Chapitre 12
Le lendemain, il me demande de l'accompagner pour aller interroger un marchand qu'il soupçonne d'être impliqué.
Il ne m'en dit pas plus, il ne revient pas non plus sur le caractère clandestin de la mission.
Il m'a seulement répété que rien ne me retombera dessus. Je n'ai aucune raison de lui faire confiance, mais aucun moyen non plus de m'assurer du degré de gravité de la situation. À moins de rentrer à Londres. Ou de se faire intercepter par des Aurors corrompus qui essaieraient de nous faire taire entre-temps.
Je prends doucement conscience de l'origine de ses excès de paranoïa. Potter-Saint-Sauveur a décidé de s'en prendre au Magenmagot tout seul, d'y faire le ménage comme si l'immensité de la tâche ne l'impressionnait absolument pas et, le pire le connaissant, c'est qu'il risque d'y arriver. À condition que j'accepte de remplir ma part du marché.
Alors, dans un accord tacite, nous poursuivons l'enquête. Plus vite elle se termine, plus vite chacun pourra rentrer chez soi et reprendre le cours de sa vie, l'un loin de l'autre.
Je le suis jusqu'à un recoin du Grand Bazar où l'échoppe en question ressemble à un capharnaüm bordélique. Le type serait un receleur d'objets rares et certaines reliques sur la liste de Potter pourraient avoir transité entre ses mains.
Quand je lui demande comment il en sait autant, il reste évasif. Il a déjà posé quelques questions ailleurs en amont, écarté certaines pistes, celle-là semble aller dans le sens de son intuition.
Je ne relève pas, mais pour des preuves concrètes et étayées, on repassera...
Pourtant, son flair s'avère juste. Dans la boutique, chargée en babioles de tous genres, pas l'ombre des reliques qu'il piste mais certains objets semblent en effet provenir d'anciennes familles anglaises de sang pur. Tout comme Potter, je repère d'un coup d'œil une broche et un poudrier en argent soigneusement présentés dans un écrin.
Potter les rafle sur l'étagère et soudain, sans prévenir, se rue sur le marchand. Il laisse tomber les babioles sur le comptoir, le contourne dans un claquement de cape et accule le marchand contre le mur, un bras pressé sous sa gorge.
Le type bafouille sous la menace, gémit avant de répondre aux questions que Potter lui balance. Il ne fait que de la revente, promis, il ne savait pas !
Sauf que Potter n'a aucune patience, il dégaine sa baguette en même temps qu'il balaie la jambe du pauvre type qui tombe à genoux. Je tique, mais me retiens d'intervenir. La baguette pointée sur sa gorge, le marchand tremble tellement qu'il pourrait vendre sa mère si ça lui permettait de se sortir de cet interrogatoire musclé.
Il se met à balbutier des noms comme une litanie et Potter me fait un signe de tête pour que je lance mon sortilège. Je m'exécute, la mâchoire serrée, conscient que le sort ne sera pas efficace. Quand le témoignage tourbillonne dans la fiole, je la scelle d'un geste pendant que Potter a toujours sa botte écrasée sur les doigts du type qui gémit, recroquevillé au sol.
Je pose la fiole sur le comptoir et me racle cette fois la gorge.
— Ça suffit, Potter.
Il me fusille du regard sous ses cheveux en bataille.
— Laisse-moi faire, bon sang ! C'est quoi ton problème ?
Il semble pourtant se rendre compte du tableau puisqu'il s'écarte du marchand-sorcier en pestant.
Pas la peine d'avoir suivi des études d'Aurors et de psychologie comportementale pour deviner que le type pourrait avouer n'importe quoi sous la contrainte.
Je contourne l'établi pour aider l'homme à terre à se relever et vérifier que sa main n'a pas été blessée, mais il bat en retraite et file par l'arrière-boutique.
Dans la fiole que Potter fait tourner entre ses doigts, la potion est sans surprise devenue noirâtre.
— C'est quoi ça ? Tu t'es raté ?
J'inspire calmement pour ne pas l'assommer sur le champ.
Comme si je pouvais rater un sortilège que j'avais contribué à créer !
— Je te l'ai expliqué : la Memoriae Captiva se voile quand les aveux sont récupérés sous la contrainte. C'est irrecevable devant une cour.
Potter pousse un juron en reposant la fiole.
Pendant qu'il rumine tout seul, je récupère la broche et le poudrier qu'il a laissé traîner pour les examiner. Ce ne sont pas des reliques précieuses, la broche antique semble inoffensive, mais le poudrier... je le retourne doucement dans le creux de ma paume. C'est subtil, à peine un léger battement de cœur. Je le dépose sur la surface plane, pointe ma baguette et murmure quelques incantations pour le neutraliser.
