Chapitre 23
Au bout du troisième jour de marche à travers le désert, la fatigue, physique et morale, commence à se faire ressentir. Les journées, terriblement longues, se suivent et se ressemblent : marcher, manger, dormir, marcher...
La caravane s'étire entre une dizaine de dromadaires, des marchands-nomades et quelques sorciers qui ont monnayé tout comme moi leur escorte vers un village reculé. Notre marche démarre tôt, dès le petit matin, parfois ponctuée de pauses quand le soleil se fait haut et impitoyable, puis elle reprend jusque tard dans la soirée pour profiter d'une relative fraîcheur.
Le patriarche, en tête de file, la peau tannée par le soleil et la barbe blanchie par l'âge, nous guide à un rythme régulier, sans un mot. Il s'arrête parfois pour observer l'étendue désertique, les yeux plissés comme s'il évaluait des choses imperceptibles au commun des mortels, et décide parfois de changer légèrement de cap. C'est lui qui rythme nos avancées et nous impose nos temps d'arrêt. Un autre sorcier protecteur ferme la marche et reste aux aguets d'éventuelles attaques de pirates du désert.
Les tempêtes de sable soudaines sont les premières ennemies à éviter, ensuite ce sont les dragons des sables.
Le patriarche, dès le premier soir, nous a prévenus que les derniers dragons sauvages rôdent encore dans cette contrée. Ils sont le plus souvent inoffensifs, mais il suffit de troubler leur sommeil, enfouis dans le sable, pour qu'ils attaquent alors sans discernement.
C'est le deuxième jour que la caravane a subi son premier affrontement non désiré : les dunes se sont soudain mises à trembler sous nos bottes, le patriarche a crié des directives dans son dialecte rocailleux et chacun des sorciers s'est savamment positionné autour de la caravane. Les sorciers ont frappé le sol de leurs hauts bâtons sculptés - que je pensais de simples bâtons de marche. De larges boucliers runiques se sont déployés autour de nous tandis qu'un long dragon aux écailles ensablées émergeait du sable. Il était assez proche pour que je remarque les pics acérés le long de sa crête et des griffes redoutables. L'immense créature a secoué une tête endormie, l'air dérangé de notre passage, a soufflé fort pour dégager le sable de ses naseaux et s'est redressé sur ses pattes pour nous jauger. Par réflexe, quelques voyageurs ont sorti leurs baguettes dans la panique de l'instant, moi y compris, mais les sorciers des sables ont fait signe de ne pas attaquer, ce serait inutile. Ils se sont contentés de répéter une litanie de sorts en brandissant leurs bâtons, l'un d'eux frappait en rythme sur un gong sourd et, au bout de quelques minutes de flottement, la tension à son comble, le dragon des sables s'est détourné pour aller ramper plus loin dans les dunes et fuir le bruit et les vibrations magiques provoquées à dessein. Les sorciers-nomades sont restés quelques minutes sur le qui-vive afin de s'assurer que la fuite de la bestiole était définitive, puis chacun a retrouvé sa position dans la caravane et le patriarche a repris sa marche lente et pénible.
Les marchands ambulants ne sont pas bavards, chacun préserve son souffle et ses forces au fil de la journée.
Les autres voyageurs de ma trempe avancent aussi en silence, le nez concentré sur leurs pas, renouvelant ces efforts épuisants dans le sable dans lequel nos pieds s'enfoncent constamment. À un moment, l'un d'entre eux a pris l'initiative d'enchanter des ombrelles magiques pour les faire flotter au-dessus de nous et nous apporter un peu d'ombre, mais un des sorciers a rapidement défait le sort d'un geste. Trop dangereux, semble-t-il avertir dans leur langue, des clans de sorciers pirates pourraient nous repérer de loin et lancer une attaque contre la caravane de marchandises...
Le patriarche reste à l'affût, au fil de notre marche, et le reste du trajet se fait sans encombre.
