Chapitre 11
Le marché sorcier oriental se trouve sur l'autre rive du Bosphore, celle où Istanbul commence à s'étendre vers l'Asie.
Potter refuse de nouveau de transplaner entre les deux quartiers comme n'importe quel sorcier décent, alors nous nous insérons dans la file de moldus qui patientent pour monter à bord du petit ferry.
Pour traverser le Bosphore, le large fleuve qui sépare la ville en deux, les Stambouliotes, les habitants d'Istanbul, prennent le bateau comme les Londoniens prendraient le bus.
Tandis que les gens se pressent pour avoir une place assise sur les banquettes à l'intérieur, nous profitons de la traversée, accoudés à la rambarde, les cheveux fouettés par les embruns.
Le changement de perspective a de quoi surprendre, la vue sur Istanbul depuis l'eau est peut-être encore plus belle. Elle donne des airs de carte postale à la ville. Sur la berge que l'on quitte, je reconnais l'élégante mosquée blanche qui domine le Grand Bazar et puis la tour Galata qui s'élève dans le quartier commerçant. Plus haut, les maisons accrochées aux collines donnent des couleurs vives au tableau. Potter nous a limités au quartier sorcier par prudence alors que le reste de la ville, immense, appelle à l'exploration.
Rapidement, le ferry accoste sur la rive orientale et laisse descendre la foule qui se presse avant d'accueillir les moldus qui font le trajet en sens inverse.
Nous contournons l'embarcadère et, au fond d'une ruelle quelconque, nous traversons un passage vers le quartier sorcier.
À l'entrée du marché sorcier, Potter se campe devant le reflet d'une vitre et vérifie que sa potion de camouflage ne le trahit pas. À plusieurs reprises, la Trompe l'Œil a montré des signes de faiblesses, s'estompant plus vite qu'espérée. Je me retiens de lui faire remarquer qu'un usage aussi intensif de ce genre de potion a tendance à réduire ses effets sur le long terme.
Dans le marché sorcier, plus petit que celui du Grand Bazar, j'arpente les allées à la recherche des baies d'açai, introuvable jusqu'ici, Potter sur mes talons.
Quand je repère enfin un marchand qui en dispose dans une jarre en verre, j'avise le prix et manque de m'étrangler d'indignation ! Malgré la différence de devises, je note le prix d'or de ces quelques grammes de poudre !
Je fais signe à Potter de continuer notre ronde dans le marché, ces baies ne sont pas si rares en Angleterre, pourquoi sont-elles introuvables par ici ?
Après plusieurs tours du marché, et après avoir montré le croquis de l'une de ces baies pour me faire comprendre, je n'essuie que des réponses négatives. Je me rends à l'évidence, il n'y a que le type à la jarre qui en a.
Je fais mine d'étudier son étal alors que je sais exactement la seule chose que je convoite. Je me frotte le nez, prends un air désintéressé et pointe du doigt la jarre en question. Le type l'ouvre, ponctionne une once de poudre pour me certifier de sa qualité, et la valse de la négociation commence.
— Combien pour quatre onces ? me signe-t-il.
Je lui propose un peu moins que ce que je paye à Londres et le type part dans un fou rire vexant. Il secoue la tête, amusé, et fait un signe avec ses doigts, dix fois plus !
Ces baies réduites en poudre sont vendues à prix d'or par ici à cause de leur rareté. Potter se penche vers moi pour essayer de comprendre quel est le souci.
Je le tire à l'écart pour être à distance des oreilles du vendeur qui, j'en suis sûr, comprend très bien l'anglais.
— C'est tout bonnement hors de prix ! Quasiment de l'escroquerie !
Il hausse un sourcil, jette un regard en biais au type.
— Il essaie de t'arnaquer ?
— Non ! C'est juste... très cher pour ce que c'est !
Je maudis ma négligence, j'aurais dû anticiper et prévoir un stock plus conséquent avec moi.
Potter secoue la tête sans comprendre.
— Et ? J'ai l'argent du ministère, prends cette foutue poudre !
— Ce n'est pas le prix le problème. Ici, c'est une question de principe de négocier, ça fait partie du jeu... Est-ce que tu ne pourrais pas, j'en sais rien, te servir de ton aura pour négocier à la baisse ? Pas sûre que ta réputation te précède ici, mais ça se tente si le grand Harry Pott...
