Chapitre 43 : l'Alter
Quand elle pousse la lourde porte d'acier, c'est une dizaine de personnes qui lèvent les yeux de leur poste de travail pour les poser sur elle. Onze personnes, après avoir compté. Plus elle regarde, plus elle reconnait les visages. Henriette, Paul, Jacques, Marie, tous ceux qu'elle a traqué pendant des semaines avec Anna en se demandant si oui ou non, ils étaient vivants.
- C'est qui elle ?
- Qu'est-ce que tu nous ramènes encore...
- Elle semble perdue, cette pauvre enfant.
- Quelqu'un aurait vu passer le scotch ?
Une fois ce choc là subi, c'est le nombre d'objets se trouvant ici qui la frappe. Dans ce qu'elle imaginait, les objets concernés par le trafic mis en place par Céleste se comptaient en centaines, au mieux. C'est plutôt des milliers d'œuvres, de chandeliers, de lustres, de statues, de statuettes, de représentations sacrées, d'armes anciennes qui se trouvent ici. Elle n'ose même pas imaginer le nombre de jours qu'il a fallu pour entasser tout ça. Des années. Des siècles peut-être.
- Vous êtes vivants, bordel de merde.
C'est un peu vulgaire mais c'est la seule chose qui lui vient à l'esprit en voyant les onze disparus la fixer et commenter chacun de ses faits et gestes. Elle aurait tellement aimé qu'Anna voit ça.
- J'ai besoin de m'asseoir. Et d'un verre. Et qu'on m'explique ce qu'il se passe ici.
Les vieux se consultent tour à tour du regard, paraissent tous connectés comme des smartphone sur le même réseau WIFI. Ou de vieille chouettes dans la même meute d'oiseaux, Odile ne sait plus trop. Sa tête tourne un peu, c'est la pression qui redescend et la surprise qui lui fait ça.
- Vous allez bien ma petite ? Vous êtes toute pâle.
- Vous voulez un verre d'eau.
- FERNAND, VA LUI CHERCHER UN VERRE D'EAU.
- NON.
- POURQUOI ?
- PARCE QUE JE SUIS OCCUPÉ, FAIS LE TOI-MÊME.
- MAIS QUEL EMMERDEUR DE PREMIÈRE.
- JE T'ENTENDS TU SAIS, JE SUIS PRESQUE AVEUGLE MAIS PAS ENCORE SOURD.
Si elle ferme les yeux, elle se croirait chez ses grands-parents. La main qui s'est posée sur son épaule est chaude et agréable comme celle d'une grand-mère, quand elle lève la tête elle reconnait les traits si longtemps observés d'Henriette. La grand-mère de Laura. Première identifiée. Il y a d'autres visages dont elle ne connait pas les noms, ceux dont elles n'ont malheureusement pas réussi à percer les mystères malgré leurs efforts.
- Je ne veux pas d'eau mais s'il vous plait, j'aimerais qu'on m'explique.
Cet endroit est stupéfiant, c'est sa conclusion dans tout ça. Une conclusion brève mais efficace qui ne lui apporte cependant aucune réponse. Et maintenant, elle aimerait savoir. Quand elle repense à la jeune femme qu'elle était en arrivant dans cette gare il y a un mois, elle ne la reconnait pas. Elle était naïve, elle était vorace, elle était bête parfois, elle était définitivement différente de celle qu'elle est aujourd'hui. Même s'il lui arrive toujours d'être bête. Cette histoire l'a changé, quoi qu'il en soit. Et maintenant qu'elle la sait moins sordide que ce qu'elle pensait, elle aimerait qu'elle cesse aujourd'hui. Alors elle est soulagée quand c'est Céleste qui prend la parole.
- Mes amis, je vous présente Odile. Odile est une amie de ma fille et elles ont enquêté ensemble pendant plus d'un mois sur nous, bien après que la police ait bouclé le dossier.
Quelques sifflements admiratifs, elle croit même entendre des applaudissements. Elle pourrait rêver, ce serait la même chose.
- Ensemble, elles ont découvert une bonne partie de nos petits secrets. La cache de Saint-Gervais tout d'abord, puis une branche du réseau international. Elles ont trouvé Germaine, qui leur a raconté des conneries.
