Chapitre 20

Quand les lueurs matinales s'infiltrent à travers le volet, je prends conscience de la masse sur le matelas à mes côtés avant de réaliser que c'est Potter, dans mon lit, et qu'il prend toute la place.

Il respire profondément, alors j'éloigne avec prudence mes pieds de ses mollets bien trop proches, pour éviter de le toucher, et j'essaie de me souvenir de ce qu'il s'est passé la veille.

Je me tourne lentement pour l'observer alors que je devrais juste le virer manu militari et récupérer la couverture qu'il s'est largement appropriée. Il dort sur le dos, un bras au-dessus de la tête, la bouche légèrement entrouverte.

Ses rides d'expression, constamment contrariée, disparaissent quand il lâche enfin prise. Ses traits ainsi détendus le rajeunissent de quelques années. Sans ses lunettes, il a un air vulnérable des plus troublants.

Puis j'essaie de me concentrer sur ce qui s'avère important : il ne s'est rien passé.

Rien dans ce lit en tout cas, j'en suis certain.

Je note mentalement que je porte encore mon pyjama en soie, et Potter son t-shirt informe.

Je bascule lentement pour m'asseoir et quitter ce lit qui n'est plus le mien quand les vieux ressorts grincent et tirent Potter de son sommeil.

Il papillonne des cils, se frotte le visage pour reprendre ses esprits, avant de jeter un regard circulaire à la petite chambre et à la banquette qu'il a visiblement abandonnée dans la nuit. Il se redresse et se penche à la recherche de ses lunettes sur la table de nuit.

— Désolé, je pensais pas m'assoupir, et cette foutue banquette me tue le dos...

Le Grand Potter n'a clairement plus vingt ans et il est presque rassurant de constater qu'il est humain et lui aussi en proie aux courbatures des nuits inconfortables.

Je choisis de ne pas monter au créneau de bon matin. Le lit est assez grand pour deux tant qu'il n'empiète pas de mon côté. Et s'il arrive enfin à dormir un peu, c'est plutôt une bonne chose.

Et puis, ce n'est pas si étrange de se réveiller aux côtés de Potter.

J'avais presque oublié combien c'est réconfortant d'avoir une présence à ses côtés au réveil.

J'ouvre le volet ciselé pour aérer la chambre, puis je m'enferme dans la petite salle d'eau pour me changer.

Quand j'en sors, Potter a arrangé la couverture du lit et disposé de quoi grignoter sur la petite table. Un petit oiseau-messager piaille à la fenêtre tandis que Potter parcourt un parchemin tout juste déroulé.

Je me sers une tasse de café et tire la chaise pour m'installer à mon bureau.

Je porte la boisson infecte à mes lèvres et l'observe en train de mâcher sa tartine comme si rien ne s'était passé la veille.

Peut-être que ce n'était rien pour lui.

Une fois sa tartine terminée, il tapote le parchemin déroulé sur la table, sur lequel sa tasse a laissé une marque et où des miettes de pain s'éparpillent.

— Nigel m'informe qu'il a remonté la piste de l'entrepôt et qu'il a trouvé des choses intéressantes. Tu veux m'accompagner ?

La surprise manque de me faire avaler mon café de travers, mais je retiens toute remarque.

Je pose ma tasse dans sa coupelle et m'essuie la commissure des lèvres, avant d'accepter son improbable invitation.

— Je veux bien. Est-ce que tu penses avoir besoin de la potion ?

— Je ne pense pas, mais si elle est prête, prends-en une dose, au cas où...

Puis il se lève sans un mot, et va s'enfermer dans la salle de bains pour prendre sa douche.

Quand il en sort, il se trimballe à moitié à poil, sa serviette nouée autour de la taille, pour récupérer les fringues qu'il a oublié de prendre avec lui. Retour à la normale...

On ne parlera donc pas de ce qu'il s'est passé. Noté.

