Chapitre 4

J'ai parfois envie de tout claquer, d'enfourcher mon balai et de me barrer loin de Londres.

Les gens me gonflent, je sature de leur admiration sans bornes, de leur manière de s'adresser à moi pour me ménager, pour ne pas que j'explose. Peine perdue.

Les plans cul foireux me lassent. Je ne supporte plus les yeux enamourés de certains après une soirée de picole, encore moins ceux qui me fétichisent et se barrent avec l'air d'avoir décroché un trophée.

J'ai gueulé sur le dernier paparazzi en bas de l'immeuble, il n'a rien vu venir, il a pris pour tous les autres.

Sur le moment, ça m'a fait du bien. Il faut maintenant que je m'attende à une probable sortie dans la presse sur mes tendances colériques de ces derniers temps.

Alors j'use et abuse de la potion de camouflage Trompe l'Œil pour pouvoir sortir sans être constamment sur mes gardes. Ce n'est pas conseillé de la boire aussi fréquemment et, je le sais, son efficacité va finir par faiblir, mais ponctuellement, elle fait encore l'affaire.

Parfois, j'aimerais pouvoir la boire d'une traite et me glisser dans la peau d'un autre définitivement. Devenir un parfait inconnu qui pourrait mener des conversations sans qu'on prenne mille pincettes pour préserver son ego, et baiser sans être constamment objectifié.

Toutefois, ce n'est pas prêt d'arriver et le nom d'Harry Potter est parfois encore utile pour obtenir des informations rapidement.

Randall Lyfster râle quand je passe le seuil de sa boutique.

De petits crânes en argent carillonnent au-dessus de sa porte, son échoppe est tout aussi lugubre que toutes celles qui ont pignon sur rue dans l'Allée des Embrumes. L'unique client, drapé dans une longue cape noire, déguerpit en me reconnaissant.

— Bordel, Potter, tu fais fuir les clients ! Pourquoi tu ne viens pas en fin de journée ? On va croire que je bosse avec les Aurors...

Je relève un sourcil amusé, c'est tout à fait le cas.

J'arpente les allées étroites de sa petite boutique, avise les grimoires poussiéreux, les breloques inoffensives...

Randall traverse péniblement son échoppe pour retourner la pancarte sur "Fermé", et lance un sort d'opacité sur les carreaux de la vitrine pour nous donner davantage d'intimité.

— Qu'est-ce qui t'amène ?

— Je ne peux pas venir prendre des nouvelles de mon indic préféré ?

Il lève les yeux au ciel.

— Viens-en au fait, Potter !

Je tripote des runes qui me semblent inoffensives, retourne des cartes de tarot qui s'animent entre mes doigts. Derrière son comptoir, Randall m'observe déambuler dans son échoppe, les bras croisés et le regard méfiant.

— Qu'est-ce que tu sais sur le trafic de reliques magiques ?

— Que c'est interdit. Et que je risque la prison si j'en fais du recel...

Évidemment, il n'est pas stupide.

Je fais tourner dans ma main une boule de cristal dans laquelle une brume s'agite, ouvre d'un geste de baguette une armoire où sont entreposées des fioles de cristal fragiles.

— Tu sais qu'en un claquement de doigts, je peux demander une fouille de ta boutique et même sa fermeture si je soupçonne quoi que ce soit d'illégal...

Randall s'agite, contourne son comptoir, replace méticuleusement la boule de cristal sur son socle et vient ranger les fioles fragiles que j'ai déplacées.

— Bon sang, Potter, tu sais que je suis réglo. Autant que je peux l'être tout en bossant avec les Aurors. Pourquoi tu ne me demandes pas clairement ce que tu veux savoir ?

— Du trafic de reliques anciennes, ça te parle ?

Il jette un œil nerveux à la porte, alors j'invoque un Assurdiato pour que ses confessions restent entre nous.

Il se frotte la tempe, avec nervosité, me fait signe de le suivre dans un renfoncement.

— Des objets d'anciennes familles de sorciers se revendent bien au marché noir. Mais rien en Angleterre, c'est beaucoup trop risqué. La peine encourue ne vaut pas le risque...

Je l'encourage à continuer, mais il se contente de hausser les épaules.

— C'est revendu ailleurs.

— Ailleurs ?

— Hors du territoire.

Il a l'air agacé que je ne comprenne pas plus vite ce qu'il explique. Et effectivement, je ne comprends pas.

— Ces objets emprunts de magie ancienne qui ont été confisqués sont censés être tracés et impossibles à exporter...

