Chapitre 2
Quand les gamins étaient petits, c'était une tradition d'aller manger et passer le dimanche après-midi chez Ron et Hermione.
Et puis les enfants ont grandi, et les dimanches ensemble se sont espacés.
Dernièrement, les aléas de nos vies respectives nous ont tenus éloignés, jusqu'à ce que dernièrement Hermione relance une invitation et déclare qu'il est temps de prendre le temps de nous retrouver. A vrai dire, ce sont surtout les seuls amis qui supportent encore ma mauvaise humeur ces derniers temps. La plupart de nos amis communs avec Ginny se sont ralliés à elle, avec les enfants, ou sont trop gênés de prendre position dans notre séparation... Ne pas se voir reste le plus simple à gérer.
Ce dimanche, Hermione m'accueille et me fait signe de faire comme chez moi.
Leur chaumière m'avait manqué, elle est décidément plus chaleureuse que le Square Grimmaud où j'ai pris mes quartiers après ma séparation avec Ginny.
Sur le papier, l'endroit a toujours été chez moi, mais c'est immense, glauque, froid, et plein de souvenirs que je n'ai pas envie de ressasser. J'ai un autre appartement plus central, dans le cœur de Londres, un vaste duplex moderne, qui allait avec les honneurs de l'époque, qui est tout aussi vide et impersonnel.
Quand Hermione me rejoint dans le salon, elle m'embrasse en me serrant dans ses bras, demande de mes nouvelles. Je hausse les épaules, sans avoir envie de rentrer dans les détails.
— Je me suis encore pris le chou avec Albus.
J'ai l'impression que tout va de travers.
Depuis la cuisine, Hermione agite sa baguette pour mettre la table et fait léviter les plats qu'elle a préparés.
— Laisse-lui du temps, Albus est sensible comme garçon. Ça le contrarie cette situation, mais il va s'y habituer...
Je soupire en ajustant les couverts sur la nappe.
— Ça fait déjà plusieurs mois... en tout cas il a l'air de préférer être à Poudlard plutôt qu'à la maison.
Hermione pose une main compatissante sur mon épaule.
— Et James, Lily ?
Je secoue la tête. Eux semblent moins affectés par la séparation. Eux acceptent de me parler quand je vais les voir. Albus, quant à lui, a repris le Poudlard Express sans un mot, ni même un regard.
Quand Ron transplane dans l'entrée et retire ses bottes, nous passons à table et j'essaie de profiter de la présence de mes amis et de la conversation légère pour chasser les contrariétés.
Jusqu'au moment où Ron se racle la gorge, boit une gorgée de vin et me jette un œil par dessus son verre.
— T'aurais pas quelqu'un à nous présenter ?
Je hausse les sourcils sans comprendre le sous-entendu.
— Qui ça ?
— J'en sais rien. À toi de nous le dire. Sorcières Magazine aurait publié un cliché d'un mec sortant de chez toi...
Je pose les couverts un peu bruyamment dans mon assiette.
— Où tu trouves le temps de lire ces torchons ?
Ron s'essuie dans sa serviette en s'esclaffant.
— Merci, Merlin, je n'ai pas à les lire ! Par contre, d'autres sont payés pour me faire des comptes rendus de chaque titre de presse. Tous les matins. Et dans ceux-là, certains pensent important de noter dans leur revue de presse que le Sauveur semble avoir un nouveau mec.
Je grimace et pousse un soupir de frustration.
— Quand est-ce que t'auras le pouvoir de fermer ces ramassis de véracrasses ?
— Arrête, tant que la presse reste libre, c'est bon signe ! Même s'ils racontent de la merde, c'est leur droit...
Ron sauce la fin de son assiette, mais ne laisse pour autant pas échapper l'information.
— C'était qui alors, un nouveau mec ?
— Non, personne.
Juste un plan cul d'un soir. À croire qu'on peut plus baiser tranquille dans cette ville !