Contrairement à ce que je craignais, il n'y a pas de malaise. Comme si cette étrange parenthèse de plaisir charnel était normale dans notre monde. Il n'y a pourtant rien de normal entre nous. La normalité n'est absolument pas le terme qui qualifierait notre relation.

Cependant, Potter ne semble ni en colère ni agacé ce matin, alors je ne prends pas le risque de le confronter.

*

Nigaud nous a donné rendez-vous dans un bar à chicha où les volutes de fumée âcre sont suffocantes dans la semi-pénombre. Chaque table, isolée dans un renfoncement, offre la discrétion recherchée par la clientèle.

Potter et Nigaud se passent le narguilé en tirant quelques bouffées à tour de rôle et Nigaud ricane quand je le refuse d'un geste.

Rien à foutre de son avis, j'ai passé l'âge d'être aussi influençable juste pour faire comme les autres !

Entre deux bouffées, Nigaud raconte que sa brigade a réussi à accéder au cadastre des entrepôts, le plan des différentes parcelles, et qu'ils ont pu identifier les propriétaires des bâtiments.

— Tout ce lot appartient à la Global Wizard Trade, dont le directeur est Aiden Rowland. Apparemment, ce type possède plusieurs entrepôts dans la ville. Officiellement pour y entreposer des marchandises dans le secteur de l'import-export de biens.

Je grimace, ce type est partout. Pour autant, inutile d'en tirer des conclusions trop hâtivement.

— Est-ce qu'il se pourrait que la Global Wizard Trade se fasse manipuler par la Guilde des Voleurs et que leur entrepôt ne soit squatté sans qu'ils le sachent ?

— Non. On a la signature d'un contrat de sous-traitance entre la compagnie anglaise et un marchand de la Guilde des Voleurs pour qu'il supervise la gestion et la logistique des stocks. Il est d'ailleurs grassement payé en gallions britanniques et, vu le profil du type avec qui ils traitent, ils savent que ce qu'ils font est illégal. Il n'y a pas moyen qu'ils n'aient pas connaissance du contenu de l'entrepôt...

Nigaud se tourne vers Potter pour avoir son avis.

— Ce Rowland, ça te parle ?

Je ne peux pas m'empêcher de répondre à sa place.

— Tout le monde connaît Aiden Rowland en Angleterre ! C'est un homme d'affaires puissant et bien placé. Il a un très bon réseau, ce qui lui permet d'intervenir dans les dossiers du Magenmagot et d'y mettre son veto, même si ce n'est absolument pas son rôle.

Mon ton est plus amer que je l'aurais voulu. Potter l'a remarqué puisqu'il se tourne vers moi.

— T'as déjà eu affaire à lui ?

— Pas directement, mais il est en cheville depuis des années avec Tiberius Ogden. Sans surprise, ce n'est jamais Ogden qui prend les décisions finales, mais Rowland.

— Comment tu sais tout ça ?

J'hésite quelques secondes à lui en parler, mais après tout, cela semble lié à notre enquête...

— Au Magenmagot, c'est Ogden qui dirige une fois par an la commission de révision des dossiers des sorciers en probation. Et ça fait quinze ans que Aiden Rowland s'oppose à la levée de certaines restrictions pour les mangemorts repentis. Et Ogden suit religieusement ses directives...

De là à dire que c'est lui qui bloque mon dossier, il n'y a qu'un pas.

Potter semble avoir suivi mon raisonnement. Il sort un stylo moldu d'une de ses poches et commence à griffonner un schéma sur la nappe en papier.

— Je vois. Tiberius Ogden - il écrit son nom en capitales - pourrait être celui au Magenmagot, qui a couvert et même promu Neil Jemkins au Bureau des Aurors. C'est ce NK - il l'entoure plusieurs fois - qui a signé le registre pour sortir les reliques et lui aussi qui s'occupe de leur transit jusqu'à Istanbul. Je n'ai pas encore de preuves directes, mais ce ne sera pas le plus difficile de relier Ogden à Jemkins.

