Chapitre 1
Eva n'avait jamais vraiment apprécié la sonnerie stridente de son réveil, mais après une nuit entière à chercher le sommeil, en vain, c'était trop. Avec un grognement de protestation, elle tendit la main vers l'appareil métallique incrusté dans le mur de sa chambre pour le faire taire, puis se redressa dans son lit. D'un geste encore ensommeillé, elle tenta de se frotter les yeux pour y voir plus clair, puis, avec un soupir de lassitude, elle se leva. La jeune fille frissonna lorsque ses pieds entrèrent en contact avec le sol froid fait de métal, faisant frémir son corps entier d'une vague glacée.
Eva resta plusieurs minutes à fixer le mur en face d'elle, dans une immobilité totale entre l'éveil et le sommeil ; et enfin, son corps s'activa. Elle marcha jusqu'à l'armoire à l'opposé de son lit, dans la petite pièce toute en longueur. Elle avait une petite chambre, comme tous les autres citoyens de la Ville 2. Quatre murs, un bureau, un lit, une étagère. Point.
Cette simplicité ne la dérangeait pas : elle n'avait jamais rien connu d'autre.
Eva enfila rapidement un pantalon noir moulant et un débardeur gris, tout en se préparant mentalement pour la journée de cours qui l'attendait. Elle n'aimait pas l'école. Personne n'aimait ça, de toute manière. Honnêtement, qui pouvait apprécier rester assis pendant plus de six heures, à écouter le laïus d'un professeur, qui, d'ailleurs, devait lui-même s'ennuyer ? Le simple fait de rester assise sur une chaise à écouter les laïus interminables lui donnait envie de pleurer.
Avec un sourire, Eva se dit que si un jour elle se retrouvait professeur, c'est qu'elle avait vraiment atteint le bout du rouleau.
Une fois habillée, elle entrepris de démêler sa chevelure brune, puis, une fois satisfaite de son apparence, elle sortit de la pièce. L'appartement dans lequel elle vivait avec ses parents et sa petite sœur était semblable à tous ceux des autres citoyens, au millimètre près : même couloir étroit desservant trois chambres, une salle de bain et une pièce à vivre, où se trouvait un salon, une table et une cuisine. Le couloir aboutissait alors sur une épaisse porte métallique, qui coulissait sur un large couloir circulaire, aussi appelé "rue", faisant partie du réseau de couloirs épurés constituant la Ville.
Eva croqua distraitement dans une pomme, qu'elle venait de trouver sur la table. Elle était seule dans l'appartement, puisque ses parents travaillaient déjà, et sa sœur était à l'école. C'était l'un des seuls avantage à être au lycée : les cours commençaient une demi-heure plus tard.
Une fois ses chaussures enfilées, Eva attrapa sa tablette tactile, puis se dirigea vers la porte de l'appartement. Un tintement aigu retentit lorsqu'elle pressa le bouton incrusté dans le mur gris, puis la lourde porte coulissa en grinçant, tandis qu'un laser indolore scannait le numéro tatoué à l'arrière de la cheville de la jeune fille, 4718, semblable à tous ceux qui étaient inscrit sur la peau de chaque citoyen, dès leur naissance. Il permettait au gouvernement de connaître l'emplacement exact de chaque personne, mais Eva ne voyait pas vraiment en quoi cette information pouvait leur être utile. La Ville n'était pas très grande, et de toute manière, il était impossible d'en sortir.
Une fois la porte ouverte, la jeune fille déboucha sur le large couloir circulaire, où des citoyens marchaient calmement, à part certains qui couraient presque, l'air anxieux.
Eva sourit ; elle n'était pas la seule à être en retard.
Elle se surprit à observer la Ville qui s'étendait devant elle, alors qu'elle le voyait pourtant tous les jours. D'habitude, elle ne prenait jamais le temps de prêter attention à ces choses qui l'entouraient, mais ce jour-là, le couloir lui paraissait cent fois plus captivant que la perspective d'assister au cours de math qui l'attendait.
L'un des côtés du couloir était un simple mur métallique, percé tous les six mètres de portes semblable à celle qu'Eva venait de franchir. L'autre côté, par contre, était en fait une immense paroi de verre. Malgré les chiffres rouges projetés contre un mur, annonçant clairement l'heure tardive, la jeune fille s'avança. Derrière la vitre, en contrebas, la Serre s'étendait.
