Les deux Joueurs étaient stupéfaits. Non seulement venaient-ils d'échapper à Jayce et ses tueurs, de quitter l'Arène par un passage secret pour finalement arriver dans un bunker de luxe, mais leur hôte était en plus le frère du Maître du Jeu ! Cela faisait trop de nouvelles d'un coup. Même s'ils étaient assis, ils chancelèrent sous le poids de la révélation.

Bien sûr, tout le monde connaissait la véritable identité du Maître, mais un pan entier de sa vie était caché au public, comme par exemple l'existence de son frère. Colin n'avait vu son nom qu'une fois, sur un forum anonyme, avant que le message soit supprimé quelques minutes plus tard.

Damian Kold, toujours souriant, les invita à le suivre. Comme dans un rêve, ils lui emboîtirent donc le pas, quittant la magnifique salle pour rejoindre une interminable série de couloirs tortueux. Après quelques secondes de marche, l'Inventeur reprit la parole tout en avançant.

- Bien, je suppose que vous avez de nombreuses questions, aussi vais-je essayer de résumer la situation pour vous économiser de la salive. Comme je vous l'ai déjà dit, nous sommes ici chez moi, en dehors de l'Arène, ce qui signifie que vous ne pouvez pas être éliminés. A l'heure où je vous parle les Organisateurs doivent d'ailleurs être en totale panique. (Il eut un rire franc en prononçant ces mots). Toujours est-il qu'ici, vous êtes intouchables. Passons maintenant à la raison de votre présence ici. Vous devez vous douter que vous n'êtes pas arrivé là par hasard n'est-ce pas ?

Colin et Haley hochèrent la tête en silence, complètement accroché aux lèvres de l'homme qui les guidait.

- Pour comprendre, il faut remonter en arrière, à une époque où les Jeux n'existaient pas encore, et où j'avais un frère. (Son sourire éternel s'était évanoui brutalement). Lorsque nous étions jeunes, Cooper et moi, nous aimions inventer des mondes. Nous pouvions passer des journées entières à poser les fondations d'univers fictifs, de héros spectaculaires et de monstres terrifiants. Avec le temps, ce passe-temps est devenu une passion dévorante. A l'école, nos cahiers étaient recouverts de symboles, de gribouillis et autres dessins, décrivant des mondes qui n'existaient que dans nos têtes. Malgré cela, nous avions d'excellents résultats et nos parents ainsi que les professeurs n'y trouvaient rien à y redire. Puis vint le jour où, avec la naïveté de l'enfance et l'ambition de l'adolescence nos rêves prirent un tour plus réaliste. Il n'était plus question de construire des univers parallèles, mais bien de modifier le nôtre. C'est à ce moment précis que mon frère et moi commençâmes à nous éloigner l'un de l'autre. Là où je considérerais toujours cela comme un jeu, Cooper, plus vieux de quelques années, réfléchissait sans cesse aux moyens de mettre en place ses plans. Il voulait créer un monde meilleur, sans guerre, sans pauvreté, sans maladie. C'était un idéaliste dans l'âme. (Damian s'arrêta de parler quelques instants, le temps de rassembler ses idées). Un soir, il vint me voir dans ma chambre, tout excité. Il me dit qu'il avait une idée géniale, une idée qui pourrait tout changer. Il voulait organiser un jeu, pour élire des jeunes parmi les plus intelligents, afin de l'aider à bâtir son monde. C'est ainsi que nacquirent les Jeux. Bien sûr, son projet ne se réalisa pas tout de suite. Son diplôme en main, Cooper commença par accumuler de la richesse et des contacts. Aidée par ses capacités phénoménales son ascension fut fulgurante et en moins de 10 ans il se retrouvait à la tête d'une grande compagnie informatique. Il se coupa totalement de moi, prétextant qu'il devait se concentrer et que je ne pouvais que le ralentir. De mon côté, je continuais mes études, tout en gardant un œil attristé sur mon frère. J'aurais dû essayer de l'arrêter à ce moment, mais l'ardeur dans sa voix quand il parlait de ses plans m'en dissuadait. Encore quelques années plus tard, il fondait la compagnie des Memory Games, destinée à sélectionner l'élite de la jeunesse. Afin de toucher le maximum de personnes, il en fit un jeu télévisé, différent de celui que vous connaissez à présent. Tout se déroulait dans une grande maison truffée de caméras et Cooper observait les Participants. L'idée des éliminations ne vint qu'après la mort de nos parents, dans un vulgaire accident de voitures. Mon frère encaissa très mal la nouvelle et il se referma complètement sur lui-même. Il me fallut du temps pour comprendre ses réelles intentions, mais il était déjà trop tard. Quand je me suis rendu à ses bureaux, il refusa de me voir. Malgré mes supplications, il continua de me rejeter, jour après jour. Finalement, je me rendis directement chez lui, une nuit. J'avais besoin de lui parler, besoin de savoir comment il allait, besoin de lui, tout simplement.

Dans la lumière des néons qui éclairaient le couloir, Colin vit une larme silencieuse couler sur la joue de Damian. Celui-ci se racla la gorge et se reprit bien vite.

- Cette nuit là, il essaya de me tuer.

Les deux participants s'arrêtèrent net,  se laissant distancer, avant de rattraper leur guide qui continuait déjà.

- J'ai longtemps essayé de me convaincre que ce n'était qu'un accident, qu'il ne désirait pas ma mort mais ...

Soudain, les couloirs exiguës laissèrent la place à une vaste salle, semblable à celle qu'ils avaient quitté, et l'homme s'arrêta avant de se retourner vers eux.

- Assez discuté du passé pour le moment, je vous en dirait plus une fois que vous aurez rencontré le futur de notre monde.

Sur ces mots, il s'avança vers une porte dissimulée dans un angle, et l'ouvrit en grand.

Derrière lui s'étendait une immense étendue d'herbe, parsemée d'arbres exotiques. De petites collines déformaient doucement le terrain et une rivière sinuait entre les dômes, rayonnant sous un soleil matinal. Cependant, ce n'est pas cette vue qui stupéfia une fois de plus Colin et Haley.

De jeunes gens se tenaient un peu partout dans la plaine, discutant tranquillement entre eux, courant d'un arbre à un autre en riant, ou simplement allongés par terre, fixant un ciel d'un bleu profond.

Damian avait retrouvé son sourire éclatant et désigna d'un large geste tout ce petit monde.

- Les amis, voici le Nid de l'Aigle, voici les Rescapés de l'Arène.