𝐈𝐈𝐈 - 𝐀𝐜𝐚𝐧𝐭𝐡𝐮𝐬
- 2424 mots -
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You need something I can never
give
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- 18 mai -
Je n'ai jamais spécialement apprécié les visites au musée, et pourtant, me voilà en train de déambuler dans une galerie d'art de mon plein gré, à observer diverses toiles et sculptures avec la plus grande des attentions.
Seulement les fait sont là. J'ai beau avoir fait des efforts pour m'y intéresser aussi longuement que le fait ma petite amie, l'écart entre nous deux s'est très vite creusé, et alors qu'elle est encore dans la salle précédente en train de contempler un vase ancien sous tous ses angles pour le dessiner dans son calpin, je n'ai pas pu résister à l'envie de m'assoir sur l'un des bancs disposés au milieu de dernière pièce, bien content d'en être finalement arrivé au bout.
Il y a quelques jours, une certaine brune aux yeux verts a émis le souhait de se rendre à une exposition temporaire dans l'un des musées en centre-ville, et il se pourrait que j'aie tout de suite proposé de l'y emmener sans même songer au fait que moi, le Nihonga, j'y connaissais pas grand-chose.
Contrairement à Ayame qui a étudié ce mouvement artistique de long en large, je n'en avais presque jamais entendu parler avant qu'elle ne m'expose l'idée de venir ici. Pendant nos cours d'arts plastiques à Kotodama, c'est à peine si on a survolé ce chapitre l'année passée. Il n'y a que par le biais de ma mère et de sa passion pour la décoration que ce mot ne m'est pas inconnu, et encore. Alors autant dire tout de suite que face aux connaissances ma copine, je suis un total novice en la matière.
J'ai bien essayé de m'informer sur ce courant avant de venir, histoire de ne pas être complètement largué, mais je dois avouer que j'en ai pas tiré grand-chose. Ce n'est pas en quelques jours que l'on peut rattraper un semestre d'études, et même si je ne pense pas prendre trop de risques en disant que j'en sais probablement plus que les trois quarts des visiteurs présents, mes maigres connaissances ne me permettent pas d'analyser chaque œuvre avec le même intérêt qu'Ayame.
Moi, depuis le début de la visite, je me contente donc d'observer les œuvres qui défilent devant mes yeux en me fiant à mon appréciation personnelle pour les juger, et non de mes notions – quasi inexistantes- en la matière. En soi, c'est ce qu'on tendance à faire les gens en venant dans une galerie d'art. Ils ne s'embêtent généralement pas à regarder le moindre détail sous toutes ces coutures et passent vite à l'œuvre suivante. Et c'est ce que j'aurais aussi fait si je n'étais pas venu avec Ayame, seulement, je me sentirais un peu con d'agir de la sorte alors que je sors littéralement avec une fille pour qui l'art est au cœur de sa vie.
L'année prochaine, Ayame projette d'étudier à Geidai, la prestigieuse université des arts et de la musique de Tokyo. Depuis qu'elle est petite, elle nourrit l'espoir d'un jour suivre les traces de son père qui a également jadis foulé le sol de cette école. Elle souhaiterait intégrer l'une des sections les plus prisées du département des beaux-arts, et pour ce faire, chaque occasion est bonne pour fournir de nouveaux dessins à son porte-folio. Cette tâche est loin d'être aisée, les taux de refus étant très élevés dans cette école, mais il en faut plus pour mettre son ambition à rude épreuve.
Elle s'est fixé un objectif de taille, certes, mais je suis persuadé qu'elle parviendra à l'accomplir. Et même si j'y comprendrais peut-être jamais rien à rien à l'art, quand je vois à quel point Ayame semble rayonner à chaque fois qu'elle en parle, cela me suffit amplement à l'apprécier.
Au fond, je suis heureux de pouvoir passer du temps avec elle à faire quelque chose qui lui fait plaisir comme ça.
Une dizaine de minutes passèrent avant qu'Ayame ne me rattrape. Ses yeux trouvèrent immédiatement les miens, et un petit sourire prit place sur ses lèvres alors qu'elle s'approcha de moi. Le son de ses talons résonna un court moment dans l'immensité de cette salle silencieuse jusqu'au moment où elle s'assit à mes côtés. Ce n'est qu'à cet instant précis que je me rendis compte que j'avais cessé de respirer et que je souriais désormais comme le dernier des idiots.
Mais je n'y peux rien. À chaque fois que je vois cette fille, je ne peux m'empêcher de me dire que je suis sacrément chanceux de l'avoir à mes côtés. Et puis, cette lueur qui flotte dans ses prunelles à chaque fois que nos regards se croisent, comme si elle avait face à elle ce dont elle avait le plus rêvé au monde, ça me rend encore plus amoureux d'elle que je ne l'étais déjà.
Ouais, c'est pas si mal le musée finalement.
—Alors, murmura Ayame à voix basse en se penchant un peu vers moi pour récupérer son sac à main que je portais pour elle afin qu'elle puisse avoir les mains libres pour dessiner. Qu'est-ce que t'en as pensé, mon cœur ?