Ce soir-là, les sorciers protecteurs de la caravane invoquent une large bulle qui vibre autour du camp de fortune, ils lancent une ribambelle de sorts, avant d'allumer un petit feu discret pour faire bouillir quelques racines qu'ils distribuent à chacun avec une ration de viande séchée.
Chacun mange en silence avant de déplier son duvet ou sa tente à distance raisonnable les uns des autres, tout en restant au cœur de la bulle protectrice. Au-dessus de nous, les étoiles s'éparpillent par milliers, et je me sens soudain terriblement seul sous cette vaste voie lactée. Un étrange sentiment de solitude me serre la gorge alors que j'ai pourtant l'habitude d'être seul. Depuis toujours, même au cœur d'une foule ou d'un groupe d'amis, j'ai l'habitude de me sentir à part, incompris... J'ai appris à faire avec. Mais cette nuit, la sensation est nouvelle : comme s'il manquait une pièce à mon puzzle interne qui pourrait de nouveau me faire me sentir entier.
*
Au bout du troisième jour de marche, la caravane atteint sa première oasis. La découverte est surréaliste au milieu de rien. Pourtant, un campement sédentaire s'est bien organisé autour d'une source d'eau. Des plantations s'étendent autour d'un système d'irrigation, des arbres fournissent une ombre miraculeuse au milieu de tout ce rien. Dès notre arrivée, un sorcier-rétameur nous alpague pour nous vendre ses services : de meilleures gourdes à vendre, réparation de chaussures, repriseur de cape, soigneur de coups de soleil, revendeur de fioles revigorantes... Même en plein désert, les affaires reprennent !
Sous la grande tente principale s'est installé un semblant de café où les voyageurs viennent prendre un repos bien mérité. Plus loin, des sorciers dessellent les dromadaires et s'occupent de soigner les bêtes. Jusqu'au soir, chacun vaque à ses occupations dans ce petit village sorcier planté au milieu des dunes. Le patriarche vient m'informer que la caravane atteindra ma destination le lendemain. Il m'indique sur ma carte l'oasis où l'on se trouve, puis le village en question afin que je puisse transplaner seul et en sécurité, une fois mes affaires terminées. Je le remercie d'un hochement de tête, mais une chose après l'autre. On verra dans quel état je reviens. Si j'en reviens...
*
Le lendemain, le reste de la caravane ne ralentit pas le rythme quand nous dépassons les ruines du temple qui indique l'entrée du village qui m'intéresse. Le patriarche me serre l'épaule et me souhaite bonne route, avant de regagner la file des autres sorciers. Là, au milieu du désert, se dressent des vestiges d'anciens piliers, couverts de runes. Les pierres ocre, couleur sable, rendent l'ancien édifice indécelable à l'œil nu. Il faut ensuite contourner la colline rocailleuse sur une centaine de mètres pour atteindre le campement, niché au pied de rochers.
Je quitte le semblant de chemin pour atteindre le village à revers et bientôt je repère quelques tentes montées qui se fondent parfaitement dans la masse du désert.
J'avance lentement, profite des rochers dispersés autour de la petite colline pour observer les allées et venues du village nomade : une tente commune, d'autres plus petites, des sorciers enrubannés qui s'affairent sur des tâches quotidiennes. Rien d'anormal. De l'autre côté, des sorciers semblent quitter le village par petits groupes réguliers. Je contourne l'amas rocheux pour les suivre vers un semblant de temple à ciel ouvert, abîmé par le temps et les tempêtes de sable.
Je m'agenouille à distance raisonnable derrière des rochers pour observer le tableau. Plusieurs sorciers patientent à cet endroit précis et semblent attendre le début d'une cérémonie. Je sors de ma besace mes multiplettes et les ajuste pour comprendre leur manège et enregistrer des preuves si besoin.
Je porte la main à l'amulette autour de mon cou pour que Nigel et sa brigade puissent localiser mon emplacement. Ils n'interviendront à mon signal seulement si je les préviens.