Hermione, qui s'était levée pour aller chercher la tarte aux noix de pécan, la dépose sur la table et passe une main dans mon dos.
— Tu devrais être plus discret...
— J'ai pas honte de ce que je suis !
Hermine lève les yeux au ciel.
— Je ne parle pas de ça. Juste que ton duplex est constamment cerné par les paparazzis, et tu le sais bien...
Elle pose la tarte entre nous et nous sert des parts.
— On pourrait presque croire que tu le fais exprès pour énerver la sorcière de moins de 50 ans, conservatrice, qui te voit encore comme le gendre idéal.
J'enfourne une cuillère de tarte pour ne pas avoir à répondre à sa remarque.
C'est peut-être le cas. Mener une vie de débauche pour écorner l'image parfaite qu'ils m'ont méticuleusement collée...
Je suis sans cesse partagé entre l'agacement de voir ma vie privée étalée dans les gazettes et la résignation de n'avoir aucun espace pour garder ce que je veux à l'abri des regards depuis quinze ans.
Non pas que la question se pose en ce moment. Tout se sait déjà, je n'ai rien d'autre à cacher. Rien dans le placard, aucune vie sociale intéressante et encore moins de partenaires à présenter.
Je pensais que la conversation allait doucement glisser loin de ma personne, mais Ron revient à la charge.
— Pourquoi t'enchaînes les plans avec des types chelous, d'ailleurs ? Pourquoi tu ne prends pas le temps d'essayer de construire quelque chose, de proposer de vrais rendez-vous, un resto, une sortie en balai... j'en sais rien moi, des trucs romantiques qui te plaisaient à l'époque !
Il se lève pour aller chercher des tasses pour le thé et, sur le retour, se penche vers Hermione pour l'embrasser sur le haut du crâne. Constater qu'ils sont toujours aussi amoureux, même vingt ans après leurs premiers émois, devrait m'attendrir. Sauf que parfois la jalousie me tiraille, comme c'est le cas actuellement. Je me sens nul de réagir ainsi, je suis vraiment un meilleur ami pitoyable.
Mais pourquoi je n'aurai pas mérité un peu de bonheur moi aussi après toutes ces années de sacrifice ? Qu'est-ce que j'ai foiré exactement pour ne pas pouvoir obtenir ce qu'ils ont ?
Puis je me rappelle que je ne fais rien pour et que ce n'est pas en restant bloqué dans ma routine que les choses changeront d'elles-mêmes. Alors je me contente de soupirer.
— Franchement, ça me gonfle d'avance, Ron. J'ai la flemme rien que d'y penser !
— Si tu penses pouvoir trouver quelqu'un qui te connaît par cœur, qui supporterait ton caractère de merde, saurait gérer ton ego de Sauveur - Ron esquive le coussin que je lui balance - quelqu'un prêt à partager ta vie sans même faire d'efforts, ça n'arrivera pas Harry, désolé de plomber tes plans...
Je me frotte les tempes en ricanant, ça tombe bien, je ne cherche rien de tout ça en ce moment.
Je me lève, fais quelques pas dans le salon en m'étirant et tente de changer de sujet de conversation tandis qu'il verse l'eau chaude dans nos tasses.
— Je voulais te parler du boulot d'ailleurs...
Ron lève un sourcil en portant la tasse de thé à ses lèvres.
— Oh ? De la jolie Dagmar, peut-être ?
— Qui ça ?
— Abigaël Dagmar. L'Auror dont je t'ai parlé. Jolie, brune, taches de rousseur...
Hermione intervient.
— Elle n'est pas que jolie d'ailleurs, c'est aussi une combattante et une stratège hors pair !
Ron approuve, mais fait un geste pour revenir au plus important.
— Celle que t'as croisée l'autre jour. Celle qui te dévorait des yeux... Harry, fais un effort, par Merlin !
Je ne vois absolument pas de qui il parle et je chasse d'un geste ses tentatives d'entremises.
