Chapitre Deux
Septembre
Yeonjun venait de clore son dernier dossier de la journée. Il soupira de contentement : le trimestre avait été bon, Regard attirait de plus en plus de clients en tout genre, des hôtels, des fondations d'entreprises, des théâtres et même quelques particuliers suffisamment aisés et attirés par le luxe. Le design et la décoration d'intérieur plaisaient et il était ravi de voir que les idées novatrices étaient elles aussi appréciées. Il avait su viser juste entre nouveauté, originalité et la conservation de ce qui plaisait au public Coréen. Bien sûr, il avait espoir d'un jour pouvoir se détacher de la Corée du Sud, devenir une entreprise internationale et pouvoir ainsi forger à Regard une réputation singulière et une place parmi les grands du monde de la décoration d'intérieur.
Il ouvrit son tiroir droit et en sortit un paquet de lingettes. Yeonjun ne supportait pas la saleté, il avait grandi dans un environnement propre et il baignait dans son univers millimétré, arrangé avec soin et par-dessus tout esthétique. La décoration d'intérieur avait sonné comme une évidence pour lui, et son besoin de contrôler chaque détail tout en s'assurant de la prospérité de sa société avait fait de lui le patron de cette entreprise qu'il avait monté quatre années auparavant. Il nettoyait son bureau précautionneusement, n'oubliant aucun recoin de ce beau meuble en bois sombre provenant de la toute première gamme qu'ils avaient sorti. Ce n'était pas le plus sophistiqué ; c'était un bureau en chêne fumé aux bouts ronds et à l'intérieur légèrement courbé sur la droite pour permettre une plus grande confortabilité, tout en laissant de l'espace pour le rangement sur la partie gauche. Le tout décoré de gravures discrètes et élégantes. Mais il aimait ce meuble, il en était fier, c'était le premier fruit de sa passion.
Il venait à peine de jeter le tissu nettoyant dans sa petite poubelle lorsqu'il entendit toquer à sa porte. Il donna la permission à la personne de pénétrer dans son bureau tout en se mettant à ranger ses affaires. Il ne fut pas surpris de voir Soobin.
— Je vois que vous vous apprêtez à partir, je venais pour vous demander si vous souhaitiez vous joindre à nous pour fêter le succès de Voyage cristallisé.
Yeonjun prit un air songeur. Il n'était pas du genre à faire la fête, même s'il devait avouer que leur dernière gamme avait été une sincère réussite. Il en était fier pour être honnête, comme de la plupart de ses collections d'ailleurs. Il était bien trop perfectionniste pour offrir au grand public un travail dont il n'était pas entièrement satisfait. Il ferma sa sacoche de cuir puis lança un regard à l'horloge de son bureau. Dix-huit heures trente-deux.
— Où comptez-vous faire ça ?
— Au Starboard, Taehyun sera là. Soohyun, Hyunjin, Yeji, Donghyuk, Soojin et Bin également, les autres ne peuvent pas.
Bien entendu, il avait commencé par préciser que Taehyun serait là, sachant pertinemment que si son meilleur ami n'était pas de la partie, il ne pouvait pas compter une seconde sur sa présence parmi eux. Il soupira, réfléchissant. Il était vendredi, la soirée avait tout juste commencé et le Starboard était un bar sûr, à quelques mètres d'ici, et au vu de la constitution du groupe, il n'y aurait pas de débordement. Du moins, pas trop, si certains arrivaient à bien se tenir. Il regarda Soobin qui attendait toujours une réponse.
— Vous y allez ? demanda-t-il au châtain.
— Naturellement, répondit ce dernier avec un rictus et un sourcil redressé, curieux de savoir en quoi sa réponse allait influencer celle de son supérieur.
Yeonjun l'avait vu venir, et au grand jamais il ne lui dirait qu'il s'inquiétait, même très légèrement, de ce qui pouvait lui arriver depuis la dernière fois. C'était plus fort que lui – et cette pensée le tuait –, à chaque fois qu'il se trouvait dans la même pièce que Soobin, il le revoyait en train de clamser en s'époumonant dans ces toilettes, le visage tordu de douleur. Y repenser lui donnait quelques frissons, il détourna le regard, pas réellement d'humeur à affronter l'air cynique de son assistant.