Potter m'observe faire, un air mêlé de curiosité et de scepticisme.
— J'allais les placer sous un scellé protecteur. Tu fais quoi, tu le vides de sa magie noire ?
— Tss, je ne ferai pas ça ici, tout seul. C'est dangereux de manipuler la magie noire... Par Salazar, qu'est-ce qu'on t'apprend à l'Académie ?
Je reprends mon sort stoppé juste avant qu'il ne m'interrompe et apaise la magie contenue.
— Je le rends juste inoffensif, comme... une coquille vide. La magie pulse toujours, mais comme si... j'en sais rien, comme si elle s'était recroquevillée, endormie...
Potter hoche la tête, l'air un peu envieux de ne pas savoir maîtriser ce genre de magie ancienne.
Une fois rendus inoffensifs, je lui tends la broche et le poudrier.
— Où est-ce que tu as appris à faire ça ?
— Je le sais, c'est tout.
Qu'il ne me force pas à le dire. Qu'il ne me force pas à évoquer la connaissance étendue de la famille Malefoy pour ce genre de pratiques liées à la magie noire.
Il a la décence de ne pas répliquer et les glisse sans un mot dans un sac de cuir enchanté.
Il reste un moment sur le pas de la boutique, à cogiter derrière ses binocles. Il fait quelques pas, s'arrête, marmonne tout seul, se frotte la barbe, comme frustré par les réponses évasives du type et l'échec de la potion. La piste à suivre n'est pas aussi évidente qu'il l'aurait voulu.
— Potion ou non, il y a bien un trafic qui passe par le Grand Bazar. Tout le monde sait que ça vient d'Angleterre, mais personne ne dit rien. Il suffirait qu'on mette la main sur une des reliques sorties de la Réserve, pour avoir une première preuve incontestable...
Je devrais m'éclipser, faire profil bas, attendre qu'il ait de nouveau besoin de mes compétences pour intervenir sauf que je me sens obligé de le prévenir.
— Il t'a donné plusieurs noms, ce n'est pas parce que la potion s'est voilée que tu es dans une impasse. Tu peux encore suivre cette piste-là. Pour la suite en revanche, il faudra être plus réglo...
Il écarte mon conseil d'un revers de main.
— Il nous a donné une litanie de noms ! Impossible de savoir s'il essayait de noyer le poisson ou si certains pourraient réellement être impliqués. On pourrait les interroger un par un, mais ça va nous prendre des jours... sans compter qu'ils vont rapidement être prévenus qu'on cherche des infos dans le Grand Bazar...
Je note mentalement qu'il m'inclue dans ses plans alors qu'il m'a soigneusement mis de côté jusque là. Je ne veux pas empiéter dans son enquête, c'est lui l'Auror. Mais j'ai toujours le tableau de l'affaire bien en tête et, si j'étais lui, je procéderais différemment...
J'ajuste ma besace de potionniste tout en tentant de donner mon avis, l'air de rien.
— Si des marchands trafiquent effectivement sous son nez, le Gardien des Clefs devrait être au courant. Soit il est impliqué et il les couvre, soit il ignore tout et ça devrait l'intéresser de faire du ménage...
Potter fronce les sourcils et je m'attends à ce qu'il me remette à ma place.
— Le Gardien des Clefs ?
— Le Haut-Chef du Grand Bazar. On est passés devant sa loge l'autre jour. C'est celle où il y avait une file de sorciers qui patientaient pour avoir une audience, tu n'as pas remarqué ?
Contre toute attente, Potter secoue la tête, mais ne se braque pas.
— Dis m'en plus...
— C'est une sorte de médiateur. C'est lui qui supervise tous les étals, autorise les installations, les passations entre les marchands, il règle les conflits internes... C'est ce marchand qui nous en a parlé l'autre fois, pendant que je négociais. Apparemment, le Gardien des Clefs a une vue d'ensemble sur tout ce qui se passe au Grand Bazar. Aller directement à la source pourrait nous permettre d'économiser du temps et de l'énergie...
Potter rajuste sa baguette dans le harnais accroché à sa cuisse et opine lentement de la tête.
— C'est une bonne idée, faisons ça.
Que Potter accueille sans remarque acerbe mes propositions me surprend de prime abord, mais réfléchir sur un point bloquant à deux a toujours été plus efficace que foncer dans le tas en solo. Même dans l'art des Potions, les plus belles avancées se font en discutant et réfléchissant à plusieurs. Étonnamment, je réalise que notre binôme improbable pourrait sans doute fonctionner si Potter faisait l'effort de mettre son ego et les vieilles rancœurs de côté.