Pendant de longues minutes, peut-être même une heure, quand le soleil commence à décliner, le groupe commence à s'agiter. L'un des sorciers ouvre un coffre et dispose des runes au sol dans un schéma savamment étudié. J'ai noté que ces sorciers n'ont effectivement pas de baguette, mais l'un d'entre eux, le plus âgé, semble-t-il, se déplace avec le même genre de bâton sculpté que les sorciers-nomades de la caravane. Ces vieux bâtons de mages - qui n'ont décidément rien à voir avec des bâtons de pèlerins - sont rares de nos jours en Angleterre, mais ils servent pourtant à canaliser la magie aussi bien que des baguettes, plus discrètes.
Je zoome sur le vieux sorcier qui s'apprête à diriger la cérémonie : son bâton est sculpté dans un bois noir et précieux et, au bout de l'ouvrage, un orbe y est incrusté. Dans le globe magique, des volutes noires aux reflets pourpres tournoient lentement. Je m'approche encore un peu en me dissimulant tant bien que mal, mon cœur tambourine fort contre mes tempes. Mon intuition serait-elle bonne ?
Drainer des miettes de magie noire dans des reliques inintéressantes, accumulées à d'autres miettes de magie, pendant plusieurs mois voire des années a pu leur permettre d'engranger une puissance de magie tout à fait respectable.
Rien d'aussi dangereux qu'un mage noir mégalomane à l'âme divisée, mais le rituel que ces sorciers s'apprêtent à lancer est à prendre au sérieux.
Ils s'affairent à disposer au sol des runes dans ce qui semble être un pentagramme. Si j'ai des lacunes à propos des bâtons de mage, je connais en revanche la puissance des runes : bien utilisées, elles peuvent suffire à canaliser un rituel.
Quand un sorcier dépose une dernière rune pour fermer la figure géométrique, des ondes magiques se mettent à vibrer. Tout comme au contact de la magie noire, impossible de définir précisément ce ressenti, mais l'air est soudain saturé de magie.
Tandis que j'essaie de me rapprocher, afin de mieux observer leurs manigances sans être vu, des incantations s'élèvent en chœur dans un bourdonnement inquiétant. Les sorciers se sont disposés en cercle et récitent des phrases incompréhensibles, tels des psaumes. L'un des sorciers tient entre ses mains un vieux grimoire - celui de Nectanébo à coup sûr - et le chant des autres sorciers disposés en cercle fait vibrer le tissu de notre réalité. Soudain, un voile évanescent se matérialise au centre du cercle.
Mon cœur bat la chamade. Il n'est pas aussi grand et net que celui du Département des Mystères, mais un voile fin et grisâtre se dessine, suspendu dans l'air, comme un portail instable. Vont-ils réussir à ramener des défunts dans notre monde ?
Leurs incantations durent des plombes et je ne me suis pas encore décidé à lancer le signal d'alarme à Nigel. Pour l'instant, je n'ai toujours aucune preuve d'un rituel lié à la magie noire, et peut-être que ce sont de simples illuminés comme Nigel le pensait...
Au bout d'un moment, alors que je commence à avoir des crampes à force de rester accroupi, la couleur des ondes dans l'air change subtilement et un homme sort difficilement du voile. Je me redresse complètement, sans arriver à canaliser l'excitation qui me traverse. Ils ont réussi ! Je chausse mes multiplettes, mais ce que je pensais être un homme se révèle être une créature hideuse au corps décharné. Elle ressemble aux Inferni du lac souterrain qui ont longtemps hanté mes cauchemars. Sa peau en lambeaux se défait sur ses os et des touffes de cheveux s'accrochent encore à son crâne blanchi. La puanteur ne tarde pas à suivre ce spectacle répugnant, l'horreur me soulève le cœur.
Avant que je ne me décide à intervenir, la chose tombe misérablement à genoux dans un bruit d'os brisés. Elle essaie tout de même de ramper dans un gargouillis et finit par s'affaisser dans le sable.
Je réalise, horrifié, que cette expérimentation ne doit pas être la première, vu que cet échec ne les ralentit pas. Deux sorciers se chargent d'évacuer les restes de la chose inhumaine, jusqu'en dehors du pentagramme, tandis que les autres poursuivent leur litanie, imperturbables, face au voile de la mort.