— Comptez sur moi, je vous rejoins.
Le plus grand quitta son bureau, un air satisfait peint sur le visage, et Yeonjun manqua de lâcher un juron. Soobin l'agaçait.
:::
Le brun ne regrettait pas d'être venu. L'ambiance était bon enfant, et même s'il devait avouer qu'il n'avait pas l'habitude de partager de tels moments avec ses employés, il appréciait peut-être un peu passer du temps avec eux, histoire d'en savoir un peu plus sur celles et ceux qui faisaient aussi de Regard ce qu'elle était aujourd'hui.
Soohyun était l'une de ses premières dessinatrices et la plus ancienne du groupe, elle était la seule à avoir toujours cru en la société et ne l'avait pas quitté comme la plupart de ses collègues d'antan. Elle était assez discrète, malgré ses cheveux récemment teints en vert fluo, douce et gentille comme tout. Yeonjun se souvenait que lorsqu'il l'avait embauché, il avait sincèrement eu envie d'elle parmi eux. Elle avait une sensibilité qui rendait ses esquisses saisissantes donnant naissance à des meubles d'une grande élégance. Hyunjin et Yeji avaient rejoint la société en même temps, complétant la petite équipe de graphistes. Ces deux-là s'entendaient comme des jumeaux, ils se mettaient d'ailleurs souvent à deux dans la création de plusieurs œuvres dans lesquelles on pouvait ressentir le fruit de leur alchimie. Séparés ils pouvaient être assez discrets, mais une fois ensemble, on ne pouvait pas les louper. Bin était de nature très calme, il levait rarement la voix et cette dernière était très agréable à entendre. Il avait un tact sans nom, ce qui faisait de lui un très bon agent de communication pour une entreprise à l'image aussi épurée et sophistiquée que la leur. Soojin, en plus d'être l'égérie de Regard, avait un sens de l'esthétique non négligeable. La jeune mannequin aimait beaucoup passer son temps libre dans les locaux de cette marque, elle n'en faisait pas officiellement partie, mais tout le monde la considérait comme un membre de la « famille ». Elle donnait parfois de très bons conseils aux différents graphistes lorsqu'ils avaient une petite panne d'inspiration.
Puis venait Donghyuk. Lui, il le gardait bien parce qu'il était brillant dans ce qu'il faisait. Créatif, productif, efficace, mais Dieu, ce que Yeonjun avait quelques fois envie de lui donner des nouvelles de son poing. Il supportait difficilement sa voix nasale, sûrement parce que le basané l'ouvrait un peu trop souvent à son goût, surtout pour dire des choses très peu pertinentes la plupart du temps.
— J'bossais pour Wanjeon moi. Ah ! J'peux t'assurer que c'était pas la folie !
Et sa façon de parler l'agaçait. Ce garçon manquait de classe, de manières. Il avait conscience de ses critères étriqués, et était content d'avoir quelqu'un comme Taehyun à ses côtés pour l'aider doucement à passer outre ces idées reçues qu'il avait longtemps eu. La preuve était là devant lui, une bière à la main : on pouvait être bruyant, ne pas se tenir droit tout en parlant presque familièrement et être très talentueux et productif.
— Le patron était sévère, presque cruel ! Il arrêtait pas de donner des ordres à tout va, de passer dans les bureaux en regardant par-dessus nos épaules et tout ça pour quoi ? Pour nous crier dessus, nous dire qu'on n'était q'des porcs bons qu'à manier des crayons ! Rien à voir avec vous m'sieur Choi !
Il haussa les sourcils pour seule réponse.
— Y'en avait bien une avec qui il était sympa, une certaine Jiseol, ah bah j'peux vous dire que passer sous le bureau s'avérait payant !