Il écrit le nom d'Aiden Rowland au-dessus, le relie à Tiberius Ogden et le tapote avec la pointe de son stylo.

— Il reste à relier ces deux-là... Je n'aurais jamais parié sur Ogden, il n'a pas le profil du type véreux...

— Tiberius Ogden a... quoi, une centaine d'années maintenant ? C'est un vieillard facilement manipulable. Rowland, lui, a le bras long et des gallions à n'en plus finir. Tu peux toujours trouver une faille pour corrompre quelqu'un...

Il lève les yeux vers moi.

— Tu penses qu'il le fait chanter ou qu'il pourrait agir contre son gré ?

— Je n'en sais rien, je ne connais pas assez ce Tiberius Ogden. Aiden Rowland, en revanche, ça serait bien son genre....

Potter hoche la tête et griffonne quelques mots illisibles sur le papier. Je me sens obligé de mesurer mes propos.

— Ce n'est pas parce que je déteste ce type qu'il est impliqué...

— Mais ses combines puent à des kilomètres à la ronde... ça vaut le coup de creuser !

— Ce type est dangereux et quasiment intouchable, Potter.

— Pour ce que ça vaut, j'ai aussi le bras long et des gallions à n'en pas finir.

Il esquisse un sourire digne d'un gamin pourri gâté qui sait qu'il peut obtenir ce qu'il veut...

— Et puis, accessoirement, c'est ce que je t'ai promis.

Je plisse les yeux, pas certain de le suivre.

— Dans les conditions de ton contrat. Pour que tu acceptes de m'accompagner avec la Memoriae Captiva...

J'ai soudain envie de rire, cette entrevue dans mon laboratoire me semble remonter à une éternité.

— C'était donc du bluff...

Il lève des yeux plus pétillants que d'habitude.

— C'était du bluff, désolé. Mais je tiendrai ma parole, il faut juste qu'on arrive à relier NK et Ogden à Rowland, tout en jouant avec les règles. Et toute cette paperasse imbuvable, c'est exactement ce qu'il nous faut.

Il se tourne vers le Nigaud, resté silencieux pendant nos échanges.

— Est-ce que ta brigade peut creuser davantage ? Des contrats, registres, versements, transactions... pour trouver un lien entre la Global Wizard Trade et le Magenmagot , voire même le Bureau des Aurors.

Nigaud hoche la tête, de mauvaise humeur.

— Ils sont déjà en train d'éplucher tout ça pendant que je vous parle. En attendant, il n'y a aucun rapport avec les sorciers du désert et ce Nectanébo. À mon avis, la piste de Malefoy est foireuse. Ces sorciers-nomades vivent en autarcie dans des clans dispersés dans le désert. Ils n'interfèrent pas dans la vie sorcière locale, ils viennent de temps en temps commercer en ville ou sur les marchés nomades, mais ils vivent à la marge. Ils ont leurs propres coutumes, parlent des dialectes bien à eux, ils ont une façon très primaire de manier la magie. Ils n'ont même pas de baguette comme de vrais sorciers...

Si je pouvais ignorer sagement sa litanie pour démonter ma piste jusque là, sa dernière remarque me fait tiquer et je n'ai pas la force de laisser passer.

— Il n'y a pas de vrais et de sous sorciers...

Nigaud me dévisage dans une moue provocatrice et ricane.

— Tu dis ça pour soulager ta conscience ?

J'inspire et expire calmement. Inutile d'aller sur ce terrain-là avec lui.

— Tous les sorciers ont des fonctionnements différents. Le monde sorcier est riche d'une magie diverse et variée, tu l'aurais peut-être intégré si tu avais été assidu pendant tes cours avancés à l'Académie...

Il me fusille du regard, mais je continue sur ma lancée.

