C'est décidé, il y a forcément un autre moyen plus simple de récupérer des preuves sur ce probable trafic de reliques.

J'erre dans l'Allée des Embrumes, protégé par le charme de la potion Trompe l'Oeil, je laisse traîner mes oreilles, pose quelques questions, mais au bout de quelques jours, j'ai surtout l'impression de tourner en rond. Les pires escrocs deviennent des tombes, les quelques indics fiables ne savent pas m'en dire plus, à croire qu'ils détournent les yeux dès que des marchandises volées sortent d'Angleterre.

Les non-dits se mêlent à des rumeurs invérifiables. Certains piliers de comptoir insinuent à demi-mots que certains de ces objets seraient encore en état de fonctionnement, gorgés d'une ancienne magie noire oubliée. Il se dit qu'à l'étranger, certains mages seraient friands de ces reliques, que certains pourraient même essayer de s'en servir véritablement...

J'essaie de calmer mon inquiétude manifeste, inutile de s'emballer sur des bribes d'intuitions. Sauf que, quand j'essaie d'en savoir plus, les paroles deviennent évasives. Impossible de réunir de réelles preuves, juste des on-dits échangés sur le comptoir d'un bar miteux.

*

De temps à autre, quand je n'arrive pas à dormir, je continue d'éplucher des dossiers. J'hésite à laisser tomber toute cette affaire, à me mettre des œillères comme tout le monde, à rentrer sagement dans le rang... mais les nuits d'insomnie, je n'arrive pas à ignorer les risques possibles si ces objets tombaient entre de mauvaises mains. Le Monde Sorcier a-t-il la mémoire si courte ? Ou bien est-ce plus convenable de fermer les yeux dès que la menace n'est plus de notre ressort et s'est délocalisée hors d'Angleterre ?

Ça serait plus simple de tout oublier, de masquer ces irrégularités et de faire comme si rien n'était grave. Sauf que l'idée continue de tourner dans ma tête, jusqu'à devenir une obsession, difficile à ignorer. Un matin, tandis que Ron prend à peine son premier café, je me racle la gorge, les bras croisés sur ma poitrine, assis de l'autre côté de son bureau toujours aussi encombré.

— Tu sais quoi des Services Magiques Extérieurs ?

Il fronce les sourcils au-dessus de sa tasse.

— C'est une section constituée de certains Aurors triés sur le volet, qui travaillent principalement en lien avec le Magenmagot... C'est ce que les moldus pourraient appeler les services secrets extérieurs au pays.

Il secoue la tête en venant se rasseoir.

— Ne me dis pas que ça a un lien avec ton enquête clandestine, Harry. Ces types sont intouchables, ils sont quasiment au-dessus des lois. Ils peuvent s'immiscer sans sourciller dans les affaires sorcières d'autres pays. Leurs manœuvres sont délicates et hautement diplomatiques.

Il repose sa tasse en me fixant sérieusement.

— Exactement le genre de relations que tu ne sais pas entretenir. Je te préviens, tu mets le doigt dans un nid d'embrouilles. Je me demande d'ailleurs si on ne devrait pas déposer une plainte à la Brigade Supérieure d'Inspection de la Magie, pour qu'il s'occupent de cette affaire...

— À cette bande de branquignoles ? Tu sais bien qu'ils mettent des plombes à traiter chaque dossier, à croire que ça les arrange qu'on ne regarde pas de trop près leurs affaires louches... à croire qu'ils sont tous de la même trempe...

— Harry !

L'avertissement de Ron claque. Il lève sa baguette vers la porte et insonorise la pièce déjà censée être sécurisée. À croire que critiquer la Brigade chargée d'enquêter sur les loupés des autres Brigades Magiques est une ligne à ne pas franchir dans ce bureau...

— Bon sang, il faut que tu apprennes à fermer les yeux, Harry...

— Sur la corruption chez les Aurors et dans la Brigade Magique ?