Il leva les yeux au ciel. Comment les autres parvenaient-ils à supporter une telle attitude et un tel manque de douceur, de délicatesse ? Il se sentait gêné pour Bin, ce dernier ne faisait qu'acquiescer avec un léger sourire, tout comme Soohyun. Les autres semblaient à l'aise avec ce personnage original qu'il trouvait déplacé. Il but une gorgée de son martini, puis son regard se posa machinalement sur la silhouette élancée de Soobin. Il remarqua en un instant que quelque chose n'allait pas. Soobin raffolait de ce genre de ragots futiles habituellement, du moins c'est ce qu'il avait cru comprendre des quelques rapports de Taehyun. Et puis, nombreuses avaient été les fois où il l'avait surpris en train de rire aux blagues de mauvais goûts de Donghyuk. Alors pourquoi était-il pâle comme un mort ? Le châtain semblait dérangé, mal à l'aise, il regardait ses doigts et lorsque le jeune graphiste déclara une nouvelle fois que cette certaine Jiseol était apparemment fière de « se taper l'vieux bourru », il l'aperçut déglutir péniblement avant de se lever précipitamment.
— Je vais aux toilettes, avait-il simplement déclaré tout bas.
C'était certain maintenant, quelque chose n'allait pas. Pourquoi personne ne semblait inquiet de son état ? Ils étaient tous trop concentrés sur le discours de Donghyuk pour se rendre compte que leur collègue était pâle. Il voulut bien, l'espace de quelques minutes, croire que Soobin n'avait qu'une pressante envie d'uriner, rien de plus. Mais au bout de trois minutes, il dû se résoudre à l'évidence, quelque chose clochait. Il lança à ses employés une excuse similaire avant de les quitter pour rejoindre les toilettes. S'y aventurant à pas de loup, il surprit son rythme cardiaque à doucement s'accélérer. C'était ridicule ! Soobin n'était que son assistant, il ne devait pas s'en faire autant pour un si petit accident.
Enfin, qu'en savait-il au fond ?
— Soobin ? demanda-t-il en faisant résonner sa voix dans les toilettes à l'apparence déserte.
Il crut bien avoir raté le châtain en chemin, lorsqu'un son répugnant lui répondit : celui de quelqu'un qui vomissait. Un frisson le parcouru. Cela recommençait. Il se dirigea vers la cabine qu'il supposait être celle du plus grand avant de toquer à la porte.
— Soobin, quelque chose ne va pas ?
Il l'entendait continuer de vomir, qu'est-ce qui avait bien pu le mettre dans un tel état ? Ça ne pouvait pas être ses quelques gorgées de soju, peut-être son repas de midi ? Soobin était pourtant suffisamment minutieux pour ne pas manger quelque chose qui lui causerait de tel trouble. Il l'entendit s'étouffer à nouveau, comme s'il suffoquait, et Soobin se remit à tousser. Yeonjun imaginait très bien à quoi il pouvait ressembler à ce moment précis, même si cette fois-ci son assistant avait pris soin de verrouiller la porte. Il crut sentir son cœur se serrer, pourquoi diable réagissait-il ainsi ?
— Soobin, fit-il plus fermement, loin de lui l'idée de passer pour le patron autoritaire dans un tel moment, il voulait simplement être sûr que le châtain l'écoutait. Respirez calmement, inspirez... il marqua une pose, Puis expirez, doucement.
Jamais il n'aurait cru se retrouver dans une telle situation, dans les toilettes d'un bar à rappeler à l'un de ses employés comment respirer. Mais – encore une fois – c'était plus fort que lui, il s'inquiétait. Car jamais il n'aurait cru qu'un jour il puisse faire face à un tel souci. Ce n'était pas prévu, que Soobin se mette à vomir jusqu'à en oublier comment respirer.
Était-ce des pleurs qu'il entendait ? Mieux valait passer outre.
— Concentrez-vous sur mon souffle, calez au mieux votre respiration sur la mienne.
Il ne devait avoir l'air idiot, le PDG de Regard, à faire face à une cabine de toilette tout en exécutant des gestes les plus inutiles pour illustrer ses propos qu'il espérait plus efficaces. Peut-être était-ce finalement le cas, d'ailleurs, puisqu'il lui sembla que Soobin se calmait peu à peu, il ne vomissait plus et sa toux disparaissait calmement. Il ne pipait plus un mot, écoutant silencieusement Soobin renfiler et – très certainement – se moucher avec le papier toilette qu'il avait à disposition. Le bruit du verrou le fit se redresser, et la porte s'ouvrit rapidement, laissant à peine le temps à Yeonjun de détailler le visage de son assistant. Ce dernier sortit sans un mot, se dirigeant vers les lavabos des toilettes sans un seul regard pour sa personne. Soobin allait-il l'ignorer alors qu'il n'y avait aucun doute sur le fait qu'il venait tout juste de le sauver de... de quoi au juste ? Il ne comprenait toujours pas ce qui arrivait au plus jeune, ce que cela pouvait être frustrant ! Il attendit que le châtain ait terminé de se rincer la bouche pour s'approcher de lui.