— Et qui posent ces traces, Potter ?

Il hausse les sourcils en attendant que je relie les points et je déglutis péniblement. Sous-entendre que des Aurors seraient impliqués dans ce genre de trafic n'est pas une accusation à formuler à la légère.

Il prend un risque énorme. Même si au fil des années, une ébauche de confiance s'est construite avec notre petit arrangement, je pourrais détruire sa vie en un claquement de doigts, le faire arrêter sur le champ pour un motif foireux, saisir toute sa boutique, et ce, dans le meilleur des cas. Je pourrais aussi le faire taire définitivement, en prétextant de la légitime défense, ou l'envoyer à Azkaban sans même un procès. Le pouvoir octroyé aux Aurors est démesuré.

Randall Lyfster soutient mon regard, fébrile. Il attend visiblement que je me décide à ruiner sa vie ou à déguerpir de son échoppe.

Si je faisais partie de ces Aurors véreux et que je venais simplement tester sa capacité à rester silencieux, il aurait mis sa vie en danger rien qu'en prononçant ses insinuations cryptiques.

Sauf que je ne suis pas comme ces Aurors. Pour une raison inexpliquée, je n'ai pas basculé de ce côté-là. J'ai la stupidité de croire encore à l'honnêteté et à la justice dans ce boulot, même si c'est de plus en plus difficile ces derniers temps et que parfois la tentation est grande de se laisser aller à la facilité.

Je fais un pas en arrière et pose mon cul sur un des tabourets, Randall se remet à respirer.

— Dis m'en plus...

— Je t'en ai déjà trop dit ! Les objets sont sortis par ceux-là mêmes qui sont censés les tracer, je ne peux pas être plus clair...

— Tu sais vers quels pays ?

— Tu poses trop de questions pour ton propre bien, Potter ! T'imagines pas les risques que je prends en te donnant ces infos...

Il secoue la tête en ricanant et sa nonchalance moqueuse fait vibrer une corde au fond de moi.

Il ne me prend pas au sérieux. Il s'est habitué à des échanges posés et sans risques avec le brave Harry Potter.

Une colère sourde bourdonne au fond de moi et ma magie s'accorde à la même fréquence. Soudain, l'armoire pleine de fioles en cristal se met à trembler, et la boule de cristal part s'exploser contre le mur sans que j'esquisse un geste.

— Donne-moi un contact qui en saurait plus, en échange je ne mets pas le nez dans tes affaires !

Randall déglutit, avise ma baguette toujours rangée dans son étui et gémit en constatant les dégâts.

— Ne fais pas ça, Potter. Je te donne toujours tout ce que tu veux...

— Et peut-être qu'un jour, je pourrais changer d'avis.

Il serre les dents pour ne pas répliquer, et tire un parchemin sous son comptoir pour y noter un nom.

— Vous êtes tous les mêmes au final...

Je me retiens de défendre la prétendue noblesse des Aurors. Peut-être que je ne suis pas comme eux, mais la frontière est si fine que ça en est pas parfois étourdissant.

*

Sur le parchemin, je relis le nom du contact, Alastar Caedmon. Il s'agit d'un antiquaire-collectionneur et le manoir au milieu de la campagne anglaise devant lequel je me trouve laisse présager un antiquaire plutôt fortuné.

Pour la peine, je ne me présente pas comme Harry Potter, mais comme un amateur intéressé par ses biens.

Je vérifie l'effet de mon Trompe l'Œil dans le reflet de la vitre, réajuste le foulard en satin autour de mon cou et toque à la grande porte.

Un elfe de maison ridé me fait entrer et je constate la démesure de l'endroit.

Le type qui me reçoit s'avère rapidement ennuyé.

— Je n'ai rien de disponible ces derniers jours, il faut prévenir vraiment à l'avance.

— On m'a pourtant dit qu'il y avait du choix en ce moment...

Il tique et se resserre une tasse de thé sur le plateau que son elfe tient à bout de bras.

— Il y a eu de très beaux objets qui ont circulé dernièrement, mais plutôt pour la clientèle basée au Moyen-Orient. Pas pour les collectionneurs locaux. Je suis vraiment navré que vous vous soyez déplacé pour rien...

J'esquisse un sourire compréhensif pour lui faire comprendre que je ne lui ne veux pas, que ça valait le coup de tenter pour de belles pièces. Puis je tente d'en savoir plus.

— Au Moyen-Orient, vous dites ?