Je me rapproche encore et tends l'oreille pour essayer d'entendre les voix qui se cachent là derrière. Mais je n'entends que les incantations glaçantes des sorciers suivis des borborygmes ignobles d'un autre cadavre en décomposition. Celui-ci dure un peu plus longtemps que le premier avant de tomber raide à son tour sous les regards indifférents des sorciers.
Au troisième, je ne peux plus le supporter : je sors ma baguette et achève directement la créature pour lui accorder la paix un peu plus rapidement. Les sorciers ne comprennent pas tout de suite ce qu'il se passe et je profite de l'avantage de la surprise pour fouler les runes à mes pieds et briser le pentagramme. Les sorciers commencent à chercher la cause de cette interruption et je réussis à en neutraliser un, puis deux, sous l'effet de surprise, avant qu'ils se mettent à se défendre. Certains ripostent à coups de sorts, d'autres avec leurs poings et leurs machettes. Certains préfèrent la fuite et je me sens débordé, je n'arriverai pas à tous les neutraliser ! Je réussis à intercepter et immobiliser la plupart, mais je perds rapidement de vue le sorcier qui possède le bâton à l'orbe et le grimoire de Nectanébo ! Je pousse un juron entre mes dents : avec le bâton de mage comme catalyseur, il leur suffira de reprendre quand ils veulent leur morbide rituel.
Je porte la main à l'amulette pour lancer le signal à Nigel et les membres de sa Brigade transplanent dans l'instant dans des plop sonores. Quelques secondes s'écoulent le temps d'évaluer la situation, mais rapidement les officiers se déploient pour encercler les lieux. Des sorts fusent pour stopper et désarmer les disciples à terre et ceux en fuite. Dans la bataille, l'un des disciples me prend par surprise à coups de sabre. J'esquive au mieux, mais je sens sa lame m'atteindre à travers les couches de tissu, puis un coup de bâton à la tempe me fait vaciller. Un autre coup dans le ventre me coupe le souffle et me met à terre. Quand je me relève péniblement, la brigade de Nigel a fait le ménage et la plupart des disciples sont ceinturés au sol et immobilisés par des liens magiques.
Le voile de la mort a disparu au moment même où j'ai brisé le pentagramme. Quelques officiers sont penchés autour de ces runes inconnues pour sécuriser leur perquisition et leur analyse.
Plusieurs officiers de la Citadelle commencent déjà à disparaître dans des plop en transplanant avec les disciples faits prisonniers. Je m'autorise alors à reprendre mon souffle, plus calmement, conscient d'avoir interrompu un important rituel de magie noire.
Et puis, une poigne sur mon bras, le crochet désagréable me tire le nombril et m'aspire, et quand je bats des paupières, nous sommes sous une bâche de tissu tendu au cœur de l'oasis verdoyante où la caravane des sorciers nomades m'avait laissé.
J'entends l'eau du puits qui ruisselle dans la mare, les oiseaux piaillent dans les branches des arbres, des dromadaires s'abreuvent au cours d'eau. Drago lâche ma main et prend le temps de s'épousseter. Un long chèche lui entoure la tête pour le protéger du sable et de grosses lunettes en cuir masquent ses yeux clairs pour les dissimuler du soleil impitoyable.
Soudain, la réalité me percute. Drago est là, au milieu du désert et je n'arrive pas à déterminer si je suis heureux ou agacé.
— Qu'est-ce que tu fiches là ?
Il fait quelques pas pour poser sa lourde besace sous la tente, en sort une outre d'eau dans laquelle il puise une gorgée.
À l'abri de la grande tente ombragée où les autres voyageurs se reposent, il défait son chèche pour libérer sa natte, remonte ses lunettes de cuir sur le haut de son crâne. Tandis qu'il papillonne des cils pour s'habituer à la luminosité sans filtre, une drôle de sensation tourbillonne dans mon ventre.