—C'était sympa, répondis-je évasivement de sorte à ne pas entacher le moment.
Mes paroles lui provoquèrent quelques gloussements à un niveau sonore un peu plus élevé, mais cela ne sembla pas déranger les autres visiteurs, si concentrés sur ce qu'ils observent qu'ils n'ont pas l'air de l'avoir entendu.
—Je t'embête bien sûr, continua Ayame à voix basse tout en m'adressant un petit clin d'œil entendu. Elle ouvrit son sac pour y ranger son calpin et son crayon. Je sais bien que tu t'es un peu embêté quand même...
—Non j'ai vraiment trouvé ça sympa, contredis-je en toute sincérité tout en passant une main autour de ses épaules pour l'attirer contre moi. Bon j'ai peut-être pas tout capté de A à Z, lâchai-je honnêtement au creux de son oreille, ce qui la fit pouffer discrètement. Mais je t'assure que ça m'a quand même fait vraiment plaisir de venir...et puis, ce sera plus intéressant quand le musée exposera ici les œuvres de la grande Ayame Matsuo, célèbre prodige tout droit diplômé de Geidai, conclus-je en riant, ce qui fit glousser à son tour ma petite amie.
—Moi aussi ça m'a fait plaisir de venir, affirma-t-elle avant de soupirer doucement de contentement. Et ça m'a fait plaisir que tu acceptes de m'accompagner aussi, ajouta-t-elle ensuite avant de lever les yeux vers moi. Tu m'avais vraiment manqué, mon cœur. Sa voix s'évanouit dans un souffle et elle enfouit sa tête contre mon épaule, brisant le bref contact visuel. J'aurais bien voulu qu'on se voit plus, tu sais ?
La dernière phrase aurait pu paraître anodine, seulement je savais mieux que personne à quel point sa signification dépassait ce stade-là de compréhension. Une vague de remords s'imprégna dans mon corps pour venir envahir mon esprit qui redoutait d'entendre ce genre de choses. Ma prise se raffermit autour de son corps dans une vaine tentative de lui témoigner de mon affliction.
Avec la reprise des cours, nos entrevues se sont faites bien moins fréquentes que durant les vacances. Et pour ne rien arranger, comme nous ne sommes pas dans les mêmes établissements et que nos activités extra-scolaires nous prennent une bonne partie de notre temps, cela n'aide pas à maintenir un rythme de rendez-vous aussi soutenu qu'avant.
—Tu sais bien que c'est compliqué en ce moment. Je m'interrompis un instant, craignant d'attiser un quelconque sentiment de colère à l'évocation de ce sujet qui fâche, mais en constatant qu'elle ne réagit pas spécialement, je décidai de poursuivre. Avec les cours et le volley, je n'ai plus autant de temps libre qu'avant. Ayame se tendit, mais je continuai sur ma lancée. Et tu sais bien que si cela ne dépendait rien que de moi, on se verrait plus, affirmai-je tout en faisant courir mes doigts dans ses cheveux. Ça me peine autant que toi, cette situation, mais je ne vois pas d'autres solutions. Je suis désolé, mon ange, terminai-je avant de déposer un baiser sur le haut de sa tête.
—Tu m'avais promis qu'on se verrait souvent et que tu ferais en sorte de mettre un minimum la priorité sur nous deux, accusa Ayame d'une voix pleine de reproches. Et pourtant, je n'ai pas l'impression que ce soit le cas, acheva-t-elle tristement.
Je pris sur moi pour ignorer le douloureux pincement au cœur que je ressentis à l'entente de ses mots aussi durs que de la pierre et je me forçai à rester le plus calme possible. Ce n'est pas la première fois qu'on a cette discussion, mais cette fois-ci, ces mots m'attristaient bien plus qu'à l'ordinaire.
Je le sentais au fond de moi. Ayame m'en voulait profondément.
J'ai toujours fait en sorte de m'ajuster au mieux à ses exigences, et d'entendre que ce n'était pas suffisant, ça me blesse bien plus que je ne veuille bien l'admettre.
Ne pas être assez, j'crois que ça a toujours été la chose qui m'a le plus terrifié.
Ayame se dégagea de mon étreinte, et je ne fis rien pour l'en empêcher. Son regard accablé se planta au mien, et c'est d'une voix aussi tranchante qu'une lame qu'elle m'avoua finalement le fond de sa pensée.
—Je suis ta petite-amie, Yugo, mais... j'ai parfois l'impression que tu l'oublies.
—Ce n'est pas vrai. Les mots avaient quitté ma bouche sans même que je ne le réalise. Ayame, s'il te plaît...
—Alors pourquoi est-ce que tu agis comme si j'étais moins importante que le volleyball ? j'ouvris la bouche pour répondre, mais elle ne m'en donna pas l'occasion. Et n'ose pas me dire que ce n'est pas vrai, parce que c'est clairement ce que je ressens. De la colère perçait désormais dans sa voix, et ses prunelles s'assombrirent au fil des mots. Mes amies m'ont demandé pourquoi on ne se voyait que les week-ends, ou encore pourquoi est-ce que tu venais pas plus souvent me chercher après les cours. Il y a même des rumeurs qui disent que toi et moi... c'est peut être rien de sérieux finalement.