— La magie élémentaire - que ce soit trouver de l'eau, maîtriser le vent, invoquer du feu, ou se protéger - est peut-être basique, mais c'est certainement la magie la plus indispensable pour survivre depuis des siècles en autonomie au milieu du désert. Ça ne fait pas de ces mages des sorciers de seconde classe.

— Ce n'est pas ce que j'ai dit !

— Il me semble que si.

Nigaud est à court d'arguments et préfère jeter un œil vers Potter pour obtenir une quelconque validation.

Celui-ci nous observe en silence sans intervenir.

Je secoue la tête, et me renfonce dans le fauteuil. Je préfère abandonner là cette conversation qui ne va que s'envenimer si je me laisse happer par les remarques du Nigaud.

Celui-ci continue son argumentation auprès de Potter.

— Ce que je veux dire, c'est que pour l'instant, il n'y a pas grand-chose qui relie ces sorciers-nomades avec votre trafic de reliques. Excepté le fait qu'ils commercent via des marchés non autorisés, ce qui n'est pas vraiment un crime notoire. Et puis, sans baguette, ils ne seraient pas très dangereux... Je pense qu'il vaut mieux se concentrer sur la Global Wizard Trade.

— J'entends tes arguments, lui répond Potter en hochant sobrement la tête, avant de se tourner vers moi. Qu'est-ce que tu en penses, toi, de ces sorciers du désert et de l'héritage de ce Nectanébo ?

La surprise me fait cligner des yeux quelques instants, puis je me reprends et me concentre pour rassembler les informations, lues ou entendues, ici et là, et soigneusement épinglées dans mon tableau mental.

— De ce que j'ai lu, Nectanébo n'avait rien d'un grand sorcier. Il n'a rien accompli de véritablement marquant, rien laissé de mémorable. Il a fréquenté de grands sorciers, participé à des négociations délicates, mais il avait plus un rôle de conseiller que de mage puissant. Puis on perd toute trace de ses aventures quelques années après la mort tragique de sa fille.

Potter m'écoute attentivement tout en tirant une bouffée du tabac aromatisé, prend le temps d'assimiler ce que je lui raconte.

— Tu te souviens de ce type qui nous reprochait à demi-mots que son tombeau avait été profané par des archéologues britanniques au début du siècle...

— En réalité, ce n'était pas vraiment son tombeau. Nectanébo, n'était pas assez important pour avoir sa propre sépulture. Il a été embaumé auprès d'un sorcier de guerre duquel il était conseiller. Aujourd'hui, personne ne sait ce qu'est devenue sa dépouille...

— Probablement quelque part dans un musée à Londres d'après ce qu'il disait...

— Il a insinué que des sorciers avaient réussi à rapatrier certaines momies volées d'Angleterre.

— Mais dans quel but ? Autant ramener des trésors, je peux comprendre, mais la dépouille de sorciers ordinaires... Pourquoi ? Qu'est-ce qu'ils recherchaient au juste ?

— Peut-être juste par principe.

— Ça ne tient pas la route...

Potter fronce le nez et se frotte la tempe, il touche du doigt quelque chose - une intuition - qu'il est pour l'instant le seul à percevoir. Alors j'essaie de lui fournir d'autres informations que j'ai glanées au fil de mes lectures.

— Ici, les défunts étaient embaumés avec des objets qui leur seraient importants dans l'au-delà...

Harry se penche vers moi, je peux aisément imaginer les engrenages de ses réflexions s'activer sous ses boucles en bataille.

— Est-ce ce qu'il y aurait eu dans ses affaires, quelque chose qui intéressait les sorciers nomades ?

Je prends le temps de me remémorer les derniers détails de ce que j'ai lu dans mes livres.

— Sur la plupart des illustrations, Nectanébo est représenté avec un talisman et son grimoire sous le bras, comme s'il ne les quittait jamais, mais ni l'un ni l'autre n'ont été retrouvés à ce que je sache...