— Tss, tais-toi !
Potter jette un œil derrière son épaule, tandis que les effets de son camouflage commencent déjà à s'estomper. D'un œil d'expert, j'aurai tendance à affirmer que sa potion est certainement de mauvaise qualité.
— Pourquoi Harry Potter ne pourrait p...
— Bon sang, tu vas la fermer ! Personne ne doit savoir que je suis ici !
Son ton est soudain inquiet et urgent, une réaction complètement disproportionnée dans le cadre d'un simple marché sorcier à la recherche de baies d'açai.
Il me traîne un peu plus à l'écart et se frotte lentement la barbe qui a repris sa couleur d'origine.
— La mission est sous le radar, ma présence ici ne doit pas remonter aux oreilles des Aurors...
Je fronce les sourcils, prends quelques secondes pour essayer de comprendre ce qu'il insinue, tandis que ses cheveux noirs en bataille redeviennent tels qu'ils l'ont toujours été et que ses prunelles redeviennent vertes derrière ses binocles.
— Attends une seconde, qu'est-ce que ça veut dire au juste ? L'ordre de mission que j'ai signé n'émanait pas directement du Bureau des Aurors ?
Ses lèvres tressaillent, il remonte d'un geste la capuche de sa cape. Je vois à son hésitation qu'il est sur le point de me mentir. Une sensation glacée me serre le cœur.
— La mission n'est pas officielle.
Ce n'est même pas une question, et Potter se contente de détourner le regard.
— Pas tout à fait.
— Bordel, Potter ! Dans quoi tu m'as embarqué ?
Il jette un œil à la ronde, s'assure que personne ne nous remarque.
— La mission est clandestine tant qu'on n'a pas de preuves concrètes.
Il croise les bras, un air de défi au fond des yeux, et avant même que j'aie pu réfléchir, je le plaque contre le mur en pierre, prêt à lui gueuler ma frustration. Ses réflexes sont encore vifs. Il saisit mon poignet dans une torsion douloureuse et pointe sa baguette que je ne l'ai même pas vue sortir juste sous mon menton. Un juron m'échappe en sentant la brûlure contre ma peau et je fais aussitôt un pas en arrière.
Je masse mon poignet douloureux et vérifie que nous n'avons pas attiré l'attention. La violence n'est jamais la solution et je m'en veux de réagir au quart de tour dès qu'il s'agit de Potter. Je risque gros si on me chope à malmener le Sauveur mais, dans l'immédiat, impossible de retenir les reproches qui se bousculent.
— Par Salazar, tu fais toujours ça ! Tu ne penses qu'à toi ! Tu te fiches du reste du monde. Tu ne crains rien. Tu es intouchable quoique tu fasses. Mais moi, je risque ma carrière, figure-toi, mon nom, ma liberté ! Tu n'as pas idée des efforts que j'ai faits pour en arriver là où je suis aujourd'hui ! Des efforts que je fais tous les jours ! Si on me soupçonne d'être associé à une enquête non autorisée, je...
— Tu ne risques rien, je m'en assurerai...
— Ta foutue enquête est illégale, Potter !
— Si je tombe, je dirais que je t'ai forcé la main.
— Ben voyons, et qui va croire ça à ton avis ?
—J'ai pris mes dispositions, les notes que je laisserai te blanchissent complètement. Et si je meurs, tu pourras...
— Mais bordel, Potter, qu'est-ce que tu racontes ? Ça ne t'a pas suffi de crever déjà deux fois ? Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?
Potter rajuste la grande capuche de sa cape sur sa tête, remonte ses binocles sur son nez et se contente de grimacer.
— Écoute, si on avance dans cette enquête, ça pourrait débloquer pas mal de choses. Ça nettoiera le Magenmagot des éléments pourris, ça pourrait même être bénéfique pour ta situation...
Quelle blague ! Qu'il ne me fasse pas croire qu'il fait ça pour mon bien ! Il agit en suivant ses intuitions foireuses, comme toujours, se fout dans la merde tout seul, frôle le fiasco et ne s'arrange avec les règles qu'après coup, je le connais par cœur ! Qu'il m'ait embarqué dans l'un de ses plans foireux me met hors de moi ! L'ordre de mission paraissant pourtant authentique...
