Chapitre 40 : Genève
- Ce qu'il va se passer, c'est ce que je vais la tuer.
Soupir, froncement de nez, secoue la tête, John n'est pas d'accord avec l'idée et Anna a du mal à saisir pourquoi. Elle, elle est sérieuse.
- Elle a pourri mon enfance avec ses conneries, elle a pas aidé mon adolescence non plus et maintenant que je trouve enfin quelqu'un qui...
Quelqu'un qui quoi ? Elle passe sa main dans ses cheveux, nerveusement. Elle sait pas vraiment ce qu'est Odile pour elle ni ce qu'elle a de si spécial mais elle ne peut pas la laisser partir. Elle ne peut pas la savoir en danger. Elle ne peut pas admettre le fait qu'elle lui ai filé entre les doigts, qu'elle a rien pu faire, qu'elle a peut-être disparue pour toujours elle aussi et qu'elle ne la retrouvera jamais. C'est trop brutal, trop dur d'imaginer leur fin comme ça. Ça ressemble à une mauvaise blague au mieux, au pire à une tragédie. John l'arrête dans sa mission de tout péter dans cette chambre, dommage parce qu'elle était bien partie.
- On va la retrouver, calmez vous. L'important, c'est de garder son calme.
A ce moment là, elle pourrait lui en coller une. Sans aucun remord. Elle pourrait le frapper et tant pis s'il a cent huit ans. Ça doit se voir dans ses yeux parce que le septuagénaire recule, définitivement un peu soulé.
- Nous sommes dans la même situation vous et moi. Nous avons tous les deux perdus quelqu'un qui nous est cher et...
- Égaré, pas perdu. Momentanément égaré.
Elle sait toujours pas si elle lui est chère, en plus de ça. John a perdu sa femme, lui. Elle redescend un peu, il a raison au fond. Ça sert à rien d'hurler, ça sert à rien de paniquer, ça lui ressemble même pas.
- Il me faut une arme. J'ai besoin d'un flingue, vraiment.
Au moins, elle aura essayé.
- Nous n'allons pas chercher d'arme, s'il vous plait.
Elle est pas violente Anna, mais c'est aussi la première fois qu'on enlève quelqu'un qui lui est proche, on s'en fout à quel point. C'est la deuxième personne qui disparait brutalement de sa vie, la première c'était sa mère. Bon sang, elle savait qu'elle aurait jamais dû la laisser toute seule. Elle avait un mauvais pressentiment depuis leur arrivée ici, elle aurait dû le savoir, elle aurait dû s'écouter.
- Je sais que c'est elle. Y a son putain de parfum partout ici, c'est une des seules choses dont je me souviens.
Le sien, celui de l'autre femme aussi. Un violent mal de tête la frappe à l'arrière du crane, il faut qu'elle se calme mais elle arrive à peine à respirer normalement. Y a toute cette pression au fond de son ventre qui la fait dérailler, cette boule dans sa gorge qui lui donne l'impression que la fin n'est pas loin. Qu'ils sont ici à un tournant, qu'il y aura pas de retour en arrière après ça. Elle a fui toute sa vie, elle pourrait partir encore une fois. C'était douloureux de se demander durant toutes ces années qu'est-ce qu'elle aurait bien pu faire pour que sa mère reste, pour qu'on l'aime et qu'on l'apprécie sans qu'elle ait à donner trop d'elle-même, sans qu'elle ait l'impression d'avoir à le mériter. C'est pour ça que c'est toujours elle qui finissait par partir en premier. Elle se disait que ça ferait moins mal d'entendre la porte claquer que de la voir se refermer sur tous ceux qu'elle aimait. Elle pourrait faire pareil avec Odile.
- On va la retrouver, il faut seulement vous calmer.
Et ça l'agace de l'entendre répéter ça parce qu'après tout, il en sait rien. Le mal de crâne frappe de plus en plus fort, elle est dans cet entre-deux spécial lorsqu'on arrive quelques temps après qu'un événement important se soit produit. Elle est entre l'urgence de sauver la situation et l'impression qu'il est trop tard pour toute mission de sauvetage.
- Je vais la retrouver, vous devriez rentrer chez vous.
Chacun ses problèmes après tout et plus personne ne lui inspire confiance désormais. Y a cette brutale sensation de doute, comme si quelque chose n'allait pas. Pas le même genre de pressentiment qu'elle a eu quand elle est entrée dans cet endroit, quelque chose de différent mais de tout aussi effrayant.
- On devrait surtout reprendre la route ensemble. On n'avance mieux à deux que seul.
- Non. Non, la vérité c'est que...
Anna déglutit en retournant la chambre, elle a la gorge sèche, rien ne va dans sa tête. Elle retourne tout ce qu'elle peut mais les objets paraissent difficilement réels sous ses doigts, tout ce qu'elle ressent c'est du froid. Ça recommence, ça en finira jamais.
- La vérité c'est que j'avance mieux quand je suis avec elle.
Sur tous les plans, elle avait même pas réalisé qu'elle faisait plus de crises d'angoisse depuis qu'elle l'a rencontré. Maintenant qu'elle sait plus si Odile est morte ou vivante, elle est à deux doigts de céder. Les larmes pas loin, elle fait de son mieux pour réfréner. Si elle pleure, ce sera terminé. Elle sera entrainée dans la spirale, condamnée à tomber devant un inconnu en qui elle n'a pas confiance et à suffoquer sans que personne ne puisse l'aider. Alors elle réfrène, fait de son mieux pour garder l'esprit concentré sur ses objectifs. Trouver de quoi se défendre. Trouver sa mère. Trouver Odile. Partir très loin d'ici et ne plus jamais entendre parler de ces onze vieux disparus.
- Alors vous allez rentrer et on se tient au courant. Si j'apprends quelque chose sur Aimée, je vous promets que vous serez le premier à le savoir.
Elle rassemble leurs sacs un peu nerveusement, son sac en fait. Odile a pris le sien. Ça la frappe d'un coup, elle l'avait pas remarqué au début. Elle a pris le sien avant de partir. Quel genre de kidnappé pense à prendre son sac avec lui ? L'énergie retombe, elle était prête à s'en aller une seconde avant mais c'est le mystère qui la rattrape. Le brouillard, tous ces secrets et ces choses inexpliquées qui les poursuivent depuis qu'elles ont mis les pieds dans cette gare. Cette gare.
- Je crois... je crois qu'il faut que je retourne à Genève.
C'est là où tout a commencé, elle saurait pas expliquer pourquoi elle pense qu'Odile est là-bas. C'est seulement son intuition, seulement son instinct. Si la rousse est partie de son plein gré, ce qui la tue de l'intérieur, il n'y a qu'une chose qui pourrait l'expliquer. Des réponses. Si Odile est partie d'elle-même, alors c'est parce qu'elle espère trouver des réponses. Qu'on les lui a promises.
- Et je ne peux pas vous laisser faire ça.
Elle n'a presque pas le temps de voir la carafe avant qu'elle ne s'écrase sur le haut de son crane.
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