— C'est sans doute ça !

Son intuition est légère, trop alambiquée, et ne tient pas à grand-chose...

— J'ai des doutes, Potter. Ses travaux tenaient de la lubie d'alchimiste. Ce n'était pas pris au sérieux, même par les sorciers de son époque. Certains contes évoquent son obsession pour les rituels autour du voile de la mort qui l'aurait rendu fou, et ce n'est...

— Répète ça.

Potter s'est figé, penché vers moi, les sourcils froncés.

— Quoi donc ? Un voile de la mort ? C'est une métaphore pour parler...

— Je sais ce qu'est un Voile de la Mort...

Il pose lourdement sa tête entre ses mains et se masse les tempes.

— Je ne savais pas qu'il en existait plusieurs à travers le monde...

Il se penche un peu plus près de moi et baisse sa voix d'un ton.

— Il pourrait être dans le même genre que celui du Département des Mystères ?

Je secoue la tête, pas certain de le suivre dans ses fulgurances.

— Je ne sais pas de quoi tu parles, Potter...

Il peste, se renfrogne, marmonne tout seul et finit par quitter la table sans prévenir.

Nigaud me foudroie du regard, comme si j'avais dit un mot de travers !

On reste un moment à se dévisager en chiens de faïence et, comme Potter ne daigne pas revenir, il se lève à sa suite, plus rapide que moi. Sur le pas de la porte du bar, il passe une main dans son dos, lui chuchote quelque chose au creux de l'oreille, mais Potter secoue la tête, se dégage et s'éloigne dans la rue.

Nigaud revient poser quelques pièces sur notre table et part dans l'autre direction sans un mot.

*

Le retour à l'hôtel miteux se fait en silence, Potter sur les nerfs.

Il défait ses bottes en pestant, retire sa cape et se réfugie dans la petite salle d'eau.

J'essaie de comprendre ce que j'ai dit de travers, mais ce type est impossible à suivre. Quand il sort de la douche, une serviette autour de la taille, pour fouiller dans sa besace, je lui tends volontairement une perche.

— Tu veux en parler ?

— De quoi ?

— De ce qui te tracasse...

Je le laisse marmonner tandis que j'ouvre la boîte de feuilles de thé séchées que j'ai réussi à négocier en traversant le souk. Je la porte sous mon nez et soupire de contentement : ça sent la bergamote comme à la maison, rien à voir avec leur café imbuvable.

— Tu n'es pas obligé de tout garder pour toi, tu sais. Tu n'as pas à porter tous les maux du monde sorcier sur tes épaules...

Il enfile un t-shirt froissé et, devant le grand miroir, se sèche les cheveux à la moldue, en se frottant la tête dans sa serviette, ce qui ne fait qu'empirer le résultat de ces boucles chaotiques.

— C'est ce que j'ai toujours fait, je ne sais pas faire autrement...

Je dépose une poignée de feuilles dans la théière, prépare deux tasses et fais chauffer l'eau.

— Tu n'es qu'un auror aujourd'hui, ce n'est plus ton job depuis un moment de sauver le monde... Ils n'auraient d'ailleurs pas dû t'en demander tant à l'époque.

— C'était la guerre, ils n'avaient pas le choix.

— On a toujours le choix, même quand c'est difficile ...

Il s'assoit sur la banquette étroite et m'observe préparer le thé.

Je verse de l'eau chaude - mais pas brûlante - sur les feuilles, et laisse infuser quelques minutes.

— Tu ne penses pas que tout est déjà écrit ? Que le destin de chacun est gravé dans le marbre ?

Je hausse les sourcils, surpris de la tournure que prend la conversation, mais j'évite de le lui montrer et je me concentre sur le thé qui infuse. Trop longtemps et il sera trop fort...

— Non, je pense qu'on est le résultat de nos décisions. Si tout était tracé, la vie n'aurait pas la même saveur ...