*
Le soir, dans la petite chambre, je m'attelle à consigner l'avancée de l'enquête sur un parchemin.
— Tu pourrais consigner aussi le rituel que tu as pratiqué sur le poudrier ? Je ne veux pas qu'on nous remonte des failles dans notre démarche lors du procès.
Les genoux remontés, Potter prend des notes sur son propre carnet, avachi dans son lit.
De retour dans la chambre, il m'a demandé de garder une trace écrite de notre avancée et de protéger mes annotations avec un ensorcellement. Ses précautions semblent un peu abusives, mais ça ne me coûte rien de protéger mes écrits d'un sort.
L'audience que le Gardien des Clefs nous a accordée a été constructive. Dans sa loge qui surplombe le marché labyrinthique, le vieux sorcier s'est d'abord renfrogné à l'idée d'un trafic qui aurait lieu sous son nez.
Potter a préféré jouer cartes sur table au sujet des reliques volées en Angleterre, sans pour autant mentionner l'éventuelle implication d'Aurors et son honnêteté a été bien perçue par le Gardien.
Après quelques échanges en turc avec un de ses hommes, il s'est penché sur la grande carte étendue sur l'un de ses bureaux, a passé lentement ses doigts secs dans sa longue barbe noire.
Sous nos yeux, le plan de tous les étals du Grand Bazar prenait vie sur le papier. Des noms écrits à la main se mélangeaient au-dessus de points dessinés à l'encre. Un autre échange en turc, des soupirs de frustration.
En tapotant du doigt une des allées, il a reconnu que certains marchands avaient déjà dépassé les bornes en important des produits illégaux. Il doit régulièrement taper du poing sur la table concernant des épices rares interdites à la vente ou certaines plantes protégées vendues sous cape. Rien, cependant, sur du recel de reliques volées.
Mais il a déjà dû sévir et bannir certains marchands qui avaient enfreint les règles sorcières du Grand Bazar. Il a beau avoir des yeux un peu partout dans le marché , difficile de toujours suivre qui fait affaire avec qui.
D'un geste de baguette, il a attiré à lui des fiches soigneusement rangées dans un tiroir et nous a transmis deux noms : l'un dont l'étal est encore dans le Grand Bazar, et l'autre installé en dehors du quartier qui pourrait encore entretenir des liens avec certains marchands peu scrupuleux.
Sous nos yeux, il a préparé une note qu'il a coincée dans la cartouche du chat-messager qui dormait sur son bureau et a demandé à un de ses hommes d'aller vérifier et recadrer le marchand encore sous sa coupe.
Pour l'autre, il a soupiré et secoué la tête. Il ne peut rien s'il est hors de sa juridiction. Il nous a tout de même demandé de le tenir informé si nos doutes se confirmaient sur le trafic de reliques, il tient à faire respecter la loi sorcière sur son marché.
Plus rapidement que moi, Potter referme son carnet d'un geste.
Il troque sa cape de voyage contre des affaires plus confortables et déballe des victuailles qu'il a daigné acheter sur le chemin du retour.
— Tu ne ressors pas ?
— Pas ce soir.
Je pensais avoir ma soirée tranquille.
Je tique. Je ne devrais pas commencer à prendre mes habitudes dans notre étrange routine de cohabitation.
Je finis de consigner mes notes sur papier, mais je me sens soudain contrarié sans comprendre pourquoi.
— Plan Cul n'était pas dispo ?
Sur son lit, Potter me dévisage.
— Je t'emmerde...
— Pourquoi enchaîner des plans cul d'ailleurs, alors que tu peux avoir qui tu veux ?
Il semble sur le point de m'envoyer balader, mais il se ravise au dernier moment.
— Qu'est-ce que tu en sais, au juste ?
Je tapote mon parchemin pour l'ensorceler et l'envoie se ranger dans le classeur dédié à l'enquête.
— Tu vas me dire que le Grand Héros National ne peut pas avoir qui il veut dans sa vie ? Tu as toujours eu tout ce que tu voulais, depuis toujours...
C'est un fait. Il a toujours bénéficié de concours de circonstances d'une injustice inouïe, comme si les planètes s'alignaient toujours pour aller dans son sens.
Impossible que sa notoriété publique grandissante ait amoindri ces privilèges qu'il trimballait déjà fièrement à l'époque.
Je nettoie ma plume, referme l'encrier avec précaution.
Il a même réussi à m'amener jusqu'ici sans que je flaire l'arnaque, c'est dire s'il est doué dans ces manigances !
