Chapitre 22

Harry.

Je reste adossé quelques secondes au battant de la porte qui s'est refermée sur Drago et je porte mes doigts à mes lèvres, confus. D'où ça sortait ça ? Qu'est-ce qui m'a pris au juste ? J'aurais pu le plaquer contre la porte et nous offrir une dernière branlette agréable, vite fait avant qu'il ne parte pour Londres, pas fondre sur ses lèvres comme un affamé !

La chambre miteuse est soudain vide et des sentiments étranges remontent dans ma gorge. Je m'active pour ne pas les laisser prendre le dessus : j'envoie un message à Nigel pour caler notre session matinale du lendemain et je me plonge dans les notes que Drago a laissées sur Nectanébo le Grand.

Après une journée peu productive et une courte nuit agitée, Nigel me retrouve dans le souk pour me briefer sur les derniers éléments de l'enquête. Il transplane directement devant le café, pose sans délicatesse ses parchemins sur la petite table et fait un geste au sorcier derrière son comptoir pour commander à boire.

Le dossier qu'il est en train de constituer avec la Garde magique est conséquent, il leur permettra de procéder à diverses arrestations locales dès que je lui en donnerai le signal mais, penché au-dessus des cartes et des parchemins qui s'étalent sur la table, son attitude est pourtant distante : il m'en veut d'avoir mis fin de façon inexpliquée à nos baises ponctuelles.

Je ne suis pas certain d'avoir été très délicat et, comme on doit continuer à bosser ensemble, la situation est à présent désagréable au possible.

Sauf que j'aurais dû voir qu'il s'était attaché.

Nos nuits d'ébats sans arrière-pensées auraient dû lui suffire. Je ne me suis pas rendu compte qu'il voulait plus, alors que je n'ai rien à lui offrir.

Et puis... peut-être que Drago a raison. Peut-être que je me suis lassé des personnes qui se contentent de suivre mes directives. J'ai besoin à mes côtés de quelqu'un qui me complète et, Nigel a beau être doué au pieu, il va constamment dans mon sens, sans jamais broncher. C'est agréable sur le coup, mais ça ne me suffit plus.

Il est pourtant encore là, loyal et fidèle, prêt à risquer sa vie pour m'accompagner au cœur du désert.

Sauf que je ne veux pas cautionner ça. Hors de question, j'irai seul. Pas moyen d'impliquer d'autres gens et de prendre le risque d'en voir un recevoir un sort perdu.

Avoir embarqué Drago en filature sans avoir mesuré le danger que ça représentait m'a brusquement rappelé pourquoi je préfère enquêter seul. Je ne suis pas certain de supporter de nouvelles pertes qui seraient de mon ressort.

C'est plus simple de travailler sans acolyte : si ça dérape, si ça foire, si je me prends un sortilège mal contré, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Devoir s'inquiéter pour les autres n'est qu'une faiblesse supplémentaire, un paramètre dans l'équation dont je me passerais bien.

Au-dessus des parchemins, Nigel reste professionnel et me briefe sur le contact qu'il a pu obtenir : un sorcier qui accepte de m'intégrer à une caravane de nomades. Le type est fiable et honnête, il connaît bien le patriarche en tête de la tribu. Le voyage en revanche s'annonce long - entre trois et quatre jours - et il a recueilli peu d'informations sur les potentiels clans que nous pourrions rencontrer dans le désert.

— Tu penses avoir besoin de renforts pendant le voyage ?

Je secoue la tête. J'ignore à quoi m'attendre, mais je préfère ne pas attirer l'attention sur moi. Je ne lui ferai signe via l'amulette qu'en cas de réel besoin. Après que j'aie pris connaissance des profils de son contact et du patriarche en question, étudié les cartes - très peu renseignées - sur la région du désert que je m'apprête à traverser, Nigel ramasse les parchemins, me tends la carte dont je vais avoir besoin et roule les autres dans leur étui. Puis, il fait traîner un peu le verre qu'il est en train de siroter. Sous la table, sa main caresse ma cuisse.