— Non, je voulais te parler de boulot-boulot.
Ron roule des yeux.
— C'est dimanche, Harry ! Lève le pied, bon sang, t'es une vraie cause perdue !
— Est-ce qu'on peut en parler ou j'attends lundi matin pour venir te voir ?
Ron grimace et me fait signe de l'accompagner faire quelques pas sur leur terrasse.
La petite chaumière est entourée d'une avancée en bois abritée par leur toit. Une balançoire est suspendue dans un des coins, des plaids pliés sur son rebord invitent au cocooning.
Ron s'accoude à la rambarde tandis que je m'adosse à un des piliers, à ses côtés.
— J'ai traité la plupart des dossiers que tu m'as confiés.
Ron lève les yeux au ciel. Je sais qu'il va dire que je bosse trop vite, même le week-end, mais je ne suis pas là pour entendre un énième laïus sur la question.
— Écoute, j'ai remarqué des anomalies, comme si certaines déclarations étaient falsifiées. Je voulais t'en parler...
Pour bosser au Département des Aurors depuis un paquet d'années, je reconnais que les erreurs de paperasse, remplies à la va-vite, peuvent arriver. En général, on ne remarque pas ce genre de détails. Il est rare de relire plusieurs fois les mêmes feuillets. Sauf que j'ai dû parcourir des comptes rendus d'arrestations et d'interrogatoires auxquels j'ai moi-même participé. Et dans ce cas, les différences entre la réalité de l'affaire et la version administrative sont flagrantes.
Ron me regarde sans rien dire. J'ignore s'il attend que je développe ou s'il désapprouve ce que je lui rapporte.
Parfois être le meilleur ami du Directeur d'une Section n'a pas que des avantages, je sais que sa marge de manœuvre n'est pas aussi large qu'on pourrait le penser.
— Je suis retombé sur l'affaire Rosario. Le type a été arrêté pour escroquerie et revente illicite. Je le sais, j'ai participé à la planque puis à la perquisition, on avait rassemblé tout un tas de preuves. Il aurait au moins dû être jugé pour recel, peut-être même trafic d'envergure...
— Et ?
— Et rien. Il a été libéré pour un défaut de procédure à la con. Il n'a même pas été reconvoqué.
Ron se frotte le menton, pensif.
— Ça arrive, c'est moche, mais ça peut être une faille de notre système.
— Peut-être... est-ce que tu connais bien "Noam Jenkins" ?
— Pas personnellement. Il est passé de la Brigade Magique au Département des Aurors il y a quelques temps. Pas mémorable aux examens, mais il a monté les échelons rapidement et il est maintenant à la tête d'une petite équipe sur le terrain.
Ron grimace.
— Dis-moi que tu n'as pas commencé à fouiner sur lui...
Je hausse les épaules et essaie de présenter mes arguments avant qu'il ne me fasse une leçon sur ma paranoïa latente. Je lui explique que sa signature "NK" est sur de nombreux dossiers, qu'il ne m'a pas fallu bien longtemps pour découvrir que c'est toujours ce même officier, Noam Jenkins, qui clôture certaines enquêtes alors qu'il ne travaillait pas forcément sur le dossier. La plupart des affaires sont minimes, personne ne serait allé vérifier l'issue des verdicts. Personne, sauf un gars qui s'ennuie et qui épluche des dossiers au milieu de la nuit...
Ron secoue lentement la tête.
— Ne fais pas ça, Harry...
— Quoi ?
— Chercher des embrouilles là où il n'y en a pas.
— Des témoins jamais interrogés, des receleurs relâchés, des criminels à peine inquiétés... Je trouve ça louche, pas toi ?
— Tu dis ça parce que tu t'emmerdes ! Tu sais quoi, c'est peut-être mieux que t'ailles baiser tes mecs chelous si ça te permet de te détendre et de lever le pied sur la paranoïa !
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