La colère me fait trembler et je dois mobiliser une énergie inhabituellement importante pour conserver mon calme et analyser la situation. Je pourrais l'abandonner là et transplaner jusqu'au prochain checkpoint, puis retourner en Angleterre fissa. Mais il faudrait alors que j'explique les lubies paranoïaques de Potter et que je me justifie de ce voyage clandestin. Aucune chance que mon dossier soit nettoyé après ça... Alors que si sa foutue enquête est un succès... Si effectivement le Magenmagot est mis à mal et nettoyé... Je visualise à nouveau mon tableau mental et les preuves dont a besoin Potter pour avancer. Je me pince les ailes du nez, je ne devrais même pas continuer cette enquête illégale, mais je me sens piégé. Pire, sans moi, Potter n'arrivera à rien.
Dans notre dos, le marchand sur son étal me fait un signe interrogateur en indiquant la poudre dans la jarre en verre. Je reviens vers lui, sors la bourse pleine du soi-disant argent du Ministère et la dépose sur son comptoir sans même négocier. Le type me tend la jarre, trop heureux d'avoir fait une bonne affaire avec un idiot de touriste. Je glisse mon achat dans ma besace au fond infini et me dirige vers la sortie du marché sans un regard pour Potter.
J'hésite à transplaner directement à la pension, mais un doute me glace. La paranoïa de Potter est-elle la cause de sa décision absurde de ne jamais transplaner ou y a-t-il réellement un risque que j'ignore ?
J'ai la furieuse envie d'étriper Potter et ses plans foireux. Face à l'embarcadère, je ferme les yeux pour me concentrer sur l'air marin et les rayons de soleil doux sur ma peau. Malgré mes efforts, je peine à ramener le calme en moi et je maudis Potter d'avoir encore cet effet sur moi, même des années après.
C'est à ce moment-là qu'il me rejoint et me tend sans un mot mon ticket pour la traversée retour sur le ferry moldu.
Le soleil couchant dépose une couleur dorée au ciel, les minarets sur la rive en face se découpent dans le ciel orangé, les mouettes bruyantes se coursent dans le sillage du bateau.
Potter s'est accoudé à la rambarde à mes côtés, il a baissé sur sa tête la capuche de sa cape pour se protéger de l'air frais et certainement de regards potentiels, même si nous ne sommes entourés que de moldus.
À cet instant, j'ai juste envie de l'empoigner, lui et sa paranoïa, et de les balancer par-dessus bord. Mais ça serait ridicule et contre-productif de balayer des années de méditation et de maîtrise de soi d'un simple revers de main. Même pour un crétin de sa trempe.
— T'aurais dû me le dire...
— T'aurais jamais accepté de venir sans ça.
— Alors quoi, c'est plus pratique de manipuler les gens pour arriver à tes fins ?
Je ricane en constatant que je n'arrive décemment pas à retrouver le contrôle de mes émotions, mais je ne suis pas surpris, seulement contrarié. Potter a toujours réussi à me faire vriller. Son attitude est tellement... tellement Serpentard quand on y pense, quelle foutue ironie !
J'inspire et expire calmement, mais je n'y arrive pas, j'ai ce besoin pressant de l'insulter et d'aller au conflit comme si j'étais redevenu cet ado incontrôlable. J'agrippe la rambarde pour que le métal froid m'ancre dans le présent et je laisse passer la colère vicieuse.
— Ça ne te ressemble tellement pas... Et ce n'est absolument pas digne d'un foutu Gryffondor !
Potter se redresse et me dévisage quelques secondes.
— Ne prétends pas me connaître, Malefoy. De l'eau a coulé sous les ponts depuis Poudlard et sa répartition absurde, tu le sais aussi bien que moi. Ne cherche pas à me remettre dans une foutue case, ils ont tous échoué à la tâche...
Pour la première fois depuis notre départ, il me lâche enfin les basques, retourne à l'intérieur du ferry et m'abandonne seul sur le pont. Son amertume est douloureuse à entendre et, je crois qu'à choisir, je préférais encore son silence buté.
*
Dans la chambre trop petite, la tension est palpable.