— Ça te dit qu'on se voit, ce soir ? Une dernière fois...

De l'espoir vibre au fond de ses yeux clairs et je me sens mal. Je presse mes doigts sur les siens avant de les retirer.

— C'est pas une bonne idée, Nigel. Sans compter qu'il faut que je potasse mon plan une dernière fois avant le départ...

Mensonge. J'ai aucun plan en tête, juste une destination à atteindre, puis j'improviserai sur place. Comme toujours.

Il se renfonce dans son siège, vexé.

— Comment il s'y est pris ?

— Comment ça ?

— Malefoy. Pour t'amadouer aussi vite. Je croyais que tu pouvais pas l'encadrer...

Je ricane, histoire de masquer mon embarras. Il est tellement à côté de la plaque.

— Il n'y a rien entre Malefoy et moi.

— Le grand Auror Potter n'est décidément pas très alerte ou même carrément aveugle ! Tu me reproches mes sentiments, alors que les siens sont tellement évidents...

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Il te défendrait bec et ongles, et toi tu ne vois rien...

Me défendre ? Malefoy passe son temps à critiquer mes manières de rustre ou à interférer dans l'enquête comme s'il remettait en cause mes compétences. Qu'on se soit rapprochés ces derniers jours ne veut rien dire.

— C'est juste son boulot de m'accompagner.

— Son boulot, c'est de préparer des potions, point barre. Pas de jouer le protecteur. Mais si vivre dans des mensonges te convient...

Nigel fait disparaître l'étui des parchemins dans sa besace.

— Tu sais, j'aurais pu accepter de ne pas être unique dans ton lit. Je sais que je ne suis personne à tes yeux, je ne suis pas stupide...

— Nigel, je ne... tu n'es pas...

— Laisse tomber, Harry. Je te couvrirai et je me tiens prêt avec la Garde à envoyer des renforts dès ton signal. Même si je sais maintenant que sous tes traits de Grand Héros, t'es qu'un sombre connard...

Il se lève et m'abandonne dans le café, sans un regard en arrière.

À croire que Drago a raison. Malgré mes efforts, je ne sais pas faire autrement....

*

D'après les informations de Nigel, les coordonnées du clan qui abrite des disciples de Nectanébo sont gardées secrètes. Son emplacement est uniquement transmis à l'oral, peut-être parce qu'ils ont des pratiques qu'ils préfèrent garder discrètes. Ou peut-être tout simplement parce que c'est un clan nomade qui change de lieux de campements au gré du mouvement des dunes de sable.

Quoiqu'il en soit, se rendre sur place me permettra d'être fixé sur leurs intentions. S'ils n'ont rien à se reprocher, j'aurai juste perdu mon temps ; s'ils pratiquent effectivement un rituel de magie noire, c'est l'occasion d'intervenir directement.

Il est inconcevable de s'aventurer seul à travers le désert, il faut nécessairement avoir un guide pour parvenir jusque dans certaines tribus. Transplaner sans connaître ma destination n'était même pas une option et, les risques d'être désorienté par les mirages, attaqué par les bêtes des sables ou menacé par des clans pirates sont trop élevés : survivre dans l'un des plus grands déserts du monde semble être une tâche périlleuse.

Rendez-vous est donné à l'extérieur de la ville. Le sorcier-marchand repéré par Nigel m'accueille et m'introduit auprès du patriarche qui va diriger la caravane. Une poignée de main et un sac d'or échangés, l'affaire est conclue : nous devrions atteindre la zone du désert qui m'intéresse en deux ou trois jours de marche, selon les obstacles rencontrés. Il me tend une outre remplie d'eau qu'il me conseille de rationner au mieux.