— Présumée corruption ! Et ne me regarde pas comme ça ! Qu'est-ce que tu veux que je te dise, pourquoi t'es si surpris ? Plus tu t'approches du pouvoir et plus c'est courant, oui...

— Et ça ne t'indigne pas ?

— Bien sûr que ça m'indigne, mais ça fait partie du jeu. On n'a plus quinze ans, on ne peut plus foncer dans le tas sans réfléchir. Il faut apprendre à jouer avec de nouvelles règles.

Que même Ron ait baissé les bras me déçoit.

J'ai l'impression d'être le seul à essayer d'arranger les choses et je suis trop crevé pour y arriver seul.

— Tu mets les pieds dans un tas de merde, Harry. Tu attises une fourmilière, ces gens ont des contacts très bien placés. Plus haut que moi, pour sûr. Certainement au Magenmagot, ou même plus haut au Ministère.

La voix de Ron s'adoucit.

— T'en es où dans ton enquête ? Je ne devrais pas te le dire, mais mes quelques questions ont déjà attisé les craintes...

Je me redresse dans mon fauteuil, curieux d'en savoir plus.

— On m'a envoyé un avertissement, un parchemin anonyme... on m'a laissé comprendre qu'on ne devrait pas s'en mêler...

— Une menace ? Tss, qu'ils viennent m'en parler directement, si ça les dérange tant !

Ron fait claquer sa langue, agacé.

— Je n'ai même pas donné ton nom, Harry,

Je réalise soudain qu'il me couvre, qu'il a pris des risques pour ne pas m'impliquer. Je devrais me sentir touché par sa protection mais, à la place, je me sens ingrat.

Ron fronce le nez.

— Si je n'étais pas ton meilleur ami, je devrais en tant que Directeur de Section te recadrer sévèrement...

Je croise les bras en le défiant du regard, attendant ses remontrances, mais il se contente de secouer la tête, fatigué.

— Comme si quelqu'un pouvait te recadrer.

Je me pince les lèvres, mon meilleur ami me connaît trop bien.

— On ne fait rien du coup ? Ça s'arrête là ?

— Je pense que c'est trop tard de mon côté, j'ai déjà trop attiré l'attention sur moi en posant ces questions.

Il grimace un peu, jette un œil à la porte pourtant close et baisse d'un ton.

— T'as creusé un truc qui fait s'agiter au-dessus de moi. Hermione avait raison d'être méfiante. Je n'ai pas parlé de toi, Harry, mais ta réputation te précède. Il y a un risque que le Magenmagot ait mis une trace sur toi.

Je me mords la langue pour contenir ma frustration.

— Merde ! Ça implique quoi ?

— Possible que tes transplanages soient surveillés...

— Par Merlin ! Tu veux dire que je ne peux plus transplaner ?

— Si tu peux, mais il y a moyen que quelqu'un suive ta trace de près...

— Je vois... et mes sorts ?

— Non, je ne pense pas, c'est beaucoup plus complexe. Tant qu'on n'examine pas ta baguette, ça ira... mais évite de te faire remarquer. Si on découvre que tu enquêtes sur les Aurors des Services Extérieurs sans autorisation, je pourrais difficilement te défendre, Harry, t'en as conscience ?

Je déglutis en prenant conscience de l'ampleur de l'affaire.

— Ça prouve bien que la Mangenmagot est impliquée !

— Possible, mais je ne veux rien savoir, Harry ! Sérieux, ne me dis rien, ne m'envoie rien. Pas tant que tu n'as pas des preuves solides et recevables.

Je lève les yeux vers Ron, il a le regard inquiet.

— À ce point ?

— Je pense, oui. Cette histoire nous dépasse. Si tu continues, tu dois faire ça discrètement...

*

La section des Services de Renseignements Extérieurs envoie pas mal d'Aurors à l'étranger. Pour mener des enquêtes hors des frontières d'Angleterre, pour sceller des pactes, des alliances, pour travailler avec d'autres sorciers, la limite entre diplomatie et maintien de l'ordre est fine. La plupart des missions semblent confidentielles, les archives sont minimalistes, peu de traces des allées et venues de ces Aurors d'élite sont conservées.