— C'est bien moins dangereux à revendre qu'ici !

Je le brosse dans le sens du poil, flatte son ego, tente de creuser encore un peu, mais le type se referme comme huître, décidément moins bavard que Randall de l'Allée des Embrumes.

*

De retour dans le bureau de Ron, je lui rapporte mes dernières avancées. Je ne peux décemment pas tout garder pour moi. Plus je mesure l'ampleur du trafic potentiel, moins je sais quoi faire de toutes ces informations.

— Tu t'en rends compte ? Les Aurors sont censés être exemplaires ! À quoi ça rime ? On ne peut décemment pas être aussi compromis qu'une vulgaire brigade magique ?!

Ron se pince le nez et se frotte les yeux après une énième journée chargée.

— T'énerve pas contre moi. Même si t'as l'impression d'être seul en ce moment, je suis de ton côté, je t'assure.

Je me renfonce dans le fauteuil et m'efforce de me calmer, je ne me suis même pas rendu compte que j'avais élevé la voix. Et si je veux convaincre Ron de m'aider sur cette affaire, il faut que je garde mon calme.

Celui-ci rassemble des parchemins éparpillés, les range dans des chemises aux couleurs différentes.

— J'aime pas me battre avec toi, Harry.

Je soupire, moi non plus je n'aime pas ça. Je fais tout de travers en ce moment.

Ron entasse ses liasses de parchemin, passe une main sur ses traits tirés, et garde les yeux baissés sur sa pile de paperasse.

— Juste pour être clair à propos de l'autre fois : tu vois qui tu veux, tu le sais, hein ? Je n'ai pas mon mot à dire là-dessus. On veut juste que tu sois heureux...

Le silence est maladroit entre nous.

— Et si t'as besoin de te faire accompagner, ce n'est pas une faiblesse, tu le sais n'est-ce pas ?

J'ai une boule douloureuse dans la gorge.

On a tous été voir un psy après la Grande Bataille pour gérer les traumas et l'anxiété post-guerre. C'était il y a quinze ans. J'ai parfois l'impression que ça n'a servi à rien. Tout le monde a avancé, construit des choses, et moi je piétine, pire je régresse. Je n'arrive pas à m'en sortir seul, mais personne ne semble comprendre le bordel dans ma tête, même pas une psy assermentée par le Ministère.

Je suis reconnaissant à Ron de me tendre la perche, de rester mon ami alors que je suis détestable, mais pour l'instant, seul le boulot me permet de garder la tête hors de l'eau, alors je botte en touche, esquive le regard inquiet de Ron et reviens à cette histoire de trafic de reliques.

Ron soupire face à mon entêtement.

— Si tu continues cette enquête, Harry, je ne veux rien savoir. J'ai les mains liées, tu comprends ce que je veux dire ? Je ne peux pas m'en mêler sans risquer ma place.

Il croise les mains sur le bureau et m'adresse un regard entendu.

— Mais qui suis-je pour t'empêcher d'aller fouiner ?

Je me redresse sur mon siège, jette un regard vers la porte, m'assure que le sort de Ron est toujours en place.

— Alors tu me crois ? L'affaire est louche, hein ?

— Est-ce que tu penses pouvoir récolter des preuves tangibles ? Il faut que ce soit béton, Harry. On risque nos places et des accusations de trahison, j'espère que tu t'en rends compte ?

Ron devient sérieux et ne me lâche pas du regard.

— Si tu récupères des souvenirs ou des preuves par la force, les défenseurs des libertés magiques nous tomberont dessus. Et j'en sais quelque chose vu qu'Hermione en a fait sa spécialité... Elle pense d'ailleurs que tu t'embarques dans un truc qui te dépasse.

— Tu lui en as parlé ?

Il a un mouvement de recul.

— Évidemment, c'est Hermione !

Je ne peux empêcher un soupçon de jalousie de me courir le long de la colonne vertébrale. Ça me manque d'avoir quelqu'un avec qui partager mes doutes, mes questionnements... mais Hermione porte toujours un regard avisé sur mes soucis.

— Qu'est-ce qu'elle en pense ?

— Apparemment, la Justice Magique a des soupçons de corruption au sein même du Magenmagot depuis des années, mais chaque enquête interne a été enterrée. Ils n'ont aucune preuve. Elle dit que t'as besoin de récolter des témoignages ou des aveux pour qu'ils soient pleinement recevables.

Ron se pince les lèvres avant de continuer.