Dans son dos, des sorciers s'affairent aux préparatifs, sur le départ. Certains sellent des dromadaires, d'autres regroupent des marchandises et du matériel de campement dans de grands sacs. Une poignée de marchands patientent sur le côté, en attendant le départ. Comme mes nouveaux compagnons de voyage, je m'enroule la tête dans des turbans, épais mais efficaces contre les assauts du soleil. J'observe du coin de l'œil les quelques voyageurs isolés comme moi, mais mon radar ne s'alarme pas outre mesure : rien que des sorciers-nomades inoffensifs ou des médecins qui se joignent à la caravane pour atteindre des villages isolés dans le désert, des oasis ou des marchés-nomades. Se joindre à cette caravane est le meilleur moyen d'être guidé à travers le désert tout en restant discret. Sans compter qu'ils sont également payés pour assurer la protection des voyageurs.

Bientôt, la caravane des dromadaires se met en branle, les uns derrière les autres, et les voyageurs leur emboîtent tranquillement le pas. Dès la première heure, nous dépassons les antiques pyramides de Gizeh où les grands sorciers pratiquaient des rituels puissants autrefois. Des centaines de moldus s'y pressent aujourd'hui sans même avoir conscience du patrimoine sorcier qu'ils observent. Et puis rapidement, la ville du Caire s'estompe dans notre dos et la caravane s'enfonce dans des dunes qui finissent par nous entourées, toutes identiques à perte de vue.

*

Mes a priori sur le désert sont très vite mis à rudes épreuves, j'étais persuadé qu'il n'y aurait rien à perte de vue.

Alors, certes, il n'y a rien à voir. Mais le rien peut-il être magnifique ? Parce que c'est le cas. Heure après heure, nous marchons à travers des étendues où il n'y a rien, mais où les paysages et les sons changent subtilement au fil de nos pas.

Les dunes laissent place à des sentiers rocailleux, puis à des canyons arides et encaissés. Des renards des sables et parfois des souris discrètes s'immobilisent pour observer les intrigants voyageurs que nous devons leur sembler. La végétation se fait rase, mais quelques arbustes réussissent à pousser sur ce terrain improbable. Et puis le ciel, bleu et immense, nous entoure à perte de vue.

Au bout de plusieurs heures, quand le soleil se fait impitoyable au plus haut dans le ciel, le patriarche en tête de la caravane nous accorde une pause sous l'ombre d'un piton rocheux. Et puis, trop vite, nous reprenons notre longue marche à travers ce grand rien.

Le soir, quelques ruines offrent un abri de fortune pour notre camp, sans doute les murs d'un ancien village, mangé et abandonné par l'avancement du désert. Le soleil se fait rasant sur l'horizon ensablé, les températures redeviennent acceptables et le repos est accueilli par les voyageurs avec des soupirs de soulagement. Des tentes discrètes sont montées au ras du sable, un sorcier s'occupe d'allumer un petit feu sur lequel il prépare un repas frugal.

Je m'accorde quelques gorgées d'eau qui apaisent mes lèvres gercées, je masse mes jambes douloureuses par cette journée continue de marche et j'essaie d'ignorer la sueur qui colle dans mon dos, la toilette sera sommaire pour économiser l'eau.

Et puis, une fois les gamelles vides, chacun s'installe dans son sac de couchage à même le sol, sous une toile tirée.

Je me surprends à penser que Drago n'aurait pas supporté cette chaleur et ce manque de confort. Il aurait passé son temps à râler et c'est une bonne chose qu'il soit rentré. Et puis, lentement, les dernières lueurs du soleil sont remplacées par des teintes d'encre. La nuit se fait noire et les premières étoiles se mettent à scintiller par milliers, loin de toute pollution lumineuse, et j'en viens à songer que ça lui aurait sans doute plu, cette voûte céleste immaculée.

J'essaie de le chasser de mes pensées parce que ce n'est franchement pas le moment, au milieu de rien mais, de fil en aiguille, je repense aux mots de Nigel. C'est difficile de comprendre notre étrange relation depuis l'extérieur : on passe notre temps à s'envoyer des piques avec Drago, c'est ce qu'on a toujours fait. Autant dire que le moindre échange cordial peut passer pour de l'amitié, ce qui est loin d'être le cas. Je sais qu'il ne me porte pas dans son cœur. Quoi qu'il en dise, le pardon n'est pas si facile.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que ses retrouvailles ont été déroutantes.