Ce qui ne veut pas dire que tous sont définitivement suspects, juste que cette section a un terreau idéal pour abriter des affaires louches.

Je me verse un dernier verre de whisky pur feu tout en épluchant un énième registre sur ma table basse.

De fil en aiguille, de registres en notes de frais, je retombe sur les paraphes de Neil Jemkins. Plusieurs Aurors de sa brigade ont multiplié les séjours à Istanbul dernièrement. Ça pourrait être une simple coïncidence. Ou pas.

Dans les jours qui suivent, je fais des détours à l'étage du Département des Transports Magiques. Les types sont toujours ravis qu'un Auror, de renom qui plus est, vienne s'intéresser à leur service où sont fournis les portoloins officiels, les certificats de transplanage, où s'opèrent le suivi des différents types de transports magiques. Je prétexte une vérification des registres liés à des affaires en cours pour jeter un œil à leurs archives.

Ce n'est peut-être rien, mais aucune mission de diplomatie n'est recensée sur le territoire turc. Ça pourrait être justifié par la confidentialité de leurs missions sauf que NK a visiblement réquisitionné des caisses de transport magiques pour un trajet ainsi que des billets de train, sous le radar. Étrangement, ils ne se sont pas contentés de transplaner ou de réquisitionner un portoloin pour voyager de Londres à Istanbul, comme s'ils étaient chargés, ou qu'ils souhaitaient rester discrets sur leur cargaison.

Possible que j'échafaude des pistes qui me conviennent. Possible que je m'emballe.

Ça serait plus pratique de pouvoir confronter mes théories avec un binôme qui saurait me challenger et me recadrer si besoin.

Sauf que j'ai choisi de travailler seul, comme c'était ma décision de finir seul. Il n'y a pas idée de se plaindre alors que je me suis mis dans cette situation tout seul.

Je décide qu'Istanbul est une piste non négligeable. Peut-être est-ce mon instinct ou mes foutues intuitions qui prennent le dessus quand mon esprit est embrumé par les vapeurs d'alcool. Quoiqu'il en est, ça ne résout pas mon souci principal, à savoir trouver un moyen fiable de récupérer ces éventuelles preuves, et d'aller les chercher jusqu'à Istanbul, s'il le faut.

*

L'étage de la Justice Magique n'a rien à voir avec les bureaux sombres du Département des Aurors et des différentes sections des Brigades. Dans le hall lumineux, des fontaines apportent une ambiance sereine, presque détendue, quand les couloirs de nos services sont glauques au possible.

Hermione m'attend sur un des bancs de leur cour intérieure. La réplique du parc arboré avec des oiseaux qui piaillent est troublante de réalisme, et s'avère être un cadre agréable pour une pause déjeuner sur le pouce.

Hermione a des journées chargées, entre la préparation de ses défenses, les procès interminables, et les conseils juridiques qu'elle fournit gratuitement. Qu'elle ait le temps de me caler dans son planning relève d'un petit miracle.

Elle a les traits tirés et fatigués quand je la rejoins. Son affaire en cours est longue et pénible, elle est chargée de la défense de cracmols persécutés par des sorciers. L'enquête interne a été un fiasco, mal menée et expédiée par les Aurors qui préféraient fermer les yeux et ne daignent pas lever le petit doigt pour ce genre d'enquête. Après le désastre judiciaire de l'affaire Mahesh, Hermione n'est pas tendre envers certains Aurors, et encore moins avec la Brigade Supérieure d'Inspection de la Magie qui ralentit volontairement certaines procédures. Depuis, elle est déterminée à redoubler d'efforts pour défendre les parties injustement accusées.

Après avoir pris de ses nouvelles, pour faire bonne mesure, je mets les pieds dans le plat pour nous faire gagner du temps.

— Ron m'a parlé de la Memoriae Captiva...

Elle jette un œil aux alentours pour vérifier que l'on est bien seuls, et je poursuis quand elle hoche la tête.