— La liste de tes admiratrices est longue comme un foutu parchemin de Binns, tu pouvais avoir n'importe qui après ta Weasley. Qu'est-ce que tu fiches, une foutue crise de la quarantaine ? C'est un peu tôt, tu ne les as même pas encore...
Il commence à se servir de la bouffe directement dans les cartons éparpillés sur son lit.
— Laisse tomber, tu ne comprendrais pas...
J'attire d'un geste agacé de baguette la petite table entre nos deux lits, lance un sort de nettoyage et fais léviter les plats pour les disposer plus convenablement entre nous.
— On est coincés ensemble Potter, essaie donc.
Je pioche quelques mezzés - une feuille de vigne farcie et je trempe le pain dans un caviar d'aubergine fumée - pendant que son silence s'étire.
— Figure-toi que ce n'est pas si évident quand on est... le "Sauveur du Monde Sorcier".
Sa mauvaise imitation de mon intonation m'arrache une grimace.
— Tu ne vas pas te plaindre quand même ?
Il croque dans un chausson au fromage dans une lamentation bruyante.
— La vérité, c'est que je peux sans doute avoir tout ce que je veux, oui. Mais de là à pouvoir prétendre à des relations saines et sincères...
Il secoue la tête et laisse flotter la fin de sa phrase tout en terminant sa bouchée.
Je ne peux pas m'empêcher de ricaner. Il n'y a vraiment que lui pour se plaindre d'être un martyr de sa situation.
— Même quinze ans après... tout ça ?
— Tu dois encore faire tes preuves auprès du Ministère dix ans après, que je sache...
Je déglutis difficilement. Un point partout. Quel monde de merde.
Quand il lève les yeux vers moi, j'y entraperçois soudain une lassitude immense.
Il continue de piocher dans les mezzés sans un mot, alors je l'imite, incapable de trouver une répartie pertinente.
Pour la première fois depuis notre départ, il semble baisser sa garde puisqu'au bout d'un moment, il continue sur sa lancée.
— J'ai jamais eu à faire d'efforts... enfin... tout s'est enchaîné après la Guerre. Avec Ginny, c'était facile au début. On se connaissait depuis toujours. Je me suis laissé porter. Avec les autres, c'est toujours... gênant et compliqué. Soit leurs attentes sont trop hautes, soit j'ai l'impression de n'être qu'un trophée...
— Rien que ça...
— C'est ça, moque-toi... En tout cas, j'ai vraiment pas la patience pour gérer ces conneries, alors c'est plus simple comme ça...
Il a rapproché la barquette de loukoums à la pistache dans laquelle il pioche allègrement avec ses doigts tâchés d'encre.
Puis, il se lève pour mettre un semblant d'ordre dans ses affaires.
— Je sais franchement pas pourquoi je te raconte ça. Tu peux pas comprendre. Personne ne peut...
Sur le coup, je n'arrive pas à retoquer le connard qu'il a toujours été. J'ignore comment il se débrouille pour que sa vie sentimentale soit aussi pathétique.
Mais il a peut-être raison, peut-être qu'on ne se comprendra jamais vraiment.
Peut-être que son amertume qui déborde n'arrange rien à son caractère de merde.
Peut-être que je dois être celui qui déploie des trésors de patience pour qu'on se supporte encore un peu au quotidien le temps de cette fichue mission.
Sauf que parfois, des détails de notre cohabitation forcée atteignent la limite de ma tolérance.
*
Certains matins, excédé, je dégage d'un geste de baguette les chaussettes qui s'accumulent sous son lit et fais léviter les tasses de thé qui s'éternisent sur sa table de nuit.
— Pas étonnant que tu ne trouves personne si tu laisses traîner tes affaires dégueulasses partout, tout le temps !
Il passe alors sa tignasse par la porte entrebâillée de la salle de bain, une brosse à dents fichée entre les lèvres, une serviette nouée autour de la taille, et crie à tue-tête.
— J'allais le faire ! Espèce de maniaco-sociopathe !
Chaque matin, j'exige qu'il fasse un effort et, chaque matin, il trouve une insulte différente.
Mais les jours passent, coincés dans cette petite chambre à Istanbul, et je remarque que le Héros National apprend contre toute attente à s'occuper de son linge sale.
***
J'avais annoncé une vingtaine de chapitres, mais en réécrivant / corrigeant mon premier jet, certains chapitres se sont beaucoup rallongés, certains que j'ai coupés en deux, voire trois, donc on se dirige plutôt vers une trentaine de chapitres au final !
Merci pour votre fidélité,
Prenez soin de vous !
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