Potter nettoie le verre de ses lunettes dans le tissu de son t-shirt et poursuit sans me regarder.

— J'ai jamais rien décidé par moi-même. Depuis toujours, les autres décident pour moi. Tout s'est enchaîné, année près année. C'était facile de se laisser porter. La seule fois que j'ai fait un choix - difficile - c'est quand je me suis séparé de Ginny. À partir de là seulement, j'ai eu l'impression de commencer une nouvelle vie bien à moi. Et pourtant je fais tout de travers depuis. À croire que je suis pas fichu de faire mes propres choix...

Je verse le thé infusé dans deux tasses et rajoute un trait de lait dans celle de Potter.

— Tu fais ta crise d'ado un peu tard, c'est tout...

Un éclat de rire s'échappe soudain de sa gorge et je me tourne vers lui tant c'est déroutant à entendre. Et bordel, il est encore plus attirant quand ses yeux se plissent dans un rire ! Je me mords l'intérieur de la joue et chasse cette pensée inappropriée.

J'enchante le petit plateau rond que je fais léviter entre nous et m'installe face à lui, sur le bord du lit.

Quand je lui tends sa tasse, il la fixe sans un mot : thé sucré et au lait, comme il aime.

— Raconte, c'est quoi cette histoire de Mystères...

Il souffle sur sa tasse, boit une gorgée, puis une autre en fermant les yeux. Rien de tel que de retrouver le goût d'un vrai thé anglais pour chasser les contrariétés.

Il reste un moment silencieux comme s'il hésitait à me rembarrer, mais c'est trop tard, pas avec sa tasse entre les mains.

Il finit par la reposer sur le plateau, estime peut-être qu'il est temps d'enterrer la hache de guerre entre nous.

— À Londres, il y a une aile au Ministère de la Magie : le Département des Mystères. Tout un sous-sol strictement réservé aux Langues de Plomb. Personne ne sait ce qu'ils étudient, c'est privé et hautement confidentiel...

Il pose ses coudes sur ses genoux qui touchent presque les miens et prend sa tête entre les mains, le temps de mesurer ce qu'il veut bien partager.

— En 5ème année, Voldemort m'y a tendu un piège.

Il lève les yeux vers moi, hésite.

— Lucius y était. Ainsi que Bellatrix et d'autres mangemorts...

C'est pénible à entendre, mais je lui fais signe de continuer.

— Sirius - mon parrain - y est mort en voulant me venir en aide. Pendant un combat avec Bellatrix, il a été touché par un de ses sorts et il a trébuché à travers ce foutu Voile de la Mort...

J'assimile ce qu'il est en train de me confier, les pertes qu'il a subies, les injustices qui l'ont forgées.

— Et ce voile...

— Une sorte de porte entre notre monde et l'au-delà. Je me suis toujours demandé...

Il lève de nouveau un regard incertain vers moi, mais je le laisse poursuivre sans juger ses propos.

— Je me suis toujours demandé ce qu'il y avait derrière, si on pouvait y accéder ou s'il existait un moyen de... j'en sais rien, de ramener Sirius, d'une façon ou d'une autre...

Le sujet qu'il aborde est sensible, terriblement tabou dans la communauté sorcière, même chez les sorciers pratiquant la magie noire.

— On ne revient pas de la mort, Potter. Pas sans perdre une part de son humanité.

Il acquiesce, agacé.

— C'est ce qu'Hermione répétait aussi, mais je les ai entendues ces voix derrière le Voile, j'en suis certain. Et il y a tellement de gens partis trop tôt là derrière...

Il retire ses lunettes, se frotte les yeux.

— Je me dis... j'en sais rien... et si Nectanébo avait trouvé un moyen de le traverser et de revenir ? Tu l'as dit, c'est une tout autre magie de ce côté du monde. Et si le Ministère était intéressé par ses travaux parce qu'il possède son propre voile ?