— Comptez-vous me dire ce qu'il-, il n'eut pas l'occasion de continuer, la main qu'il avait inconsciemment posée sur son épaule avait été presque violemment rejetée.
Soobin ne le regarda pas dans les yeux pour autant, il vit cependant son désagréable sourire revenir prendre sa place sur ses lèvres.
— Je vais bien monsieur Choi, ce n'est rien.
En voilà un beau mensonge, servi avec les meilleurs assaisonnements sur un plateau d'argent. Comment pouvait-il affirmer qu'il allait bien après ce qui venait tout juste de se passer ?
— Ecoutez Soobin, si vous avez besoin de jours de congé, dites-le franchement, je vous donnerai votre lundi et votre mardi. Cessez votre cinéma, qu'essayez-vous d'obtenir ? L'image d'un dur à cuir ? Ou peut-être vous attendez-vous à ce que je vous prenne en pitié ?
Le silence lui répondit. Soobin semblait fasciné par les quelques gouttes qui bordaient les lavabos sophistiqués du bar. L'envie lui prit de sortir un mouchoir pour les effacer du paysage, mais il se retint, sa raison lui soufflant qu'il y avait plus important.
— Je n'ai pas besoin de congés, répondit enfin le plus jeune. Le week-end sera amplement suffisant, et pour répondre à votre question, je n'ai nullement l'intention de me donner une image quelconque. Je vais bien, cela ne se reproduira plus.
Ses poings étaient crispés, remarqua-t-il. Pourquoi était-il aussi tendu ? Pourquoi son sourire cynique était toujours gravé sur ses lèvres alors qu'il n'était clairement pas aussi à l'aise qu'il prétendait l'être ? Que cachez-vous Soobin ?
Il fit un mouvement vers lui, et presque instantanément, le plus grand recula, enfonçant encore plus ses doigts dans ses paumes. Yeonjun soupira.
— Comme vous voudrez, lâcha-t-il dans un soupir las ; il était évident que les critères pour avoir une réelle discussion n'étaient pas réunis.
Soobin quitta les toilettes à la seconde qui ponctua la fin de sa phrase. Il passa une main sur son visage, frustré et fatigué. Pourquoi les choses tournaient-elles ainsi ? Il soupira, se lava les mains avant de rejoindre ses employés. Il devait impérativement avoir une discussion sérieuse avec son assistant, et au fond, il espérait sincèrement que ce que disait Soobin était vrai. Que cela ne se reproduirait plus jamais. C'était trop inhabituel, trop inattendu et imprévisible pour qu'il puisse le supporter une fois encore.
Il entendait déjà Taehyun le ramener à l'ordre ; il arrivait ailleurs des situations bien plus graves que la sienne. D'autant plus qu'il n'était pas le premier concerné : c'était Soobin le plus à plaindre. Mais Yeonjun ne parvenait tout simplement pas à tolérer le moindre désagrément de ce genre. Il avait toujours été un homme routinier qui avait besoin que tout soit clair et limpide ; à quoi jouait Soobin s'il prétendait ne pas être malade ? Ses congés maladie, il les lui aurait donné sans problèmes avec de telles preuves de sa souffrance. Pourtant son assistant refusait, et pour une raison qui lui échappait – il aurait été tenté d'appeler cela de la fierté mal placée – il les mettait tous les deux dans une situation délicate.
⌨️SUISEI...
hey, comme ça va ?
j'espère que ce chapitre vous aura plu, personnellement j'ai déjà hâte de vous publier la suite huhu mais chaque chose en son temps ^^
lire vois réactions me fait plaisir ! >< ça encourage à continuer hehe
prenez soin de vous mes chocolats ~ 💖
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