—Et tu es de leur avis ? Questionnai-je platement.
—Comment ? Sa voix avait tremblé.
—Tu penses aussi que toi et moi, c'est rien ? Ses yeux s'étaient écarquillés à ma question.
—Bien sûr que non, avait-elle fini par souffler.
—Alors arrête d'écouter les rumeurs des autres, tranchai-je d'une voix un peu plus dure que je ne l'aurais imaginé. Mon ange, me rattrapai-je d'une voix plus douce alors que ma main vint se loger contre sa joue tiède. C'était prévisible que notre couple fasse parler. Il y aura toujours des gens envieux, que ce soit de nous ou des places que l'on occupe au sein de nos établissements respectifs. Un semblant de soulagement m'envahit en constatant qu'Ayame avait l'air de retrouver peu à peu son calme. Ne laisse pas les autres influencer l'image que tu as de nous, repris-je tout en replaçant l'une de ses mèches qui lui barrait le visage derrière son oreille. Leur seul but, c'est de nous séparer en colportant un peu tout et n'importe quoi. Alors s'il te plaît, n'y prête pas autant d'intérêt. Je me tus en même temps que j'éloignais ma main, n'ayant plus rien à ajouter.
Une bonne minute passa, lors de laquelle ni Ayame, ni moi-même ne daignons à parler. Le regard rivé sur l'énorme fresque face à nous, on l'observait sans vraiment la regarder, perdus dans nos pensées. Certains visiteurs passèrent devant mes yeux à plusieurs reprises, et le son lointain d'une toux à peine étouffée me parvint, mais je n'en pris à aucun moment conscience.
Notre discussion repassait inlassablement dans ma tête alors que j'étais à la recherche désespérée d'éléments qui auraient pu donner l'impression à Ayame de se sentir délaissée. Et pourtant, j'avais beau repasser au crible ces dernières semaines, je ne trouvais rien qui puisse justifier l'emploi de mots aussi forts de sa part.
L'explication la plus probable, c'est qu'elle s'est simplement laissée emporter par ses sentiments et qu'elle ait dit toutes ces choses sans vraiment les penser, par simple accès de colère. Ayame a toujours eu tendance à accumuler toutes ces petites choses qui la contrarient jusqu'à ce que, petit à petit, ça fasse trop à supporter pour elle et qu'elle explose. Dans ces moments-là, sa parole dépasse toujours sa pensée, et elle en vient à exagérer les faits simplement pour blesser l'autre autant qu'elle s'est sentie blessée.
Elle est comme ça.
Et moi, même si je sais que je ne devrais pas prendre autant à cœur tout ce qu'elle a à me redire, je ne peux m'empêcher de toujours me remettre en question et d'y penser pendant des jours. Même quand je n'ai rien à me reprocher. J'ai toujours agi de la sorte. C'est plus fort que moi, je n'y peux rien.
Je suis comme ça.
Et après, c'est toujours la même rengaine. Ayame s'en veut toujours beaucoup de réagir à chaud et de manière si impulsive, et moi, je fais toujours comme si toutes les reproches qu'on me fait ne m'atteignaient pas afin de ne pas dévoiler à quel point il est facile de me blesser. On réagit juste chacun de manière différente face à nos faiblesses, que ce soit par l'emportement excessif ou la remise en question intérieure doublée d'une attitude de déni extérieure, et il n'y a pas vraiment une solution qui est meilleure que l'autre.
On est comme ça.
Et ensemble, j'ai toujours cru qu'on parviendrait à corriger cela.
Dommage que ce ne se soit pas passé tout à fait comme ça.
—J'ai envie d'un matcha, déclara soudain Ayame en se levant à côté de moi. Tu..., elle sembla hésiter. Tu viens avec moi ? finit-elle par demander, le regard coupable.
—Bien sûr, confirmai-je en me levant à mon tour. Après tout, on a bien dit qu'on passerait la journée ensemble, non ?
Ma question n'en était pas vraiment une, mais en voyant le doux sourire qui prit place sur le visage de ma copine, je devinais que ma réponse la soulageait au plus haut point. En un clin d'œil, elle se hissa sur la pointe des pieds et embrassa tendrement ma joue, me demandant silencieusement pardon, et comme à chaque fois, il n'en fallut pas plus pour que l'on passe l'éponge sur notre petit accrochage.
On ne reste jamais bien longtemps en colère contre ceux qu'on aime.
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𝙰𝚌𝚊𝚗𝚝𝚑𝚞𝚜- 𝙰𝚌𝚊𝚗𝚝𝚑𝚎
↬ 𝚂𝚢𝚖𝚋𝚘𝚕𝚎 𝚍𝚎𝚜 𝚊𝚛𝚝𝚜
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