Alors j'ouvre mon coffret de potionniste sur le lit, en sors mon matériel rangé avec soin et les ingrédients récoltés jusque là. J'ajuste le chaudron et le pilon, tout en maudissant cette table de travail trop petite !
J'accapare le rebord de la fenêtre pour y aligner tous mes flacons. Je souffle lentement, passe en revue quelques exercices de respiration pour me recentrer sur le moment présent et retrouver la concentration nécessaire pour venir à bout de la recette délicate et terriblement précise.
L'enchaînement des étapes pour la concoction de la Memoriae Captiva est millimétré et, bien que je connaisse la procédure par cœur à force de l'avoir pratiquée et enseignée, il me faut une volonté de fer pour chasser la colère qui pulse contre mes tempes et ignorer la présence de Potter avachi dans son lit.
Au bout de deux heures, la couleur de la potion est satisfaisante, sa texture parfaite, je soupire de contentement. Le sentiment de satisfaction penché au-dessus d'une potion complexe et réussie est inégalable. L'exercice de concentration est quasi méditatif et pendant un temps, j'ai même réussi à chasser Potter de mes pensées.
Je scelle plusieurs flacons en cas de besoin de les transporter, même si la potion expirera rapidement.
Je m'applique à nettoyer le petit bureau puis laver méticuleusement mon matériel. Je pourrais le faire d'un geste de baguette, mais occuper mes mains au-dessus de l'évier me détend.
Potter fait des allers-retours entre son lit et la salle d'eau, pas pudique pour un sou. Il cherche ses fringues rangées en vrac, une serviette négligemment serrée autour de sa taille. Il a cette décomplexion des mecs qui ont l'habitude des vestiaires et des douches collectives.
Je cherche une réplique bien sentie pour lui faire remarquer qu'il pourrait se passer de se balader à moitié à poil dans notre chambre commune, mais rien ne me vient, alors je me concentre sur les fioles à nettoyer en évitant de le regarder.
Il ajuste enfin sa cape face au miroir en pied, tente d'aplatir ses cheveux indisciplinés.
— Je pars en repérage. Reste ici.
Je lâche le récipient en verre dans l'évier et serre l'éponge dans le creux de ma main.
— Tu peux le dire clairement que tu vas baiser ton informateur. Pas la peine de jouer la subtilité, je ne suis pas aveugle !
Il me dévisage quelques secondes.
— Ne prétendons pas nous intéresser à la vie de l'autre, veux-tu...
Et sur ces mots absurdes, il claque la porte en sortant de la chambre.
Sa vie privée est étalée dans tous les tabloïds sorciers, il m'a traîné à l'autre bout du continent avec des excuses fallacieuses, il nous contraint à partager une chambre minuscule H24, et maintenant il voudrait que l'on continue de s'ignorer avec application ? Mais quel connard ! Même Scorpius ne m'a jamais claqué la porte au nez !
Je peste en reprenant le nettoyage de mon matériel. Je n'aurais jamais dû le suivre aveuglément ! Je n'aurais même pas dû l'accueillir ce jour-là au département des potionnistes. J'aurais dû laisser Demelza s'en occuper au lieu de me laisser guider à une curiosité malsaine à vouloir jauger leur Saint-Sauveur après toutes ces années !
Je ramasse d'un geste de baguette rageur ses affaires éparpillées au sol, dépose ses tasses qu'il ne lave pas dans l'évier, assez brusquement pour en ébrécher une. Je passe mes nerfs sur cette chambre en bordel qu'il ne range jamais et qui ne ressemble à rien !
Une fois le rangement et le nettoyage terminés, ma colère s'est quelque peu apaisée et je me sens vide. Je me prépare une tisane, prends un plaid sous le coude et embarque un bouquin sur le toit-terrasse.
Dans le fauteuil défoncé, je délaisse rapidement ma lecture pour continuer à ruminer sur Potter et ses manies insupportables.
Ce soir-là, tard dans la nuit, il revient sans discrétion avec ces mêmes odeurs d'huiles et de sexe reconnaissables. Ma colère qui s'était calmée jusque-là se remet à pulser au fond de moi. Quel petit con ! Je n'aurais jamais dû le laisser revenir dans ma vie !
***
Merci pour vos petits mots, merci de votre soutien, merci de votre patience face à ce Harry clairement imbuvable ><
A la semaine prochaine, prenez soin de vous !
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