Retrouver un Malefoy si différent a même été plutôt douloureux.

C'était plus simple de le fuir, de claquer la porte sur cette proximité soudaine et forcée, et d'aller errer une partie de la nuit dans le Grand Bazar ou à travers le souk pour calmer la colère et le sentiment d'injustice que Malefoy me faisait ressentir.

Parfois Nigel m'y retrouvait, parfois un autre joli garçon rencontré au hasard. Avec eux, les questions arrêtaient de se bousculer dans ma tête : pas de culpabilité, ni de remords. Juste le plaisir de leur bouche sur ma peau, de leurs lèvres sur mon sexe et de leurs fesses qui claquent quand je les prends sans réfléchir.

Avoir envie de Malefoy est juste une erreur de parcours.

Une erreur que j'aurais pu éviter.

S'habituer à sa présence, à sa patience si agaçante et à ses manies psychorigides insupportables, pourquoi pas.

Mais j'aurais jamais dû le laisser me branler la première fois. Le sexe décomplexé est toujours appréciable mais, avec Malefoy, il y a toujours un fond de sentiments qui se télescopent au fond de moi et qui me rendent amer.

J'aurais dû l'envoyer balader et redéfinir les limites de notre collaboration.

Peut-être qu'il ne cherchait qu'à me provoquer ce soir-là. Peut-être qu'il voulait seulement expérimenter, lui aussi, le Grand Potter.

Est-ce qu'il voulait juste connaître des détails glauques à partager aux paparazzis les plus offrants ? Savoir quel goût j'avais. Connaître la longueur de mon sexe. Me considérer comme un trophée à décrocher...

J'essaie de calmer les pensées insidieuses qui tournoient toujours trop vite dans mon esprit. Je me répète que l'on n'est pas suivis ici et que ça ne ressemblerait décidément pas à ce nouveau Malefoy.

C'est reposant de ne pas être constamment sur le qui-vive, mais ça reste compliqué d'oublier les précautions habituelles. Difficile de calmer les suspicions et de faire confiance aveuglément, les vieux réflexes ont la vie dure.

Si être loin de Londres est reposant, côtoyer Malefoy est une toute autre forme de torture.

Impossible de vivre avec lui sans me demander comment il a fait pour changer à ce point. Qu'est-ce qu'il s'est passé pour lui après Azkaban ? Pourquoi je n'y ai pas eu droit, moi aussi, à cette nouvelle sérénité si troublante ?

Il se pavane, tellement calme, réfléchi et posé. Tout l'inverse de moi ! Sans compter qu'il a l'air de cumuler : père présent et aimant, potionniste hors pair et appliqué, binôme fiable et discret...

Quelle plaie toute cette perfection constamment étalée devant mes yeux !

Je me frotte les yeux et me retourne dans mon sac de couchage sur le sol inconfortable.

Il faut que j'arrête de penser à lui, ça ne rime à rien ! Malgré cette nouvelle complicité déroutante qui a grandi au fil des semaines, il n'était finalement qu'une épine dans mon pied, un caillou désagréable dans mon quotidien bien huilé. Le renvoyer à Londres, en sécurité, était de loin la meilleure décision à prendre.

J'imagine qu'il doit être soulagé d'être rentré au pays : plus de contraintes, ni de contrat et de mission absurde.

On ne reparlera sans doute jamais de cette étrange parenthèse et c'est peut être mieux comme ça, tout va redevenir comme avant...

***

J'espère que ce changement de point de vue n'est pas trop déroutant.
Il reste 5 chapitres, on va avancer dans l'intrigue pour boucler tout ça, tout en suivant les cogitations de Harry sur sa cohabitation forcée avec Drago - et oui, contrairement à ce que pense Harry, Drago va revenir, évidemment, pas d'inquiétudes ! 

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