasin. Alors, il se fit la réflexion que, peut-être, Yeonjun n'était pas aussi carré qu'il y paraissait. Peut-être était-il sujet à des achats compulsifs, des décisions irrationnelles et purement affectives. Oui, Yeonjun ne semblait pas être l'homme qu'il n'appréciait pas beaucoup depuis son arrivée à Regard. Il était un homme avec des défauts, des qualités, des points faibles et des sentiments.

Cette pensée le soulagea étrangement.

:::

            Le chemin du retour se fit tout aussi silencieux qu'à l'aller. Pourtant, Soobin se sentait étrangement plus à l'aise. Peut-être que le sourire de Yeonjun s'était fait plus contagieux encore depuis qu'il avait son achat au bout des mains. Le sac sombre arborant un motif de Tour Eifel se balançait entre eux au rythme de leurs pas, et sa simple existence semblait combler le brun de bonheur. Ils descendirent les marches de la station de métro alors que le soleil commençait à se coucher, l'hiver rendant son sommeil précoce. Il suivit le plus vieux sans se poser trop de question lorsqu'il lui indiquait quelle direction prendre, après tout, il était évident qu'il avait une maîtrise du français quasi absolue – de son point de vue tout du moins –, alors il lui faisait confiance.

Quelques minutes plus tard, ils étaient tous les deux parvenus à trouver des places assises dans un wagon. Soobin se serait presque endormi, bercé par les tangages du transport – malgré les crissements désagréables des roues – si quelque chose, ou plutôt quelqu'un, ne l'avait pas réveillé.

Un vieil homme entra dans leur voiture et se mit à parler à haute voix, comme s'il s'adressait à tous les voyageurs. Soobin ne comprenait pas un traître mot de son discours, mais il vit à l'expression de l'homme à sa droite que le message était bien passé de son côté.

— Que dit-il ? fit-il en se penchant près de Yeonjun.

— C'est un mendiant, répondit ce dernier. Il demande qu'on lui offre un peu de monnaie, un ticket restaurant ou autre..., il marqua un silence avant de continuer. Il précise qu'il a fait des études, que le chômage lui est tombé dessus sans prévenir et qu'il n'a jamais cessé de se démener pour retrouver un travail.

Il avait dit cela d'un ton calme et plat, en s'efforçant de ne pas émettre le moindre jugement à travers la tonalité de sa voix ou son expression faciale. Et sans savoir pourquoi, il en fut touché.

Soobin se mit à fouiller ses poches à la recherche de son portefeuille. Une fois trouvé, il y chercha de la monnaie, en vain. Une fois le vieillard à leur niveau, il fut déçu de n'avoir qu'un regard peiné à lui offrir.

Cependant, à sa grande surprise, ce fut la main de Yeonjun qui alla déposer un billet de cinq euros dans la main du sans-abri qui l'en remercia chaudement.

Dire qu'il était étonné serait un euphémisme.

— Vous...

— Cela avait l'air de vous tenir à cœur..., fut la réponse du brun sans qu'il n'ait un regard pour lui. Et puis..., son ton baissa. Croyez-le ou non, mais j'ai pour habitude de conserver un peu de monnaie pour les personnes nécessiteuses.

Bluffé, bouche bée, coi ; il n'y avait pas assez de mot pour décrire son état. Yeonjun avait détourné son regard de lui depuis un bon bout de temps déjà, à la place il fixait le bout de ses bottines avec une moue qui se voulait insensible. Pourtant Soobin voyait.

Les lèvres de Yeonjun étaient spéciales – il s'en était assez vite rendu compte – elles étaient charnues, et pourtant très masculines à leur façon, elles étaient uniques, et exprimaient bien plus que leur possesseur ne voulait le laisser croire. Pourquoi et comment Soobin s'était mis à détailler les lèvres de son patron, il n'en n'avait aucune idée. Ce qu'il savait en revanche, c'était qu'il appréciait de plus en plus ce visage qu'il avait longtemps jugé trop fermé. Il commençait à en aimer les contours, les moindres détails – ces coins de lèvres retroussés, ces cils longs et fins – et surtout, les expressions, même les plus subtiles, qu'il pouvait dépeindre. Ce sourire dont le brun ne parvenait pas à se défaire alors qu'il fixait son achat – comme s'il avait eu la possibilité de détailler sa tour Eiffel miniature à travers sa boîte – et la tendresse qui se lisait dans son regard alors même qu'il ne s'agissait que d'un objet, le rendaient particulièrement... beau.

Il se demanda un instant si cette histoire d'observation ne prenait pas une ampleur toute autre, mais n'eut pas le temps de pousser la réflexion plus loin.

— J'ai quelque chose sur le visage ? demanda Yeonjun en fronçant les sourcils.

Leur station fut annoncée.


— Rien qu'un beau sourire, monsieur, fit-il en souriant avant de se lever.








⌨️SUISEI...

hello tout le monde ! comment allez-vous ? :)

de mon côté, je commence à fatiguer, heureusement que mes vacances viennent de commencer !
ce qui me mène à vous annoncer que je vais prendre une pause de publication pendant les vacances - voire un mois, si nécessaire. RDV sur mon mur pour une annonce plus détaillée !

à part ça, j'espère que le chapitre vous aura plu hehe ~

je vous dis donc à la prochaine, dans deux semaines ou plus.

bisous mes choco, prenez soin de vous <3

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