Il se mord la lèvre et fuit mon regard. Il ne s'est jamais autant confié et je ne veux pas avoir l'air de tourner en ridicule ses propos, ou de gâcher cette confiance qu'on est en train de tisser.

Face à mon silence, il tend la main vers sa tasse de thé, en boit quelques gorgées.

— Tu crois que je suis dingue ?

Je soupire et esquisse un léger geste du genou tout contre le sien qui se veut rassurant.

— Tu ne négliges aucune piste, c'est différent.

Une lueur d'étonnement passe dans ses yeux.

Il y a une tension entre nous, toute nouvelle, loin de la colère et de l'agacement auxquels il m'a habitué.

Est-ce qu'il va tendre la main, m'attirer vers lui pour initier une autre branlette improvisée ?

Je pourrais m'habituer à ses mains pressées autour mon sexe, ses râles de plaisir et son souffle dans mon cou.

Nos genoux restent collés l'un à l'autre, sa serviette - décidément trop courte - remonte sur ses cuisses, offrant un accès privilégié à cette partie de son corps qui n'en finit pas de me tenter.

J'ai un frisson d'excitation rien qu'en m'imaginant tendre la main et remonter doucement le long de sa cuisse pour lui tirer des gémissements de plaisir.

Mon cœur s'accélère, puis je me souviens de la douleur une fois le plaisir passé, l'amertume et le manque.

L'accoutumance n'est jamais une bonne chose, je le sais. Je ne devrais pas vouloir plus, pas comme ça, pas avec un Potter si vulnérable en face de moi.

Je ne devrais pas lui donner l'habitude d'être à sa disposition pour des baises rapides, seulement quand monsieur en a envie, pour combler je-ne-sais-quel-vide. Je mérite mieux.

Alors je me lève, ma tasse en main, pour retourner m'asseoir au petit bureau et je me concentre pour calmer ma respiration.

— Ce Nectanébo essayait peut-être lui aussi de ramener des gens qu'il a perdus - sa défunte fille sans doute - mais crois-moi Potter, quand on manipule de la magie noire, le résultat n'est jamais à la hauteur de nos attentes.

*

Le soir, Potter noircit ses pages de notes quotidiennes dans son carnet, tandis que je me suis installé confortablement dans le grand lit avec un bouquin. Au moment de se coucher, il réarrange les coussins sur le canapé trop étroit, ce qui me fait lever les yeux au ciel.

— Bon sang, viens-là, tu me fais pitié sur ta banquette !

Je me décale, lui écarte les draps du grand lit comme une invitation et il vient s'y glisser prudemment.

— Mais garde tes pieds froids de ton côté, sinon j'te jure que je te vire sans sommation !

Il secoue la tête en souriant, marmonne un remerciement, puis se recroqueville sans un mot en me tournant le dos.

Dans la nuit, longtemps après avoir refermé mon grimoire et remonté la couverture sur moi, je devine à sa respiration qu'il ne dort pas. Je sens au mouvement du matelas qu'il passe sur le dos et son souffle se tourne dans ma direction.

Quelle idée de merde ! Je pourrais me retourner également, rien que pour affronter son regard trop vert et lui demander ce qui l'empêche de dormir. Sauf que ça serait prendre le risque d'une proximité troublante.

Pas certain de savoir retenir l'envie d'approcher mes lèvres des siennes. Pas certain de pouvoir réfréner l'envie de l'attirer pour qu'il se blottisse tout contre moi .

J'inspire et expire calmement pour chasser la tentation qui se fait douloureuse.

S'il tend la main vers moi, je céderai, je le sais.

Mais rien ne vient. Juste sa respiration saccadée si proche de moi.

Impossible de réussir à dormir avec lui dans le même lit ! Et puis, au petit matin, les yeux embrumés de sommeil, je me rends à l'évidence que j'ai dû finir par m'assoupir malgré la présence de Potter à mes côtés.