C'était un immense terrain circulaire, dont le couloir faisait d'ailleurs le tour. De tous les côtés, la Villes s'élevait, immense tour creuse d'une cinquantaines d'étages, accueillant en son centre la Serre. C'était de là que provenait toutes les ressources nécessaires à la suivie de la Ville 2. Il y était cultivés blé, maïs, pommes, raisins, orge... Mais aussi élevés vaches, poules et moutons. C'était cette étendue, la Serre, qui permettaient à la Ville 2 de tenir depuis des décennies, ou peut-être même des siècles. Personne ne le savait réellement. Cela faisait bien longtemps qu'ils avaient quittés la Terre, pour partir à bord de cet immense vaisseau, vers une destination désormais oubliée.
Eva s'était toujours dit que c'était la chose la plus ridicule qu'il soit jamais arrivée, que de partir et d'oublier en cours de route sa destination. À une époque, ils connaissaient la véritable raison de ce voyage. Eva ne parvenait pas à imaginer l'émotion que cela devait procurer : plus de doutes, plus de questionnements sans fin.
Désormais, certains doutaient même de l'existence de la planète bleue.
La Terre... songea Eva en soupirant. C'était comme ça qu'elle était surnommée. Elle était décrite comme un havre de vie, mais n'était-ce pas qu'une légende ? Une légende pour oublier qu'ils étaient perdus. Sans but. Sans destination. Perdus dans l'infinité de l'espace. Il leur fallait de l'espoir.
Mais, malgré l'incertitude dans laquelle ils baignaient, les citoyens continuaient de suivre aveuglément le règlement légués par leurs ancêtres. C'était ce qu'ils leur permettaient de tenir. Il y était inscrit qu'ils devaient attendre. Et que lorsqu'ils seraient arrivés, ils le sauraient.
Si nous arrivons un jour, se dit-elle mentalement, en dévalant l'escalier qui menait aux niveaux inférieurs.
Il n'y avait pas d'ascenseur. Selon le président, ça aurait consommé bien trop d'énergie pour peu de résultat. Ce n'est pas lui qui doit descendre vingt étages tous les jours ! Continua-t-elle de penser. Elle croqua une dernière fois dans sa pomme, puis la jeta dans une poubelle destinée au compostage, placée dans un angle de l'escalier. Rien n'était jamais jeté au hasard, à bord du vaisseau. Tout ce qui pouvait être réutilisé était réutilisé. C'était la première règle qu'apprenaient les citoyens.
Eva passa en courant devant l'étage de l'hôpital, où travaillaient ses parents, puis arriva à celui de l'école. Sa petite sœur devait déjà travailler, avec la dizaine d'autres enfants de son âge. Elle fut contente de n'en voir aucun dans les couloirs, même si elle savait qu'elle ne pourrait éviter la marée de gamins qui affluerait en fin de journée, dans un vacarme infernal. Eva n'aimait pas les enfants. Ça faisait beaucoup trop de bruit, et c'était insupportable. Elle aimait bien sa petite sœur, mais ça s'arrêtait là.
Avec un soupir, elle se dit que de toute manière, elle avait encore le temps avant d'être obligée de se marier et d'en avoir deux.
C'était une autre règle de la Ville : chaque citoyen devait former une famille de deux enfants, afin que le nombres d'habitants ne change pas au fil des générations. Sans cette règle, ça aurait été plutôt problématique, puisque le nombre d'appartements, le volume d'oxygène relâché chaque jour et toutes les autres choses indispensables pour vivre avaient été minutieusement calculées pour correspondre au nombre exacte de quatre mille personnes.
Quatre mille être humains perdus, songea Eva avec un sourire amer. Et même trois fois plus, en comptant les Villes 1 et 3.
Selon elle, l'un des plus grands mystères du règlement se trouvait dans le dernier article : il y était aussi écrit que, lorsque le vaisseau avait été créé, trois villes y avaient été construite, portant chacune les numéros 1, 2 et 3. Elles étaient séparées par la forêt sombre qui entourait le cylindre de la Ville 2, et qui s'étendait jusqu'au deux autres villes. Bien sûr, aucun citoyens n'était allé vérifier, puisqu'il était strictement interdit de quitter la structure métallique, qui d'ailleurs ne possédait aucune porte donnant sur l'extérieur.
De plus, les trois villes ne devait sous aucun prétexte entrer en contact. Personne ne savait pourquoi, mais on ne leur demandait pas de comprendre les règles, seulement de les appliquer.
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(1351 mots)
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