— Elle pense que tu joues avec le feu, et que tu n'as pas le droit à l'erreur. Si tu veux y aller à fond, il faut que tu trouves des témoins directs, pas de rumeurs, ou de on-dit, et encore moins te baser uniquement sur tes intuitions. Si tu avais des preuves concrètes, comme des témoignages d'hommes de main, d'acheteurs ou d'intermédiaires qui peuvent être impliqués dans ce trafic, elle serait prête à te soutenir devant la Cour de la Justice Magique. Et elle peut te couvrir sur certains déplacements, mais elle est trop mêlée à la politique sorcière pour t'encourager ouvertement...

Mon cœur se gonfle. Même si l'enquête s'avère sensible, savoir que j'ai le soutien de mes amis les plus proches me réconforte.

Je fais mentalement l'état des lieux de ce que j'ai appris et de ce dont j'ai besoin.

— Je peux accentuer mes recherches, mais j'aurai besoin d'un Legimens discret et de haut niveau pour récupérer d'éventuels souvenirs...

Ron grimace en secouant la tête.

— Arrête, on flirte plus avec ces pratiques depuis un moment ici ! Et entre nous, je ne ferai jamais confiance à Legimens...

— Des doses de Veritaserum, alors ?

— Non, trop facile à contrer. Tous les puissants apprennent à s'en protéger... L'extraction de souvenirs serait trop intrusive, et puis on sait maintenant que les souvenirs peuvent être altérés. Non, il faudrait que tu puisses récupérer une parole fiable et certifiée recevable...

Ron hésite un instant avant de développer son idée.

— La Memoriae Captiva pourrait convenir...

— La quoi ?

— La Memoriae Captiva, c'est une potion mêlée à un sort complexe qui permet de recueillir des témoignages fiables.

— Ça ne me dit rien, comment tu connais ça, toi ?

— Figure-toi que ça aide de partager sa vie avec une tête pensante du Département de la Justice Magique !

Ron agite sa baguette pour nous servir du thé, avant de rentrer dans les explications.

— C'est une formule extrêmement difficile à réaliser. Il faut une certaine adresse rien que pour arriver à concocter la potion, et ensuite maîtriser la formule qui permet de récolter, sceller et de certifier les souvenirs. Même Hermione ne sait pas la maîtriser.

Il hausse des sourcils entendus pour que je me rende compte de la complexité du sort, puis tend la main pour verser un peu de lait dans sa tasse.

— C'est une potion encore en expérimentation. Ils essaient de simplifier la formule ces derniers mois, de la stabiliser pour qu'elle soit utilisable par tous les Aurors et faciliter le recueil de preuves à l'avenir. Ça évitera les erreurs de procès, comme celui de l'affaire Mahesh... Pour l'instant, seuls quelques sorciers arrivent à pratiquer correctement la Memoriae Captiva, mais les premières affaires menées avec ce procédé sont concluantes.

Je porte la tasse à mes lèvres, c'est exactement ce qu'il faudrait pour contrer une potentielle version trafiquée par les Aurors et de ceux qu'ils couvrent. Des preuves certifiées et inattaquables, le rêve pour la Justice Magique, un peu moins pour ses éléments corrompus. L'affaire Mahesh est un exemple glaçant de ce qui peut se produire quand un procès est mené à la va-vite avec des témoignages et des preuves montées de toute pièce...

Une sale affaire qui a éclaboussé tout le Ministère, où chaque département s'est renvoyé la faute, pendant que le sorcier concerné, écroué depuis quatre ans à Azkaban à cause d'un témoignage foireux, a fini par se laisser crever avant le rétablissement de son verdict. Un coup dur pour les départements de la Justice Magique et du Maintien de l'Ordre Sorcier. Pas étonnant qu'ils bûchent sur de nouvelles méthodes pour éviter que ce genre de fiasco se reproduise.

— Il y a un service à Sainte Mangouste qui bosse en collaboration sur certaines affaires avec les Aurors, une partie de leur équipe est dédiée à la recherche sur la Memoriae Captiva. Mais il faut une autorisation, évidemment, pour accéder à leurs ressources. Comprends bien, Harry, que si tu décides de faire ça sous le radar, je ne veux rien savoir, vraiment...

Quand je repose ma tasse de thé sur le bureau de Ron, je me sens soudain déterminé à mener à bien cette fichue enquête et je lui promets d'être discret.

***

Vous me voyez venir avec mes gros sabots ? :)

Dans le prochain chapitre, direction Sainte Mangouste, au département des Potionnistes !

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