— Toi, qui bosses souvent avec des ressources extérieures, tu aurais des noms de potionnistes à me recommander ?

Hermione lève un sourcil.

— Autres que Drago Malefoy, tu veux dire ?

Je fais une moue, un peu agacé par son insinuation.

— Alors tout le monde sait qu'il bosse à Sainte Mangouste ?

Elle hausse les épaules tout en prenant une bouchée de sa tourte encore chaude.

— On travaille ensemble sur certaines affaires judiciaires.

Je ne peux pas masquer mon étonnement.

— Vraiment ? Tu ne m'en as jamais parlé...

Hermione pose son encas sur ses genoux et fiche son regard sur moi.

— À quel moment ? Quand tu nous faisais la gueule parce qu'on ne te comprenait pas, ou quand t'as coupé les ponts pendant des semaines sans rien dire ?

Je rougis de malaise en repensant aux derniers mois qui ont précédé ma séparation d'avec Ginny.

— Je suis un ami en carton, hein ?

— On est de ton côté, Harry, ne l'oublie pas, même quand tu joues au connard...

Parfois, j'ai la sensation de ne pas mériter mes amis.

Je déglutis pour faire passer la boule douloureuse dans ma gorge et reviens à l'assaut sur le sujet qui me préoccupe.

— Et alors, Malefoy ?

— Quoi ?

— J'en sais rien, il est fiable ?

Hermione roule des yeux avant de croquer dans le reste de sa tourte.

— On n'a plus quinze ans, les petites batailles de maisons sont oubliées ! Il a payé sa dette - bien plus cher qu'il aurait dû d'ailleurs. Il veut juste faire profil bas et faire son boulot - dans lequel il excelle, d'ailleurs.

Elle hausse les épaules face à ma mine sceptique.

— Il a changé, si c'est ce que tu veux savoir. C'est l'un des meilleurs dans son domaine, il est compétent et fiable sur les dossiers qu'on défend ensemble. Personnellement, je lui fais confiance.

Elle chasse les miettes tombées sur ses genoux, s'essuie le coin de la bouche avec sa serviette et lève la main pour ajouter une précision.

— Par contre, il est assigné à Londres. On essaie régulièrement de défaire cette décision, mais ses déplacements sont pour l'instant limités.

Je mords dans mon sandwich et mâche ma bouchée lentement. Que Hermione et Malefoy se côtoient sans que je sois au courant me perturbe, à croire que j'ai vraiment lâché l'affaire sur certaines relations sociales ces dernières années.

— Si j'avais besoin de lui hors du territoire, comment je pourrais m'y prendre ?

Hermione hausse des sourcils surpris.

— À moins d'une dérogation exceptionnelle signée par un haut gradé, c'est galère...

— Comme quelqu'un du Département de la Justice magique ?

Hermione jette à nouveau un regard autour de nous et baisse d'un ton.

— Par exemple, mais cette personne risquerait gros, si elle venait à être découverte. Sur cette affaire, t'as intérêt d'être certain de ton coup, Harry...

Le silence s'étire entre nous.

Soudain, je me demande si les risques valent le coup d'être pris ? Peut-être est-ce plus simple de fermer les yeux ?

Puis Hermione me donne un coup de coude.

— Je te soutiendrai, tu sais. C'est juste que cette affaire est hyper délicate à appréhender sans preuve formelle. Quoiqu'il en soit, sache que Malefoy n'est pas le seul à maîtriser la Memoriae Captiva. Il a pour mission de former de jeunes potionnistes, l'un de ses étudiants pourrait peut-être t'aider. Ne tire pas un trait sur cette affaire, juste pour éviter Malefoy à cause de vieux principes absurdes...

J'approuve cette idée. C'est sûrement la meilleure idée qui soit si je ne veux pas me coltiner Malefoy à travers tout le continent.

***

Alors... vous êtes sur un Drarry, évidemment que ça va mal se passer cette affaire ! 😈