Quand il s'éveille peu de temps après, il se lève tout échevelé et prépare un semblant de petit déjeuner pendant que je m'habille dans la salle d'eau. Cette nouvelle routine est aussi étrange qu'agréable, et je sais pertinemment que je ne devrais pas m'y habituer.

*

Le lendemain, Nigaud nous recontacte pour nous présenter les preuves liées à l'entrepôt que sa Brigade a pu réunir.

Dans le café où il nous a donné rendez-vous, Potter étale sur la table les différentes preuves : la signature de Rowland sur le bail de l'entrepôt, des transactions financières précises, des copies de registres d'inventaire, et même une signature de NK sur des déclarations de douanes.

Nigaud est plutôt fier du travail de son unité et, même si je ne le porte pas dans mon cœur, je dois bien reconnaître qu'ils ont abattu un boulot colossal qui va nous permettre de prouver les liens entre les différentes personnes impliquées dans le trafic. C'est littéralement la paperasse qui permettra la chute de Rowland.

— Merci, Nigel, répond simplement Potter.

— C'est rien, c'est mon boulot. Je te laisse faire le tien. Ton intuition sur ces disciples qui rachèteraient des reliques n'est pas vérifiable pour l'instant. Et, tant qu'on n'aura pas infiltré l'un de leur camp, difficile de savoir ce qu'il en est. Mais entre nous, Potter, sans baguette, le risque de manipulation de magie noire est très faible.

Potter écarte d'un geste ses arguments.

— J'entends ce que tu dis, mais Malefoy a raison. Il y a bien d'autres façons de canaliser la magie que celle qu'on nous enseigne à l'École de Magie : bâton de mage, talisman, grimoire, runes... Les baguettes ne sont qu'une option - très pratique - et démocratisée dans le monde sorcier occidental.

Nigaud n'argumente pas, Potter reste distant et se contente d'éplucher les liasses de parchemin étalées devant nous.

— J'aimerais infiltrer une caravane de marchands et m'assurer sur place des intentions des sorciers-nomades, tu peux m'arranger ça ?

— Comme tu veux. Si tu penses y trouver quelque chose et que t'as besoin de les neutraliser, je vais faire enchanter une amulette à prendre avec toi. Ça sera le seul moyen pour que l'on connaisse ta localisation exacte, si on doit transplaner en renfort, en plein milieu du désert.

Potter le remercie cordialement et Nigaud quitte le café sans un mot.

Tandis qu'il rassemble les parchemins dans un étui de cuir, j'essaie de comprendre ce qu'il se trame.

— Qu'est-ce qui se passe avec lui ?

Il se contente de hausser les épaules et de glisser l'étui dans une poche interne de sa cape.

— Il m'en veut.

— À quel sujet ?

— Je lui ai dit qu'on arrêtait de coucher ensemble.

Mon cœur fait un looping absurde.

— On a du boulot, je dois rester concentré... et je ne pense pas être quelqu'un de bien pour lui.

Il se lève sans prévenir, quitte le café et je le suis jusque dans la rue.

— Qu'est-ce que tu racontes, c'est plutôt lui qui n'était pas assez bien pour toi !

— Ce crétin est tombé amoureux...

Oh.

— Et tu vas dire que tu ne baises pas les gens qui t'aiment, c'est ça ?

— Je ne voulais pas qu'il s'attache, ça complique tout...

Je ralentis le pas, le laisse prendre la tête de notre cheminement dans le souk jusqu'à notre pension. J'inspire et expire calmement, mais un poids lourd comprime ma poitrine et un goût amer me remonte dans la gorge. Foutues bribes d'espoir piétinées en un instant, la sensation dans le creux de mon ventre est détestable.

***

Rassurez-vous, c'est juste un pas en arrière pour mieux avancer, promis ! ^^

Merci encore de votre lecture, à la semaine prochaine...

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