— Dis-moi, comment tu m'as retrouvé au milieu de nulle part ?
Il se contente de hausser les épaules.
— Je suis peut-être nul sur le terrain, mais je sais remonter une piste, figure-toi !
Il me tend sa gourde, pour que j'en boive une gorgée à mon tour. J'ai envie de la refuser, juste par principe, mais l'eau fraîche sur ma langue sèche est une bénédiction.
— Et, accessoirement, Nigaud connaissait ton emplacement grâce à ton amulette...
Je porte la main au collier-traceur que Nigel m'a confié quelques jours plus tôt.
— Tu veux dire que Nigaud - Nigel ! - a accepté de t'aider ?
— Dans tes rêves ! J'ai dû le molester un chouia pour qu'il daigne me transmettre les coordonnées de ton emplacement...
Je fais quelques pas en dehors de la tente pour tenter d'apercevoir Nigel et constater les dégâts faits par Drago, mais il n'y a aucune trace des officiers de la Citadelle dans l'oasis. Peut-être est-il resté au village des disciples pour boucler les arrestations ?
— Il va bien, assène Drago en devinant que je le cherche. Possible que je l'ai quelque peu malmené quand il a refusé que je me joigne à sa brigade d'intervention, mais il s'en remettra ! J'ai ensuite dû trouver un marchand dans le souk qui accepte d'enchanter un portoloin de pacotille pour venir jusqu'ici puis transplaner vers le village...
Il jette un regard à la ronde, comme s'il découvrait enfin l'oasis refuge qui nous entoure.
— J'ignore où on est exactement, mais pourquoi tu n'as pas fait la même chose, en transplanant directement jusqu'à cette oasis ?
Je serre les dents pour ne pas riposter, mais c'est plus fort que moi . À quel moment exactement j'ai cru que sa présence m'avait manqué ? De retour, depuis à peine deux minutes, il est déjà insupportable, à croire pouvoir faire mieux que moi ?
— Figure-toi que je voulais la jouer discrète ! Pas débarquer en portoloin au milieu de nulle part, en prenant le risque d'être repéré par les marchands installés ici. J'avais aucune idée si certains de ces sorciers nomades n'étaient pas complices avec les disciples ou s'ils ne se seraient pas fait un plaisir de me vendre direct. Et puis, j'ai pas confiance en ces portoloins trafiqués, on ne sait jamais si on ne va pas se retrouver à l'autre bout du monde, ou pire...
Drago m'écoute râler en retenant un sourire. Il sort d'une poche de sa besace un bout de tissu propre, l'imbibe de désinfectant et me le tend.
— Pose ça sur ta tempe, Tête de Noeud.
Ce n'est qu'à ce moment-là que je remarque le sang chaud qui coule de la blessure où la crosse du bâton m'a atteint.
— Parfois ça vaut le coup de faire confiance, tu sais...
— Tss, à d'autres ! Qu'est-ce que tu fiches là du coup ? T'avais pas à revenir, tu pouvais retrouver ton bureau confortable, tes étudiants en pâmoison et tes plantes adorées...
Il secoue la tête comme si je l'agaçais déjà, mais ses lèvres tressaillent dans un demi-sourire.
— Tu t'inquiétais ou quoi ?
— Fais pas chier, Potter. On a commencé cette enquête ensemble, on la finira ensemble. Tiens, bois ça, dit-il en me tendant une fiole.
Je la détaille. Il joue peut-être l'indifférence, mais la potion revigorante qu'il me tend est complexe et il a clairement pris le temps de la concocter sur son trajet de retour.
Je la garde au creux de ma main, pas certain d'en avoir réellement besoin, mais ça n'empêche pas Drago de me détailler et de grimacer en avisant les multiples bosses et estafilades reçues pendant les combats.
Son inspection attentive m'impressionne toujours un peu, il est si délicat et professionnel quand moi j'improvise à l'arrache au jour le jour.
— Tu me racontes ce que j'ai raté ou t'attends que je te le demande ?