- Évidemment.
- Quelle conne celle-là.
- J'ai jamais pu la voir.
- Heureusement qu'elle a jamais rien su de tout ça.
Les oreilles d'Odile s'affolent quand elle entend toutes leurs remarques, quand elle sait plus où écouter tellement les informations se contredisent.
- Si on allait à l'essentiel pour une fois ?
Elle est à cran, pire qu'à cran. Elle n'a jamais été autant à cran, même pendant ses études sous haute tension, même lorsqu'elle bossait pour le Parisien. Elle est à rien d'exploser définitivement, à rien.
- Très bien, puisqu'Odile est pressée, je vais donc me contenter de lui résumer la situation. Nous sommes des trafiquants qui exercent la profession de nos parents, qui eux-mêmes exerçaient celle des leurs. Ce que vous savez sur nos activités est vrai, le reste...
- C'est du pipeau.
- Des bêtises.
- Oui, des sornettes, définitivement. Je n'ai pas traqué les membres de notre groupe un par un, pas plus que je ne les déteste. J'ai en effet eu de la rancœur pour eux un certain temps...
- À tort.
Céleste lève les yeux au ciel, légèrement agacée pendant qu'Odile est toujours prête à exploser comme une cocotte minute.
- Cependant, comme je disais, je ne les déteste pas. Si on est obligé de se terrer ici et d'avoir simulé nos disparitions, c'est parce qu'on veut nous tuer.
- Ouais.
- Ces enfoirés d'anglais qui comprennent rien.
- Je vous avais dit qu'on aurait dû les évincer depuis le temps, je vous l'avais dit.
Odile fronce les sourcils, essaie de recoller les morceaux, n'y arrive pas très bien. Alors elle fait de son mieux pour rassembler ses pensées et poser des questions claires. Précises. Directes.
- D'accord. Qui veut vous tuer ? Pourquoi ? Comment avez-vous fait pour disparaitre sans qu'on ne s'en aperçoive ? Pourquoi Germaine m'a menti ?
Claires, précises, mais nombreuses. Trop de questions à son goût qui restent sans réponse et trop de risques que les vieux partent dans tous les sens au lieu de lui répondre. C'est d'ailleurs ce qu'ils font, elle entend aisément une vingtaine de réponses fuser dans tous les sens, données par une dizaine de personnes. En même temps.
- Du calme, s'il vous plait.
Si Odile ignore s'ils reconnaissent une cheffe au sein de leur groupe mais si c'est le cas, elle sait qu'il s'agit de Céleste.
- Ce sont nos collaborateurs étrangers qui souhaitent nous éliminer. Parce que nous souhaitons révéler la vérité au monde concernant cet endroit. Nous avons disparus grâce à un simple tour de passe-passe digne d'un magicien de kermesse. Germaine ne vous a pas menti, elle vous a raconté ce qu'elle sait. C'est à dire, des mensonges.
La rousse cesse une seconde de respirer, avale sa salive, prend une grande inspiration, souffle. Tout va bien. Le monde ne s'est pas arrêté de tourner. La vie continue.
- Si je peux me permettre, t'es un peu dure avec mon tour de passe-passe. C'était un très bon tour de passe-passe.
C'est un de ceux dont elle ignore le nom qui a pris la parole, celui avec les chemises à fleurs qu'elle avait remarqué sur l'enregistrement des caméras de surveillance. Le vieux se tient là, en parfaite bonne santé, assit sur une table, nonchalamment. Bien trop nonchalamment pour ne pas éveiller la colère de la journaliste, qui les a tout de même cherché pendant un mois.
- Bien, racontez moi tout. Je veux tout savoir. Dans les moindres détails.
Ils font à nouveau ce truc, cette chose étrange qui montre qu'ils sont tous parfaitement connectés, liés les uns aux autres. Ils se demandent la permission, si c'est une bonne idée, quelque chose comme ça. Odile l'ignore précisément, puisqu'elle ne fait pas partie de leur bande. De leur meute. De cette famille.
- Très bien, alors je vais nous faire du thé.
- On en aura besoin.
- Je veux bien un whisky plutôt.
- Oh quelle excellente idée, un whisky.
Et c'est reparti.
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