Il a les traits tirés, des grains de sable au coin des yeux, des épis indisciplinés s'échappent de sa longue natte et sa robe, si impeccable habituellement, est toute froissée. Je l'ai rarement vu aussi peu soigné et cette dégaine négligée le rend bien trop attirant.
— Toi d'abord. Tu as vu Ron ?
— J'ai posé ma question en premier.
— Rien à foutre, tu as pu lui remettre les preuves ?
— Qu'est-ce que fichaient ces sorciers-nomades, du coup ?
— Tu as pu atteindre Londres en toute sécurité ?
— Est-ce que ton intuition sur les reliques de magie noire était bonne ?
— Ron a pu mettre les preuves en lieu sûr ?
Il me détaille en soupirant, laisse passer quelques secondes, et fait claquer sa langue d'un air agacé.
— Oui.
Il jette un œil autour de nous. Dans la grande tente, les marchands et les voyageurs de passage discutent en nous ignorant. Juste à l'extérieur, des sorciers soignent les montures et d'autres préparent le repas au-dessus d'un feu.
Drago me fait signe de l'accompagner faire quelques pas dans l'oasis pour s'éloigner d'éventuelles oreilles curieuses.
Tandis qu'il me raconte son trajet retour à sauts de portoloins puis son entrevue avec Ron et Hermione, j'avale sa potion revigorante sans broncher. Je note qu'il y a ajouté une touche d'arôme chocolat parce que je lui avais reproché que sa potion de sommeil avait un goût de plante dégueulasse.
Les effets revigorants me requinquent rapidement : j'ai l'impression d'avoir vingt ans à nouveau et une forme olympique, le frisson de l'aventure et l'excitation de l'inconnu me courent dans les veines, et une chaleur s'étend dans ma poitrine à l'idée de pouvoir marcher dans le sable aux côtés de Drago. Pas certain pour autant que ce dernier effet soit dû à la potion.
— Et toi, raconte ! lance-t-il.
Alors je lui résume que les disciples de Nectanébo ont probablement drainé des bribes de magie noire, patiemment recueillies au fil des derniers mois, pour alimenter un orbe incrusté dans un bâton de mage et, qu'à l'aide de pierres de runes et du grimoire, ils ont réussi à invoquer un portail.
Nos pas nous mènent là où l'oasis redevient dune, on garde le silence quelques instants, les yeux tournés vers l'horizon.
— Ils ont réussi à faire traverser une créature avant que je ne les arrête...
Je sens le regard inquiet de Drago se poser sur moi.
— ... mais elle n'avait rien d'humain. La chose n'avait que des lambeaux de peau sur ses membres décharnés et ses gémissements étaient pitoyables à entendre... Elle n'a pas survécu bien longtemps de ce côté du voile.
— De la nécromancie... résume Drago en grimaçant.
Je déglutis péniblement, honteux d'avoir ne serait-ce qu'espéré ainsi ramener Sirius d'entre les morts.
— Le sorcier au bâton-catalyseur a réussi à filer par contre. Il pourra sans doute invoquer de nouveau le portail s'il s'entoure d'assez de sorciers pour son rituel...
Drago reprend le chemin vers le centre de l'oasis et garde le silence un moment. J'ai l'impression qu'il s'en fiche et que la conversation est close, mais il finit par ralentir et se tourner vers moi.
— Nigaud a arrêté tous les autres disciples ?
— Tous ceux qui ont pu être neutralisés, oui.
— Et s'il en relâchait un ? Un des plus loyaux qui serait prêt à revenir sur les traces de son mentor pour poursuivre le rituel ?
— Pourquoi pas, ça peut se tenter. Il faut que j'en parle à Nigel...
Je n'ai toujours pas vu un officier de la Citadelle au cœur de l'oasis. J'imagine que Nigel m'évite, mais j'aurais aimé qu'on débriefe l'intervention...
— Ils ont transplané directement à la Citadelle pour s'occuper des prisonniers, m'explique Drago, visiblement perspicace. Ça peut attendre demain. Il faut que tu soignes correctement ces blessures avant que ça ne s'infecte et accessoirement que tu te reposes un peu, tu n'as plus vingt ans et t'as vraiment une sale tête !
Je m'apprête à riposter pour répondre à sa pique délibérée, mais il me devance.
— Maintenant que tu as la localisation exacte du camp et de cette oasis, on pourra transplaner directement ici.
— On n'est pas certains qu'ils invoquent le portail au même endroit la prochaine fois. Ça reste des sorciers nomades, en réenchantant des runes, et avec le grimoire et l'orbe, ils pourront pratiquer le rituel de n'importe où...
Drago hoche la tête sans même aller au conflit.
— Accorde-toi une nuit de repos, Potter. Ensuite, on présente le plan du disciple à libérer au Nigaud et on avisera selon les agissements du sorcier...
— Attends, tu veux dire qu'on va improviser ?
Il esquisse un rictus tout malefoyen.
— T'emballe pas, ce n'est pas ce que j'ai dit. Je souligne juste que ça ne sert à rien de s'épuiser et de faire des plans à l'aveugle tant que l'on n'a pas de piste concrète.
Je l'observe du coin de l'œil, il a de bonnes idées d'auror pour un potionniste, et je sais qu'il a raison au fond.
Malgré la potion qui m'a redonné des forces pour un temps, je sens la fatigue des derniers jours tapie sous ses effets revigorants. Les entailles sûrement superficielles commencent à tirailler et les hématomes reçus aux côtes se font déjà douloureux. Dès que la potion s'estompera, la douleur va s'élancer dans tout mon corps.
On pourrait rester à l'oasis, poser des questions, essayer de pister le sorcier au bâton à l'orbe, mais Drago a raison, c'est plus simple de revenir à la source des disciples et d'obtenir de l'aide directement des forces locales. Et puis, je dois un rapport à Nigel et à sa brigade.
Drago sort de sa besace une vieille lanterne rouillée et la tend entre nous.
— Rentrons au Caire pour la nuit, Potter.
Je ne peux pas m'empêcher de reluquer le portoloin d'un air méfiant, mais Drago anticipe mes craintes.
— Il est certifié. Est-ce que tu peux me faire confiance sur ce coup-là ? Sinon, je te laisse te retaper la moitié du désert en sens inverse...
Je soutiens son regard déterminé un instant, et tends la main pour me saisir du portoloin.
La sensation est toujours aussi désagréable, mais nous arrivons à bon port dans une zone d'atterrissage autorisée de la Médina. Drago dépose la vieille lanterne en sortant et s'éloigne déjà à grandes enjambées à travers le souk.
— Tu vas où comme ça ?
Drago se retourne en retenant un sourire.
— Je nous ai réservé une chambre. J'ai pensé que tu aurais peut-être envie d'un vrai lit et d'une bonne douche après avoir traîné dans les dunes pendant des jours. Ça convient à Monsieur ou il veut décider dans quel hôtel descendre ?
Je marmonne que ça me va en râlant un peu, juste par principe, et je le suis de mauvaise humeur, il a tout prévu à ce que je vois...
Sa prévoyance est décidément déroutante et j'ai du mal à intégrer ces toutes nouvelles informations : il s'est inquiété, il est revenu et maintenant il est là, à mes côtés. Pendant notre traversée du souk, je l'observe du coin de l'œil, ses lunettes de cuir toujours sur son crâne, les pommettes et le nez rougis par des coups de soleil.
Il a l'air crevé de son voyage, mais il est là, impressionnant et sûr de lui.
De mon côté, j'ai du mal à calmer la sensation qui gonfle dans ma poitrine, et je ne peux pas m'empêcher de me demander quelles sont vraiment ses intentions en revenant jusqu'ici.
***
J'espère que cette petite incursion dans le désert et dans le monde sorcier oriental vous a plu. Perso, plus j'avance dans cette histoire, plus j'ai des idées d'enquêtes pour les faire barouder à travers le monde, mais hé, une chose après l'autre, hein !
A la semaine prochaine...
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